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Celimbrimbor | 05/05/24 18:13

Cette histoire se déroule dans la jeunesse du monde, avant que la magie ne le désertât peu à peu sous l'emprise des humains, avant que les sept couronnes coalisées ne brûlassent le dernier royaume elfique. Les continents présentaient un autre visage sur la face de la terre, les océans et les mers parcouraient d'autres territoires et il restait des forêts perdues dont aucun fantôme ne demeure aujourd'hui. Les dryades et les faunes, les kelpies et les selkies, les sylphides et les ifrits, les orcs et les gobelins, toute sorte de créature disparues erraient encore par monts et par vaux. Celimbrimbor Elanden était de celles-ci. La morve au nez et l'assurance de tout savoir, ignorant tout de la tragédie qui l'attendait, il allait de pays en régions pour s'aventurer de récit en récit que seule sa mémoire consigna. Cette histoire se déroule dans la jeunesse du monde.

C'était l'hiver, il croyait. Il avait froid malgré la marche. Sans doute à cause. Le soleil sur la lande cotonneuse lui brûlait les yeux et il avait depuis longtemps renoncé à les ouvrir complètement. Il faisait froid mais il ne neigeait plus. C'était déjà ça. Tout à l'heure, les nuages étaient tombés duvet, plusieurs heures durant et il avait eu toutes les peines du monde à poursuivre. S'arrêter était hors de question. Il faisait trop froid. Il n'avait jamais connu le froid. Il n'avait jamais connu ce froid, profond, abyssal comme les eaux, et qui forclosait tout possible retour de chaleur. L'air qui rentrait sans ses poumons lui déchirait les bronches et le cou et les narines où la condensation avait formé des petites sculptures de glace. Il ne toussait plus et ne savait pas si c'était une bonne chose ou pas. Il avait mal. Aux jambes, au tronc, aux oreilles, au dos, aux pieds, aux mains. Il n'osait pas regarder ses bottes. Le cuir n'était plus étanche et, s'il réussissait à atteindre un après avec un peu de vie, il faudrait penser à en changer.

Vers quoi marchait-il déjà ? Il ne le savait plus, tout pris qu'il était par sa marche. De temps en temps il levait les yeux et quelque chose en l'assurait qu'il était dans la bonne direction mais il ne savait pas ce qu'elle était. Ou qui. Peut-être un panache de fumée. Peut-être une bâtisse aperçue plus tôt ce matin quand il avait quitté l'abri à flanc de montagne où il avait trouvé refuge la nuit passée. Le passage du col avait été compliqué. Des rochers traîtres pendant toute la montée, il avait souvent été à quatre pattes, était tombé malgré tout. Il se souvenait que sa destination avait à voir avec un cours d'eau. Voilà. Il avait entrepris l'ascension pour trouver la source de la rivière qui irriguait─ quoi ? Pousseguy ? Arepas ? L'endroit où il avait dormi deux jours plus tôt. Dans une auberge. Avec des draps sinon propres au moins chauds, sur un lit doux et duveteux. Un peu comme celui-là. En moins froid.

Il ouvrit les yeux, se redressa, inspira âprement. S'ébroua. Se claqua les joues. Se frictionna le corps sous le soleil glacé. Laissa la panique abandonné son cœur. Reprit sa marche.

L'eau. Le cours d'eau, la rivière, les villageois d'en bas l'appelaient la Pousse ? Le pas ? La Nève. Ils l'appelaient et lui avaient dit qu'elle trouvait sa source en haut de la montagne, derrière lui maintenant, depuis avant la neige, pas longtemps avant, qui portait sans doute un nom qu'il oubliait aussi, malin pour un type qui voulait consigner le monde. Il avait trouvé l'idée d'aller voir intéressante. Déjà, il savait une extrémité du fleuve, à son embouchure dans l'océan, pourquoi ne pas explorer son autre bout. Et c'est ainsi que.

Des bois. Sur sa droite, à une centaine de mètres. Il hésita. Il y ferait tout aussi humide. Peut-être moins froid. Il y aurait des bêtes aussi. Il n'avait pas cette force. Il le tint à sa droite.

