Forum - L'oubliée
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Noir-feu | 22/06/14 22:22
Pour vous, trop rares Anciens attardés là, après la fermeture.
Pour vous, Jeunes qui osez encore parfois rêver que, par delà les brumes, existe une île.
Puissent ces quelques souvenirs vous porter un instant vers ce monde perdu qui fut le nôtre.
***
C'était un de ces soirs pluvieux de printemps, l'air était encore frais de l'hiver rigoureux qui avait enseveli toute la région sous un épais linceul immaculé mais, déjà, de menues feuilles d'un vert tendre coloraient les arbres et poussaient dans les prairies les premières fleurs timides.
Dans une petite chaumière, une parmi quelques autres dans une petite bourgade de fermiers, quatre générations se pressaient près de l'âtre, avides d'un peu de chaleur. Une lourde marmite de fonte suspendue au dessus du foyer laissait échapper le fumet d'une pauvre soupe. La saison froide avait été longue et les réserves insuffisantes aussi, seules quelques racines amères et de vagues restes de gras parfumaient le brouet qui ne suffirait pas à rassasier entièrement. Cela couperait néanmoins pour quelques heures la sempiternelle sensation de faim qui creusait les joues de chacun et faisait briller d'un éclat fiévreux les regards, c'était peu, mais c'était toujours infiniment mieux que rien. Dans les maisons voisines, nombreux étaient ceux qui n'avaient pas supporté les privations, les vieux les plus faibles et les très jeunes enfants avaient payé un lourd tribut à l'hiver, en témoignaient assez les nombreuses tombes alignées à l'extérieur du village. Bien sûr, ils avaient partagé ce qu'ils pouvaient mais, lorsque il était apparu que le printemps tarderait encore pour un temps indéterminé, chacun s'était senti dans son bon droit de garder pour les siens le peu qui lui restait. Les moins prévoyants, ou les moins chanceux, en étaient rapidement venus à manquer de tout et les tentatives de chasse s'étaient toutes soldées par des échecs retentissants. Non qu'il n'y eut plus de gibier, mais il était rare et les humains affaiblis n'étaient plus en mesure de forcer quelque cerf ou sanglier, aussi la famine s'était-elle étendue peu à peu et, bientôt, il n'y avait plus eu un jour qui n'apporte son lot de cadavres. Avec la fonte de l'épais manteau neigeux, l'espoir était revenu et les plus valides s'étaient efforcés de dénicher quelques racines, quelques plants de la saison précédente oubliés, des insectes, n'importe quoi pourvu que cela ait l'air à peu près comestible. Les douloureuses crampes d'estomac qui avaient souvent suivi l'ingestion de mets peu digestes avaient semblé largement préférables à un ventre vide, le fait que trois vieillards et un nourrisson aient trépassé d'avoir mangé des plantes toxiques avait paru un prix bien modeste en regard de ceux que cela avait sauvé. La vie était dure, dans les campagnes, aussi peu de plaintes avaient jailli, la résignation faisait partie d'eux au même titre que la servilité quand venait, une fois l'an, le seigneur local qui collectait les taxes. Ils savaient fort bien qu'ils n'avaient rien à attendre de lui, la compassion n'était pas précisément l'une de ses qualités et la mort de quelques sujets le bouleversait à peu près autant que la perte d'un porcelet dans la plus misérable chaumine. Comme chaque année, c'était le montant exorbitant prélevé sur les récoltes qui avait rendu l'hiver mortel, car les moissons de l'automne avaient pourtant été fort généreuses. Qu'importe, la soupe fumait et serait bientôt prête, le reste semblait bien dérisoire aux affamés et, c'était bien le seul point positif, le seigneur ne risquait pas de venir la leur disputer, gavé qu'il devait être des longues ripailles qui occupaient traditionnellement la saison de repos des armées. A cette pensée, l'une des grand-mères cracha un gros glaviot dans l'âtre en marmonnant une imprécation, ses deux derniers enfants étaient morts de privation quelques semaines auparavant, elle ne devait qu'à la bonté des propriétaires de la chaumine d'être elle-même encore en vie car l'âge l'avait rendue bien incapable de subvenir à ses propres besoins.
Le léger coup qui ébranla la porte les fit tous sursauter, ils se jetèrent des regards apeurés et se serrèrent les uns contre les autres tandis que le maître de maison empoignait à tout hasard sa lourde hache de forestier et s'en allait voir de quoi il retournait. Cela faisait bien des jours que les villageois affaiblis ne se rendaient plus visite les uns aux autres, aussi semblait-il peu probable que ce fut l'un d'eux, ce qui ne manquait pas d'inquiéter l'homme. Arrivé devant l'huis clos, il demanda d'une voix qu'il s'efforçait avec un succès mitigé de rendre ferme:
-Qui va là?
La voix qui lui répondit était lasse, rauque et hésitante:
-Un vieux voyageur fatigué qui vous prie de lui accorder l'hospitalité, bonnes gens.
Méfiant, l'homme entrouvrit la porte et jeta un coup d'oeil à l'extérieur. Ce qu'il vit ne parut pas lui plaire car il referma brutalement le battant et ânonna, peu assuré:
-Passe ton chemin guerrier, nous ne voulons pas d'ennuis et nous n'avons plus rien à t'offrir, l'hiver a été trop long.
-J'ai de la nourriture, je partagerai volontiers avec vous en échange d'un coin sec et chaud.
L'homme hésita un instant puis, forgé par une vie de crainte envers la gent armée, finit par ouvrir la porte, craignant que le visiteur éconduit ne décide d'employer la force pour obtenir ce qu'il demandait somme toute avec amabilité.
-Entre, voyageur...
Le visiteur se baissa pour franchir le pas de porte, ruisselant et visiblement épuisé d'une longue route, tandis que toute la maisonnée l'observait craintivement. Pourtant de haute taille, le fermier se sentit soudain petit lorsque le guerrier se redressa et se défit de la longue pèlerine sombre qui l'avait insuffisamment protégé de l'averse. Les yeux s'écarquillèrent quand ils virent les bandages sanglants qui recouvraient plusieurs parties du corps massif du voyageur, les plus petits se mirent à pleurer et les vieux murmurèrent une prière à leurs dieux pour les implorer de les protéger. Tremblant, le fermier avisa la lourde épée à deux mains que l'homme déposa contre un mur, puis désigna l'âtre:
-Poussez-vous un peu, vous autres, notre hôte est trempé, il va attraper la mort s'il ne se sèche pas. Prends place, qui que tu sois. Nous n'avons pas grand chose, juste cette mauvaise soupe, mais elle te réchauffera...
Le guerrier adressa un sourire las au paysan en le remerciant d'un signe de tête puis lui tendit la besace de cuir usée qu'il portait en bandoulière:
-Il y a une barde de lard, de la viande séchée et des herbes, c'est peu mais ça améliorera quand même votre soupe, je suppose.
Sans attendre de réponse, il se dirigea vers l'âtre, saluant d'une vague courbette les femmes, d'un hochement de tête les hommes, puis il s'installa sur le coin de banc qu'ils lui avaient libéré, tendant avec délices ses mains calleuses vers la chaleur bienfaisante du foyer pendant que l'épouse du maître de maison s'emparait des aliments et se mettait en demeure de les émietter dans le bouillon. Le silence s'établit durant quelques instants, nul ne sachant trop comment entamer la conversation, ce fut le guerrier qui finit par demander après avoir observé les visages pâles et amaigris:
-J'avais entendu dire que les récoltes avaient été bonnes, l'automne passé, et pourtant vous semblez tous affamés...m'aurait-on menti?
-Non...non, les récoltes ont été abondantes, mais nous sommes de loyaux sujets, nous avons payé l'écot exigé par notre bon seigneur...
Le guerrier planta son regard sombre dans celui du fermier, le scrutant un moment en silence, puis il hocha la tête en murmurant:
-Je vois...c'est le Sire de Mirevelles qui règne ici, n'est-ce pas?
-C'est exact, messire.
-Je ne suis pas sire. Juste un vieux guerrier sans terre ni titres. Un mercenaire, encore, pour être exact.
Le guerrier laissa échapper un rire amer:
-La lie des armées, il paraît, le genre de type qu'on sacrifie bien volontiers en première ligne, moins il en reste après le combat mieux les finances seigneuriales s'en portent. Enfin, quand le seigneur en question honore son contrat, évidemment, ce qui n'est pas toujours le cas.
-Vous...vous avez été engagé par notre seigneur?
-Oui. Tarmaeth, cela vous dit quelque chose?
-Vaguement...c'est une ville assez loin à l'est, je crois...
-C'était. Il n'en reste que des ruines et des cendres. Et des corbacs pour seuls habitants.
-La guerre?
-C'est ce qui était prévu. Mais le terme de boucherie serait plus approprié. Enfin, il y a trop de jeunes oreilles pour tel récit, brave homme, si tant est qu'on puisse être un jour assez vieux pour entendre cela.
-Vous...vous êtes blessé...ma femme sait quelques simples aux vertus souveraines si vous vouliez...
-C'est généreux, je te remercie, mais ce ne sera pas nécessaire, la faim me taraude davantage que ces quelques estafilades.
La femme du fermier intervint timidement:
-La soupe est prête, mais vous devriez me laisser au moins changer vos bandages, s'il plaît à messire.
Le guerrier fixa la femme d'un regard perçant quelques secondes avant d'acquiescer d'un hochement de tête.
-Soit, si vous avez le coeur solide...mais la soupe d'abord, si cela était un effet de votre bonté...
-Oh..bien sûr, tout de suite messire...répondit-elle en rougissant tout en s'affairant à remplir bols et écuelles du brouet au parfum désormais envoûtant.
Ils mangèrent en silence, puis les enfants furent envoyés se coucher tandis que le fermier sortait une flasque et quelques gobelets de terre cuite d'un coffre.
-Du jus de pommes fermenté, il est un peu acide, mais c'est tout ce que j'ai...
-J'ai bu plus amer nectar, sois tranquille. Mais ne te démunis pas pour moi, la récolte est encore lointaine.
-Il ne se gardera plus bien longtemps, autant en profiter avant qu'il ne tourne, répondit le fermier en remplissant deux godets à ras bord. Et puis, ça éloigne le mal des blessures, j'ai comme l'impression que ça ne vous fera pas de tort...
-Oui, laissez moi examiner vos plaies, maintenant, pendant que le feu éclaire encore un peu.
Le guerrier trinqua avec le fermier avant d'avaler le tord boyau d'une rasade, puis il se leva et se dénuda sans autre forme de procès, dévoilant un corps puissant et nerveux couvert de cicatrices plus ou moins anciennes. Le paysan hoqueta en découvrant les pansements de fortune rougis et souillés qui désignaient sans ambiguïté les blessures récentes, nombreuses et si disparates que c'en était à se demander comment le guerrier avait pu en subir un tel nombre sans y laisser la vie. L'épouse fronça les sourcils d'un air dubitatif puis mit de l'eau à bouillir et demanda à l'homme de s'approcher de l'âtre. Elle commença à défaire le premier bandage qui entourait la moitié droite du torse, reculant d'un air horrifié lorsque elle aperçut la profonde plaie qui béait, sanglante.
-Co...comment...
-Un coup de cimeterre. Ma lame s'est brisée alors que je parais...
-Non je..je veux dire...
-Oh. Comment j'ai pu venir jusque là?
-Oui...?
-La mauvaise herbe est coriace, et le coup n'a rien touché de vital, je présume.
-Les...les autres sont...
-Comme celle-ci? Non, dans l'ensemble ce sont des estafilades, celle de la cuisse, peut-être, petite mais profonde, j'ai dû pousser la flèche pour la sortir.
-Je...je vais faire de mon mieux, mais...cela dépasse mes compétences...vous devriez aller voir un guérisseur...
Le guerrier sourit doucement en haussant les épaules:
-Un guérisseur se paie, je n'ai pas d'or, votre seigneur a refusé de payer les survivants sous prétexte que la bataille avait été perdue. Mais je survivrai, faites ce que vous pouvez si vous en avez toujours le courage, pour le reste, le temps s'en chargera.
Légèrement fébrile la paysanne se mit à l'ouvrage, pâle mais résolue, tandis que son mari remplissait à nouveau les verres. Il fallut jusqu'au milieu de la nuit pour que la femme épuisée achève son ouvrage, recousant au moyen d'une aiguille d'os et de tendons de boeuf les plaies les plus graves, resserrant habilement les autres au moyen de bande de tissu bouilli prélevées sur une chemise du fermier. Ayant achevé, elle fixa gravement le guerrier et déclara:
-J'ai fait ce que j'ai pu, mais cela ne suffit pas. Vos plaies s'infecteront si vous continuez ainsi, et votre main gauche ne récupérera pas sa mobilité, vous devez aller voir un guérisseur. Certains aident les pauvres gratuitement, vous en trouverez un à la prochaine ville si vous continuez vers le nord.
-Je ne peux pas rester sur les terres de votre seigneur...il nous a donné deux semaines pour déguerpir, après quoi je serai chassé comme un chien enragé.
-Oh..alors...je...je suis désolée...
-Ne le soyez pas, vous avez fait beaucoup, tout ce que vous pouviez et plus encore. Merci, Dame, merci infiniment.
