Forum - Eva.
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Carlyle | 30/03/07 18:31
La jeune fille court très vite.
C'était elle la plus rapide du quartier, et même le grand Bertran, pourtant d'un âge plus avancé, ne la battait pas à la course. A vrai dire, personne chez les enfants ne l'avait jamais battue à la course. Sur petite distance comme sur grande. Elle ne courait pas, lui disait sa mère, elle volait. Ses pieds avaient été dotés d'ailes magiques par une divinité aimante qui avait décidé qu'elle irait plus vite que les autres. Alors elle allait plus vite, toujours plus vite, bien obligée, si elle ne voulait pas s'arrêter et, finalement, rejoindre le lot des perdants qu'elle laissait loin, loin derrière elle à chaque fois qu'elle s'enfuyait sur ses pieds ailés. Elle se souvenait encore des courses qu'elle avait tout le temps gagnées, même quand les grands garçons décidaient de tricher. Elle leur échappait toujours.
Mais là, il s'agit d'échapper à des adultes déterminés à la rattraper, peu importe qu'elle aille vite ou non. Elle fuit tout droit, comme la fois où Agdir l'avait poursuivie. Elle court de toute la vitesse de ses jambes, qui ont un peu grandi depuis, mais pas trop. Pas assez, alors qu'Agdir et Bertran et tous les autres sont devenus plus forts, plus rapides qu'elle. Et si Agdir était assez séduisant pour qu'à la fin, avant d'être accablée de fatigue, elle se laisse rejoindre et l'enserre dans ses bras dans un champ magnifique, ceux-là qui la poursuivent ne sont certainement pas du même acabit, même s'ils ont la même envie de la coucher dans un champ avant de continuer leur mission. Les peupliers et les saules qui bordent le chemin défilent plus vite que les vents, estompant leurs contours dans une même anarchie de peinture absolument splendide aux couleurs de l'automne, mais sa presse est trop grande pour qu'elle puisse les observer à leur juste valeur.
Elle sent le souffle chaud des haleines des soudards derrière elle, bien trop près à son goût, et n'ose se retourner pour évaluer la distance. Les chiens sont toujours trop près, elle ne tiendra peut-être plus ce rythme très longtemps, il faut courir, il faut courir. Sa vision se trouble, et les tons se mélangent, répondant étrangement aux cris qu'elle entend derrière elle, aux odeurs aussi, en une harmonie fantasque que son esprit dessine, déjà loin, bien loin de son corps.
La petite fille courrait très vite.
Sa mère lui avait dit, ses pieds étaient un cadeau du dieu du vent.
Elle était toujours devant. Même quand elle tombait, elle n'avait pas peur. Elle se relevait, et courrait encore plus vite. Les saules et les peupliers se confondaient en une peinture étrange qu'elle était la seule à savoir apprécier à sa juste valeur, pourvu qu'elle courût suffisamment rapidement pour atteindre ce décor enchantant, et qu'importe que quelques égratignures s'achoppent à son corps infantile au cours de cette course vers la beauté. Et quand bien même la petite fille tombait, elle se relevait d'entre les peupliers et les saules qui bordaient le chemin.
Elle trébuche sur une pierre un peu plus grosse que les autres, parce que sa fatigue est un peu plus forte après ce qui lui semble une heure de course, et réussit, en puisant au fond d'elle-même, à reprendre l'équilibre. Elle court de nouveau, comme si sa vie même en dépendait, et en quelque sorte elle en dépend, après tout. Elle survole des branches mortes, évite de glisser sur des feuilles mortes humides que le cantonnier n'a pas voulu ramasser, ou n'a pas vu, ou pas voulu voir. Les bords du chemin sont trop traîtres, elle s'en éloigne, et accélère encore. Ils sont trop près d'elle pour sa sûreté. S'ils tendent le bras, c'est sa jambe qu'ils saisissent. Courir. Plus vite, plus vite encore, jusqu'à ce qu'elle les sème sur cette longue ligne droite, ou jusqu'à ce qu'elle meurt en essayant. Un brusque coup de vent ramène ses cheveux sur ses yeux. Elle jure. Elle espère avoir le temps de les ôter et de retrouver une vision normale du chemin avant de heurter un obstacle. Ironie du sort, elle réussit à voir l'obstacle au moment où il est trop tard, évidemment.