Il avait trouvé la source, entendu les jeux soyeux de son surgissement, n'avait pas surpris d'esprit auquel les druides prétendaient parler et avait considéré que rebrousser chemin ne valait rien et poussé de l'autre côté. Presque surpris par la nuit mais surtout par le froid et la fatigue, il s'était arrêté dans la grotte, s'était réchauffé à un feu chiche issu d'un peu de magie et il pensait croire se souvenir d'avoir dormi un peu. Mangé, non. Il en était sûr, il jeûnait depuis le village, Osseguy ou Patepas, il ne savait plus.

Il s'éloignait de la forêt. Toujours à droite mais il avait obliqué. C'était l'hiver. Les bêtes auraient faim. Le vent était faible et debout. Le danger viendrait de derrière. Il obliqua un peu plus.

Il avait présumé que si la source coulait dans une direction depuis un point, elle coulerait sans doute dans une autre direction depuis un autre point et c'était mis en quête. Voilà pourquoi nuit l'avait trouvé, pendait que lui faisait chou-blanc avec déception. Peut-être la dernière. Il chassa cette pensée et obliqua encore. Pas seulement pour s'éloigner des arbres qui l'appelaient mais aussi parce qu'il fallait aller dans cette direction. Ce n'était pas un parangon de pratique mais sa mémoire lui faisait rarement défaut.

Sauf à propos de détails sans importance, les noms des lieux, des gens. Des dates. Des broutilles.
Était-ce hier soir ? Cette nuit ? Les deux se confondaient dans la fatigue. Il faisait clair. Le cil était ciel. La lune brillait. Cette nuit alors ? Peu importe. Il avait vu, très loin, en bas, très loin en bas, un agrégat de lumières. Des carrés, des brillantes et qui s'étaient éteintes. De la vie. Raisonnablement proche de la sienne.

Un villageois, une villageoise ? une personne alors, un peu plus tôt, lui disait que les distances étaient trompeuses en montagne. Il avait écouté poliment. Il aurait dû.

Il ne s'était pas arrêté depuis son départ plus tôt. La lande était couverte de neige. Était-ce normal cette saison ? Peut-être. Il se retourna vers la forêt, loin maintenant, presque perpendiculaire derrière lui, et le vent plus ou moins parallèle. Pour le moment, tout allait bien. Il baissa les yeux de nouveau et continua de marche. Il faudrait penser à se faire un bâton, une canne. Un outil pour se soulager. Et peut-être un sac ?

Il avait soif. Hier, il avait bu en montant et en se promenant. La nuit, moins. Et pendant la descente ? Ah, de la neige ! D'abord, il l'avait fondue entre ces mains, d'un sort un peu complexe, avant de s'apercevoir qu'il lui coûtait trop de fatigue, alors seule la chaleur de son corps l'avait fait fondre. Finalement, il se contentait de prendre une bouchée de neige et de la laissa fondre. Il avait eu mal, les premières fois. Maintenant, la douleur se noyait parmi d'autres. Il avait soif. Il laissa baller un bras pour ramasser une poignée d'eau solide et s'arrêter de marcher. Ouvrit les yeux. Il y avait moins de neige. Elle atteignait à peine ses tibias, dévoilant au passage des bottes agonisantes et un pantalon détrempé collé qui lui faisait une deuxième peau d'une couleur malade. Il leva les yeux un peu plus. Au loin, le sol ne reflétait plus l'impitoyable du ciel. Toujours pas de rivière mais des collines. Des buissons. Peut-être des plantes. Il regretta la forêt. Il aurait pu manger. L'être, sans doute.

Il se demanda si le vent se lèverait comme tout à l'heure sous la neige. Cela avait été beau, malgré tout. Il avait vu des flots horizontaux aller au-dessus du sol. Il avait trouvé cela joli, même alors qu'il avait froid. Désormais sans cela, à quoi bon ? À quoi bon le vent si on ne le voyait pas de dessiner dans le vide. Il se demanda ce qu'était le vent. Se remit à marcher, laissant la question au futur si le futur advenait.

Un long moment, une heure, à vue de soleil, il alla dans de la neige fondue. Il marchait plus vite malgré la fatigue et les douleurs qui se signalaient de plus en plus mais glissait, s'empêtrait dans des flaques d'eau salie de terre et de poussière. Une partie de lui émit des idées sur la pureté et le mélange, argua que l'eau n'était sale que parce qu'il ne s'y voyait plus ou ne pouvait la boire, demanda si cet argument pratique constituait un critère suffisant pour disqualifier une chose, mais il ne l'écouta pas et continua de marcher jusqu'à enfin arriver sur un sol qui n'était plus une éponge.

