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Noir-feu | 18/07/14 13:02
Le Seigneur Dragon détacha lentement son regard du petit feu auprès duquel il était accroupi, simple flambée au centre d'un cercle de pierres, lui même au centre d'une modeste clairière. Ses prunelles de jais qui reflétaient comme deux gemmes épurées les flammes dansantes se rivèrent à celles de la relativement jeune elfe qui lui faisait face.
Laewllyn.
Sa fille. Leur fille, qui portait le nom de sa mère.
Cela avait été une longue, très longue palabre. Moins longue, et de combien, que le temps écoulé depuis ces événements qu'il venait de lui conter, des événements qui parlaient de celle qui avait été sa mère, et qu'elle n'avait pas connu. Le mercenaire de l'histoire avait payé le prix exigé, mais, puissances, amertume il y avait eu. A foison, de quoi rendre imbuvable assez de bière pour noyer dix royaumes Nains. L'elfe garda le silence un long moment, plongée dans ce regard millénaire qui lui faisait face. Elle peinait à concevoir que l'être en face d'elle puisse avoir été cet homme, simple mercenaire errant, quelques mille deux cents lunes auparavant. Un flot de question se pressait à ses lèvres, car si long qu'ait été son récit, il en manquait le dénouement, et bon nombre de détails qu'elle brûlait de connaître. A l'instant où l'une de ces questions allait finalement jaillir, celui qui portait en ce temps le nom de Noir-feu leva une main pour l'interrompre.
-Pas encore. Je vais te conter la suite de cette histoire. Puis je répondrai à tes questions.
Il se releva souplement, levant les yeux vers les étoiles et inspirant profondément. Était-ce des larmes qui perlaient au coin de ses prunelles? La jeune Elfe s'abstint de poser la question, rajoutant simplement quelques bûches dans le foyer. L'être, son père, revint prendre place auprès du feu, et jamais plus qu'à cet instant il ne lui avait semblé ancien, porteur d'âges oubliés qui n'avaient pas réussi à l'user vraiment. Les flammes s'inclinèrent vers lui alors qu'il les fixait, une poche de résine explosa bruyamment en projetant une gerbe d'étincelles dans les cieux. D'une voix qui paraissait venir de très loin, le Seigneur des Dragons Noirs reprit son récit, le contant comme si un autre que lui l'avait vécu.
***
La chute dura longtemps. Mais que signifiait une impression de durée dans cet étrange "voyage"? Pas grand chose sans doute, mais avec cette sensation c'était aussi une distance qui ne révélait, et quelle que soit la destination de ce parcours, le guerrier sut qu'il s'éloignait du monde qu'il avait toujours connu, qu'il se rendait en un lieu où les mortels n'avaient rien à faire. Les paroles de l'Esprit de la Forêt résonnèrent en lui, elle avait parlé de Puissances, il se demanda fugitivement où elles pouvaient bien habiter, si tant est qu'une Puissance habite quelque part, puis il percuta littéralement un sol, brutalement, et cela interrompit net ses vaines cogitations. Sonné, il se releva en grimaçant, palpant les muscles endoloris de ses jambes. C'est seulement alors qu'il réalisa l'absolue étrangeté du lieu qui l'entourait. Tout son être fut parcouru d'un long frisson, son coeur lui sembla se racornir dans sa poitrine et manqua quelques battements. Il se força à inspirer, soulagé de s'apercevoir qu'il le pouvait encore.
Il se trouvait sur une sorte d'allée, posée là au milieu des étoiles. Ses dimensions étaient si colossales qu'il se sentit dans la peau d'une fourmi arpentant quelque avenue d'une vaste cité. Le sol était constitué de dalles heptagonales d'une espèce de cristal noir à moitié transparent, chacune aurait pu servir d'assise à une puissante forteresse, et pourtant elles semblaient de taille modeste en regard des piliers de feu qui la bordaient, si gigantesques qu'il aurait fallu plusieurs heures à un humain pour en faire le tour. Ils se perdaient dans l'infinité cosmique, et rien ne semblait indiquer qu'ils aient une extrémité. Leur lumière n'était pas aveuglante, ils éclairaient l'allée à la manière de torches cyclopéennes disposées là comme pour que l'improbable voyageur ne confonde par les dalles avec le vide étoilé. Le guerrier crut apercevoir dans leurs flammes mouvantes des scènes d'une banalité paradoxale, comme si dans ces feux se reflétaient les agissements des vivants, paysans labourant leurs champs, marchands vantant leurs marchandises, quelques scènes de batailles, et tant d'autres qu'il eut le sentiment qu'il pouvait se perdre indéfiniment dans cette contemplation s'il y attardait son attention. Perplexe et inquiet, il laissa son regard faire un tour d'horizon et sursauta en avisant soudain un regard incandescent braqué sur lui. Instinctivement il bondit en arrière, sa main cherchant une arme qui ne se trouvait pas là. Un rire sismique salua moqueusement son geste, puis le propriétaire du regard qui jusque là avait été dissimulé par un pilier s'avança, révélant un gigantesque corps écailleux de la même teinte que le sol. Deux ailes assez vastes pour couvrir de leur ombre une petite cité jaillissaient de son dos, si bien que le guerrier reconnut la créature qui lui faisait face pour ce qu'elle était: un Dragon. Sa gueule avait la taille d'un très gros chariot, entrouverte elle laissait voir des rangées de crocs fumants de la taille d'épées, qui semblaient contenir une masse en ignition inquiétante. Le Dragon courba son long cou pour observer l'humain tétanisé, le reniflant avec un apparent dédain. Enfin il se recula un peu, et sa voix semblable au fracas du tonnerre parut emplir la totalité de l'espace sonore.
-La Vie d'une Elfe, c'est ce que tu es venu demander. Soit. Ta Vie en est le prix. Un marché équitable, Vie pour Vie, il ne peut en être autrement. Acceptes-tu?
-Je...oui...oui, avec joie! Euh...Seigneur Dragon. Je mourrai avec joie si cela peut la sauver...
Le Dragon éclata de rire, sa patte avant droite jaillit et percuta le guerrier avec violence, le projetant à terre. Puis le regard du Dragon se riva à celui de l'humain, irradiant de puissance contenue, abysses insondables qui faillirent bien ravager définitivement la raison de Breagel'Ann.
-Ce n'est pas ta mort qui est le prix, Fils de l'Orage. C'est ta Vie. Tu trouveras peut-être la joie, ou peut-être pas, cela n'importe pas. Tu suivras la Trame sans jamais pouvoir en dévier, quelles qu'en soient les conséquences, quelles qu'en soient les blessures. Tu vivras, interminablement, chaque nuit tu te souviendras de ces instants, et tu me maudiras de t'avoir accordé cette Vie que tu demandes. Mais cela non plus n'importe pas, tu accompliras le destin que je t'ai tracé, jusqu'à son terme, ou tu seras brisé en t'y efforçant.
-La...Trame...qu'est-ce? Que voulez-vous que...j'accomplisse?
-Tu le sauras bien assez tôt. Retourne sur ton monde et suis la Route d'Elladyll, quoi qu'elle exige de toi. C'est le seul chemin susceptible de t'offrir un salut.
-La route d'Elladyll, je...je n'en ai jamais entendu parler...
-C'est elle qui te trouvera.
-Je...bien...euh...vous avez...un nom, Seigneur Dragon?
-Oui. Orféor le Noir. Nous nous reverrons. Vas maintenant!
Le souffle du Dragon projeta le guerrier vers son monde avec un si terrifiante violence que sa conscience s'occulta. De ce "voyage" il ne devait garder qu'une vague impression diffuse pendant des siècles, reprenant brutalement ses esprits allongé aux côtés de Laewllyn avec l'impression d'avoir été piétiné par une armée entière de trolls des cavernes.
Bart Abba | 20/07/14 20:27
Je kommence à décrocher, Zorro... Envoies une tournée de FrakassKrâne !!
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Neige II | 20/07/14 20:42
Bart,prends un Spliff Sacre c est mieux
tu comprendras mieux avec ca
Neige II ,Prince De La Couronne Des Spliffs Sacrés De Gitanie
Bart Abba | 20/07/14 23:29
Pas kon, Neige !! Envoie un cink feuilles !!
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Noir-feu | 21/07/14 00:40
Quelques petits éclaircissements?
Cette histoire se déroule principalement aux alentours de la lune 200 de daifen, sur un autre monde. Elle complète l'histoire de Noir-Feu avant qu'il n'arrive sur Daifen. En ce temps reculé, il se nommait alors Breagel'Ann, nom sous lequel il a fini par arriver sur Daifen du côté de la lune 500 grâce à une route entre les étoiles créée par un bâtisseur fou nommé Elladyl, ce qui est aussi le nom de sa terre d'origine.