Le fermier et son épouse se regardèrent brièvement, puis l'homme dit à mi-voix:
-Il y a bien une possibilité...maigre, mais peut-être...
-Dites toujours, l'ami?
-A quatre jours d'ici, vers le sud ouest, il y a une vaste forêt, on raconte qu'elle est peuplée d'Elfes. On ne les voit jamais, maintenant, mais mon père m'a raconté qu'à l'époque de sa jeunesse, ils sortaient parfois de leurs bois pour commercer avec les hommes...on raconte aussi qu'ils ont des pouvoirs...qu'ils peuvent guérir les plus graves blessures, ou maladies...
-Mmm. Des Elfes...oui, l'idée est bonne. Je tenterai, c'est plus ou moins sur ma route. Merci. Maintenant, si vous n'y voyez pas offense, je serais heureux de prendre un peu de repos...
Le lendemain à l'aube, le guerrier fit ses adieux à la famille, les remerciant chaleureusement de leur accueil, puis il quitta le village sans se retourner, se dirigeant vers la forêt qu'on lui avait indiquée. Quatre jours plus tard, il parvint effectivement à l'orée d'une vaste sylve d'apparence ancienne et touffue que la route semblait contourner soigneusement. Il s'arrêta, tentant de se souvenir du peu qu'il savait des Elfes. Au bout d'un moment, ses maigres connaissances du sujet épuisées, il dissimula son arme dans un bosquet dense après l'avoir soigneusement emballée dans son manteau, puis il s'enfonça dans la forêt, marchant au hasard car nulle sente n'était apparente.
***
Edité par Noir-feu le 22/06/14 à 22:22
Bart Abba | 23/06/14 08:52
Joli début ! Je m'ennuie un peu sur mon rocher, ça m'a permis de passer un bon moment.
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Noir-feu | 23/06/14 10:22
Il s'était enfoncé de quelques centaines de mètre sous le dais verdoyant lorsqu'une flèche siffla à ses oreilles et vint se ficher en vibrant dans l'arbre le plus proche. Il s'immobilisa et leva ses deux mains vides bien en évidence.
-Je n'ai pas d'arme, je viens en paix...
Seul le silence lui répondit, il commença à sentir l'inquiétude l'envahir, ses réflexes de combattant ne lui permettraient pas d'éviter une flèche décochée par un archer invisible si ce dernier décidait de mettre un terme à sa vie, aussi reprit-il:
-Je suis venu demander votre aide...on dit que vous savez guérir...je suis blessé...
Enfin, quelques branches s'écartèrent, et un elfe apparut, se confondant avec la végétation si parfaitement que même ainsi, il était difficile d'en discerner parfaitement les contours. L'arc qu'il tenait en main était bandé, et la flèche visait le coeur du guerrier.
-Nyäellaess thänath fyäthenn?
-Hum...désolé...je ne parle pas votre langue...
-Cherches-tu la mort? Aucun humain n'est admis en nos terres! Retourne sur tes pas!
-J'ai besoin d'aide...d'un guérisseur...
-Les hommes ont des guérisseurs, nous ne soignons pas les vôtres, pas après Durvan Nathanth! Pars, ou ma flèche achèvera ce que d'autres ont commencé!
L'elfe tendit son arc davantage, clairement déterminé à transpercer le visiteur s'il ne s'exécutait pas à l'instant, lorsqu'une deuxième voix, féminine, s'éleva des frondaisons:
-Laëth, vamayïm...
Surpris, l'archer rétorqua en sa langue avec virulence. S'ensuivit un bref et rapide conciliabule tandis que le guerrier cherchait à percevoir la source de la deuxième voix, en vain. Enfin, ce qui devait être une femme elfe sauta agilement d'une haute branche et atterrit souplement devant le guerrier. Il cilla devant l'incroyable apparition, oubliant l'archer devant la sculpturale créature qui lui faisait face. Ses longs cheveux argentés semblaient tissés d'étoiles, ses yeux pareils à deux saphirs semblaient littéralement éclairés de l'intérieur par quelque lumière céleste et son visage avait cette beauté séraphique et inhumaine que certains artistes religieux prêtent aux anges. Sa peau semblait avoir le velouté soyeux d'une pêche mûre à point, bien que plus pâle, et son corps élancé et souple aurait damné le plus pur saint malgré les vêtements relativement amples qu'elle portait. Elle fixa le guerrier un moment sans un mot, un léger sourire moqueur au coin des lèvres.
-C'est la première fois que tu vois une elfe.
-Oui...
Son rire s'éleva comme une cascade cristalline dans le sous-bois, elle dit quelque chose que le guerrier ne comprit pas à l'archer, déclenchant l'hilarité de ce dernier, puis reprit en langue commune:
-Ce n'était pas une question, tes yeux sont comme des Athaeyn!
-Des...quoi?
-Oh. Des gros fruits ronds.
Gêné, le guerrier baissa aussitôt le regard, déclenchant un nouveau rire des deux elfes, puis elle reprit:
-Ta vie s'enfuit, cela aussi se voit dans tes yeux. Mon frère t'a dit que nous n'aidions pas les hommes. Mais tu n'es pas un homme. Qu'es-tu?
-Pas un homme? Mais...si...je viens du nord, mes parents étaient des humains...
-Je ne comprends pas.
-Euh...quoi?
-Tu ne mens pas. Mais tu n'es pas un homme.
-Gente Dame...venant de toute autre que vous...ce serait une insulte, mais...je ne crois pas que ce soit votre intention...
-Une insulte? Chez nous, dire à quelqu'un qu'il est un homme, ça c'est une insulte.
-Oh...je crois que je comprends...
-Non, tu ne comprends pas. Tu ne sais rien. Tu es un enfant qui croit savoir, comme tous les hommes, mais tu ne sais pas.
-Un enfant? J'ai quarante ans...pour un homme, c'est presque vieux...
Les deux elfes éclatèrent à nouveau d'un rire cascadant.
-Quarante ans? Qu'est-ce que quarante années? Le temps d'un rêve. Le temps pour un enfant Elfe d'apprendre à marcher et à parler. Tu es un enfant.
-Hum...je sais que ça ne se fait pas, mais...quel âge as-tu?
-Tu es trop curieux, homme qui ne l'est pas. Suis-nous, notre Mère décidera quoi faire de toi.
D'un mouvement infiniment gracieux qui fit voltiger sa chevelure elle se retourna en riant et s'enfonça dans la forêt à la suite de l'archer sans se retourner pour voir s'il suivait. Le guerrier ne songea d'ailleurs pas une seconde à rebrousser chemin, quel homme, ou quoi qu'il puisse être d'autre, aurait pu refuser telle invitation de la part d'une ensorceleuse aussi divine? Aussi lui emboita-t'il rapidement le pas, réalisant avec effarement que, s'il était considéré parmi les hommes comme un chasseur et un pisteur hors pair, les deux elfes l'auraient définitivement semé en moins de temps qu'il n'en faut pour faire trois pas. Ils marchèrent longuement, s'enfonçant toujours davantage dans l'épaisse forêt, effectuant de nombreux détours qui eurent vite fait de désorienter totalement le guerrier malgré son sens aigu de l'orientation. Enfin, ils parvinrent à une zone plus clairsemée où quelques monticules de branchages de la taille d'une petite maison formaient un large cercle entre les troncs des grands arbres. Le guerrier réalisa soudain que de nombreux elfes le dévisageaient avec une stupeur pas spécialement bienveillante. Certains se tenaient sur des branches en hauteur, d'autres à même le sol, certains sur les monticules, il y en avait partout et tous le fixaient alors que des murmures tendus suivaient leur avancée comme un vent prêt à vous projeter au bas d'une falaise. L'elfe le guida vers l'un des monticules tandis que l'archer s'engageait visiblement dans une explication circonstanciée de la présence importune. La femme elfe et le guerrier à sa suite pénétrèrent par une étroite ouverture dans ce qui constituait visiblement leurs demeures. Si l'extérieur ressemblait assez à ces piles de bois confectionnées par les charbonniers, l'intérieur lui était aménagé étrangement, rien ne semblait être destiné à une place précise, le rare mobilier était de bois artistement ouvragé, disposé selon un apparent hasard, et nul foyer n'était visible. Mais ce qui attira immédiatement l'attention de l'homme, c'est l'elfe qui se tenait assise sur l'un des quatre fauteuils que contenait la pièce. Elle était vêtue d'une longue robe simple de teinte blanche, sa taille de guêpe entourée d'une ceinture de résille d'or qui se mariait harmonieusement avec les ors éclatants de sa chevelure abondante et sauvage, ses pieds fins étaient nus dans des sandales de fibres végétales tressées et son regard...son regard fit oublier tout le reste au visiteur immédiatement subjugué et plongé dans un océan de jade solaire aux infinies profondeurs. Il frémit, usant de toute sa volonté pour s'incliner cérémonieusement. Mal lui en prit car ce simple geste tira si douloureusement sur la plaie de son torse qu'il faillit s'évanouir pour le compte. Il se redressa en grimaçant, murmurant:
-Dame...
L'elfe lui sourit tranquillement, puis fit signe à sa guide de les laisser seuls. Lorsque elle fut sortie, celle qui devait être la Mère brièvement évoquée désigna un tapis de laine aux étranges motifs ondoyants et déclara d'un ton sans réplique:
-Déshabille-toi et allonge-toi là. Je t'attendais.
-Vous...m'attendiez?! Que je me....déshabille? demanda en bafouillant le guerrier soudain affreusement gêné.
-Plus tard, les questions. Tu es fort et ta volonté puissante, mais le fil de ta vie vacille.
-Mais...
-Serais-tu un homme en définitive, à craindre de t'exposer nu?
-Je...non...non, même si...enfin...j'aurais préféré pouvoir me laver avant...
Un éclat de rire salua sa réponse, puis l'elfe s'approcha d'un pas léger jusqu'à frôler le guerrier. Il lutta pour ne pas reculer, horriblement conscient de son odeur et de la crasse du voyage qui le recouvrait, d'autant plus que l'elfe immaculée dégageait un délicat parfum de mousses et de fleurs qui contrastait violemment avec celui de sueur et de sang que lui-même dégageait. Mais l'elfe frôla sa joue d'une main incroyablement douce en murmurant:
-Tu sens le monde et ses chemins, tu sens la terre, le vent la pluie et le soleil, cela ne me dérange pas. Mais tu sens aussi le sang, et cela est une odeur qui me déplaît. Tu as pris de nombreuses vies à Tarmaeth, je l'ai vu, mais c'est ton sang que je sens. Déshabille-toi, homme qui ne l'est pas.
Totalement envoûté, il se dénuda maladroitement, puis s'allongea sur le tapis ainsi qu'elle le lui avait enjoint. L'elfe s'empara d'un petit récipient de bois tourné et d'une fine dague avant de s'accroupir près de lui et de trancher adroitement les bandages vieux de quatre jours. Lorsqu'elle eut fini, elle observa chaque blessure avec attention, faisant jouer les articulations et les muscles environnants avec une délicatesse si grande que pas un instant il ne sentit une douleur. Enfin, elle sourit et murmura plus pour elle-même que pour lui:
-Pas d'infection, seulement trop de sang perdu, et trop de fatigue, trop de peines...
Comme elle n'attendait visiblement pas de réponse, il se contenta d'acquiescer en silence tout en observant attentivement ses gestes. Elle ouvrit le petit pot et en préleva un peu de baume de couleur bleue avec lequel elle commença à tracer d'incompréhensibles lignes sur son corps du bout d'un doigt tout en murmurant une litanie dont le guerrier ne comprit évidemment pas un traître mot. Ce simple contact suffit cependant à le mettre dans un état fort gênant malgré sa faiblesse, ce qu'il tenta discrètement de cacher comme il le pouvait. L'elfe rit doucement en se moquant:
-Enfant, pas vraiment homme mais tout de même un peu...j'ai déjà vu un mâle qui me désirait, tu sais. Détends-toi.
Dardant son regard ensorcelant sur lui, elle écarta doucement ses mains et poursuivit son oeuvre tandis qu'il marmonnait un "facile à dire" qui soutira à l'elfe un nouveau rire. Peu à peu, une intense chaleur envahit son corps, le plongeant dans une somnolence bienfaisante qui lui fit peu à peu perdre toute notion du temps et l'emporta lentement dans un sommeil réparateur.
Noir-feu | 25/06/14 07:27
Combien de temps dormit-il, il ne le sut jamais, mais lorsque il se réveilla, il eut la stupeur de trouver l'elfe allongée contre lui, aussi dévêtue qu'il l'était. N'osant faire un geste de peur de briser la féerie de l'instant, il attendit longtemps, puis, la soif le taraudant, il osa enfin une timide caresse sur son épaule, ce qui la réveilla instantanément. Il soutint un instant son regard, puis murmura:
-Vous...vous ne devriez pas...
Elle posa un doigt léger sur ses lèvres pour le faire taire, puis se leva souplement et alla chercher une cruche d'eau qu'elle lui tendit. La vue de l'Elfe nue éveilla instantanément le désir du guerrier, chose qu'elle ne manqua pas de remarquer d'un regard amusé. Mal à l'aise, il but quelques gorgées puis lui rendit le pot qu'elle reposa après avoir bu elle-même. Lentement, le fixant de son regard ambré, elle enfila sa robe, noua sa ceinture et chaussa ses sandales. Puis elle murmura:
-Les hommes guérissent parfois les corps, mais ils oublient de guérir l'âme avec. Alors, souvent ils échouent.
