Forum - excaliburdhil - Le "Non" de la Rose

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Anastase De Mu | 06/11/14 23:29

Il était fier, ce destrier. Un beau canasson, le crin brun, la crinière blonde, le port de tête altier, les muscles du poitrail saillants. Il avançait au pas, lentement, se méfiant des ombres qui étiraient leur royaume entre les amas de pierres et les feuilles mortes brunies par le temps et les intempéries. Il buffla subitement, inquiet, aux aguets : un renard, sans doute, devait se repaître du corps encore fumant d'un merle, dans les sous-bois avoisinant, où se mêlait, avec parcimonie, le vermeil à l'orange. Son cavalier lui décocha un coup d'éperon dans le flanc, contraignant la bête craintive à poursuivre.

« Ah, ce marchand de carne ! Une belle allure, pour sur, mais pour ce qui est du courage, c'est tout autre chose... » maugréa-t-il, après avoir dû réitérer son geste.

Les rênes claquèrent, rappelant avec insistance l'impatience du gentilhomme. Le cheval racé s'ébroua, mais, finit par se soumettre, et accéléra le pas. Une simple pression des mollets lui rappela qui était le maître, et il accéléra, malgré le chemin accidenté.

« Un parfait repère de brigands, ce bois. Lugubre. Allons, pressons, que l'on soit au manoir pour le souper, vieille rosse ! »

Un simple hennissement lui répondit, et, comme piqué dans son honneur, vexé et contrarié, le pur-sang augmenta ses foulées. Il courait à présent, forçant l'homme qui le montait à un dangereux jeu d'équilibriste, tantôt à amortir les cahots du sentier avec des cuisses depuis longtemps endolories, tantôt à esquiver une branche basse assassine, qui cherchait à l'étêter.

« Hééééééé là ! Tu vas nous tuer ! »

La bête ne lui répondait plus, son pas se faisait plus long : d'un trot paisible, elle galopait, malmenant son partenaire de voyage, lui intimant, maintenant, de se soumettre, à son tour, à ses désirs. Le mors s'enfonçait plus encore dans sa gueule, mais ne lui arrachait pas un sursaut d'hésitation ; seulement un large filet de bave écoeurant. Le cavalier hurlait, à présent, allongé sur le dos puissant du canasson, s'agrippant comme il le pouvait au cou de l'animal ; il regrettait à présent d'avoir parié qu'il ferait le chemin à cru, ses origines elfiques lui permettant de domestiquer n'importe quel cheval retissant. Celui-ci l'entraînait d'ailleurs plus profondément dans la sinistre forêt, outrepassant son commandement, et ne souhaitant visiblement pas mettre fin à cette cavalcade échaudée.

Jusqu'à la chute.

Elle fut brutale, surprenante, foudroyante. Un sabot buta dans un roc camouflé par les mousses, une patte s'effaça, et la carcasse s'effondra, se projetant, elle et son cavalier, vers l'avant. L'apesanteur ne dure jamais bien longtemps, et la culbute atteignit son point culminant promptement. L'homme gueulait, à s'en bruler les poumons ; il injurier le cheval, le marchand, les bois, les cieux, les dieux. Il n'aurait pas du, mais il le fit. Et comme si le destin l'avait entendu, et placé un tronc sur son passage, il s'assomma tout contre, dans un craquement sonore désagréable, et ne présageant rien de bon.

Il ne savait pas combien de temps il était resté là, dans les feuilles mortes en décomposition, à picorer des vers par le nez. Il prit position sur son séant, encore tout étourdi, vérifia l'intégrité de son visage, de sa moustache ; elle avait disparu. Il en fut particulièrement courroucé, jusqu'à ce qu'une larme de sang vienne lui chatouiller le front, jusqu'à lui voiler l'oeil droit. Il hurla alors.

« Borgne ! Sale carne, tu m'as rendu borgne ! Je vais te faire empaler, et rôtir, en méchoui. Oui, voilà, les hommes te dévoreront les entrailles, et toi, tu regarderas. Ou es-tu, sale monstre ! »

Mais au court horizon qui s'offrait à lui, point de cheval. Seulement la pénombre d'un bosquet sentant l'humidité et la décomposition, dont les plus éminents membres tendaient leurs abattis boisés vers lui, menaçant. Il s'essuya le visage d'un revers de main, tachant un gant de soie autrefois blanche dorénavant bien boueux. Il n'était finalement pas aveugle, mais pire: il était peut-être défiguré. Il tata son front, priant intérieurement pour ne pas y découvrir une vilaine plaie, béante et purulente, d'où jaillirait un flot discontinu de sang ; il finit par remonter jusqu'au sommet du crane, où un accumulation de cheveux collés lui indiqua l'origine de tout son malheur. Il souffla. Il pourrait la dissimuler.