Il crée un peu après son arrivée la Fraternité Dragonnique, puis s'engage dans une quête insensée, la Quête de Num la Pétrifiée (une partie du prix exigé pour la vie de Laewllyn). Sur le point d'être anéanti, Breagel'Ann reçoit alors l'aide d'un Dragon, Orféor, qui lui transmet le Don Dragonnique (semblable au Don Vampirique) et fait de lui le Dragon Noir qu'il est resté jusqu'à ce jour. La deuxième partie du précédent chapitre évoque la première rencontre entre Orféor et celui qui deviendra son "Fils".
D'autre part, vers la lune 1350, après un très long service, le commandant des Légions Dragonniques, Troëren, un vampire, se retire de ce poste. Ombre-Lune nomme à sa place une Elfe, Danseuse de Guerre, nommée Laewllyn. Elle est la fille de Breagel'Ann (alias Noir-Feu) et de la Laewllyn de ce récit, et porte le nom de sa mère. La présente histoire lui est contée par son père qui lui dévoile ses origines autour d'un feu dans une clairière, ce qui apparaît dans la première partie de ce précédent chapitre.
Zorander | 21/07/14 08:53
Moi, j'avais tout kompris.... enfin je krois !!!!
Allez enkore une tournée et prix spécial à Noir-Feu !!
Khan Zorander - chef des orcs de l'Empire de Bandakar
Bart Abba | 24/07/14 00:49
Pourtant, Lune deux cent, j'étais déjà là...
Mais pas dans un autre monde... Juste dans un autre état !
Le Spliff fait son effet ... J'attends la suite !
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Edité par Bart Abba le 24/07/14 à 00:49
Anastase De Mu | 24/07/14 09:21
Pas trop vite ! J'en suis qu'à la première page... C'est long, mais c'est bon. Un peu comme... le saucisson ?
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."
Anastase De Mu | 24/07/14 20:20
Formidable histoire ! J'attendrais volontiers avec le sieur Abba.
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."
Bart Abba | 24/07/14 20:49
Un peu de pop-korm avec une
, sieur de Mù ? \~/
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Anastase De Mu | 27/07/14 09:18
"Du pop-korm, de la bière ? C'est siiiiiiiii transgressif, siiiiiii barbare ! avec plaisir !"
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."
Noir-feu | 24/09/14 02:09
Ils fuyaient, encore et encore, depuis des mois, toujours plus loin, toujours plus profondément dans les inextricables massifs montagneux qui formaient, à l'est du monde connu, une infranchissable barrière. Épuisés, hagards et affamés, les rares elfes qui avaient survécu et le reliquat de la Compagnie Franche ne continuaient à mettre un pied devant l'autre que par habitude et, peut-être, parce que l'amant de Laewllyn ne manifestait aucun signe de renoncement. Toujours il se trouvait au côté de qui titubait, toujours sa poigne de fer relevait celui qui tombait. Il avait maigri, ses traits étaient creusés de fatigue et jamais il n'avait tant ressemblé à un loup famélique, mais dans son regard brûlait une flamme féroce et sauvage, sa volonté compensait la faiblesse relative de son corps et c'était à cela que chacun se raccrochait quand l'envie de s'asseoir là, juste là, pour en finir enfin, les envahissait.
Derrière le masque d'assurance pourtant, le guerrier doutait, désespérait parfois. Le miracle de la guérison de Laewllyn, qui n'avait pas même gardé une cicatrice de son effroyable blessure, l'avait plongé dans une douce euphorie. Il s'était alors pris à rêver qu'avec l'aide de la Compagnie Franche ils pourraient lutter, préserver la forêt Elfique peut-être. La réalité l'avait rattrapé, les avait tous rattrapés avec brutalité. Il ne s'était écoulé qu'une semaine quand l'armée du Sire de Mirevelles avait pris position à l'orée de la sylve, munie d'une véritable armada de machines de siège. Les Elfes et leurs alliés Humains s'étaient alors repliés au coeur de la forêt, confiants dans le fait que faire avancer les engins de siège dans les bois, même dévastés, poserait de sérieux problèmes à l'armée adverse. Ils s'étaient imaginé pouvoir harceler les troupes du génie qui tenteraient de se frayer un passage, persuadés qu'ils pourraient à cette occasion les saigner à blanc. Oui, seulement...à peine avaient-ils montés un campement de fortune au plus profond de la forêt qu'une forte troupe de zombies leur était tombée dessus à l'improviste, réalisant le "miracle" de surprendre les Elfes dans leur propre forêt. Rivia et Breagel'Ann étaient parvenus à former une mince ligne défensive pour permettre aux autres de fuir, leur donnant rendez-vous dans les premiers contreforts de la chaîne des Runes. Le combat avait été indécis pendant de longues heures, les défenseurs se battant avec l'énergie du désespoir pour donner le plus de temps possible aux fuyards. Puis, averties sans doute par un serviteur du Nécromant, les troupes de Mirevelles étaient venues renforcer les hordes de morts-vivants. La bataille avait tourné à la boucherie ignoble en moins d'une heure, les défenseurs se trouvant bien vite incapables d'endiguer les vagues successives d'assaillants. Sur la centaine de guerriers qui avaient constitué la défense, seuls trois étaient parvenus à fuir pour rejoindre après une course exténuante le lieu de rendez-vous. Depuis ce sombre jour, ils fuyaient, vaincus. Loin, toujours plus loin, gagnant des régions que nul elfe n'avait jamais foulé de son pas, poursuivis sans cesse par les hordes en apparence innombrables du Nécromant, un peu moins nombreux après chaque rencontre, un peu plus désespérés, aussi.
Ce qui devait fatalement arriver un jour ou l'autre se produisit par une soirée d'automne pluvieuse, alors qu'ils étaient pressés par une nombreuse cohorte de goules. Ils avaient esquivé l'issue de leur fuite pendant près de trois mois, perdant jour après jour quelques-uns des leurs jusqu'à ne plus former qu'une petite communauté d'une centaine d'individus. Plus de la moitié était constituée de femmes et d'enfants, les mâles ayant payé un lourd tribut chaque fois qu'il avait fallu protéger la fuite de leurs familles, et aucun des survivants n'était exempt de blessures récentes, pas plus qu'aucun n'avait mangé à sa faim au cours des derniers mois écoulés. Ce soir là, donc, la pluie battante avait réduit la visibilité à quelques mètres et, harcelés qu'ils étaient, ils avaient été contraints à une course aveugle dans des montagnes qu'aucun ne connaissait. Un des elfes parmi les plus lestes, qui d'ordinaire courait en avant de la troupe pour repérer un chemin, revint en courant vers l'arrière-garde, constituée de Rivia, Breagel et trois membres de la Compagnie Franche, les traits défaits. Il s'approcha de Breagel et lui murmura à l'oreille:
-Nous sommes pris au piège...on s'est enfilé dans un cirque rocheux, il y a des falaises autour de nous...partout...
Le guerrier frémit alors qu'une lame de désespoir vicieuse fouaillait ses entrailles, il ferma un instant les yeux en respirant amplement pour dompter la peur qui le submergeait, sachant que la laisser le diriger ne ferait que précipiter leur perte. Au fond de lui, quelque chose céda un peu comme un voile trop tendu qui se déchire, ses mâchoires formèrent brièvement un bloc plus dur que la pierre, puis se détendirent alors qu'il fixait à nouveau l'éclaireur d'un regard incandescent:
-Ces parois, elles sont à quelle distance l'une de l'autre?
-Ici, quelque chose comme trois cents pas. C'était plus étroit avant, peut-être une cinquantaine de pas à l'endroit le plus resserré...
Breagel tendit l'oreille, cherchant à estimer la distance qui les séparait encore de la horde poursuivante et le temps dont ils disposaient.
-Bon. Nous avons encore quelques minutes. Vas dire à tous ceux qui sont encore en état de se battre de nous rejoindre au niveau du resserrement, et fissa! Ensuite tâche de trouver une planque pour les autres, un éboulement rocheux, une faille, n'importe quoi qu'on puisse défendre, et conduis-les là-bas. Cours, le temps presse!
Il se tourna ensuite vers Rivia et lui expliqua rapidement la situation, ce qui soutira au corpulent capitaine une litanie de jurons que n'aurait pas désapprouvée le plus rustre des templiers. Après un regard qui en disait long, les deux hommes se serrèrent les poignets à la manière des guerriers, puis se dirigèrent d'un pas vif vers l'endroit le plus étroit du défilé qu'ils venaient d'emprunter. Proches, trop proches, retentissaient déjà les inévitables cliquetis des armes et armures rouillées des créatures maudites, et l'intensité de ces sons inquiétants disait assez qu'ils étaient venus en grand nombre. Bien vite, les elfes et humains en état de combattre les rejoignirent, ils formèrent courageusement une maigre barrière sur trois rangs pour protéger les leurs, mais la peur se lisait dans tous les regards. Breagel se tourna vers l'un des survivants de la Compagnie Franche:
-Dis-moi, Gart, tu as toujours ton cor de guerre?