Elle sourit soudain avec une malice endiablée:
-Je t'ai préparé des vêtements propres, mais d'abord...il y a une source, derrière la butte...
Rougissant, se sentant soudain affreusement crasseux, il se leva prudemment, réalisant soudain que si son corps était intégralement couvert d'arabesques bleutées, ses plaies étaient toutes refermées. Il cilla et bégaya:
-C'est...c'est de la magie...comment..?
-Les Dryades savent certains enchantements. Mais fais attention, la peau est guérie, mais pour l'intérieur, il faudra du temps. Viens, tes vêtements sont là, dit-elle en désignant une pile d'habits elfiques aux tons ocres.
Passant simplement un pagne, il prit les vêtements sous le bras et la suivit à l'extérieur, son apparition déclenchant une vague de rires et de curiosité alentours. L'elfe le guida vers un petit bassin dissimulé par quelques buissons et alimenté par un petit ruisseau, puis lui indiqua une touffe d'herbes:
-Frotte-toi avec ça, cela purifie la peau et chasse les odeurs.
Sans plus de manières, il retira son pagne, entra dans le bassin en frissonnant et entreprit de se laver méticuleusement sous le regard attentif de l'elfe. Curieusement, il remarqua au bout de quelques instants que sa présence ne le gênait plus et, enfin propre, il sortit de l'eau en lui demandant:
-Pourquoi m'avez-vous soigné, Dame? Je suis un homme, même si...
-Bientôt, je répondrai à certaines de tes questions. D'autres devront attendre, la réponse ne pourra venir que de toi. Viens, habille-toi, je veux te montrer quelque chose.
Il se vêtit rapidement et la suivit à nouveau alors qu'elle se dirigeait vers l'un des monticules qu'il avait aperçu...la veille? Ils entrèrent, découvrant un intérieur très différent de la demeure dans laquelle il avait été soigné. Il n'y avait dans celle-ci aucun mobilier, juste quelques tapis d'herbes tressées sur lesquels reposaient trois corps elfiques sans vie. Le guerrier fronça les sourcils en remarquant les effroyables blessures qui avaient été habilement dissimulées par des tissus, questionnant du regard l'elfe qui murmura tristement:
-Nous vivons des siècles, si nulle lame ne vient trancher nos vies. Autrefois, nous vivions en paix avec les hommes, mais ce temps est révolu, ils chassent maintenant les miens comme des bêtes mauvaises.
-Je...je ne comprends pas...pourquoi font-ils cela?!
L'elfe s'assit sur un tapis vide d'occupant, faisant signe au guerrier d'en faire de même, puis elle se plongea dans ses souvenirs un instant avant de lui répondre:
-Autrefois, les forêts allaient jusqu'à la mer, notre peuple vivait librement dans ces bois, depuis si longtemps que mille générations d'hommes n'auraient pas suffit à en dénombrer les années. Un jour, deux navires sont arrivés, remplis d'hommes. Nous n'avions jamais connu la guerre, alors nous sommes allés à leur rencontre et nous leur avons offert des fruits, des poissons et du gibier en guise de bienvenue. Nous avons été aimablement reçus, et leur chef nous a demandé si nous accepterions qu'ils établissent un village près de la mer, nous expliquant qu'ils avaient été chassés de leurs terres par des créatures innommables et qu'ils avaient donc dû fuir. Nous étions peu nombreux et les terres étaient bien assez vastes pour tous, aussi avons-nous accepté, les aidant à se construire des demeures pour affronter l'hiver qui allait bientôt arriver. Durant plusieurs générations d'humains, l'entente fut cordiale, nous échangions ce que nos peuples fabriquaient et il n'était pas rare de voir un elfe et un homme se lier d'une profonde amitié, voire, parfois, d'unir leurs vies et d'engendrer des descendants de nos deux sangs mêlés. Le temps passa, les hommes devinrent de plus en plus nombreux et ils ne tardèrent pas à nous demander d'autres terres pour s'établir. Nous n'avions aucune raison de refuser, les forêts étaient si vastes que peu en connaissaient les limites, aussi leur village devint bientôt une ville, et les quelques champs originels se transformèrent bientôt en vastes plaines cultivées.
Elle marqua une pause, ses traits reflétant une douleur profonde, puis elle reprit:
-Les hommes sont comme les saisons, ils ne restent pas. Les chefs des hommes se succédèrent, chacun respectant l'entente scellée par leur premier dirigeant, jusqu'au jour où ils furent si nombreux que les terres octroyées ne leur suffirent plus. Ils avaient abattu tous les arbres pour construire des maisons, des navires de pêche, des meubles, aussi vinrent-ils un jour nous trouver, et exigèrent-ils que nous leur donnions plus de terres encore. L'auraient-ils demandé qu'ils auraient obtenu ce qu'ils souhaitaient, mais ils exigèrent, et cela nous ne pouvions l'accepter. Nous refusâmes donc et ils repartirent fort en colère, nous menaçant et jurant qu'ils s'empareraient de ce que nous leur refusions. Quelques temps plus tard, une forte troupe d'hommes armés entra dans nos forêts et se mit à abattre tous les arbres, faisant de nos bois un désert qu'ils s'empressèrent d'occuper avec des villages qui, dorénavant s'entouraient de palissades aux pieux affutés. Nous ne souhaitions pas nous opposer physiquement à eux, cela n'était pas dans notre nature et ils en profitèrent tant et plus. Peu à peu, les liens entre nos deux peuples se distendirent, et il finit par arriver un jour où certains des nôtres furent capturés, torturés et brûlés. Nous réalisâmes à ce moment là que les hommes étaient devenus si nombreux que le peuple des elfes faisait figure de petite tribu en comparaison, aussi avons-nous envoyé une délégation à leurs chefs afin de tenter de les raisonner et de rétablir la paix. Ils ne revinrent jamais, nous apprîmes plus tard qu'ils avaient été massacrés immédiatement après avoir délivré leur message. A dater de ce jour, nous nous retirâmes plus profondément dans nos forêts, évitant le contact et surveillant étroitement nos frontières. Lorsqu'un humain pénétrait dans notre sylve, nous l'en chassions sans violence, mais leurs chefs saisirent ce prétexte pour nous déclarer la guerre, affirmant que cette terre était leur et que nous n'avions pas à leur en interdire l'accès.
Elle ferma les yeux à ce souvenir, et lorsque elle les rouvrit, quelques larmes perlaient au coin de ses prunelles. Le guerrier ne réfléchit pas une seconde, il prit doucement la main de l'elfe dans la sienne et la pressa avec légèreté. Elle eut un pauvre sourire et poursuivit:
-Nous ne sommes pas des guerriers, pour nous la vie est sacrée, aussi n'avons-nous pu nous résoudre à les combattre malgré les atrocités qu'ils commirent lorsqu'ils parvenaient à capturer quelques-uns des nôtres. Ils brûlèrent des pans entiers de forêt, nous chassant de plus en plus loin des côtes, jusqu'au jour où, acculés contre les montagnes, nous décidâmes que la seule option consistait à nous battre pour protéger nos vies. Mal nous en prit car les hommes étaient maîtres dans l'art de prendre des vies, nous subîmes de lourdes défaites et notre peuple déjà peu nombreux en vint à se trouver si réduit que nous commençâmes à craindre d'être anéantis. Nos bardes se réunirent alors, et tissèrent de puissants enchantements pour protéger le peu de forêt qui nous restait. Cela suffit de longues années durant, ceux qui se risquaient dans notre sylve se perdaient irrémédiablement et finissaient par mourir sans jamais avoir une chance de nous trouver. Mais, un soir, il arriva un homme venu de fort loin qui connaissait nos enchantements. Il les brisa, et une puissante armée s'enfonça dans les bois, se dirigeant vers notre principale demeure, qu'ils détruisirent intégralement après avoir perpétré un effroyable carnage parmi ceux qui résistaient. Beaucoup furent emmenés en esclavage, d'autres servirent de boucliers vivants lorsqu'ils nous attaquaient, nous interdisant toute action car nous étions absolument incapables de prendre la vie d'un des nôtres. Nous nous étions résignés à disparaître, que pouvions-nous, quelques centaines d'elfes contre des dizaines de milliers d'humains, lorsque pour une raison qui nous échappa sur le moment, les attaques s'espacèrent, puis cessèrent totalement. Cela nous réjouit, aveuglés que nous étions par notre seule survie, mais nous apprîmes bientôt la raison de ce changement, et notre joie se mua en un profond désespoir. Ce qui arrivait était mille fois pire que la menace des hommes, et nous étions désormais beaucoup trop faibles pour tenter quoi que ce soit.
Le Guerrier s'assombrit et murmura avec une moue de dégoût:
-Le Nécromant...c'est son attaque sur les frontières est du royaume des hommes qui les a obligés à se détourner de vous...
-Précisément. Comprends-tu maintenant pourquoi nous t'avons accueilli, et soigné?
-Oui...je crois. Vous avez besoin d'informations, et d'aide. Mais il n'y a pas d'aide possible autre que celle des hommes...avec qui vous ne pouvez plus négocier...mais il y a une chose qui m'échappe...vous dites que je ne suis pas tout à fait humain, pourquoi? Que cela signifie-t'il?
L'elfe le scruta un moment sans répondre, puis elle murmura:
-Tu ne sais donc pas...si courtes sont vos vies que les souvenirs ne se transmettent pas...le nom de Ruanor te dit-il quelque chose?
-Je...oui...c'est l'un de mes lointains ancêtres, mais...quel rapport?
-Il y a près de mille ans, cet ancêtre alla rencontrer un Dragon vert, le dernier qui habitait encore cette terre, parce qu'à cette époque, ce même nécromant menaçait les siens et qu'il cherchait conseil. Mais lorsqu'il arriva à la caverne du Dragon, épuisé et démuni de tout après un interminable voyage, il le trouva agonisant. Le Dragon lui demanda de l'eau, sachant fort bien que l'homme n'en avait plus que quelques gorgées, et que la soif le tarauderait longuement car aucune source de jaillissait dans les environs. Ruanor n'hésita pas, il offrit au Dragon les dernières gouttes de sa gourde, et cela était le signe qu'attendait le Dragon. Il savait que son temps était achevé, nul ne pouvait plus rien pour lui, mais aussi qu'il était le dernier grand chevaucheur d'orages de ce monde. Afin de préserver l'essentiel, et de donner une chance aux hommes de vaincre le nécromant, il fit don de son Essence Sacrée à Ruanor. Grâce à cela, les hommes repoussèrent le maudit et l'enfermèrent dans une prison enchantée, mais cette bataille couta aussi la vie à Ruanor. La dernière flamme des Dragons aurait pu s'éteindre à cet instant, mais Ruanor avait une épouse, et avant de partir au combat, ils s'étaient aimés longuement, passionnément, comme s'ils avaient pressentis l'un et l'autre qu'ils ne se reverraient pas. Quelques temps après la fin de la guerre, elle donna naissance à un fils, et ce fils portait en lui le Don du Dragon, qu'il transmit à son tour à sa descendance. Les générations passèrent, et l'histoire vraie du Dragon devint peu à peu une légende, puis un mythe, bien que toujours le descendant mâle de cette lignée ait en lui une part de ce Don. Tu es le dernier de ce lignage, c'est la magie du Dragon qui coule en tes veines, tu n'es pas seulement humain, tu es aussi l'héritier du dernier Dragon de la Terre d'Elladyl.
Abasourdi, le guerrier resta longtemps silencieux, puis murmura pour lui-même:
-Mon père m'a raconté cette histoire, enfin, en partie, lorsque j'étais enfant. Je l'avais oubliée...
Il se secoua légèrement et darda un regard perplexe sur l'elfe:
-Je ne sais pas comment utiliser ce...Don...s'il existe comme tu le dis. Tu parles aussi de cette terre comme s'il en existait d'autres, je ne comprends pas...
Elle sourit avec douceur à l'homme, puis soupira doucement en lui répondant:
-Je ne sais pas ce qu'est ce Don en vérité. Je sais qu'il a permis à ton peuple, et à d'autres, de survivre aux malédictions du Nécromant, mais c'est là tout ce que je puis t'en dire. Cela fait partie des questions auxquelles toi seul peux répondre. Je parle en effet d'autres mondes, il en existe une infinité d'après nos légendes, mais seuls quelques-uns seraient reliés, accessibles.
-Mmm. Et...qu'attendez-vous de moi? Que puis-je pour vous aider, je ne suis qu'un mercenaire errant, pauvre et sans famille...ce don...c'est peut-être vrai, mais je ne sais pas l'utiliser, je n'ai pas même la moindre idée de ce qu'il peut être...
-Tu es un guerrier, tu connais les tactiques des hommes, et tu as combattu les serviteurs du Nécromant à Tarmaeth. Aucun de nous n'est un guerrier, nous sommes des chasseurs, pacifiques et portés vers la contemplation et les chants plutôt que vers les arts militaires. Je voudrais...je voudrais que tu nous apprennes...peut-être trouveras-tu réponse à cette question de Don, peut-être pas, mais nous ne voulons pas disparaître sans rien tenter.