Son cri de haine, de désespoir et de résignation empli les champs alentours. Tout est perdu. Elle ferme les yeux pour ne par voir la terre se rapprocher trop vite, protège sa tête avec ses mains, et s'effondre entre les peupliers et les saules qui bordent le chemin.
Les halètements des hommes se font plus forts. Ils sont là, juste derrière elle, et ils savent qu'ils ont, à présent, tout leur temps. Aussi le prennent-ils pour récupérer de leur effort. La garce les aura fait courir comme des lapins pendant plus de trois lieues. Aussi le prendront-ils quand il s'agira de s'agiter à nouveau comme des lapins avec elle tout à l'heure. Elle, elle pleure en silence, et se promet déjà de ne pas crier.
Une chape de plomb s'est abattue sur le paysage, et les couleurs sont grises, mornes, comme un après-midi d'Octobre où le soleil a trop vite disparu derrière l'horizon et quand le crépuscule étend avec lenteur une ombre pas encore noire, et une lueur plus tout à fait lumineuse. Les animaux se taisent, les malédictions s'activent, et la nature semble retenir son souffle pour une heure plus certaine.
« Je crois, jeune fille, que vous pouvez cesser de vous inquiéter. Les maraudeurs à votre poursuite ont définitivement ôté cette idée de leurs esprits, si tant est qu'ils en aient eut un un jour. »
Elle relève la tête, visiblement surprise de la main tendue vers elle, gantée de cuir, inquiète de ne pas distinguer le visage de son interlocuteur, derrière lequel luttent les quelques dernières lueurs du jour.
« Allons, allons, n'ayez aucune crainte de moi jeune fille. L'homme s'incline élégamment dans son costume blanc frangé d'or. C'est un plaisir que de vous rencontrer. Son sourire est si charmeur qu'elle ne peut s'empêcher d'y répondre. Vous voilà déjà mieux, n'est-ce pas ? Il fait un petit geste de la main.
-Mais, monsieur, pourquoi ?
-Parce que c'était vous. Parce que c'était moi. Et peut-être aussi parce que je passais par là. Muse-t-il d'un ton détaché, tandis qu'elle lui prend la main et qu'il la relève.
-Rien d'autre ? Elle saisit le mouchoir qu'il lui tend, et s'essuie visage.
-Si, vous serez bien plus belle quand je me serai occupé de vous, jeune fille. Il se retourne, et regarde la route. Sur ce, allons, et allons bien. Le temps ne nous presse pas encore, ne vous presse plus, mais cela ne devrait tout de même pas trop tarder.
-Mais, je ne sais même pas qui vous êtes ! Elle s'accroche à son bras tandis qu'il avance, plus vite qu'elle.
-Mais moi, je sais tout de vous, Eva. Il sourit. Et vous n'en saurez pas plus si vous ne me suivez pas... »
La jeune fille ne se releva pas d'entre les saules et peupliers qui bordaient le chemin.
Edité par Carlyle le 30/03/07 à 18:32
Carlyle | 30/03/07 18:33
Suite de, dans l'ordre :
Monologue oublié : [Lien HTTP]
Fragments épars : [Lien HTTP]
Séance inamicale : [Lien HTTP]
La suite, bientôt.
Bonne lecture.
Terfanae De Caledon | 31/03/07 12:21
Joli!
Mais étrangement, cet écrit me rapelle le style de quelqu'un .... 
Black Mamba | 31/03/07 14:18
Oui, c'est très agréable à lire... et il y a toujours un côté énigmatique bien plaisant.
Vivement que l'on en sache plus
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