-Oui, Commandant!
-Alors fais-le sonner, fais-le retentir comme jamais!
-Que je...mais...
-Tu as quelque chose à perdre?
-Non...non Commandant...murmura l'homme en portant le cor à ses lèvres.
La sonnerie tonitruante fracassa le relatif silence sans douceur et se répercuta longuement sur les parois du cirque rocheux alors qu'apparaissaient, rendus indistincts par le rideau de pluie, les premiers rangs compacts de l'armée du Nécromant. Les quelques défenseurs frémirent, Rivia jura sourdement:
-Bordel, sont combien ces enfoirés?!
-Trop. Beaucoup trop Et pas moyen d'allumer un feu...lâcha Breagel entre ses dents serrées.
-Merde. Content de t'avoir connu, Breagel...
-Moi aussi, Rivia, moi aussi...
-Tu sais c'qui m'bouffe le plus?
-Non mon ami?
-Ces crevures sont déjà mortes, j'pourrais même pas m'vanter d'en avoir entraîné un paquet avec moi...
-Rivia?
-Ouais?
-Tiens ta foutue position. Un pas en arrière et c'est la débâcle.
-Foutus pour foutus, j'en ai ma claque de fuir, cet endroit de merde en vaut bien un autre pour crever.
-Je n'ai pas l'intention de crever ici, Rivia.
-Ouais. Oublie pas qu'tu m'dois une bouffe...
-Avec assez de pinard pour saoûler une armée.
-Ouais. Bon. Alors finissons-en, j'commence à avoir soif.
Les deux guerriers se sourirent sombrement, puis ils firent face à la horde putride pour encaisser le premier assaut dévastateur des morts-vivants.
La valse avec la faucheuse commença, le choc d'une violence extrême fit plier la maigre ligne défensive comme la corde d'un arc qu'on tend. Mais les vivants n'avaient plus de flèche pour cet arc là, déjà le deuxième rang d'humains et d'elfes engageait le combat pour combler les brèches trop nombreuses du premier. La masse des putrides horreurs semblait sans fin, remplissant intégralement la partie visible du défilé. L'aile droite de la défense céda brutalement dans une cacophonie de hurlements de douleur et de ricanements de triomphe. Plus rien n'empêchait désormais les serviteurs du Nécromant de se précipiter à la curée, les femmes et les enfants Elfes étaient maintenant sans protection. Les quelques guerriers encore en vie, empêtrés dans le chaos de la bataille, ne pouvaient plus rien pour eux.
Edité par Noir-feu le 24/09/14 à 02:21
Anastase De Mu | 25/09/14 11:07
Un beau récit, que je ne parcours que maintenant... En tout cas, je ne vois plus de solution pour nos pauvres héros. A moins d'un miracle.
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."
Noir-feu | 26/09/14 19:19
Les défenseurs tombèrent les uns après les autres, incapables de venir à bout de la masse de goules qui déferlait malgré leur vaillance désespérée. Rivia et Breagel étaient dos à dos, entourés d'un rempart de morceaux de goules qui s'agitaient encore, tentaient de saisir ces vivants qui semblaient être aussi attirants pour eux que la lumière pour un insecte. Les deux guerriers se battaient comme des démons, ravageant les rangs de goules sans pour autant parvenir à se dégager, chaque trou était aussitôt comblé par les horreurs suivantes qui paraissaient sentir que l'issue du combat approchait à grands pas.
Un cri strident couvrit brièvement le vacarme des armes, provenant du cirque rocheux où s'étaient réfugiés ceux qui ne pouvaient combattre. Il s'interrompit net, glaçant un peu plus le sang des deux hommes qui luttaient pour leur seule survie. Rivia hurla soudain de douleur et s'écroula comme un pan de falaise sous l'assaut des vagues, la jambe tranchée par un cimeterre. Breagel hurla de concert, un hurlement de rage et de désespoir, mêlés d'une haine flamboyante. Par une ironie du sort le rideau de bruine se délita légèrement, juste assez pour qu'il entraperçoive un amoncellement de rochers assailli par les morts-vivants. A son sommet, une elfe à la chevelure d'ors somptueux se dressait arme au poing, mais déjà les goules la submergeaient comme une marée irrépressible, elle disparut sous une masse grouillante et affamée de carnage. Breagel hurla comme un dément, sa lame sembla prise de folie et creusa une tranchée dans les chairs en décomposition alors qu'il se ruait, indifférent au danger, vers sa compagne qui venait de tomber. Sans savoir comment, il parvint jusqu'à l'éboulis, le gravit en massacrant tout ce qui s'approchait à portée de son espadon, éclata d'un coup de pied dévastateur la tête d'une goule en passe de mordre la gorge de Laewllyn et se campa au dessus d'elle. Il avait vu le sang qui s'étendait rapidement sous la tête de l'elfe, compris aussitôt qu'il était trop tard. Un vide effroyable envahit son âme, le temps d'un battement de cils. Puis un torrent de colère et de haine combla le vide, un brouillard sanglant s'abattit sur son esprit qui céda à la démence.
Les goules se ruèrent à l'assaut du dernier vivant, encore et encore. Elles s'échouèrent vague après vague sur la fureur destructrice du berserker déchaîné, le blessèrent à de nombreuses reprises sans parvenir pourtant à l'abattre. Il n'avait plus conscience de rien, pris d'une frénésie meurtrière insondable, le temps perdit tout sens, ne demeurait que la haine. Une haine absolue.
Une voix finit pourtant par percer sa folie. Calme, posée, elle répéta interminablement des mots qui d'abord ne signifièrent rien. Qui prirent lentement, très lentement un vague sens. Hébété, ensanglanté, Breagel sortit peu à peu de sa transe létale. Il réalisa qu'il cognait avec acharnement sur quelque chose qui refusait de céder, depuis plusieurs minutes. Les mots s'insinuèrent péniblement dans son esprit. Des mots simples:
-Je ne suis pas ton ennemi.
Il frappa encore quelques fois, avec une conviction qui s'estompait de plus en plus.
-Je ne suis pas ton ennemi.
La lame percuta une nouvelle fois quelque chose qui avait la consistance d'un mur bien épais, mais qui pourtant ne se voyait pas.
-Je ne suis pas ton ennemi.
La pointe de l'espadon tomba au sol. L'arme échappa des mains de son porteur et chut par terre dans un tintement qui résonna absurdement dans l'esprit de Breagel comme une sonnerie de clairon retentissante. Il tomba à genoux, distinguant vaguement devant lui un petit être de race inconnue, pas plus haut qu'un nain mais beaucoup plus maigre. Il sentit des larmes ruisseler sur ses joues, puis la souffrance issue de ses multiples plaies se déversa en lui, brutale, terrible. Il murmura:
-Que...qui...es-tu?
Le souvenir des instants précédant sa perte de contrôle le percuta. Il se releva en hurlant, se précipita vers le corps de Laewllyn, s'agenouilla lourdement à ses côtés pour repousser une mèche de cheveux souillés de sang et caresser son visage en murmurant son nom comme une litanie. L'elfe ouvrit péniblement les yeux, son regard de jade solaire voilé, déjà presque absent. Elle sourit pauvrement, tenta de dire quelque chose que le guerrier ne comprit pas. Il se pencha pour entendre, prenant la main de l'elfe dans les siennes et la pressant en la suppliant de ne pas partir. Dans un effort démesuré, elle parvint à souffler:
-Notre...enfant...vie...fils...de...l'or age...je...t'aime...
La main sans force de l'elfe exerca une infime pression sur celles du guerrier, les dirigeant jusqu'à les poser sur son ventre. Breagel sursauta en sentant un léger mouvement sous sa paume, il songea à demander à son aimée ce qu'elle avait voulu dire. Mais les yeux splendides se fermèrent, l'âme de Laewllyn s'envola dans un dernier soupir. Anéanti, le guerrier ferma à son tour les yeux, se laissa glisser lentement vers une fin bienfaisante. Un nouveau mouvement se fit sentir sous sa paume, il usa de toute sa volonté pour ouvrir les yeux, ses pensées brouillées ne parvenant pas à effectuer le moindre lien. Une voix très douce s'éleva à ses côtés, la voix de l'étrange petit être:
-Elle était enceinte, guerrier. Son enfant peut vivre, mais il faut agir vite!
-Enfant...? Agir...?
-Oui, il faut...eh bien je ne sais pas comment te le dire...mais il faut...le sortir...