Elle scruta le guerrier avec intensité, consciente du trouble qui l'habitait, des doutes qui le rongeaient. Il savait qu'il était un combattant valable, mais il n'était que cela, une lame parmi des milliers. Que pouvait-il espérer contre la toute-puissance de ce Nécromant? Il avait vu ses hordes déferler des hauts cols pour venir comme une vague irrépressible submerger les murailles pourtant conséquentes de la ville de Tarmaeth comme si elles n'avaient été qu'un château de sable construit par un enfant sur la plage. Il avait vu des hommes mûrs pourtant habitués aux horreurs de la bataille tourner les talons et fuir en hurlant leur peur devant les créatures innommables qui constituaient les armées du maudit. Pire, il avait vu que de nombreux humains formaient une part de cette armée, côtoyant les horreurs comme s'il s'agissait de leurs frères. La ville comportait une puissante garnison, les vétérans de l'armée régulière et une forte compagnie de mercenaires dont il avait fait partie, et pourtant la défaite avait été consommée en moins d'une heure. Il avait vu ses compagnons d'armes mourir par centaines, puis, alors qu'avec un petit groupe de survivants ils se frayaient un chemin sanglant vers un utopique salut, il avait vu les créatures exterminer la population terrorisée, Dieux! Il en avait même vu dévorer des cadavres, il avait vu les monstres déchiqueter à pleines dents des gamins encore vivants pendant que d'autres violaient indifféremment hommes et femmes, vivants et morts. La chance avait été avec eux, pourtant, l'ivresse du massacre et du pillage avait désorganisé l'armée ennemie et quelques-uns dont il avait fait partie avaient réussi à s'échapper de la ville mutilée pour fuir en une course infernale et épuisante jusqu'à la capitale, où ils avaient été reçus par le seigneur. Ce dernier avait écouté leurs récits, puis il était entré dans une rage folle. Il avait chassé les mercenaires en les traitant de lâches, refusant de les payer et les chassant à coup de bottes de la ville en les rendant responsables de la perte de Tarmaeth. Il avait promis aussi que, s'il en trouvait encore sur ses terres dans deux semaines, les gibets seraient bien garnis et les corbeaux repus. Les quelques survivants épuisés et blessés avaient bien été obligés d'obtempérer. Ils s'étaient dispersés, chacun choisissant la direction qui lui semblait la meilleure pour échapper à la vindicte du sire. Alors par les enfers, que pouvait un guerrier seul, même habile, et une tribu d'elfes pacifiques quand toute la force d'un royaume avait été brisée comme brindille? La réponse fusait d'elle-même et le guerrier en avait la bile qui lui remontait aux lèvres.
Il riva son regard dans celui de l'Elfe, cherchant les mots qui sauraient lui expliquer la vanité de son espoir sans la briser car il sentait, derrière la façade sereine qu'elle s'efforçait de maintenir en sa présence, la profondeur abyssale de son désarroi. Il vit ses traits se décomposer peu à peu alors que s'écoulaient, atroces, les secondes silencieuses, mais que lui dire, que lui répondre après ce qu'il avait vécu? Ses pensées tournaient en rond follement, cherchant une solution qui ne venait pas, puis il revit le corps déchiqueté de Luana, une veuve avec qui il s'était lié durant son séjour à Tarmaeth. Ils avaient couché ensemble, pas vraiment comme des amoureux, mais comme des êtres qui ont déjà parcouru seuls trop de chemin, et qui cherchaient dans cette relation un peu de réconfort, un peu de joie et de paix dans un monde qui n'en offrait guère. Elle n'avait rien d'une beauté fatale, mais elle dégageait un charme tranquille, une douceur dont le guerrier avait manqué plus qu'à son tour. Il ne l'avait pas véritablement aimée, mais la tendresse avait été bien présente et voir son cadavre l'avait mis dans une telle colère qu'il s'était retourné brutalement, prêt à mener une dernière charge pour la venger, pour mourir en le tentant, vide de tout, vide d'espoir, vide d'avenir, vieux guerrier usé par une existence jalonnée de plus de morts qu'il ne pouvait s'en souvenir. Deux de ses compagnons avaient réalisé ce qui se passait, ils l'avaient pris chacun par un bras et l'avaient entraîné de force alors qu'il leur hurlait comme un dément de le lâcher. Ils n'en avaient rien fait, et si sur le moment il leur en avait voulu à mort, les dernières heures avaient subtilement modifié ce sentiment, il leur avait même adressé un muet remerciement, qu'ils n'entendraient jamais car ils n'avaient pas survécu longtemps à leurs blessures. Les traits du guerrier se durcirent à ces souvenirs, son regard fixe brûlant de colère faisant reculer l'elfe qui le dévisageait toujours avec un air si désespéré qu'il se radoucit instantanément et frôla sa joue d'une main légèrement tremblante. Il réalisa qu'il était las de fuir, las de parcourir les champs de batailles pour quelques pièces, défendant des causes qui l'indifféraient pour des seigneurs qui n'avaient rien de respectable avant de devoir fuir à nouveau. Les mercenaires n'étaient jamais les bienvenus une fois la guerre terminée, et il valait mieux être loin quand la liesse de la victoire retombait. Oui, il était las de cette existence dénuée de sens, dépourvue de lendemain. Ses lèvres scellèrent son destin d'un murmure, comme mues par une volonté propre:
-Je vous aiderai, Dame, si je le peux.
Bart Abba | 25/06/14 09:02
Pfiouuu ! Et ben ça, c'est du récit ki klake ! Bravo !
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Zorander | 26/06/14 16:28
J'adoooore !!! allez tournée générale.
Khan Zorander - chef des orcs de l'Empire de Bandakar
Noir-feu | 26/06/14 17:50
Merci! Heureux si ces récits vous divertissent agréablement!
Noir-feu | 26/06/14 17:50
Les jours avaient passé, le guerrier avait peu à peu fait connaissance de toute la tribu, une centaine d'êtres au total, et la méfiance du début avait bientôt cédé la place à une cordialité bienveillante de la part des elfes lorsque ils avaient réalisé qu'il faisait l'effort d'apprendre leur langue. Bien vite il sut les saluer dans les règles de l'art, demander à manger ou à boire, soulevant des rires qui n'avaient rien de moqueur en s'essayant à des phrases plus complexes avec un succès parfois mitigé. Un simple tapis lui avait été attribué par celle que tous nommaient cérémonieusement "Mère" dans sa propre demeure. Il avait vite réalisé qu'ici, la pudeur n'avait guère cours, les elfes sortaient le matin de leurs maisons nus comme au premier jour pour aller se laver à la source, nul ne s'en préoccupait et chacun respectait l'intimité des autres, n'entrant dans la maison d'autrui que s'ils y étaient invités et évitant naturellement d'attarder leurs regards sur les anatomies dévoilées. Ce qui le troublait véritablement, c'était que l'elfe venait chaque soir s'allonger contre lui après s'être dévêtue, il avait beau user de toute sa volonté pour penser à autre chose, un désir torrentiel le submergeait chaque soir à la vue de ce corps si parfait qui venait se coller au sien. Cela ne semblait nullement déranger l'elfe, elle ne faisait pas semblant de ne rien remarquer, mais ne faisait rien non plus qui puisse suggérer qu'elle souhaite davantage qu'une source de chaleur et de réconfort, aussi s'abstint-il avec la dernière rigueur du moindre geste déplacé, se contentant d'entourer ses épaules d'un bras chaste et protecteur tout en s'efforçant de son mieux de bannir toute idée à connotation sexuelle, ce qui relevait de l'exploit impossible bien sûr, mais il faisait de son mieux.
Il s'était vite conformé à leurs usages, participant aux tâches communes comme n'importe lequel d'entre eux, accomplissant souvent naturellement les besognes les plus rudes car si sa force était supérieure à celle du plus solide elfe, il était loin d'avoir leur habileté ou leur agilité. Aucun ordre ne venait jamais diriger quiconque, chacun et chacune accomplissait les tâches pour lesquelles il avait le plus d'affinités sans que personne ne le lui demande. Il avait réalisé que cette absence de hiérarchie et de structure était une des raisons pour lesquelles ils n'avaient pas eu la moindre chance de résister aux humains, mais aussi que changer cela n'était pas envisageable. Peu à peu, au fil d'entraînements de plus en plus longs et pénibles, il avait retrouvé toute la mobilité de ses membres, attirant régulièrement toute une assemblée fort curieuse de le voir manier la longue épée qu'il avait été rechercher après en avoir demandé l'autorisation. Rapidement, quelques-uns avaient commencé à imiter ses gestes, avec de simples bâtons pour arme car ils ne possédaient rien qui fut fait d'acier si ce n'est quelques babioles échangées autrefois avec les humains. Leur arme était l'arc, et ils en usaient avec une habileté confondante, les plus adroits étant capables de transpercer une feuille de hêtre à trois cent pas. Il s'aperçut que leur acuité visuelle était largement supérieure à celle des hommes, ils distinguaient une fourmi sur le tronc d'un arbre à plusieurs dizaines de mètres et pistaient le gibier le plus discret comme il l'aurait fait d'un troupeau de buffles dans une plaine boueuse.
Quelques éclaireurs avaient été envoyés à sa demande quérir des informations sur les événements qui faisaient vaciller la domination humaine de ces régions, ils avaient ainsi appris qu'un répit était assez probable car malgré toute sa puissance, l'armée du Nécromant s'était heurtée à une forte résistance dans les contreforts des monts verdoyants, les rares voyageurs que les elfes avaient osé aborder avaient même parlé d'une écrasante défaite. Mais malgré cela, ils ne paraissaient guère entretenir d'espoirs à long terme. Cela n'avait été qu'une chiquenaude, disaient-ils, le gros de l'armée ennemie était encore stationnée loin au nord est et ne se mettrait sans doute pas en route avant le printemps prochain, n'étant pour l'heure pas encore entièrement équipée et formée. Cette nouvelle avait suscité un vif soulagement parmi les elfes, et le guerrier avait soigneusement évité de les détromper. Le soir pourtant, lorsque l'elfe vint comme de coutume s'allonger contre lui, il lui murmura:
-C'est une bonne nouvelle, mais il y a le revers de la médaille. Vous...nous sommes en grand danger, les hommes vont en profiter pour tenter quelque chose contre nous, j'en suis certain...ils auront besoin de grandes quantités de bois, pour leurs défenses, pour leurs armes, pour tout. S'ils sont assurés d'avoir la paix quelques mois, ils frapperont ici, et ils frapperont fort. Ils ne peuvent pas se permettre de conserver des ennemis sur leurs arrières pendant qu'ils combattent à l'est, leurs stratèges inciteront le seigneur à vous éliminer avant la reprise des combats...
-Je sais, murmura-t'elle d'un ton las. Je l'ai vu...
-Vous l'avez...vu? Comment?
-Parfois, des visions me visitent, je ne choisis pas ce que je vois, ni quand, c'est comme un rêve éveillé, ou un cauchemar, selon. Ils viendront au début de l'automne, nombreux comme les feuilles qui tombent, et ils nous écraserons par le fer et le feu. C'est notre dernier été, guerrier, je le sens.
Il se redressa sur un coude pour plonger son regard dans le sien, posant une main sur sa joue avec douceur et répondant d'un ton ferme:
-Cela ne sera pas. Pas si je peux l'empêcher.
-Tu ne le peux pas, guerrier. Tu combattras, mais tu n'obtiendras pas la victoire. Ils sont trop nombreux, trop organisés, armés, et nous n'avons plus le temps de changer le cours du destin. Nous ne sommes plus qu'une poignée, nos refuges ne sont fait que de bois et le feu est leur allié, ils brûleront tout, puis ils affronteront le Nécromant et ils mourront. Je l'ai vu.
-Tes...vos visions...elles se réalisent toujours?
-Non. Souvent, mais pas toujours. Parfois, un événement vient modifier le cours des choses, mais c'est rare.
Profondément songeur, le guerrier se rallongea, les yeux rivés au plafond tandis que son esprit échafaudait mille hypothèses pour tenter de renverser l'inéluctable. Toutes comportaient des failles béantes, aussi finit-il par renoncer provisoirement, et remarqua soudain:
-Je ne connais même pas votre nom...
-Ni moi le tien, enfant. Je me nomme Laewllyn.
-Mes parents m'ont appelé Breagel'Ann, ce qui signifie...
-Fils de l'orage. Je connais ta langue, nous la parlions, autrefois.
-Oh...et ton..hum, pardon, votre nom, signifie-t'il quelque chose?
Elle tourna la tête pour le contempler, murmurant songeusement:
-Oui...cela veut dire "Lune d'argent".
-C'est un très beau nom. Puis-je vous poser une question, Laewllyn?
-Je t'écoute.
-Vous avez côtoyé les humains, vous connaissez donc leurs...usages, leurs habitudes, ce genre de choses?
-Oui, du moins, en partie. Pourquoi?
-Vous savez donc que, pour un humain, la présence d'une femme nue dans ses bras...