Finalement, il se leva. Car il ne pouvait pas décemment rester ainsi, à la merci des rongeurs affamés et des sournois insectes. Il épousseta son gilet matelassé de cuir ; heureusement qu'il n'était pas endimanché. Il lui fallait retrouver sa monture. Il plissa les yeux, et se concentra, tentant de pénétrer cette obscurité insistante qui se faisait étouffante. Et il les vit.

Deux grands yeux. Enfin, plutôt , 4 paires de grands yeux, dont certains un peu plus jaunes que la normale. Il sursauta, se recroquevillant tout naturellement, d'instinct.

« Qui êtes vous ! Je peux payer! Ne me tuez pas. Non, j'ai de l'or, je... »

Le couple de couple de couple d'yeux, car ils allaient par quatre, deux en bas, deux en haut, avança. Peu à peu, ils sortirent des ténèbres de la futaie, pour aller au devant du noble elfe.

« Nous t'attendions, Anastase. La Rose s'impatiente. »

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Anastase de Mù, le marquis.

"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."

Edité par Anastase De Mu le 07/11/14 à 08:40

Anastase De Mu | 07/11/14 08:40

Il fallut peu de temps au marquis pour se remettre sur pied, et considérer les émissaires de cette mystérieuse femme. Il avait cru à des primotaures, gardiens de certaines forêts ; mais à bien y regarder, il s'agissait plus d'un mélange de bouc et d'humain, allant nu, monté sur une licorne, une flute suspendue au cou par un filin d'argent, et un air narquois sous d'épais sourcils broussailleux. L'elfe respira un temps. S'ils avaient voulu attenter à sa vie, ils en avaient eu le loisir ; il reprit du poil de la bête.

« Hors de question. Je ne vais pas commencer à suivre la première chèvre que je croise. »

Celui de gauche, aux cornes plus longues, et à la monture plus nerveuse, caressa la touffe de poil qui lui décorait le menton. Il dévoila une rangée chaotique de dents. Etait-ce un sourire ? Une menace voilée ? Anastase frissonna. Il était poisseux, fatigué, blessé. Et ces deux énergumènes ne le lacheraient plus, à présent.

« Tu n'as pas le choix, Anastase. »

L'interpellé hocha la tête. Effectivement, il avait peu d'opportunités de leur échapper maintenant. Et quand bien même, s'il y arrivait, dans quelle direction partirait-il ? Il ne fallait pas fantasmer sur la faculté d'un elfe des villes à distancer deux créatures sylvaines dans ce labyrinthe végétale.

« J'espère au moins que c'est une invitation à dîner. Je meurs de faim. »

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Anastase de Mù, le marquis.

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Anastase De Mu | 11/11/14 12:32

Ils avaient marché pendant de nombreuses heures. L'aube ne devait pas tarder à pointer son petit nez retroussé. Déjà, les délicates toiles d'araignées captaient les diamants de rosée, et les feuilles les plus robustes, les dernières à abandonner ce monde de verdure pour un enfer plus ocre, se gorgeaient d'eau, une dernière fois. L'humidité naissante faisait frissonner l'elfe ; il n'avait pas prévu d'affronter la fraîcheur d'une matinée de camping automnal. Il renifla bruyamment, autant pour retenir une désagréable bulle nasale, que pour signifier son inconfort à ses accompagnateurs. Ceux-ci ne daignèrent pas lui accorder un regard, ni un mot. Le plus vieux continuait de sourire, tirant sans doute son propre plaisir de l'appréhension et des craintes du marquis.

Mais, enfin, ils arrivèrent. Le soleil irradiait de ses premières caresses la petite clairière où le trio déboucha. Elle était là.