Breagel tourne un regard éteint vers l'être, murmurant:
-Le sortir...tu veux dire...
-Oui...je suis désolé guerrier...c'est la seule manière pour que son enfant vive.
Les dernières paroles de Laewllyn prirent soudain un sens dans l'esprit de l'homme, il frémit de tout son être en murmurant d'un ton profondément choqué:
-Non...non! Je...ne peux pas...
-Je peux le faire si tu le souhaites.
Le petit être recula précipitamment lorsque le regard du guerrier se posa sur lui, levant les deux mains en signe de paix. Breagel serra les dents et cracha d'une voix tremblante:
-Si tu la touches tu crèves! Vas-t'en!
-Pense à cet enfant, il peut vivre! Je ne te veux pas de mal!
Le guerrier le scruta un instant, puis dirigea son regard vers le visage de la défunte alors que son esprit tournait et retournait les derniers mots de sa compagne. Il jura soudain rageusement en dégainant maladroitement sa dague, qui tomba piteusement par terre. Il respira amplement pour tenter de retrouver un semblant de calme, reprit l'arme d'une main tremblante. Le petit être se déplaça pour être dans le champ de vision du guerrier, sans pour autant s'approcher de trop.
-Je peux te montrer où il faut inciser et comment il faut faire, guerrier, mais il faut que tu me laisses t'aider. Le temps presse, l'enfant est en train de s'étouffer.
-Je...soit...aide-moi...s'il te plait.
Il ne fallut que quelques instants, mais ils resteraient gravés au fer rouge dans l'âme de Breagel'Ann comme les plus effroyables qu'il ait vécu, il en frémirait encore un millier de lunes plus tard. A peine l'enfant fut-il libéré que le guerrier sombra dans une bienheureuse inconscience, tenant contre lui une toute petite chose sanglante et hurlante.
Noir-feu | 07/10/14 01:17
-C'était...moi? La petite "chose hurlante"?
-Oui.
-Père...je...pourquoi...
-Pourquoi je ne t'ai pas gardée avec moi? Élevée?
-Je...oui...?
-C'était la guerre, Laewllyn. Quelques jours après la mort de ta mère...
***
Le guerrier finit par sortir peu à peu de l'inconscience, chaque jour un peu plus longuement, mais si son corps retrouvait des forces grâce aux bons soins du petit être, son esprit errait au loin et pendant plus d'une lune, il ne prononça pas un mot, vivant mais absent.
Cela prit fin un matin lorsque, ayant épuisé tout son savoir de guérisseur, le petit personnage se risqua à déposer la fillette nouveau-née sur la poitrine de Breagel'Ann. Elle s'agita un moment puis, venant d'être nourrie, elle s'endormit, blottie contre lui. Au bout d'un moment, avec une infinie lenteur, le regard vide du guerrier vint se poser sur sa fille et, au fin fond des prunelles éteintes, une vague étincelle s'alluma. Parfois, il suffit d'un hasard, d'une coïncidence, d'un événement en apparence minime pour modifier les grandes trames du destin. La fillette se réveilla au moment précis où son père la regardait. Des tréfonds de son errance, l'esprit du guerrier revint comme un météore prendre place dans son corps, et c'est d'un ton totalement incrédule qu'il murmura:
-Laewllyn?
La fillette avait le regard de sa mère. Breagel'Ann réalisa vite sa "méprise" et l'abyssale souffrance de la perte de sa compagne et de ses amis refit aussitôt surface, mais l'enfant était là, face à lui et, pour elle, il décida de vivre.
Quelques jours plus tard, le guerrier avait appris qu'il se trouvait dans un village fortifié habité par des montagnards humains, et que le petit être se nommait Til-Bora. Un groupe de chasseurs avait entendu le son du cor, ils étaient venus voir de quoi il retournait puis étaient rentrés à toute allure au village prévenir les leurs. Une solide troupe avait été formée à la hâte et, accompagnée de Til-Bora, s'était portée au secours des humains et des elfes pris au piège. Ils étaient arrivés trop tard pour sauver les fuyards, ne restait alors qu'un survivant plongé dans une profonde démence, mais ils avaient tout de même décidé de massacrer les morts-vivants restants pour protéger leur village d'un assaut ultérieur. Après quoi Til-Bora avait risqué sa peau pour calmer le fou, espérant que son pouvoir serait capable de le protéger de la furie meurtrière de l'homme, et qu'ils pourraient ainsi obtenir des informations sur ces inquiétants événements. Après l'épisode de la naissance de l'enfant, les montagnards avaient ramené les deux survivants au village, soigné le guerrier et confié l'enfant à une femme qui allaitait son propre nouveau-né. Dès qu'il fut en état de le faire, le guerrier raconta au conseil du village ce qui s'était passé, répondant de son mieux à leurs multiples questions en n'occultant que sa "rencontre" avec Orféor le Noir. A son grand étonnement, ce fut le petit Til-Bora qui imposa le silence en levant simplement une main. Il parut réfléchir un instant à ses mots puis déclara en fixant son interlocuteur d'un regard acéré:
-Guerrier, tu aurais dû mourir. Aucun humain n'aurait pu survivre à de telles blessures, et pourtant nous voici en train de bavarder. Je connais ce Nécromant, je connais son pouvoir occulte sur les êtres, celui-là même qui a sans aucun doute fait du Sire de Mirevelles son "allié". Je l'ai vu éloigner la mort de ses serviteurs lorsqu'ils pouvaient encore lui être utiles. Alors je vais te poser une question, une seule et unique fois: qui es-tu?
-Je suis celui que je t'ai dit être. Un mercenaire errant, un guerrier qui a épousé la cause d'une Elfe devenue sa compagne et la mère de son enfant.
-Hum. Je suppose que la Mère des Elfes aurait percé à jour un envoûtement, ou toute autre magie noire...c'est un fait. Seulement je ne comprends pas, et par les temps qui courent, c'est très ennuyeux. D'où viens-tu?
-Du nord. J'ai grandi dans un village au bord de l'océan, personne ne lui donnait de nom, si ce n'est "village du fjord vert". C'était un village parmi d'autres, peuplé d'humains vêtus de fourrures, de cuir et de fer, dans une terre que certains nommaient les marches de l'écaille. Je n'ai jamais su pourquoi.
-Ah ha...étrange, oui, bien étrange...dis-moi...connais-tu tes ancêtres?
-Pas vraiment. Mon père se nommait Thaeronn, il était le chef du village. Il prétendait, lorsque il avait bu un peu d'ale et qu'il y avait un auditoire, qu'il descendait de Ruanor. Laewllyn m'a rappelé cette histoire, elle disait que cet ancêtre avait reçu une sorte de "don" d'un Dragon vert, et que j'étais son héritier. Elle ne voulait pas croire que je n'étais qu'un humain comme les autres.
Til-Bora plissa les yeux en scrutant intensément le guerrier qui eut la désagréable impression d'être transparent, le petit être garda le silence un moment avant de répondre:
-Ce serait donc vrai...crains-tu le froid? Le feu?
-Le froid ne me dérange pas. Le feu...je n'y ai jamais vraiment fait attention, je ne me suis jamais brûlé sérieusement. Enfin, je n'y ai jamais laissé la main non plus, j'ai appris à le respecter très jeune, l'hiver était long et froid dans le nord.
-Voyons un peu...tu n'as rien contre une petite expérience? demanda Til-Bora en allant chercher un tison enflammé dans la cheminée et en le tendant au guerrier. Attrape ça, et si ça brûle, tu n'auras qu'à le lâcher.
Breagel'Ann fronça les sourcils, hésitant, puis il saisit le brandon fermement.
-Mmm. C'est...chaud...
-Mais pas brûlant?
-Assez pour que j'aie envie de le lâcher, mais...ça ne fait pas vraiment mal...
-Bon, repose-le, pas la peine de tenter les démons, montre-moi un peu ta paume? Ha!!! Pas de brûlure, à peine une rougeur...Hum, alors ça!!! Breagel'Ann mon ami, il semblerait bien que tu aies une goutte de sang de Dragon dans les veines!
-Euh...si tu le dis...marmonna le guerrier sceptique.
-Mais je le dis, je le dis!
-Et...sans vouloir t'offenser...tu es qui pour "savoir" ça?
-Oh. Les présentations. Oui, oui il est peut-être temps que je te dise trois mots sur moi. Tu sais déjà que je me nomme Til-Bora. Je suis un bâtisseur, membre de la Guilde d'Elladyl, modeste dépositaire du savoir d'un génie qui en son temps fut capable de créer une route de pierre entre les étoiles. Ceci pour te dire que j'ai quelques petits talents que tu qualifierais sans doute de "magie", et une certaine connaissance de l'histoire de cette terre au travers des oeuvres qui y ont été construites.