Elle rit doucement, se blottissant plus étroitement contre lui.
-Je sais cela, oui.
-Alors pourquoi...
-Tu poses beaucoup de questions, Fils de l'orage. N'as-tu pas réponse à celle-ci?
-Je...non...enfin, pas de réponse...elfique.
-Sommes-nous si différents?
-Non...enfin, un peu, mais...
Les lèvres de l'elfe l'interrompirent en venant se plaquer sur les siennes, elle bascula pour s'allonger sur lui après un brûlant baiser et le fixa avec un étrange sérieux:
-Aime-moi. Aime-moi jusqu'à ne plus en avoir de souffle...
Et il l'aima, d'abord timidement, comme un adolescent qui connait son premier amour, puis plus sauvagement alors que la passion s'embrasait à n'en plus finir, les emportant dans un tourbillon de félicité insoupçonnable. Encore et encore ils firent l'amour, jusqu'à en perdre le souffle ainsi qu'elle l'avait souhaité, jusqu'à en perdre la raison, jusqu'à en oublier le temps qui passait, jusqu'à ce que, épuisés et comblés au delà de toute mesure, ils s'endorment enfin, imbriqués si étroitement qu'ils avaient l'impression de ne former plus qu'un. Lorsque ils s'éveillèrent, le jour était levé depuis longtemps, mais c'est à peine s'ils le remarquèrent. Plus lentement, plus tendrement cette fois, ils s'aimèrent à nouveau, leurs regards rivés l'un à l'autre brûlants d'un désir qui semblait ne jamais devoir être assouvi. Combien de temps restèrent-ils ainsi isolés du monde, détachés des heures qui passaient, ni l'un ni l'autre n'aurait été en mesure de le dire. Ils ne s'en souciaient d'ailleurs pas, seul comptait l'autre, l'autre et cette plénitude inconnue qui faisait battre leurs coeurs d'un même rythme, qui liait leurs âmes au sein d'une danse céleste dont le guerrier aurait voulu qu'elle ne cesse jamais. C'est la faim qui finit par les tirer de leur monde, épuisés mais rayonnants si visiblement que bon nombre d'elfes leur lancèrent quelques plaisanteries sans méchanceté en riant de bon coeur, le bonheur présent de leur Mère semblant les réjouir au plus haut point. Tandis qu'ils se lavaient à la source, le guerrier sentit une question brûler ses lèvres, ne parvenant pas à comprendre comment une telle créature pouvait désirer un vieil homme comme lui, mais il sentit confusément que la poser n'était pas une bonne idée. L'elfe remarqua pourtant son trouble car elle lui sourit soudain de manière étincelante et l'aspergea d'une grande gerbe d'eau glacée en se moquant:
-Encore des questions, Fils de l'orage?
Frissonnant, il lui rendit son sourire en l'enlaçant tendrement:
-Toujours, mais à celle-ci, je préfère ne pas avoir de réponse!
Elle rit avec légèreté, se faufilant hors de l'étreinte en l'aspergeant à nouveau:
-ça suffit, d'abord on mange! Et après...
Son regard se voilà soudainement, elle sortit rapidement de l'eau et s'habilla sans le regarder, rappelée brutalement au présent par ces quelques paroles. Le guerrier sortit de l'eau à son tour et la rejoignit, relevant son menton d'une main tendre et ferme pour accrocher son regard, remarquant les perles qui scintillaient au coin de ses yeux:
-Laewllyn, regarde-moi. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour te mériter, sans doute pas grand chose. Je ne suis pas un puissant seigneur, ni un sage capable de trouver des solutions quand aucune n'apparaît. Je ne suis qu'un homme du nord, ni meilleur ni pire que beaucoup d'autres. Je n'ai ni fortune ni armée, plus de famille, et sans doute mes rares amis sont-ils morts à cette heure. Mais je te fais le serment que s'il existe un moyen de changer le cours du destin pour toi et ton peuple, je le trouverai. Garde espoir, nous allons nous battre, non pas armée contre armée, nous serions écrasés, mais une guerre d'escarmouches, de pièges, et à ce jeu-là le nombre importe peu, j'en sais quelque chose.
Elle le contempla longuement en silence, les larmes ruisselant sur son beau visage, puis elle se blottit dans ses bras en murmurant:
-J'ai si peur...je suis si fatiguée...ne m'abandonne pas...je t'en supplie, ne me laisse pas seule...
-Tu n'es plus seule, tu ne le seras plus tant que je vivrai, je te le promets. Viens, sèche tes larmes et allons manger, ensuite nous préparerons l'avenir.
-Oui...allons...
Il se rhabilla prestement, puis il prit son bras avec douceur pour l'entraîner vers la maison commune où se prenaient les repas, se maudissant de n'avoir de solution concrète à lui proposer. Soudain, son visage s'éclaira et il se figea sur place:
-Je sais! Quel idiot je suis de ne pas y avoir pensé plus tôt!!! Il y a une possibilité, risquée, mais si cela fonctionne...nous aurons une chance, une bonne chance! Viens, allons manger puis, si tu le veux bien, tu réuniras une dizaine des meilleurs chasseurs!
Un peu plus tard, le guerrier expliqua à la douzaine d'elfes qui l'entouraient ce qu'il attendait d'eux:
-J'ai un plan. Un plan quelque peu...hasardeux, mais je crois que nous n'avons pas dix autres options. J'ai besoin que vous me capturiez un officier de l'armée des hommes, de ma taille, vivant et intact, cela vous semble-t'il possible?
Les elfes réfléchirent un instant, échangeant quelques mots à vive allure, puis le plus ancien d'entre eux lui répondit:
-C'est possible, mais ils ne circulent jamais seuls. Nous devrons tuer ceux qui l'accompagnent...
-Nous sommes en guerre, mon ami, et à la guerre, des gens meurent. Nous n'avons pas choisi, vous n'avez pas choisi ce conflit, mais il vous faut vous résoudre, nous devrons prendre des vies pour protéger les nôtres. Le pouvez-vous?
A nouveau les elfes échangèrent quelques paroles animées, puis le même elfe lui répondit:
-Nous ferons ce qui doit être fait.
-Bien. Alors allez, et faites au plus vite sans prendre de risques inconsidérés, chaque elfe comptera, dans les temps à venir.
Les chasseurs acquiescèrent sobrement et se mirent aussitôt en route, le guerrier se tourna vers Laewllyn dès qu'ils eurent disparu dans les frondaisons, la fixant gravement:
-Je veux être franc avec toi. Ce que je vais tenter ne te plaira pas. Ne plaira à aucun d'entre vous. Seulement, je ne vois aucun autre espoir. Alors j'ai besoin de ta confiance, de votre confiance, quoi qu'il arrive, quoi que vous pensiez et à quoi que vous assistiez. Je te demande de réunir tous les tiens, et de leur expliquer la situation. J'ai besoin qu'ils soient avec moi, j'ai besoin que tu sois avec moi, sans compromis, sans hésitation. Acceptes-tu?
-Oui, Fils de l'orage. Je suis avec toi, les miens seront avec toi. Nous n'avons plus d'autre chemin, tous le savent.
-Alors fais vite.
Les elfes s'étaient réunis et avaient palabré longuement, tous jetant de fréquents regards dubitatifs au guerrier qui ne comprenait guère qu'un mot sur trois. Au terme de plusieurs heures de débats, Laewllyn lui sourit et hocha la tête:
-Nous agirons comme tu le dis. Tous sont d'accord.
A partir de cet instant, le guerrier se lança corps et âme dans la préparation des sombres temps à venir, s'efforçant de ne négliger aucun détail. Les elfes confectionnèrent une multitude de pièges dans la forêt selon ses indications: fosses garnies de pieux et si habilement dissimulées que même en sachant où elles se trouvaient il était impossible de les discerner, troncs suspendus et garnis de pointes durcies au feu prêts à ravager les malheureux qui passeraient dessous, arcs reliés à d'ingénieux systèmes qui les déclencheraient au moindre passage, cordes enfouies sous les feuilles qui se tendraient pour rompre une formation de cavaliers, toute la zone entre l'orée de la forêt et le camp elfique fut bientôt un gigantesque traquenard, l'armée qui y pénétrerait serait saignée à blanc. Il fit poster des guetteurs en divers points stratégiques, creuser des abris camouflés où de petits groupes d'archers pourraient se dissimuler pour prendre à revers l'ennemi, et enfin il entraîna les elfes les plus adroits à manier des armes autres que l'arc. Epées, piques, masses, haches, dagues, marteaux et hallebardes, rien ne leur fut épargné. Si les armes d'entraînement étaient en bois lesté, il espérait bien se procurer de véritables instruments de mort dès les premiers combats, chaque ennemi qui tomberait fournirait son lot d'armes et d'armures.
Edité par Noir-feu le 26/06/14 à 17:52
Bart Abba | 27/06/14 12:19
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Noir-feu | 27/06/14 22:42
Au bout d'une douzaine de jours, les chasseurs envoyés en mission revinrent, jetant au pied du guerrier un humain si rudement ficelé et bâillonné que c'était un miracle qu'il vive encore. Breagel'Ann les félicita, heureusement surpris de constater que les elfes s'étaient emparés à cette occasion de plusieurs armes d'acier et de quelques cottes de maille. Il les fit aussitôt distribuer aux plus talentueux, puis s'approcha du prisonnier et retira son bâillon en le fixant durement:
-Je vais te poser quelques questions. Réponds honnêtement et tu vivras peut-être. Mens-moi, refuse de me répondre, et chaque heure te semblera un siècle. Suis-je assez clair?
-Va te faire foutre! cracha le prisonnier.
La main du guerrier fusa et percuta violemment le nez de l'homme, le brisant net. Le prisonnier hurla de douleur, gigotant dans ses liens.
-Il ne me semblait pourtant pas avoir parlé en elfique. Je repose ma question. Ai-je été assez clair?
-Crève, charogne! Traître!
Le guerrier saisit le nez brisé de l'homme entre deux doigts et tordit lentement, fixant froidement l'officier qui hurla à nouveau, les larmes jaillissant de ses yeux exorbités.
-Je vois que tu ne comprends pas. Je vais être aimable pour la dernière fois, et t'expliquer la situation. J'ai besoin d'informations. Mes amis elfes ici présents sont des êtres bons et pacifiques, ils n'imaginent même pas la possibilité de faire parler quelqu'un sous la torture. Mais moi, l'ami, je suis tout à fait capable de te plonger dans un abîme de souffrance si inimaginable que bientôt tu me supplieras de mettre un terme à ta douleur. J'aimerais autant l'éviter, mais si tu m'y contrains, je le ferai sans la moindre bribe d'hésitation. Alors sois tu parles de suite, avec tous tes membres, tes oreilles, tes yeux et j'en passe des excellentes, soit tu t'entêtes et tu parleras avec quelques morceaux en moins. Dans tous les cas j'apprendrai ce que je veux savoir, c'est toi qui vois le comment. Limpide, cette fois?
Le prisonnier lui cracha dessus avant de marmonner:
-Va te faire foutre, je t'ai dit!!!
Posément, le guerrier attrapa une poignée de feuilles avec lesquelles il s'essuya soigneusement, puis il fit signe aux elfes de s'éloigner avant de se retourner vers le prisonnier.
-Bon. On commence par quoi? Les ongles des doigts de pied? Ou peut-être, quelques pouces de peau ici et là? C'est excessivement douloureux, l'écorchage. J'ai vu une fois un type devenir littéralement fou de douleur après qu'on lui ait pelé la moitié d'un bras. Certains bourreaux, dans le sud, mettent un peu de miel sur la chair à vif pour attirer les fourmis et les guêpes. Ces satanées bestioles sont voraces, elles aiment la viande autant que le miel, seulement un grand gaillard comme toi, il va leur falloir un sacré moment pour le ronger. Il y a un pot de miel dans la maison commune, une fourmilière à une centaine de mètres, et des nids de guêpe, je pense que mes amis en trouveront un ou deux facilement. Dois-je faire quérir le nécessaire?
Les yeux de l'officier reflétaient maintenant une sourde panique, il devait en savoir assez sur les elfes pour se douter qu'ils étaient incapables de le torturer, voire de le tuer, aussi ne s'était-il sans doute pas vraiment senti en danger avant de comprendre que l'homme qui se tenait maintenant au-dessus de lui ne ferait preuve d'aucune sensiblerie. Malgré cela, une vie d'obéissance et de loyauté aveugle à son seigneur le força à répondre:
-Tu n'apprendras rien de moi, sale petit dégénéré fricoteur d'elfes!
Le guerrier soupira doucement, puis il saisit l'un des doigts du prisonnier et commença à le tordre lentement, soutirant un nouveau hurlement de souffrance lorsque le doigt arriva à son point de rupture. Un craquement sec retentit lorsque l'os se brisa, le guerrier remarqua calmement:
-Tu en as vingt, des comme ça. Et la douleur d'un os brisé n'empêche pas la souffrance d'un pelage en règle, ou de l'arrachage d'un ongle. Je continue?
-Je t'emmerde!!!
-Effectivement, un peu, je n'aime pas ce que je suis en train de faire, vois-tu, seulement, je n'ai pas d'autre choix, je dois savoir.