Là, il s'arrêta. Il faisait toujours froid mais il fallait qu'il enlevât ses chaussures. Ce conseil-là, il le tenait d'une villageoise, une autre, un autre endroit, à qui une jambe manquait. Ses pieds étaient bleus. Bleuies. Bleuets. Cieux. Pâles. Ce n'était pas bon signe. Lui restait-il un peu de force pour lancer un sort ? Il regarda le ciel. Il ferait nuit tantôt. Tout au plus dans trois, cinq heures. C'était un pari. Un dernier sort pour aller et rester et espérer un but ou un abdiquer ce dernier tour de magie pour préserver ses forces que la fin du jour et la nuit ne soient pas les dernières.
Il considéra les possibilités. Pesta. Pleura. Hurla sans un bruit. Pleura encore. Céda.

La chaleur, il la fit naître au cœur. Toute douce, timide presque, pour ne pas se cuire de l'intérieur. Elle se diffusa battement après battement, diastole après systole, le parcourut. Le regain de force qui s'empara de lui alors était factice mais il suffisait d'y croire. Il y cru. Se remit en route, pieds nus, se concentrant ardemment pour maintenir ce si faible feu. Optez pour une puissance moindre mais une durée plus longue. Bonne leçon, ça. S'il. Quand il reviendrait, il remercierait. Ne plus penser, pour l'instant.

Étonnamment, la température ne diminuait pas à mesure qu'il progressait vers la fin du jour avec le soleil. L'air, même, se réchauffait. Il tourna la tête vers la montagne et la neige et les bois. Il descendait. Pourquoi le froid restait en hauteur ? Un jour, peut-être. Avec le vent. Il continua de marche, son sort consumé depuis longtemps. Un abri. Chaud. Mais pour l'instant, un pas. Après l'autre. Un pas.

La chance voulut qu'il atteignît le sommet d'une petite colline avant qu'elle ne lui masquât complètement le soleil. Il baigna dans la lumière directe qui l'aveuglait complètement et le chauffait un peu. Suspendu entre deux mondes, il demeura là dans le silence des bêlements.

Il mit une main en visière sur son front. Plissa les yeux sous l'effort. Une étable. En dur. En contrebas. Peut-être existait-il un contrebas à ce contrebas, il ne réfléchissait plus. Aurait-il voulu courir qu'il ne l'aurait pu. Il se laissa descendre doucement, lourdement, jusqu'au bâtiment dont il fit le tour. Deux fois avant de trouver une porte que la fatigue lui dissimulait. Peut-être la referma-t-il contre le froid. Ce n'est pas sûr. Toutefois, il eut la politesse de s'effondrer dans un tas de foin de l'autre côté de l'enclos des chèvres. Il se roula en boule. S'enterra. Sombra.

Celimbrimbor | 11/05/24 13:57

On le réveilla, il croyait, à un moment, mais le délire de la fièvre l'avait emporté et il ne se souvenait plus. On devait l'avoir réveillé pourtant puisqu'il y avait eu de la paille et après un baquet d'eau tiède ou chaude, une serviette, une couverture. Il y avait eu des éclats de visage, de lumière. Des traits vus à l'envers et qui ne signifiaient rien. Des rides. Des yeux. Une bouche et un nez. Des cheveux noirs, des cheveux blancs. Il ne s'était même pas débattu. Il était retourné dans l'abandon du sommeil. Et puis, il ne savait plus. Était-ce une terre où on le réduirait en cendres ou en bête de foire ? La géographie n'était pas son fort. Quel était-il, alors ? Dormir.