Le guerrier sursauta, scrutant Til-Bora d'un air perplexe:
-Cette route dont tu parles...
-La Route d'Elladyl?
-Oui...j'en ai...entendu parler.
-Vraiment? Voilà qui est..surprenant...puis-je te demander qui t'en a parlé?
-Euh...oui, enfin, tu vas me prendre pour un fou...si ce n'est pas déjà fait...je pensais avoir...rêvé...même si...enfin bref, Laewllyn avait été gravement blessée, j'ai supplié les "puissances" de ne pas la laisser mourir. Il y a une sorte d'esprit de leur forêt qui m'est apparu, et qui m'a "envoyé" dans un lieu étrange, rencontrer un Dragon nommé Orféor. Tout ça n'était certainement qu'une hallucination, mais quand je suis revenu à moi, Laewllyn était guérie, elle n'avait pas même la trace d'une blessure...
-Orféor le Noir?!!! Ha le vieux sacripant!!! Il va m'entendre! Enfin, non, j'espère que non, hum, je m'emporte, je m'emporte...Tu l'as vraiment vu?!
-Euh...en rêve...ça paraissait réel sur le moment, mais...c'est qui? Ou...quoi?
-Une légende. Ne me regarde pas comme ça, je n'en sais pas grand chose. Il avait disparu bien avant ma naissance, et pourtant je ne suis pas né avec la dernière averse!
-Explique...?
-C'est compliqué, c'est une légende liée aux bâtisseurs d'Elladyl...Oui oui, ça vient! Pour résumer, il serait l'un des premiers Dragons, pas LE premier, mais quand même assez proche des origines pour avoir vu naître les autres peuples, Elfes et Nains compris. Il y a de ça quelques millénaires, il s'est opposé à Elladyl quand il a voulu essayer de construire un "pont" vers un autre monde, le premier tronçon de cette fameuse route. Ils se sont battus, pas physiquement mais "magiquement", enfin le terme n'est pas exact mais peu importe, et comme Elladyl était vraiment doué et n'avait aucune volonté de nuire à qui que ce soit, bien au contraire, ils ont fini par s'entendre. Le Dragon a accepté de lui apprendre quelques règles primordiales d'équilibre, et en échange Elladyl lui a conçu quelque chose, je ne sais pas quoi parce que les archives de la guilde sont muettes à ce sujet. Elles évoquent juste une "sombre gemme de feu". Suite à ces événements, le vieux Dragon Noir a disparu de ce monde, purement et simplement. Personne ne l'a revu ni n'en a entendu parler depuis lors. Alors tu comprends qu'apprendre tout d'un coup qu'il se remanifeste et agit, ou simplement qu'il existe encore, c'est...incroyable!!!
-Mmm. Laewllyn est morte, pourtant, son peuple éradiqué, morts aussi les Francs Compagnons, et le pouvoir de ce maudit Nécromant s'étend sans opposition. Qu'importent alors quelques gouttes de sang de dragon, ou même un dragon disparu qui resurgit?
-Eh bien...ce sont des éléments cruciaux, une Trame fondamentale qui réapparait en quelque sorte. Les Dragons représentent un "pouvoir" susceptible de contrer celui du Nécromant, qu'ils ressortent ainsi de l'oubli maintenant n'a rien d'anodin. Bien sûr ce possible qui s'ouvre ne ramène pas les disparus, ni ne peut garantir le succès ou la vie, mais nous avons dorénavant une chance...
-Une chance d'anéantir ce maudit et ses hordes?
-Oui.
-Explique-moi. Je suis ton homme, murmura le guerrier d'une voix glaciale.
Noir-feu | 20/10/14 21:19
Le plan du petit être semblait simple, au premier abord, mais sa réalisation allait demander du temps et certaines parties allaient s'avérer difficiles à mettre en oeuvre.
-Retourne chez toi, et unis les tiens sous un seul commandement. Ils n'ont pas oublié Ruanor, ils suivront l'un de ses descendants si la nécessité les presse. Forme une armée puissante, puis conduis la dans la vallée des montagnes de feu, en étant le plus visible possible. Il y a quelques lointaines possessions de ce Nécromant sur le chemin, attise sa colère en les détruisant, il fera mouvement vers cette vallée pour vous affronter.
-Hum...il enverra ses serviteurs, en admettant que tout ce qui précède se passe selon tes plans...
-Oh, il viendra en personne, je te le garantis. Il y a dans cette vallée quelque chose qu'il craint et qu'il veut, il ne prendra pas le risque de te laisser t'en emparer...
-De quoi s'agit-il?
-Chaque chose en son temps, mon jeune ami. Fais-moi confiance sur ce point, il viendra.
-Mmm. Et une fois qu'il sera là?
-Eh bien il faudra que tu parviennes à le "tuer", enfin, à le priver de son corps plus exactement. Si tu y arrives, je serai en mesure de piéger son esprit, il n'aura plus accès à ce monde pour très, très longtemps.
-Mais il ne sera pas totalement détruit...?
-Non. J'ignore s'il peut encore l'être, à dire vrai, mais s'il existe un moyen, nous le trouverons. Le repousser de cette terre serait déjà un grand pas, vers ce but et pour la préservation des peuples qui y vivent.
Ils discutèrent longtemps des détails, puis le guerrier se rendit près de sa fille, la prenant dans ses bras pour lui expliquer doucement, même s'il doutait qu'elle comprenne vraiment:
-Laewllyn, je dois partir. Til-Bora t'emmènera chez des Elfes d'une tribu lointaine, tu pourras y grandir en paix, longtemps si nous "gagnons" cette guerre. Au revoir, ma fille, j'espère que nous nous reverrons un jour. Je t'aime.
Il alla ensuite auprès de la tombe de sa compagne, dégaina lentement sa dague pour entailler sa paume et laissa couler quelques gouttes de sang sur la terre, avant de murmurer, la mâchoire serrée:
-Je n'aurai de cesse avant que ce maudit et ses hordes soient anéantis à jamais, j'en fais serment. Pour notre fille et la Vie. Attends-moi...
Après avoir remercié et salué ses hôtes ainsi que Til-Bora, Breagel'Ann se dirigea vers le nord, prudemment et lentement afin d'éviter toute mauvaise rencontre et de parachever sa guérison. Après deux lunes de voyage sans histoires dignes d'être contées, il parvint enfin dans les inhospitalières régions de ses origines et se rendit directement à Nolerenn, l'une des plus grandes villes des marches de l'écaille.
La cité n'était pas bien grande, elle comptait un peu plus de dix mille âmes, ses rues n'étaient pas pavées et seule une maigre enceinte de pieux aiguisés la défendait. Les maisons, loin d'être serrées les unes contre les autres comme dans la plupart des villes, semblaient implantées un peu au hasard, leur forme de coque renversée faisant penser à une flotte échouée là après quelque tempête extraordinaire. La piste poussiéreuse qui y menait était pourtant encombrée de voyageurs, marchands et éleveurs ou agriculteurs venus vendre les produits de leur domaine, et les portes grandes ouvertes de la bourgade n'étaient gardées que par deux hommes plongés dans une partie d'osselets et bien indifférents au trafic relativement dense. Le guerrier entra donc dans la petite ville sans autres formalités, se mêlant naturellement à une population dont rien ne le distinguait. Il se dirigea vers la plus vaste "maison", ses maigres connaissances des coutumes de son peuple lui indiquant que c'était là qu'il pourrait trouver le conseil de la cité.
Cinq vieillards dévisageaient de leurs yeux chassieux le guerrier, échangeant à voix basse quelques mots dubitatifs. Derrière eux, affalé sur une sorte de trône de bois flotté recouvert de fourrures, un colosse observait la scène d'un air sardonique, il avait été vaguement présenté comme étant le chef de la ville juste avant que le guerrier ne se lance dans une explication brève des événements et de la raison de sa venue. Pourtant, malgré sa corpulence et ses vêtements, l'homme assis sur le trône n'était visiblement pas un autochtone, ce qui n'avait pas manqué de surprendre Breagel'Ann qui savait l'importance qu'attachaient ces hommes rudes à leur indépendance et à leurs traditions. Et voilà qu'après son récit, de longues minutes s'étaient écoulées, parsemées d'échanges qui ne lui étaient en rien destinés. Enfin, l'un des vieillards se retourna vers le surprenant chef des lieux, avec dans les yeux une lueur de soumission abjecte qui fit discrètement grimacer le guerrier. Le colosse eut un sourire torve en se levant de son fauteuil, dévoilant sa gigantesque stature à la façon d'une implicite menace. Parfaitement modulée, agréable, sa voix parut emplir l'espace sonore tout entier bien qu'il ne l'ait pas élevée:
-Voyageur, tu es bien impudent d'oser ainsi t'adresser à nous, tout inconnu que tu es. Belle audace que de prétendre sans ébauche de preuve être le descendant d'un ancêtre illustre pour atteindre tes buts, mais nous ne sommes pas dupes. Nous ne croyons pas que ce...Nécromant...menace un jour nos terres, pas plus que nous ne croyons à ta rocambolesque histoire. Pars, étranger, avant que nous ne décidions de te punir de ton arrogance...