Il se releva et héla un elfe à qui il demanda de lui apporter une dague effilée et un pot de miel, ce qui plongea l'humain dans un état de panique avancé. Il se démena comme un diable pour briser ses liens, mais rien n'y fit, les elfes connaissaient leur affaire. Enfin, lorsque la dague et le miel furent remis au guerrier, l'officier céda en hoquetant:
-Je vais parler! Je vais parler, par pitié!!!
-Pitié? Nous verrons. Mais c'est un bon début. Ma première question: où se trouve actuellement votre seigneur?
-A Mirevelles.
-Mmm. Qui sont ses héritiers?
-Son fils Romuald, puis son oncle Vanat de Tor-madar.
-Pas d'autres?
-Non, le dernier né du roi est mort d'une fièvre l'hiver passé.
-Bien. Ton salut se rapproche, pour autant que ces informations soient exactes. Je vérifierai, avant de te libérer bien entendu. Ce fils et cet oncle, où sont-ils actuellement?
-Romuald est avec son père à Mirevelles. Il n'a que douze ans. Vanat est au col du faucon, il dirige les défenses contre le nécromant.
-Excellent.
Le guerrier se fit amener un peu d'eau et en versa entre les lèvres crevassées de soif du prisonnier avant de poser la question suivante:
-J'ai entendu dire qu'il y avait eu une bataille récemment contre les armées de ce nécromant, que s'est-il passé?
-Son avant garde s'est engagée dans la passe aux échos, mais comme ils ne connaissent pas la région, ils ignoraient qu'une deuxième passe, plus étroite, existe. Lorsque ils ont donné l'assaut de la forteresse des trois soeurs, Vanat leur est tombé dessus à revers avec le gros de l'armée, l'avant garde a été anéantie.
-Cette avant-garde, combien étaient-ils?
-Quelques milliers, six ou sept je dirais, mais je n'y étais pas, c'est ce qui s'est raconté.
-Ils étaient deux ou trois fois ça à Tarmaeth, non? On m'a dit que la ville était tombée presque sans résistance, ce n'est donc pas là qu'ils ont perdu autant de combattants...
-Tarmaeth...Vanat avait dit à notre seigneur de ne pas faire confiance à ces chiens galeux de mercenaires. Au premier assaut ils se sont débandés, ils auront grossi le nombre d'assaillants pour dissimuler leur couardise, cracha avec mépris l'officier.
Le guerrier sourit légèrement, songeant que, quelques semaines plus tôt, ces paroles auraient valu à l'humain de passer un sale quart d'heure. Il conserva néanmoins un calme imperturbable et poursuivit son questionnement:
-Combien d'hommes avez-vous du côté des trois soeurs?
-Une dizaine de milliers, dont la moitié de nouvelles recrues levées sur l'arrière-ban.
-Et le reste?
-L'armée campe sous les murs de Mirevelles.
-Prudent, ce cher sire. Combien?
-Environ vingt mille.
-Mmm. ça fait beaucoup de bouches à nourrir après un hiver aussi rude. Il a prévu de lancer une attaque contre nous, n'est-ce pas?
-...
-Tsss...allons, soyons bon prince pour une fois, je repose ma question. Il a prévu de nous attaquer?
-Oui...
-Quand?
-Je ne sais pas. Pas avant la fin de l'été.
-Pourquoi si tard?
-Parce que notre sire fait construire des catapultes et des trébuchets en grand nombre. Il veut vous écraser sous un déluge de roc et de feu...
-Je vois. Bien, ce sera tout pour le moment. Je vais vérifier tout cela, si tu m'as menti...pas besoin d'un discours, pas vrai?
-Je n'ai pas menti. A quoi bon? Vous êtes quelques centaines de pouilleux incapables de former une troupe cohérente...
Le coup fut rude, fracassant quelques côtes de l'officier qui hurla et jura tout ce qu'il savait. Lorsque il fit à nouveau silence, livide et à bout de souffle, le guerrier se pencha près de son oreille et lui murmura:
-Règle numéro un: tu n'insultes jamais, je dis bien jamais, mes amis. Recommence ça et je te pends avec tes propres tripes. Compris?
Le prisonnier acquiesça frénétiquement, grimaçant de douleur à ce simple geste. Le guerrier se releva et appela Laewllyn qui arriva rapidement, pâle et tremblante, mais résolue.
-Il serait bon de garder quelques temps ce serviable officier parmi nous. En vie, s'entend, mais soigneusement entravé et gardé. Oh, quelques soins seraient aussi appréciables, mais...
Il s'approcha d'elle pour lui murmurer quelque chose au creux de l'oreille, ce qui fit rire l'elfe qui le repoussa d'une bourrade peu convaincue.
-Idiot! Enfant! C'est un homme!
Le guerrier rit légèrement, puis désigna le prisonnier:
-Une fois qu'il sera bien à l'abri, il faut que nous parlions.
-Alors ne tardons pas.
Bien vite, à la demande de Laewllyn, l'officier fut conduit dans une demeure inoccupée par quelques elfes, Breagel'Ann fit un rapide résumé des informations obtenues à sa compagne, puis remarqua d'un air préoccupé:
-Il y avait largement plus de six ou sept mille combattants à Tarmaeth. Plutôt quinze ou vingt, je dirais. Où sont passés ceux qui n'étaient pas aux trois soeurs?
-Je ne sais pas...
-Nous devons l'apprendre, et vite. Enfin, ce n'est pas la priorité, mais c'est inquiétant. Maintenant...
Il prit les mains de l'elfe dans les siennes, la dévisageant avec intensité:
-Je vais me rendre chez les hommes, et tenter de réaliser mon plan. Je serai absent deux, trois mois, peut-être un peu plus. Si au milieu de l'été je ne suis pas revenu...
-Ne le dis pas, l'interrompit-elle, cela porte malheur. Vas, Fils de l'orage, vas et reviens-moi vite. Mais avant...
Elle l'entraîna vivement vers leur demeure et, dès qu'ils furent hors de portée des regards, elle se jeta à son cou et le renversa sur les tapis moelleux, visiblement bien décidée à exiger un dernier moment intime avant de le laisser partir.
Le lendemain matin, le guerrier se prépara rapidement, n'emportant que le strict minimum en dehors des armes et de l'armure de l'officier. Il fit ses adieux à la tribu, puis à Laewllyn, le coeur serré à s'en briser de la quitter. Lorsque il se détacha d'elle, elle pleurait, le dévorant des yeux, s'efforçant de toute sa volonté de conserver un air digne. Au moment où il se retournait pour partir, elle murmura:
-Fils de l'orage?
-Oui, Lune d'argent?
Elle se rapprocha de son oreille et murmura de manière à ce que lui seul entende:
-Je porte ton enfant. Je voulais que tu saches avant...avant que...
Sa voix se brisa, son regard empli d'eau salée fixant le guerrier avec un étrange mélange d'angoisse et d'espoir, tandis que lui, complètement effaré de la nouvelle restait aussi figé qu'une statue, répétant comme s'il pensait avoir mal entendu ses mots:
-Tu...portes...notre enfant...? C'est...je...
Il respira amplement pour retrouver ses esprits, puis emporté par une joie torrentueuse, la souleva de terre en riant et la fit tournoyer dans les airs avant de l'étreindre avec force et de couvrir sa chevelure et son visage de mille baisers. Enfin, il s'écarta d'elle à regrets, la contemplant de tous ses yeux, de toute son âme.
-Je reviendrai vite. Prends soin de toi, de vous..de vous tous. A bientôt, Laewllyn.
Sachant que s'il tardait plus le courage de partir le fuirait définitivement, il l'embrassa une dernière fois et se mit en route sans se retourner, se dirigeant avec prudence vers l'orée de la sylve, peu désireux de tester les pièges installés.
Edité par Noir-feu le 27/06/14 à 22:52
Bart Abba | 28/06/14 14:18
S'installe sur un banc avec un sac de pop-korm et un fût à portée de chope.
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Dread Bob | 28/06/14 22:06
Bob Dread, petit frère de Ryuk
Hordeux un jour, ......
Ben hordeux le lendemain toujours
Noir-feu | 28/06/14 23:03
*petite courbette pour remercier les quelques spectateurs de leurs encouragements*
Dread Bob> Qui donc?
Noir-feu | 30/06/14 01:01
Il lui fallut douze nuits de marche rapide pour parvenir aux monts verdoyants, lieu où il avait décidé d'entamer la mise en oeuvre de son plan. Se dissimulant le jour, il emprunta des chemins de traverse peu fréquentés, évitant villages et voyageurs avec le plus grand soin, trouvant ici et là de quoi se nourrir chichement, racines et jeunes pousses avaient constitué son ordinaire, agrémenté une fois d'un lièvre imprudent qui s'était attardé pour observer le voyageur. Arrivé aux environs de la forteresse des trois soeurs, il dissimula son paquetage dans un amoncellement de rochers à l'écart de la route avant de s'approcher discrètement des fortifications. Les traces d'un combat s'y devinaient encore, bien que plusieurs semaines se fussent écoulées depuis: champs dévastés et brûlés, nombreux restes des bûchers qui avaient dû servir à se débarrasser des corps, quelques fosses récemment comblées, armes et pièces d'armures inutilisables traînant au hasard, déjà largement piquées de rouille, tout disait que la région était en guerre. Il se dissimula aux abords de la route et attendit patiemment qu'un attelage solitaire passe, conduit par un gras marchand qui espérait sans doute tirer bon profit de ses marchandises dans une zone où peu de ravitaillement devait arriver. Le guerrier s'assura qu'aucun autre humain n'était visible puis, comme une ombre, il se faufila derrière le lourd chariot et y grimpa sans attirer l'attention du marchand, visiblement pressé d'arriver à destination ce dernier semblait avoir oublié toute vigilance. Il sifflotait doucement lorsque les mains du guerrier lui saisirent la tête et lui brisèrent la nuque d'une brutale torsion. Vivement, Breagel'Ann tira le corps à l'intérieur du chariot et entreprit de le dépouiller de ses vêtements qu'il passa après avoir ôté ses frusques elfiques. Ils étaient légèrement trop serrés, mais le guerrier n'avait guère le temps d'attendre que passe un hypothétique civil de la même taille que lui, ce qui n'était guère courant car il dépassait d'une bonne tête la plupart des humains de ces régions. Avisant un chaos rocheux, il y dirigea le chariot et l'arrêta une fois hors de vue du chemin. Rapidement il dissimula le corps sous des rochers, abandonnant avec lui ses vêtements d'elfe, fit un rapide examen du contenu du char, puis il remit l'attelage en route et le dirigea vers la forteresse. Un peu plus tard, il parvint aux portes closes défendues par une douzaine de gardes qu'il salua avec l'humilité un peu craintive qu'ils étaient en droit d'attendre d'un simple marchand.
-Le bonsoir, messires. J'ai là du boeuf salé et quelques fûts de vin de nature à réconforter les braves défenseurs du royaume...
-Du vin, dis-tu? Voyons un peu ça, fit le chef des gardes en faisant signe à deux de ses hommes de fouiller le chariot tandis qu'il s'approchait pour dévisager le marchand avec suspicion. Rude gaillard, pour un marchand...tu viens d'où?
-De l'ouest, messire, une petite bourgade du nom de Tibalyr. On m'a dit que les prix étaient meilleurs ici, et comme l'hiver a été fort rude...
Les deux hommes chargés de la fouille revinrent vers leur sergent et confirmèrent la nature du chargement, ce qui sembla détendre l'officier.
-Tu tireras un bon prix de ton vin s'il est potable. Passe.
-Le merci, messires, et la bonne nuit.
-C'est ça, fit le sergent en faisant ouvrir les lourdes portes. Le marché est à gauche après avoir passé la poterne.
Souriant humblement, le guerrier fit claquer les rênes et entra dans la forteresse en réprimant un soupir de soulagement. Il ne tarda pas à arriver sur une petite place coincée entre deux murailles sur laquelle se tenait un petit marché misérablement fourni. Avisant une auberge sur l'un des côtés, il y guida l'attelage et le fit stopper devant les écuries, aussitôt accueilli par un mioche crasseux qui en jaillit comme un diable de sa boîte.
-M'sire, j'peux quèque chose pour vous?
-Il vous reste une chambre et une place pour mon chariot?
-Sûr, ça! Pour la chambre, faut voir avec l'patron, pour l'chariot j'm'en occupe!
-Parfait...si tu le surveilles bien, tu auras une pièce demain, répondit le faux marchand en descendant lourdement du char pour se diriger vers la porte de l'auberge dans laquelle il entra avec le sourire béat d'un homme fatigué d'une longue route qui a hâte d'un bon repas et de quelques pichets de bière.
La salle était modeste, enfumée par un âtre mal conçu et peu reluisante, les quelques tables accueillaient une dizaine d'hôtes, gardes au repos et marchands confondus. Il repéra l'aubergiste et s'en approcha en saluant de la tête les convives.
-Ha! Brave aubergiste, seriez-vous celui qui va me rendre le sourire en m'annonçant un lit confortable et une assiette bien garnie??
-Holà, marchand. Ma foi, ça s'peut, si t'as d'quoi...