Quand il se réveilla, il avait faim. Soif, aussi. Mais il était libre et il n'avait plus froid. Il fournit un effort pour tendre le bras vers le verre et le broc en terre cuite non loin mais abandonna. Il avait mal. Ses pieds criaient une rage sourde, il sentait comme des brûlures au visage et aux mains, partout où il n'avait pas été couvert de vêtements. Des gants ? Pourquoi faire ? Ah, quel imbécile. Sa peau le tirait terriblement et la fièvre le tenait sans doute encore, à moins que la pierre ne fût naturellement tournante. Il se permit quand même un sourire qui craquela ses lèvres et en fit jaillir un peu de sang. Il était vivant. Voilà une nouvelle sympathique pour commencer la journée. La journée ? Il cligna lentement des yeux. La lumière venait des interstices du poêle installé un peu plus loin au bout de ses pieds, chiche mais suffisante pour qu'il vît.
C'était un petit poêle mobile, plus un braséro fermé qu'autre chose, posé juste à côté de la porte. Il n'y avait que cette porte, aucune fenêtre, pas même dissimulée par un panneau installé contre le froid et l'obscurité. Des étagères, par contre. Et il reposait sur un matelas de sacs de─ grains ? farine, peut-être ? Un cellier. Il se trouvait sans doute dans le cellier d'un fermier. Ce qui collait avec le baquet d'eau. Qui l'avait recueilli possédait un peu de biens. Il ferma les yeux pour reprendre des forces.

Il les rouvrit parce que la porte grinça en se refermant il appela d'une voix faible avant que l'embrasure ne se réduisît complètement. La lumière l'aveugla puissamment et quand il y vit enfin clair, un homme se tenait accroupi devant lui, accoudé sur une étagère de terrines. Âgé, pour les critères des humains, mais pas vieux encore. Des vêtements, colorés mais passés. Des yeux bleus, très clairs. Des rides sur le visage, une méchante barbe hirsute. Il tenta de se redresser.

« Non, restez allongé. Une voix habituée au commandement. Je vais vous faire apporter un peu de bouillie d'épeautre avec du fromage et du miel. On n'a réussi à vous faire boire qu'un peu de lait sucré depuis trois nuits.
─ Merci.
─ Nous verrons bien. Un temps, inquisiteur. Votre nom ?
─ Celimbrimbor Elanden.
─ Jacques Dumoulin. Une pause. Maître, Jacques Dumoulin. C'est mon gendre qui vous a trouvé. Un temps. Reposez-vous, nous reparlerons plus tard, j'ai à faire.
─ Atten─ »

L'humain, Jacques, il avait entendu, laissa la porte ouverte derrière lui et partit vaquer. Par l'ouverture, Celimbrimbor aperçut une pièce, large, avec une table dont il ne voyait pas les bords, quatre chaises. Peut-être y avait un foyer un peu plus à droite ou à gauche. Son poêle était mort, par ailleurs. Il laissa sa tête aller, la nuque douloureuse elle aussi. L'humain, Jacques ? Jacques avait eu raison. Il était faible. Et affamé. Le menu que lui avait décrit l'hu, Jacques le faisait saliver. Il en était à espérer qu'il n'avait pas déliré cette présentation quand un autre humain (oui, un autre, pas les mêmes yeux, noir ceux-là, et pas les mêmes habits, plus colorés) entra dans la pièce, un bol à la main et un large sourire au visage.

« Allez, monsieur Elanden. Le ton joyeux et simple. Un peu de nourriture !
─ Merci. Faible.
─ C'est rien. Un rire. Attendez, laissez-moi poser ça ici, je vais vous redresser. Des gestes précis, doux et forts. Là, parfait ! Tenez voir la cuillère ? Très bien, je vais m'en charger pour le moment, ce sera plus simple. Précis. J'ai fait rajouter quelques noix, c'est gênant ? Non ? Excellent, allez, mangez. Oppressant. Surtout, dites-moi quand vous serez rassasié, d'accord ? Un rire. On ne cherche pas à vous engraisser, jusqu'à vous rendre un peu de forces. Un nouveau rire. Je pense que d'ici demain vous pourrez marcher seul. Vous autres les elfes possédez une faculté de récupération plutôt incroyable. Curieux. Vos membres repoussent si on les coupe, comme les queues des lézards ? Un regard horrifié. Non ? Bon. Ça suffit ? Un hochement de tête. D'accord. Je vous laisse le bol et la cuiller ici, à côté, avec un broc plein et un verre. Une pensée. Si vous avez besoin de vous lever, appeler. Thierry et Jeannine ne sont jamais loin et je ne pense pas que Dumoulin apprécie que vous souilliez sa farine. Un rire. Je reviendrai sans doute plus tard ce soir. Se relever. Reposez-vous bien ! »