Breagel'Ann riva un regard glacial dans celui de l'homme:
-Je m'attendais à cette réponse, quelle autre espérer d'un qui n'appartient pas même à ce peuple? Ce que je viens de vous raconter est exact, de bout en bout, mais je perdrais mon temps à tenter de te convaincre puisque tu ne désires rien entendre. Tu me qualifies d'étranger, mais je suis né en ces terres, et je n'ai pas oublié les coutumes sacrées de mon peuple, ce peuple qui n'est pas le tien. J'exige le Jhôol.
-Le...?! Misérable rôdeur...tu n'as aucun droit ici, surtout pas celui d'exiger quoi que ce soit...je n'ai pas à te répondre de mes actes. Gardes, saisissez-vous de lui!
L'un des sages leva une main, simple geste qui figea immédiatement les quatre gardes qui s'étaient mis en mouvement. Il se leva péniblement, révélant dans ce geste quelques talismans dissimulés dans l'échancrure de son vêtement, de ceux que seul un Shaman pouvait arborer.
-Le Jhôol peut être exigé de tout membre de nos tribus, nul n'échappe à ce jugement s'il est requis par l'un des nôtres. Approche guerrier, et prends cette amulette. Je te préviens, si tu as menti sur tes origines elle virera au rouge, et selon ces mêmes traditions que tu évoques, tu seras lapidé sur la place jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le visage du chef s'empourpra de colère, une haine brutale envahissant son regard, mais il garda sagement le silence, conscient que s'opposer à un Shaman membre du conseil le discréditerait plus sûrement que n'importe quel jugement. Le guerrier fit trois pas et saisit sans crainte l'amulette, fixant le Shaman droit dans les yeux. Le Talisman resta identique à lui-même, d'une couleur proche de celle d'un vieil os jaunâtre. Le Shaman le récupéra en inclinant la tête solennellement:
-Tu as dit vrai. Demain au coucher du soleil, vous vous affronterez selon nos lois. Le vaincu sera jeté aux chiens, et le vainqueur décidera de nos destinées. J'ai dit.
Un peu plus tard, le guerrier avait été installé dans une hutte vide et, le soleil couché, il affûtait avec un soin méticuleux la longue lame offerte par Rivia quelques mois auparavant, des mois qui semblaient dans l'esprit de Breagel'Ann s'être étirés plus longuement que bien des années. Quelques coups légers furent frappés à la porte, auxquels il répondit par une simple invitation à entrer. L'huis s'ouvrit pour laisser passer le Shaman, qui vint directement s'asseoir près de l'âtre d'un air las.
-Je me souviens d'un village qui fut rasé, non loin d'ici, voilà bien des décades. Toute sa population fut passée au fil de l'épée par des pillards, pour quelques maigres richesses. Je me souviens aussi que, dans les années qui ont suivi, une légende naquit, on parlait alors d'un fantôme assoiffé de vengeance qu'on n'apercevait qu'à l'instant de mourir. Trois villages de la côte sauvage furent intégralement anéantis, il n'y eut qu'un unique survivant rendu à moitié fou par ce qu'il avait vu et vécu. Il mourut peu après, mais il eut le temps de m'avouer que le responsable de ce massacre n'était qu'un enfant. J'ai connu le chef de ce village pillé, il avait un fils né par une nuit d'orage terrible, un enfant dont le corps n'a pas été retrouvé dans les décombres...
Le guerrier acheva calmement son geste, faisant glisser la pierre huilée sur la longue lame avec une aisance née d'une longue habitude, un léger sourire sans joie releva le coin de ses lèvres tandis qu'il déposait l'espadon sur la table devant lui.
-Cet enfant a effectivement survécu, Shaman. Après sa vengeance, privé de famille, il se rendit dans les contrées du sud, louant son épée aux plus offrants, gagnant dans les arènes de quoi se nourrir lorsque la paix régnait trop longtemps. Il joncha sa route de cadavres, vécut de la mort comme d'autres de leurs cultures, sans état d'âme parce qu'il ne connaissait pas d'autre vie. Et puis, un jour, il rencontra une Elfe, qui lui apprit que d'autres chemins existaient. Ils eurent une fille, qui fut arrachée des entrailles de sa mère après qu'elle ait été tuée par les sbires de ce Nécromant. Sur la tombe de cette Elfe, privé de sa nouvelle famille avant même qu'elle se forme vraiment, l'enfant devenu tueur fit un serment scellé de son sang. Une fois de plus la vengeance embrasa son âme, il jura d'anéantir ce maudit et, sur les conseils d'un certain Til-Bora, se rendit auprès de son peuple afin de l'unir pour briser son ennemi.
Le vieux Shaman dévisagea son vis-à-vis quelques instants en silence, puis il sourit tristement.
-Ces conseils risquent fort de te mener à ta perte, guerrier. Celui que tu as défié est devenu notre chef parce que nul n'est parvenu à s'opposer à lui. Il a tué une vingtaine de nos meilleurs combattants en duel, sans le moindre effort, après quoi les autres se sont résignés.
-Tous les hommes doivent mourir un jour, Shaman. Demain une vie sera tranchée, la sienne ou la mienne, plus rien ne peut changer ce destin.
-Non, en effet. Chacun de vous a droit à trois armes, une armure et une monture. Passe voir notre forgeron de ma part, il te fournira ce qui te manque.
-Je te remercie, mais cette lame est tout ce dont j'ai besoin.
-Comme tu veux. Sache que ton adversaire n'utilise pas nos techniques de combat, il vient du sud, c'est un membre des Chevaliers de Sang, un sorcier accompli.
-Mmm...j'ai entendu parler de cet ordre, certains prétendent qu'ils sont immortels. Peu importe, je n'ai pas l'habitude de me battre en armure, encore moins à cheval, cela ne ferait que me gêner.
-Bien. J'espère que tu survivras, les Esprits de nos forêts et de nos lacs ont sombré dans le silence depuis l'arrivée de ce Chevalier, cela n'est pas bon. Les Shamans n'ont plus accès aux chemins des rêves, notre peuple n'est plus protégé et cela nous met en grand danger. A demain, Fils de l'Orage, je prierai les Puissances d'inspirer ta danse.
Edité par Noir-feu le 20/10/14 à 23:27
Anastase De Mu | 26/10/14 10:50
J'ai enfin rattrapé mon retard ! Ah, bon, un duel, rien de mieux pour me mettre en appétit.
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."
Noir-feu | 28/10/14 00:50
-Il est temps, Fils de l'Orage, le soleil se couche...
Debout sur un promontoire rocheux, faisant face à l'océan couleur de plomb, le guerrier immobile répondit d'un murmure:
-Il fait nuit depuis si longtemps...
Il prit une ample inspiration puis se retourna pour faire face au Shaman, le visage figé en un masque inexpressif:
-Allons, finissons-en...
Tous deux se dirigèrent vers le centre de la bourgade, où toute une foule se trouvait déjà rassemblée. Les toits des demeures menaçaient de rompre sous le poids conjugué des spectateurs désireux d'assister au duel, les quelques estrades sommaires montées à la hâte étant bien incapables de contenir tous ceux qui étaient venus. Elles formaient un cercle approximatif, laissant en leur milieu un espace d'une centaine de pas de diamètre qui rappela à Breagel'Ann certaines arènes dans lesquelles il avait combattu, mais il chassa ces souvenirs du passé pour se concentrer sur les instants décisifs qui s'annonçaient. Il frissonna légèrement en découvrant son adversaire prêt au combat, entouré d'un groupe de fidèles qui faisait grand bruit sans paraître douter un instant de l'issue de la rencontre.