Le guerrier sortit une pièce d'argent de la bourse dérobée au marchand et la glissa dans la main de l'aubergiste qui l'examina d'un air méfiant avant de l'empocher avec un sourire.
-ça ira. Assieds-toi quèque part, j't'amène du ragoût et d'la bière.
Le guerrier sourit comme celui qui voit son plus cher désir se réaliser et prit place dans un coin, écoutant les conversations discrètement. Bien vite, une chope de bière brune au fumet amer et un assiette de ragoût fumant comportant quelques discrets morceaux de viande filandreuse lui furent servis, aussi entreprit-il de se restaurer tandis que les rares clients discutaient avec animation des derniers événements. Il apprit ainsi que les restes de l'armée du nécromant avaient fui vers le nord, sans doute pour rejoindre le gros des troupes, et que le seigneur Vanat de Tor-madar était bien dans les murs, ce qui lui apporta un soulagement qu'il évita soigneusement de montrer. Ayant achevé sa gamelle, il salua l'assemblée et demanda à l'aubergiste de lui montrer sa chambre, le suivant à l'étage en soupirant alors qu'il gravissait les marches raides. La chambre était aussi miteuse que le reste de l'auberge, mais la paillasse semblait propre et dépourvue d'hôtes indésirables. Une étroite fenêtre donnant sur la cour laissait entrer les dernières lueurs du jour, sur une mauvaise table un vague reste de chandelle de suif trônait aux côtés d'une cuvette de faïence ébréchée remplie d'eau douteuse. Le faux marchand remercia l'aubergiste et verrouilla la porte avant de se diriger vers la fenêtre pour observer soigneusement ce qu'elle lui dévoilait. Il sourit pour lui-même, puis retourna la paillasse pour s'assurer qu'elle ne contenait ni puces ni punaises. Satisfait de son examen, il s'étendit et s'endormit presque aussitôt. Le lendemain, après un déjeuner frugal de gruau d'avoine parsemé de quelques copeaux de beurre si fins qu'on voyait au travers, il alla se balader dans la forteresse en attendant l'ouverture du marché, adoptant l'air du badaud désoeuvré tout en gravant dans sa mémoire tous les détails possibles. L'heure venue, il installa son stand sur la place et joua son rôle la journée durant, écoulant un bon tiers de sa marchandise avant la nuit. Cela ne manqua pas de l'inquiéter un peu, car une fois qu'il aurait épuisé son stock, sa présence deviendrait vite suspecte s'il s'attardait. Il résolut donc de ne pas attendre pour mettre son plan à exécution et attendit impatiemment que minuit fut passé pour sortir discrètement de sa chambre en se glissant à l'extérieur par l'étroite fenêtre tout juste suffisante à le laisser passer. Après avoir éprouvé la solidité de la gouttière qui passait juste au-dessus de la chambre, il se hissa d'une puissante traction et se rétablit sur le toit avec l'agilité d'un chat, se plaquant aux tuiles afin de limiter les risques d'être aperçu. Répartissant son poids le plus également possible sur ses pieds et ses mains pour éviter le bris sonore d'une tuile, il gagna le faite accolé à la muraille, examinant brièvement la maçonnerie avant d'en entreprendre l'escalade silencieusement. Les joints entre les pierres de taille étaient peu profonds, mais le guerrier avait gravi des falaises autrement difficiles dans sa jeunesse, aussi parvint-il rapidement sur le parapet après s'être assuré que nulle ronde ne risquait de le surprendre. Courbé, il avança rapidement jusqu'à la première tour. L'un de ses côtés était accolé à la deuxième enceinte, s'il parvenait à la gravir il pourrait alors envisager de s'approcher de la troisième, dont il n'avait encore rien vu hormis les quelques sommets de tours qui dépassaient. Il fit jouer ses muscles pour les échauffer correctement tout en observant attentivement la façade pour y trouver la voie la plus facile, réalisa soudain qu'une fissure la parcourait presque de haut en bas, minime, mais suffisante pour y insérer les doigts et y prendre un maigre appui pour les pieds. Sans plus traîner, il se lança dans l'escalade, avançant avec prudence et assurant chacune de ses prises avant de passer à la suivante. Mieux valait ne pas tomber, la chute d'une trentaine de mètres ne lui laisserait aucune chance de survie, et il entendait bien retrouver Laewllyn et leur futur enfant ailleurs que dans les limbes.
Après près d'une heure, il parvint aux créneaux, se figeant net en entendant le raclement de semelles sur la pierre. Attentif, il détermina rapidement qu'il n'y avait qu'un seul garde, sans doute frigorifié car l'air était encore frais et rien ne vaut une bonne armure de ferraille pour geler, qui faisait des allers-retours pour se réchauffer. Dès que les pas recommencèrent à s'éloigner, il se hissa agilement sur le parapet, dégaina la longue dague qu'il tenait dissimulée sous ses vêtements et bondit sur le garde qui se trouvait de dos. La lame effilée pénétra à la base du cou comme dans du beurre et transperça le coeur de l'homme avant qu'il ne réalise ce qui lui arrivait. Le guerrier accompagna le corps dans sa chute pour en atténuer le bruit, plissant les yeux en scrutant les alentours pour s'assurer que nul n'avait remarqué le meurtre. Tout semblant calme, il récupéra l'épée du garde mort, adossa le corps à la muraille en lui donnant la position d'un dormeur puis examina la suite du chemin qu'il devait emprunter. Battus par les vents et érodés par les pluies, les moellons de la partie haute de la deuxième enceinte étaient fréquemment disjoints, il gravit donc sans difficulté cet obstacle et parvint rapidement sur le chemin de ronde désert. Il grimaça en s'apercevant que la dernière enceinte était séparée par un assez large espace désert et qu'il n'y avait aucun moyen de passer de l'une à l'autre sans se découvrir salement. Jurant intérieurement, il se dirigea d'un pas vif vers la porte qui donnait accès à l'intérieur de la tour la plus proche et écouta attentivement. Nul bruit ne se faisant entendre, il l'ouvrit précautionneusement et s'enfila dans l'escalier en colimaçon, le dévalant aussi silencieusement que possible. Quelques étages plus bas, des éclats de voix lui parvinrent de derrière une porte qui barrait l'escalier. Il estima aux différentes sonorités qu'il y avait là au moins trois gardes, ce qui le contraria fortement. Même avec l'effet de surprise, il était peu probable qu'il parvienne à se débarrasser de trois types en armure sans leur laisser le temps de donner l'alerte, mais il savait pertinemment qu'il n'y avait pas d'autre issue. Il respira amplement, assura sa prise sur la garde de l'épée et pesa de l'autre main sur la poignée en espérant que l'huis n'était pas barré et ses gonds graissés...La chance souriant de temps à autre aux audacieux, la porte exauça ses espoirs et s'ouvrit sans bruit, dévoilant une petite salle ronde pourvue d'une table, d'un âtre ronflant et de quelques tabourets sur lesquels se tenaient trois gardes en pleine partie de dés.
Zorander | 30/06/14 11:31
S'assit à côté de Bart, apportant un second fût mais de Frakasskrane, deux pintes, les remplit et en proposa une à son chef. Puis piocha dans le pop corn en attendant la suite avec intérêt.
Khan Zorander - chef des orcs de l'Empire de Bandakar
Bart Abba | 30/06/14 12:46
Siffle la Frakasskrane d'un trait.
- Merci, Zorro ! Hé Bobby, tu peux aller rechercher du Pop-Korm chez le Géant Vert, how how how, t'en prend vingt-cink kilos, la fin de ce passionnant récit ne semble pas très proche !
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Edité par Bart Abba le 30/06/14 à 12:47
Noir-feu | 02/07/14 09:52
Le premier mourut tandis qu'il jetait les dés, l'épée du guerrier le décapitant à moitié au terme d'une courbe létale, le deuxième se levait lorsque la dague que le guerrier avait saisie aussitôt la porte ouverte se ficha dans son oeil droit, lancée à toute volée elle lui perça le cerveau et le tua sur le coup. Le troisième garde eut le temps de dégainer son épée, mais le fourreau de son arme se prit dans les pieds du tabouret et le ralentit un bref instant. Il n'en fallut pas davantage pour que le poing du guerrier vienne percuter son casque au niveau de la tempe avec une effroyable violence, le projetant contre le mur où il s'assomma. Remerciant les forces de leur complaisance, il s'accroupit auprès de l'inconscient et l'égorgea comme un pourceau à l'abattoir. Se relevant vivement, il écouta un instant. Rien...il enfila le casque et la cotte de maille du mort le plus corpulent, se rendit vers la porte opposée et poursuivit sa descente, parvenant quelques instants après au rez de chaussée. Il entrouvrit l'huis et scruta la pénombre sans y discerner âme qui vive. Le coeur battant à tout rompre il quitta l'abri de la tour et adopta l'allure du soldat qui a terminé sa garde et regagne ses quartiers, tentant d'imaginer une manière de franchir l'ultime rempart. Si les deux premiers avaient subi les avanies du temps, la troisième était, elle, parfaitement entretenue, ne dévoilant nulle faille susceptible de permettre une escalade. Plissant les yeux de contrariété, le guerrier poursuivit sa marche, apercevant bien trop vite à son goût la poterne principale devant laquelle se tenaient deux soldats qui battaient la semelle pour se réchauffer. Il hésita un instant, mais ne voyant aucune autre possibilité, il se dirigea d'un pas tranquille vers eux. La nuit était sombre et les gardes désoeuvrés, ils ne se méfièrent pas une seconde en voyant arriver un gaillard qui ne pouvait qu'être un des leurs, comme en témoignait l'armement réglementaire qu'il portait. Il les salua:
-B'soir les gars. ça caille, pas vrai?
-Foutrement. Vivement la relève...
Lorsque il entra dans la lumière des deux torchères qui illuminaient maigrement les environs d'une lueur vacillante, l'autre garde fronça les sourcils:
-J't'ai jamais vu dans l'coin, toi...
L'esprit en ébullition, le guerrier se souvint d'une conversation entendue à l'auberge la veille au soir:
-J'suis arrivé y'a deux jours, avec l'capitaine Barod, on m'a collé une foutue garde c'te nuit pasque j'ai oublié d'saluer un coup...
-Ah. Bon. Et qu'est-ce tu veux?
-Ben...j'suis un peu paumé, l'est grande c'te putain d'forteresse...j'cherche le mess...
-Le mess c'est derrière toi mon gars. Ici c'est la d'meure du commandant.
-Ah. Merde. Bon, ben...j'vous d'mande pas d'le saluer d'ma part, hein, doit s'préoccuper d'nous comme d'son premier maccab...plaisanta le guerrier.
Les deux soldats rirent et le saluèrent alors qu'il faisait demi-tour. Au bout de trois pas il s'arrêta comme celui qui se souvient soudain de quelque chose, se retourna et demanda aux gardes:
-Dites les gars...j'peux vous d'mander un truc, vous qu'êtes du coin?
-Dis toujours?
Il se rapprocha d'eux et prit un air conspirateur pour demander à mi-voix:
-J'sais qu'c'est pas trop bien vu, mais...y'aurait pas moyen d'boire un coup, dans l'coin? F'rait du bien, un gorgeon, par c'te caillante.
Les deux gardes se regardèrent un instant, hésitants, puis l'un d'eux répondit:
-Y'a moyen. J'te laisse passer, mais tu traînes pas, y'a les cuisines collées au donjon, l'cuistot c't'un pote d'mon village, un bon gars. Tu lui dis qu'tu viens d'la part d'Osfrid, y t'filera un coup à boire.
Le guerrier eut un sourire complice et entendu:
-Toi t'es un chic type, parole! J'te r'vaudrais ça!
-Ouais...mais fais vite, dans un d'mi sablier c'est la r'lève, y'en a des moins sympa qu'nous.
-Sûr, ça! J'me grouille. Merci.
Les deux gardes s'écartèrent après avoir entrouvert l'un des battants, le guerrier leur adressa un clin d'oeil et entra dans la troisième enceinte, se dirigeant droit vers les cuisines indiquées. Dès qu'il fut certain d'être hors de leur vue, il changea de direction et se faufila dans une ruelle qui, il l'espérait, le mènerait à l'arrière desdites cuisines. Peu après, un alléchant fumet lui parvint, indiquant que sa supposition était juste. Il sourit pour lui-même et d'un pas pressé s'approcha, avisant une porte à moitié ouverte d'où provenaient divers bruits de casseroles et autres ustensiles. Il frappa et entra dans la salle à la chaleur suffocante où s'affairaient deux aides et un énorme cuistot rubicond, attirant aussitôt tous les regards. Il salua d'un signe de tête et se dirigea droit vers le cuisinier comme si sa présence ici était tout à fait normale, examinant les lieux sans le laisser paraître.
-Bonsoir, j'viens d'la part d'Osfrid...m'a dit qu'ici y'avait moyen d'réchauffer un bon type...
Le cuistot renifla et houspilla ses marmitons pour les remettre à l'ouvrage avant de faire signe au guerrier de le suivre dans l'arrière cuisine. Il s'empara d'une cruche posée sur une étagère, en retira le bouchon de liège et la tendit au visiteur qui s'en saisit d'un air réjoui et but une gorgée du tord-boyaux avec un grondement de satisfaction.