Lui aussi laissa la porte ouverte derrière lui. Il faudrait réussir à marcher avant le soir. Être autonome. Ne pas rester à sa merci. Il n'avait pas dit son nom, si ? Jacques, c'était l'autres. Yeux clairs, lui les avait sombres. Verts. Proches des feuilles de chêne en été. Être autonome avant son retour. Il regarda plus précisément autour de lui. On avait posé son couteau de voyage sur une étagère proche de lui, bien en évidence. Voyage léger, qu'il avait dit. Une épée, non seulement cela n'inspire pas la confiance, et tu sais pas t'en servir. Il sourit. But. Se rendormit.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, la lumière de la pièce en face de lui crépitait et flamboyait, jetant des ombres contradictoires. Un foyer et des torchères, sans doute. Il se redressa en ignorant la douleur aussi bien que possible, grogna, insista, et se retrouva adossé sur le mur derrière lui. Sa couverture glissa sur son torse nu. Il n'avait pas froid. Il sourit. But à nouveau, prit le bol sur l'étagère. Il se crispa un peu et le tremblement de ses mains s'accentua d'autant. Voilà qui n'irait pas. Fermant les yeux, il inspira et expira doucement, se relâchant lentement, se concentra sur le flux du sang dans ses veines, sur les rythmes réguliers et rassurants de son cœur et de son souffle. Il laissa le faux silence le submerger, les éclats de voix, de pieds, les cris de bêtes plus loin, dehors. Le bruit de la cuillère sur le bord du bol en bois s'estompa doucement, jusqu'à disparaître. Il rouvrit les yeux. Mangea. L'épeautre était mou, le miel l'avait imbibé, comme il avait coulé dans le fromage caillé, se dissimulant en autant de surprises en autant de bouchées, pendant que les cerneaux de noix croquaient sous ses dents. La bouillie était froide mais rassérénante. Il prit son temps. La sensation de bien-être immédiate était agréable mais trompeuse, factice. Il savait qu'il ne tirerait vraiment profit de ce repas que dans une ou deux heures. Il s'enhardit tout de même et se leva.

Il s'effondra contre le mur, manqua de retomber sur les sacs de farine, la tête un tourbillon fou, mais tint bon. Cela aussi passerait et, bientôt, passa. Il soupira. Bon. D'un tâtonnement prudent, il s'assura de la solidité de l'étagère à sa droite et s'appuya dessus pour arriver jusqu'à la porte. Il respira dans l'encadrement, l'épaule calée sur le chambranle. La pièce était moins grande que ce qu'il avait perçu, avec effectivement un foyer assez important dans une cheminée. Deux pièces ? Une cloison, en tout cas, plus loin à gauche. Ce qui semblait être la porte d'entrée, là-bas, à droite. Des fenêtres. Des meubles. Et une humaine qui lui arrivait dessus.

« Attention monsieur ! Il fallait m'appeler ! Un soutien, refusé poliment.
─ J'arrive à marcher, je vous remercie. Un temps. Par contre. Une hésitation. Je ne suis pas familier des lieux. M'indiqueriez-vous la place d'aisance ?
Un rire étouffé. Bien sûr ! Je vais vous conduire même, mais, peut-être monsieur voudra-t-il s'habiller un peu plus ?
─ Pardon ?
─ C't'à dire que monsieur est nu comme un ver et que dehors, la nuit arrivant aidant, il commence à faire froid. Sans doute rien d'aussi pire que ce que monsieur a enduré, mais quand même.
Une constatation. Oh, oui. Bonne idée. »

Après l'avoir aidé à enfiler des vêtements qui n'étaient pas les siens « nous n'avons pas trouvé de bottes, mais vous étiez pieds nus, ça ira ? » mais qui lui allait à peu près, elle « Jeannine, c'est mon nom. Jeannine » le guida jusqu'au cabinet d'aisance à l'extérieur. Le crépuscule était somptueux et rendait inutile la lanterne qu'elle prit quand même. Elle attendit qu'il eut fini et le ramena à l'intérieur où il s'effondra plus qu'il ne s'assit sur une des chaises pas trop loin du feu. Satisfaite qu'il ne s'enfuirait pas, elle retourna s'occuper.