Le colosse était désormais bardé d'une armure de plates intégrale de couleur écarlate, les derniers rayons du soleil donnaient l'impression troublante qu'elle ruisselait de sang. Il était monté sur un gigantesque cheval de guerre lui aussi bardé de cuir et d'acier, portait une lourde lance qui n'avait rien d'une arme de tournoi, sa pointe barbelée était faite pour infliger des blessures mortelles. Le guerrier savait qu'il était quasiment impossible de recoudre des plaies issues de ce genre d'arme, qui déchiquetait plutôt qu'elle ne tranchait. Un écu massif, une lourde hache de guerre attachée dans le dos du colosse et une épée bâtarde de même teinte que son armure et fixée à sa ceinture, complétaient le redoutable équipement du chevalier. Un silence de mort se répandit dans la ville lorsque Breagel'Ann franchit le cercle des estrades pour rejoindre l'arène improvisée, il lut sur de nombreux visages une sorte de pitié, que pouvait espérer un combattant visiblement affaibli par de nombreuses privations, muni d'une simple cotte de mailles et d'une épée contre la monstrueuse tour d'acier que constituait son adversaire? Les deux combattants se mirent en place, une tension palpable se diffusant dans l'atmosphère alors que leurs regards se rivaient l'un à l'autre. L'étalon de guerre renâcla et se cabra légèrement, son cavalier le dompta brutalement avant de le talonner sans douceur pour le faire avancer lentement vers sa proie. Au même instant, le Shaman donna le signal du début des hostilités, le chevalier lança immédiatement sa monture dans une charge ravageuse tandis que Breagel'Ann dégainait sa longue lame et se préparait à défendre chèrement sa peau, un infime sourire aux lèvres.
Les jambes légèrement ployées, l'espadon tenu des deux mains bien écartées au dessus de la tête, Breagel'Ann attendit l'ultime instant pour pivoter vivement tout en faisant un pas de côté. La pointe de la lance manqua sa gorge d'un cheveu, l'espadon vrombit dans les airs pour frapper la cuisse exposée du chevalier mais percuta brutalement le lourd écu abaissé juste à temps. Le colosse fit volter sa monture en cavalier accompli, parvenant à demeurer en selle alors qu'une nouvelle fois sa monture se cabrait, contraignant le guerrier à reculer précipitamment pour éviter les sabots menaçants. Il en profita pour se décaler de quelques pas, les yeux plissés de concentration. L'étalon chargea à nouveau, son cavalier poussa un rugissement de triomphe en voyant que son adversaire n'aurait pas le temps de s'écarter du poitrail bardé d'acier de sa monture, le prétentieux allait se faire broyer comme une noix sous un marteau!
Il est des instants, lorsque notre vie ne tient plus qu'à un fil trop usé, qui paraissent s'étirer à l'infini. Chaque seconde devient une heure, tout, absolument tout, apparaît avec une clarté totale, les événements se déroulent dans un ralenti absurde qui devrait nous permettre d'agir dix fois avant qu'ils n'adviennent. Pourtant, la plupart du temps, nous sommes spectateurs impuissants et figés, comme si notre corps ne pouvait suivre la vélocité de notre esprit, et nous ne parvenons pas à changer le destin annoncé. Mais, parfois, quelque chose au fond de nous, quelque chose de bien plus profond que notre conscience, prend le contrôle, et nous permet un geste fou que nous n'aurions pas même été capables d'imaginer.
L'étalon fit un nouvel écart, ses yeux roulant dans ses orbites comme sous l'effet d'une terreur atroce. Le guerrier s'accroupit sans y penser, avec une rapidité qu'il ne se connaissait pas, sa redoutable lame siffla dans les airs en traçant une courbe instinctive à deux mains du sol alors que la lance frôlait son crâne d'assez près pour y tracer un léger sillon où perlèrent quelques gouttes de sang. Le cheval poussa un hennissement strident de douleur, les deux pattes avant tranchées net, puis s'effondra dans un vacarme de fin du monde, roulant sur son cavalier dans sa chute chaotique. La foule hurla, mélange de stupéfaction et d'une joie morbide, la vue du sang envoûtait toujours les masses, ici comme ailleurs. Mais déjà le chevalier se relevait et, si son armure était bosselée, il était visiblement indemne, et furieux à en juger par les jurons qui franchirent la visière de son heaume. Il dégagea sa lourde hache et avança sur le guerrier incrédule de le voir ainsi à peine ébranlé alors qu'il aurait dû être écrasé par le poids de son cheval.
Les deux lames s'embrassèrent brutalement, vives et hargneuses, avançant et reculant comme des serpents venimeux au gré des assauts. La maigre protection de Breagel'Ann lui interdisait de laisser la lourde faucheuse de son adversaire pénétrer sa garde, tandis que l'armure intégrale du chevalier lui permettait d'absorber certains coups pour profiter des inévitables ouvertures qui se créaient à ces instants, ce dont il profitait avec un art consommé. A l'inverse, la relative légèreté de la cotte de maille par rapport à la plate permettait au guerrier de se mouvoir plus rapidement et à moindre effort, ce qui rétablissait un équilibre précaire entre les deux combattants. Quelques minutes s'écoulèrent sans que nul ne parvienne à trouver de faille dans la défense adverse, puis le chevalier, gêné sans doute dans sa vision par son heaume, trébucha sur la lance qu'il avait lâchée lors de la chute de son destrier. Un coup de pointe vif comme la morsure d'un cobra porté en pleine poitrine acheva de le déstabiliser, le lourd espadon parut soudain prendre vie et vint percuter le casque du chevalier avec une effroyable violence avant même qu'il ne touche le sol, ravageant l'acier et la boîte crânienne. Il se coinça dans la cuirasse qui protégeait le torse du chevalier tandis que la masse grisâtre de la cervelle giclait du heaume fendu en deux. Se figeant soudain avec un air horrifié sur les traits, Breagel'Ann déglutit péniblement puis dégagea son arme d'une violente traction et l'abattit une nouvelle fois à la verticale en usant de ses deux mains et de toute sa force, pourfendant l'armure et le coeur de son ennemi, clouant son corps au sol par la même occasion. Il retira sa lame, le regard sombre, avisa une lanterne à huile qui éclairait l'arène improvisée, s'en empara d'un geste rageur et en déversa le contenu sur le cadavre avant de l'y fracasser, livrant aux flammes le corps ensanglanté sous les regards ahuris des spectateurs.
Le Shaman accourut, visiblement atterré, il dévisagea Breagel'Ann en murmurant:
-Que fais-tu, guerrier...? Il est mort...
Sans un mot, ce dernier désigna d'un doigt légèrement tremblant le cou de son adversaire. Le Shaman jeta un coup d'oeil à ce que le guerrier lui désignait, blêmissant lentement. Il demeura muet quelques instants avant de demander:
-C'est...ce que je pense?
-Sa nuque s'est brisée lors de la chute de son cheval, comme en témoigne la déformation de son armure. Et pourtant il s'est relevé...
-Ce qui signifie...
-Que c'était sans doute un serviteur du Nécromant, et que ce n'est peut-être pas le seul dans la région...
-Que les Esprits nous protègent...nous...nous avons été dupés...et nous n'avons rien vu...murmure le Shaman effondré.
-Se lamenter sur le passé n'apporte rien, Shaman. Il faut agir, et vite.
-Oui...mais comment?!
Edité par Noir-feu le 28/10/14 à 00:53
Noir-feu | 02/11/14 23:31
-En commençant par le commencement, Shaman. Un pas à la fois.
Le guerrier sourit durement, puis fit face à la foule silencieuse et brandit sa lame souillée en direction des cieux en poussant un véritable rugissement de victoire. Était-ce parce qu'à cet instant les flammes dansaient lugubrement sur son visage ensanglanté, lui donnant l'air d'un roi barbare de l'ancien temps, ou simplement parce que le joug d'un étranger n'avait été toléré que par crainte et que ce peuple fier et batailleur retrouvait soudain ses racines, pouvait s'identifier à cet être qui se tenait devant eux? Personne ne le saura jamais vraiment, mais les spectateurs se dressèrent comme un seul à ce hurlement et y joignirent leurs voix en un cri libérateur qui fit trembler les murs de toute la cité.
-Peuple des Marches! Notre liberté, nos vies, nos traditions sont menacées! Le pouvoir d'un Nécromant s'étend sans opposition dans les terres du sud, déjà son regard s'est tourné vers vos terres! Cette créature maudite que seul le feu pouvait anéantir a régné sur vous, prête à vous réduire en esclavage pour servir son maître! Mais cela n'arrivera pas!
La foule hurla de plus belle, de nombreuses armes surgirent et furent brandies rageusement. Le guerrier laissa son peuple exprimer sa soif de liberté, puis il exigea le silence d'un geste ferme.
-Vous ne me connaissez pas. Je me nomme Breagel'Ann, fils de Thaeronn, descendant de Ruanor! Je suis des vôtres, nous sommes des guerriers, fiers et libres! Nul, jamais, ne nous a imposé sa loi! Alors je vous le demande, mes frères, mes soeurs: Ferons-nous trembler la terre sous le poids de nos armes pour défendre ce qui nous est cher?