-Aaaaahhh! ça fait du bien! Compagnon, j'te dois la vie!
Le gros homme éclata de rire et haussa les épaules:
-Les amis d'Osfrid sont mes amis, m'a sorti d'un sale pétrin, dans l'temps.
-Un bon gars, y'a pas d'doute! Bon, c'est pas tout ça, mais y m'a dit d'me grouiller, cause d'la r'lève...
-Vaut mieux, ouais, vaut sacrément mieux. C'est les aigles qui prennent la suite, y rigolent pas les bougres.
Le guerrier dut puiser dans toutes ses ressources pour éviter de montrer sa surprise et sa contrariété. Les aigles était le nom donné aux troupes d'élite du roi, leur réputation était édifiante, on les disait aussi humains qu'un bloc de glace, ils passaient pour avoir ingéré le règlement à leur naissance et être aussi complaisants qu'un bourreau. Mais cela était le moindre des soucis, c'étaient surtout des vétérans aguerris et dévoués corps et âme au roi. Il prit une nouvelle gorgée pour dissimuler son trouble et se donner une seconde de réflexion, puis il haussa les épaules et rendit la cruche au cuistot qui la reboucha soigneusement avant de la reposer à sa place. Le tranchant de la main du guerrier lui défonça la trachée au moment où il se retournait, suffoquant aussitôt, les yeux exorbités de surprise tandis qu'il s'effondrait en agonisant. Le guerrier secoua tristement la tête en murmurant:
-Désolé mon gars, vraiment...mais tu ne m'aurais pas laissé faire et je n'ai pas le choix...
Soupirant, il retourna dans la cuisine, dissimulant sa dague contre son avant bras. L'un des marmitons touillait paresseusement une vaste marmite, il lui tournait le dos, l'autre épluchait des carottes et lui adressa un bon sourire auquel le guerrier répondit. Lorsque il passa à côté, son bras se détendit comme un fouet alors que la dague s'écartait de sa peau, plongeant à la base du cou et perforant le coeur du jeune garçon qui s'effondra avec un infâme gargouillis. L'autre marmiton n'avait rien remarqué, aussi le guerrier s'approcha-t'il à pas de loup pour lui faire subir le même sort, ce qui ne prit qu'un instant. Pressé, le guerrier alla barrer la porte arrière, sachant qu'il ne disposait désormais plus que de quelques minutes de répit avant que les corps ne soient découverts. Il fonça vers la porte qui reliait les cuisines au donjon proprement dit, la franchit sans marquer de pause et courut jusqu'au bout du couloir qui lui faisait suite. Là, une nouvelle porte lui barra le chemin, mais elle n'était pas close et il ne perdit pas une seconde à la franchir également, parvenant dans une assez vaste salle qui devait servir aussi bien pour les banquets que pour les audiences à en juger par son aménagement. Elle était par chance déserte à cette heure, ce qui permit au guerrier de prendre quelques brefs instants pour essayer de s'orienter. Avisant la porte principale, il songea que la suite allait se corser sévèrement. Il n'était pas rêveur au point de supposer que le maître des lieux serait atteignable sans devoir passer sur le corps de quelques gardes, mais outre qu'un combat en règle déclencherait une véritable chasse à l'homme, le fait que ce soit la cohorte des aigles qui tienne lieu de gardes du corps allait lui rendre la tâche nettement plus difficile. Il murmura sombrement:
-Puissances...donnez-moi la force...donnez-moi de la revoir en ce monde...
Prenant son courage à deux mains, il se dirigea vers la porte principale et l'ouvrit. Six paires d'yeux glacées se tournèrent immédiatement vers lui. Six guerriers bardés d'armures de plate et équipés de lourdes épées à une main et demi se levèrent comme un seul, si le grossier déguisement de l'intrus avait trompé la piétaille il était évident qu'eux n'étaient pas dupes. Ils dégainèrent d'un même geste, trois d'entre eux s'avançant rapidement droit sur lui tandis que deux autres entamaient un mouvement tournant pour l'encercler. Le dernier tenta de s'esquiver, sans doute pour donner l'alerte, mais la dague que Breagel'Ann venait de lancer de toute sa force le cueillit à la gorge alors qu'il se retournait. Il porta ses deux mains à son cou d'un air étonné en tombant à genoux, son sang s'échappant à gros bouillons de la blessure mortelle. Puis ce fut le chaos.
Bart Abba | 02/07/14 21:09
Ha mais, c'est ki ki a koupé le son juste au moment où ça allait chauffer !?
Zorro, c'est toi !?
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Noir-feu | 05/07/14 00:12
D'une rude poussée du pied, le guerrier projeta un banc dans les jambes des trois qui s'avançaient rapidement sur lui. Deux parvinrent à l'éviter, le troisième eut moins de chance et le lourd meuble percuta violemment ses tibias, le faisant lourdement chuter dans un grand fracas métallique. Se déplaçant en crabe à toute vitesse sur la gauche, Breagel'Ann brisa la manoeuvre d'encerclement en engageant le combat avec le soldat qui avait choisi ce côté. Les lames entrèrent en contact dans une pluie d'étincelles, ne s'écartant que pour mieux s'embrasser à nouveau d'une létale éteinte où la moindre erreur signifierait la mort pour l'un des deux protagonistes. Le guerrier savait que le temps jouait contre lui, dans peu de secondes les autres seraient en mesure d'entrer dans la valse et cela sonnerait sa fin, il devait en finir immédiatement avec son premier adversaire s'il voulait avoir une maigre chance de s'en sortir. Mais ce dernier n'avait rien d'un novice et para avec un art consommé la redoutable avalanche de coups que lui asséna le guerrier. Déjà un deuxième soldat entrait dans la danse, l'obligeant à reculer précipitamment sous peine d'y laisser un bras. Jurant comme un charretier, il tenta de se dégager en bondissant sur la droite pour surprendre le troisième et le placer entre lui et les autres, mais les vétérans ne se laissèrent pas prendre au subterfuge et joignirent leurs efforts pour l'acculer dans un coin de la salle. Il songea brièvement que c'était vraiment trop con d'avoir survécu à tant de guerres pour finir là, dans une salle de banquet, écrasé par cinq types bardés d'acier des pieds à la tête. Une lame franchit sa garde et vint crisser contre la cotte de maille dérobée un peu plus tôt, faisant éclater quelques maillons sans parvenir à trouver la chair, il en para une autre qui menaçait ses genoux, se plia en arrière avec une souplesse qu'il ne se connaissait pas pour éviter le large fauchage destiné à sa tête, encaissa le plat d'une quatrième qui le percuta à l'épaule avec rudesse avant de parvenir à envoyer le pommeau de sa propre épée fracasser le visage de l'un d'eux. Le coup ravagea les dents du soldat, lui brisant également la mâchoire dans la foulée, mais cette brève victoire se retourna contre le guerrier quand le blessé tournoya sur lui-même sous l'impact, l'obligeant à reculer pour ne pas s'empêtrer dans ses membres gesticulants et chuter avec lui. Il vit des étoiles lorsque une épée percuta son casque et le lui arracha. Secoué, il bondit à l'aveuglette en arrière pour esquiver le coup suivant qui lui frôla le cuir chevelu, balaya d'un large cercle l'espace devant lui pour les obliger à garder leurs distances en comprenant qu'il ne tiendrait plus très longtemps à ce rythme. Il essuya d'un rapide revers la sueur qui lui coulait dans les yeux, réalisant vaguement que sa main était poisseuse de sang, puis il serra les dents à les briser et s'apprêta à mourir en voyant les quatre soldats restants avancer sur lui en un demi-cercle mortel.
Sa stupéfaction ne connut pas de bornes lorsque une flèche vint se ficher dans le front de l'un d'eux, le tuant sur le coup. Il ne réfléchit pas et laissa son instinct dicter ses gestes, bondissant en avant avec une témérité insensée pour percuter le soldat le plus à droite de toute sa masse, le renversant comme une quille. Il accompagna sa chute, roula comme un dément pour éviter la pluie d'acier qui s'abattait, se redressa sur un genou de toute sa rapidité et balaya l'espace à hauteur de mollet d'un puissant revers, tranchant net malgré l'armure une jambe qui se trouvait sur la trajectoire. Hébété, il se releva d'un bond pour faire face aux coups suivants, s'apercevant soudain que ses derniers adversaires gisaient à terre, transpercés de flèches. S'efforçant de rassembler ses esprits, il chercha l'archer qui venait de lui sauver la vie et manqua s'étouffer en apercevant l'elfe dans l'encadrement de la porte menant aux cuisines. Secouant la tête avec un air de totale incompréhension, il murmura en elfique:
-Liviëll?! Que...bon sang...que fais-tu là?!!
L'elfe aux cheveux argentés qui l'avait accueilli à son arrivée chez eux lui sourit légèrement en répondant:
-Trop de questions, toujours, enfant. Notre Mère m'a demandé de veiller sur toi.
Il jeta un rapide coup d'oeil circulaire pour s'assurer que nulle menace immédiate ne les guettait, puis il s'approcha d'elle d'un pas vif et lui pressa doucement l'épaule en la fixant gravement:
-Je te remercie, Liviëll. Mais il faut que tu t'en ailles, maintenant. Ton...notre peuple ne doit pas être associé à ça. Repars pendant que tu le peux, une fois le jour levé tu seras beaucoup trop repérable. Seul, j'aurais une chance, je suis un homme parmi d'autres.
-Enfant, tu es notre seul espoir. Si tu meurs, nous mourrons aussi. Je serai heureuse de donner ma vie si cela nous donne l'espoir. Je viens avec toi.
Comprenant à son air déterminé qu'il ne la ferait pas changer d'avis, il acquiesça en soupirant et lui fit signe de le suivre. Ensemble ils franchirent la porte de la salle de banquet, parvenant dans un vaste hall désert où se trouvait un monumental escalier donnant accès aux étages. Quatre à quatre ils gravirent les marches, ne s'arrêtant qu'aux paliers pour s'assurer que nul ne traînait dans les couloirs. Ils arrivèrent sans encombres à l'avant dernier étage, la présence de deux nouveaux gardes indiquant qu'ils approchaient des appartements seigneuriaux. Breagel'Ann fit signe à l'elfe de flécher le plus éloigné tandis qu'il s'occupait de l'autre. Elle hocha la tête et encocha une flèche, bandant l'arc et tirant dans un même geste fluide. Le garde s'écroula sans un bruit sous le regard abasourdi de son comparse. Ce dernier reprit ses esprits juste à temps pour encaisser le guerrier qui lui tomba dessus comme un ouragan, fracassant casque et crâne d'un coup de haut en bas dépourvu de toute subtilité mais d'une puissance rare. Dégageant sa lame d'une torsion, le guerrier désigna la porte que gardaient les soldats et murmura à l'elfe:
-J'espère qu'il est là. Tu fais le guet ici et tu abats tout ce qui arrive, je m'occupe de Vanat...
-Fais vite, nous n'avons pas été très discrets, répondit Liviëll sur le même ton.
-Je sais...répondit-il en frappant trois coups secs contre la porte à la plus grande surprise de l'elfe qui secoua la tête d'incompréhension en le voyant s'accroupir et poser son épée pour saisir sa dague.
Une voix qui devait être impérieuse en temps normal mais dont le ton actuel était pâteux de sommeil s'éleva derrière l'huis:
-Qu'est-ce que c'est?
-Un éclaireur vient de revenir, Seigneur, il est porteur de graves nouvelles, répondit le guerrier d'une voix ferme et respectueuse.
-J'arrive...grommela celui qui se trouvait derrière la porte.
Quelques instants plus tard, la porte s'ouvrit sur un homme de haute taille aux traits aquilins, simplement vêtu d'une tunique. Il eut à peine le temps de réaliser que quelque chose clochait avant que la dague du guerrier ne lui perfore l'aine, il tenta bien de reculer mais Breagel'ann ne lui en laissa pas le temps, son poing ganté de maille percuta la base du nez de l'homme de bas en haut avec une épouvantable brutalité, enfonçant l'os nasal dans la cervelle du malheureux. Le commandant bascula en arrière, la mort le prenant avant même qu'il ne touche le sol. Le guerrier se pencha pour saisir la main droite du sire et en arracher une bague armoriée avant de se redresser et de rejoindre l'elfe:
-On se tire d'ici, et fissa!
Tous deux entamèrent le long chemin du retour, se hâtant autant que le permettait la plus élémentaire prudence. La chance voulut qu'ils parviennent à quitter les lieux sans être inquiétés, les heures précédant l'aube étant depuis toujours celles où la vigilance de n'importe quelle garde se relâchait et les forteresses conçues pour empêcher les gens d'entrer plutôt que de sortir. Enfin, ils se trouvèrent à courir dans les campagnes à longues foulées, s'efforçant de mettre autant de distance que possible entre eux et la forteresse avant le lever du soleil. Ils ne s'arrêtèrent que le temps de récupérer le paquetage que le guerrier avait dissimulé dans des rochers avant d'entrer dans le fort. La première étape du plan était accomplie, mais Breagel'Ann se doutait bien que la suite ne serait pas aussi aisée. Ce qui venait de se passer engendrerait une paranoïa sévère, leur meilleure chance résidait maintenant dans la rapidité de leur course.