Ce n'était pas une femme à proprement parler ; elle semblait être faite de lumière. Des pétales fanées tournoyaient au tour d'elle, l'habillant d'un rien, mais n'autorisant jamais un regard scrutateur d'un observateur dévoyé. Elle était fine, d'une apparente fragilité, et blanche comme les nuages moelleux qui peuplaient ce tendre matin. Son visage n'en était pas un, elle n'avait ni nez, ni bouche, et encore moins des yeux. Seulement, une chevelure libérée, mêlant mèches de blé et de sarrasin, lui ceinturait le crane. Le convoi approcha à quelques mètres, et les satyres s'inclinèrent humblement, avant de s'agenouiller, tête baissée, comme statufiés par la proximité de l'être inconnue. Anastase ne saisissait pas, et son visage, contrarié, était marqué de vilaines rides de réflexion. Il la contemplait, n'arrivant pourtant pas à lui trouver quelque beauté, mais la fascination l'immobilisait peu à peu.

Elle ouvrit alors les bras, deux longs filins de pureté d'où surgirent quelques papillons d'ébène et d'ivoire, et l'invita, d'un geste évanescent, à s'approcher. Le marquis hésita. Il se frotta le menton, regarda autour de lui.

« Belle aurore, n'est ce pas ? Commença-t-il, indécis.
-Merci. »

La voix n'avait pas raisonné comme le tonnerre. Elle n'avait pas déchiré les cieux. Elle ne lui avait pas saisi le coeur à l'en faire vomir, ou émoustillé les tréfonds de son pantalon. Elle avait chuinté dans son esprit, simple, enfantine, coulant le long de son oreille, pour venir mourir au creux de sa nuque. De la magie, toujours.

« Qui êtes vous ? Que me voulez-vous ?
-Mon nom importe peu, Anastase. Et je ne veux rien. C'est ce que tu veux, qui nous concerne.
-Il faudra être plus précis. Je suis un elfe très ambitieux. Et particulièrement matérialiste.
-Tu n'es plus vraiment un elfe, Anastase. Tu te pars de titres, de serviteurs, de richesses. Tu n'entends plus la Verte Voie.
-Bha, ce n'est qu'une légende. Un conte pour elfes adolescents, pour les dresser, les éduquer à rester dans le rang. Je ne suis pas de ceux là.
-Tu ne l'es plus, tu veux dire. »

Le marquis était intrigué. Il marchait, à présent, autour de l'émanation de lumière. Il l'observait. Elle tournait sur elle-même, cette face parfaitement lisse, et ne lui laissait aucun répit.

« Qu'êtes vous ?
-Je ne suis rien, Anastase. Et toi, qu'es-tu devenu, finalement ?
-J'ai des terres, de l'or. Du pouvoir, de la prestance.
-Ce n'est pas ce que tu es, Anastase. Es-tu en vie ? »

Il s'arrêta. Il ne comprenait pas. Évidemment, qu'il vivait. Il respirait, jouissait, aimait et détestait à la fois. Il ressentait la vie, profondément ; il s'enivrait de ses saveurs, s'extasiait de ce qu'elle lui offrait de plus intriguant.

« Tu ne perçois que la moitié des choses, Anastase.
-Et que devrais-je voir ? »

Elle inclina légèrement la tête, et se balança, comme une danseuse, virevoltant à 50 cm du sol. Quelques flocons de rose s'éparpillèrent dans l'herbe étrangement grasse, autour de ce qui aurait pu, ou du, être ses pieds. Ils implosèrent, délicatement, comme quelques bulles d'air venues des profondeurs marines pour mourir à la surface. Et laissèrent place à de bourdonnantes lucioles qui prirent prestement leur envol.

« L'âme du monde. »

Il haussa les sourcils. Puis, les épaules. Puis, bras ballants, il souffla bruyamment. Il marmonna.

« Et puis quoi, encore.
-Tu doutes, Anastase. Celle que tu convoites, celle du rocher, peut tout trancher. La pierre, le métal, le bois. Le feu, l'eau, ou l'air. Le présent, le passé, et l'avenir. Le temps, la réalité, et l'imaginaire. Elle détruira des hommes, créera des manques, percera des âmes. Elle ouvrira des portes, vers les cieux, vers les mondes féeriques, vers l'enfer. Alors, tu ne l'obtiendras pas. »

Elle disparut aussitôt, en un flot de glaçons, répandu sur le sol. Ils fondaient déjà, que l'Elfe ne savait que faire. Derrière lui, les deux molosses avaient disparu. Le soleil était déjà haut, dans le ciel. Avait-il rêvé ? Un hennissement le tira de sa réflexion. A l'orée de la clairière, son destrier le narguait.