Une gigantesque clameur s'éleva dans la nuit, la foule en délire déferla des gradins pour entourer le guerrier, le portant en triomphe jusqu'à la maison dédiée à leur chef pour l'asseoir sur le fauteuil qui servait symboliquement de "trône" à celui qui les dirigeait. Partout de grands feux furent allumés au son des tambours traditionnels qui se mirent à résonner puissamment dans chaque recoin de la ville, des viandes, des volailles et des poissons en grand nombre furent mis à rôtir, des fûts plus nombreux encore mis en perce, et c'est une véritable bacchanale qui eut lieu cette nuit-là.
Le lendemain, Breagel'Ann fit mander le Shaman dès son réveil, il savait à quelle vitesse l'euphorie d'une foule pouvait retomber et entendait bien faire en sorte que cela ne se produise pas.
-Shaman, je vais te poser une question, une seule fois: es-tu avec moi?
-Sans réserve, Fils de l'Orage.
-Bien. Selon nos coutumes, et parce que j'ai confiance en toi, acceptes-tu d'être mon premier conseiller?
-Oui, je prendrais cette place si tu le désires.
-Alors assieds-toi, nous avons à parler. Tout d'abord, sache que je n'ai rien d'un noble du sud rompu aux longues palabres. Je suis un guerrier, et mon expérience en matière de "dirigeant" se résume à une chose: j'ai été commandant pendant sept ans d'une compagnie de mercenaires, la Compagnie Franche. Nous avons peu de temps et beaucoup à faire, aussi mes propos seront directs et parfois autoritaires, n'y vois pas un manque de respect, mais une nécessité vitale en ces temps de guerre.
-J'ai conscience de la situation, et te servirai de mon mieux.
-Je t'en remercie Shaman, mais sers notre peuple, notre cause, pas moi. N'hésite jamais à exprimer ton avis, même et surtout s'il est contraire au mien. Ensemble nous avons une chance, divisés nous n'en avons aucune. J'ai besoin que tu réunisses dans les plus brefs délais les principaux artisans: forgerons, charpentiers, dresseurs de chevaux, marchands, guérisseurs, marins, tous ceux que tu jugeras utiles, tu connais cette ville et ses habitants, pas moi. J'ai besoin également que tu me trouves quelques guerriers respectés capables de mener des troupes, ainsi que des messagers. Je les verrai immédiatement après les artisans. J'ai besoin aussi d'un intendant, et d'un inventaire précis des ressources à disposition. Fais appel à des aides pour accomplir ces tâches au plus vite, je veux que dans six mois au plus tard une armée digne de ce nom soit constituée et prête à mener bataille. As-tu des questions?
-Hum...ce délai me semble très court, trop peut-être. Tu sais que nos guerriers sont vaillants, mais qu'ils n'ont aucune discipline...
-Je sais cela, en effet. Laisse-moi la question de la discipline, mon ami, trouve-moi ces quelques guerriers que je te demande et tout ira bien.
-Ce sera fait, Fils de l'Orage.
Les semaines qui suivirent furent remplies d'une activité frénétique, il y avait tant à faire! Breagel'Ann commença par nommer à l'intendance une matrone à l'esprit commerçant avisé sur les conseils du Shaman, choix qu'il ne devait jamais regretter par la suite car elle s'avéra d'une efficacité redoutable, domptant les plus réticents de quelques mots bien sentis. Elle s'entoura de toute une équipe de femmes choisies avec le plus grand soin pour l'épauler, s'assurant au travers elles du concours de leurs époux, frères et familles en général. Il constitua un groupe de jeunes guerriers valeureux et dévoués pour lui servir de garde prétorienne, et un autre de combattants souvent plus âgés et expérimentés pour servir d'officiers à la future armée. Il les chargea de rassembler tous les guerriers disponibles, fit contruire pour ce rassemblement une véritable ville provisoire de tentes et de huttes tandis que de nombreux messagers se rendaient jusque dans les plus infimes hameaux pour quérir fournitures et combattants. Les artisans furent largement mis à contribution, les ateliers bruissèrent bien vite jour et nuit d'une agitation fébrile. Tous les chevaux disponibles furent réquisitionnés, de même que d'innombrables boeufs, chariots, navires, stocks de grain, d'huile, de viandes et poissons salés et fumés et d'autres aliments non périssables. Il forma les officiers aux techniques de guerre des peuplades du sud, inflexible quant à la discipline qui constituait, comme l'avait relevé le Shaman, la principale faiblesse militaire de ce peuple. Il y eut quelques récriminations, certains chefs refusèrent cette autorité qu'ils jugeaient déplacée et contraire à leurs intérêts, mais ce fut rare et quelques exemples impitoyables ramenèrent vite les rebelles à la raison.
Au bout de quatre mois, au sortir de l'hiver, les Marches étaient unifiées dans un ordre nouveau, autocratique et implacable. Les nouvelles macabres qui arrivèrent du sud au fil des semaines et le nom de Ruanor lié au nouveau "souverain" contribuèrent largement à permettre cette profonde mutation. Près de trente mille guerriers furent rassemblés dans le plus vaste camp jamais créé au sein des Marches, divisés en unités pourvue chacune d'un nom évocateur choisi par ses membres. Jour et nuit des manoeuvres étaient exécutées, visant à faire de cette meute de guerriers plus enclins à l'héroïsme individuel qu'à une efficacité collective une armée structurée et disciplinée. Des troupes d'archers, de cavaliers, de piquiers et de frondeurs furent ainsi formées et entraînées, chacune comportant un corps d'intendance, un autre de brancardiers et guérisseurs et enfin d'éclaireurs. Cela n'alla bien évidemment pas sans mal, mais désormais tous savaient que la menace du Nécromant était bien réelle, et qu'elle se rapprochait inexorablement, aussi chacun y mit du sien et, peu à peu, le chaos de départ fit place à une cohésion grandissant de semaine en semaine.
Peu avant la fin du sixième mois, une visite fut annoncée à Breagel'Ann, et c'est avec une profonde joie qu'il vit entrer le petit Til-Bora suivi de deux Elfes soigneusement encapuchonnés qui ne se dévoilèrent qu'une fois la porte close. Après de chaleureuses retrouvailles, le petit bâtisseur expliqua d'un air tout à fait satisfait:
-Ta fille est en sécurité, mon ami, les tisseurs de sorts du peuple de mes deux amis Elfes et moi-même avons enchanté joliment un coin de leur forêt, il faudra des années à ce Nécromant pour seulement localiser ce lieu. J'ai confié ton enfant à une famille soudée qui a elle-même deux filles et un fils, elle ne grandira pas seule et la joie l'entourera à tous les instants. Ah, et je t'ai amené une centaine des leurs, des archers incomparables qui désirent prendre part aux événements. Ils attendent dans le bois qui se trouve à l'est de votre camp. Je constate d'ailleurs que tu as accompli des miracles, mon jeune ami, je t'en félicite!
-Merci, Til-Bora...murmura le guerrier ému. Un jour viendra j'espère où je pourrai te remercier comme il se doit de ta bonté.
-Fils de l'Orage, je n'avais plus guère d'espoir qu'un possible existe pour contrer ce Nécromant qui souille notre terre, et cet espoir, tu me l'as rendu. Alors c'est moi qui te suis redevable, et de beaucoup. Mais trêve de politesses, il reste quelques pas à accomplir. Es-tu prêt?
-Autant que cela se peut en aussi peu de temps. Tu connais mon peuple, il est difficile de lui inculquer les notions militaires du sud. La première bataille sera décisive, et infiniment délicate. Comme une nouvelle lame, ils seront trempés par l'épreuve du sang, ou brisés par elle. Il n'y aura pas de milieu.
-Non, en effet. Ce qu'il faut, c'est une première victoire, même de peu d'importance. J'y ai longuement songé, tu t'en doutes, et j'ai un plan! Te souviens-tu que je t'avais parlé d'attiser la colère de notre ennemi en ravageant quelques-unes de ses possessions situées sur la route?
-Oui.
-Eh bien, il y en a une qui possède une faille dans sa défense, c'est une grande forteresse, pourvue d'une forte garnison. Seulement celui qui l'a construite était un ignare, son principal mur d'enceinte se situe sur une vaste cavité naturelle. Il serait aisé de faire céder la voûte, et c'est un large pan de muraille qui s'écroulerait comme un château de sable sous la marée. Une fois cette brèche ouverte, les défenseurs seront bien en peine de résister à la jolie armée que j'ai vu là-dehors, même s'il y a quelques flottements dans leur cohésion.
-Mmm. Cela me semble une bonne entrée en matière. Nous pourrions nous mettre en marche d'ici une petite semaine.
-Parfait! Alors mon ami, allons faire saigner du nez ce maudit?
-Avec le plus grand plaisir...
Six jours plus tard, l'armée des Marches se mit en branle et, sous leurs pas innombrables, la terre tremblait.
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