Quelques temps après (avait-il bien fait de laisser son couteau de voyage sur l'étagère ?) la porte s'ouvrit et le premier humain, Jacques, entra, nota sa présence, passa dans la pièce du fond, et reparut, un gilet plus léger sur le dos.

« Vous avez repris du poil de la bête, monsieur Elanden.
─ Merci, oui. Un temps. Merci à vous, Jacques, et à ceux de votre maison.
─ Maître Jacques, s'il vous plaît. Un temps. C'est ainsi que le veut l'usage par ici.
─ Très bien. Alors je vous remercie pour votre aide, maître Jacques, et remercie ceux de votre maison. Une pause. Et je vous demanderai de m'appeler Celimbrimbor. Nous avons d'autres usages dans mon peuple que celui-ci. »

Dans le silence du feu de bois, ils s'observèrent de loin, chacun de son côté.

« C'est un mauvais départ, n'est-ce pas ?
─ S'il en fut, oui.
─ Bien. Un sourire. Je respecterai vos usages, maître Jacques.
─ Et moi les vôtres, Celimbrimbor. Un temps. Thierry, apporte-nous à boire et à manger. »

L'humain qui s'était tenu en retrait à droite de Jacques se mit en mouvement. Il alla dans le cellier pendant que l'humaine qui l'avait guidé dehors, Jeannine, installait des assiettes et des verres sur la table.

« Ce sera frugal pour l'instant. Vous et moi sommes attendus chez le châtelain. Un temps. Même si nous irons en voiture, je préfère que vous preniez un peu de force.
─ Je vous en remercie. Votre gendre sera là, je voudrais le remercie de vive-voix également.
─ Non. Une crispation. Il ne peut pas. Un temps. Nous verrons. Sur la table, un pâté, du pain, une bouteille avec un liquide jaune pâle. Pour l'instant, mangeons. »

L'hu─ Jacques coupa lui-même une tranche dans la miche pour son invité, mais laissa l'autre humain, Thierry, servir la boisson. Celimbrimbor se laissa guider dans les coutumes, observant avec attention. Il comprenait une sorte de hiérarchie. Jacques, en face, était le chef de la maison. Où celle-ci se trouvait, il n'en avait aucune idée. Si fils et filles il y avait, ils devaient être ailleurs, chez le gendre mystérieux, peut-être. Pareil pour son compagnon ou sa compagne sans doute, ou absente, peut-être interdite de compagnie ? Les deux autres humains étaient des serviteurs. Il se demande s'ils étaient des esclaves comme il avait pu voir ailleurs, dans d'autres contrées humaines, mais ne posa pas la question. Dans cette hiérarchie, le châtelain devait être au-dessus. Il aimait bien les structures verticales. Elles lui paraissaient toujours plus apaisées et ordonnées. Jusqu'aux inévitables révoltes. Pendant que Jacques expliquait sa minoterie, il regarda avec plus d'attention les deux autres. S'ils étaient asservis, Jacques n'était pas le pire des maîtres. S'ils étaient libres, il se demanda le prix de leur liberté.

« Vous n'avez pas touché à votre vin, Celimbrimbor.
Un clignement d'yeux. Oui, pardon. Un rire. Je ne bois pas d'alcool, c'est pour cela. L'eau me suffit tout à fait.
─ Vous êtes prêtre ?
Retenir un rire. Non. Non, pas à ma connaissance. Pourquoi donc, maître Jacques ?
─ Les prêtres ici font vœu d'abstinence de chair grasse et de vin. Un rictus sous la barbe. Et aussitôt élevé à la dignité du district, dépassent immanquablement le quintal. Acide. Pardonnez-moi, je m'oublie. Tout ceci doit vous paraître plutôt confus.
─Non, non, je vous assure, au contraire. Un sourire. Une question cependant.
─ Oui ?
─ Qui était l'humain de une hésitation ce matin ? Cet après-midi ?
─ Clarence. Un ton presque sec. Le médecin de la châtellenie. Un temps. Maître Clarence, d'ailleurs, vous ferez attention. C'est un ami très proche, très utile, du châtelain. »

Il ne comprit pas très bien où Jacques avait placé la pause dans sa dernière phrase. Prendre des forces pour la soirée, avait-il dit, oui. Cela semblait une bonne idée.

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