« Et bien, ce n'est pas une femme enrubannée de fleurs qui va me contrarier. Non. »

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Anastase de Mù, le marquis.

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Edité par Anastase De Mu le 11/11/14 à 12:34

Noir-feu | 11/11/14 16:02

Excellent récit, bravo! ;)

Lancwen la Pourpre | 11/11/14 16:22

Commande un tas de fleur :D
(joli récit, la suite vite!)

Shadee | 11/11/14 20:53

Ah! Enfin un peu de féerie, j'aime.

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~°~ La plume plus forte que l'épée ~°~
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Neige II | 12/11/14 09:25

Oui très joli :)

Neige II ,Prince De La Couronne Des Spliffs Sacrés De Gitanie

Celimbrimbor | 12/11/14 13:09

Belle ironie.

Anastase De Mu | 15/11/14 17:15

Interlude. Un peu plus tard, de retour aux affaires.

« Bon. »

Le Marquis contemplait le carnage que ses troupes prodiguaient dans le campement des dévôts celimbrimboresques. Ce dernier ne leva pas un petit doigt pour les défendre, tout occupé ailleurs qu'il devait être. L'elfe évita de penser à lui, et chassa le mage de ses pensées. Il ne manquerait plus qu'il l'invoque involontairement. Il focalisa son regard sur un jeune ranger, aussi agile qu'imprudent. S'il évita la volée de flèches qui lui était plus ou moins destinée, il ne put parer à la rigueur d'une lame en plein estomac. Ses mains tremblantes s'attachèrent au fil de l'arme, et rougirent immédiatement, mais il n'en avait cure. Il s'écroula sur les rotules, avant de recevoir le talon d'une botte dans la glotte. Le scout qui lui faisait face, plus expérimenté, ne lui adressa pas même un regard, et continua de défendre ce qui pouvait l'être encore.

« Le nombre. La clé, c'est le nombre. Les submerger, jusqu'à ce qu'ils s'épuisent, et finissent par rendre les armes. »

Le vieux rètre qui venait de parler dirigeait les opérations. Ce n'était pas un elfe. Un visage émacié, mangé par une barbe anarchique, les cheveux attachés sur la nuque, il se tenait sur une nerveuse jument à robe palomino, droit comme un i, en cavalier averti. Un humain, l'un de ceux que l'on aime fréquenter que de loin, tant ils sentent la guerre et le soudard, un rustre gaillard, musculeux, taillé à la serpe. Mais aussi, visiblement, un adroit commandant, suffisamment compétent pour diriger des opérations et mener des troupes à la bataille.

« C'est tout de même coûteux. Cet assaut ne me rapportera pas l'or escompté, et j'y ai perdu plus que je n'y ai gagné.
-Ah, évidemment, si on commence à attacher de la valeur à la vie... Il faut savoir ce que vous voulez. L'efficacité se paye.
-Oui, oui, je ne vous ai pas demandé d'être rentable. Mais avez-vous mis la main sur cette épée ?
-Non, pas encore. Mais j'avais cru comprendre qu'il y avait un dragon, avant de la trouver. Ce n'est pas le même tarif, pour un dragon.
-Oui, un dragon est « censé » veiller sur elle. C'est ce que le mage a dit. Mais... Je le soupçonne de vouloir nous enrhumer le cerveau. Il pourrait très bien l'avoir gardée. »

Le soldat éjecta un filet de bave entre deux incisives un peu trop écartée, et le crachat alla rouler dans la poussière du sol sec. Son canasson tapa du sabot, impatient de se joindre à la mélée.

« M'est avis que non. Un dragon, ça défend mieux une épée que quelques scouts éparpillés.
-Alors, pourquoi m'avoir envoyé une vision ? Qu'est ce qu'il gagne, à me provoquer de la sorte ?
-Votre histoire de la dame des fleurs, là ? Vous êtes sur que ça vient d'ici ? J'ai pas l'impression qu'ils soient capables de grand chose, ici. A part creuser des galeries, j'entends. On a repéré pas mal de carrières.
-Non, je ne sais pas, je ne sais plus. Allons, nous y penserons demain. Terminons le travail. »

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Anastase de Mù, le marquis.

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Edité par Anastase De Mu le 15/11/14 à 17:17

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