Forum - Excaliburdhil: Une lueur dans les ténèbres
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Noir-feu | 04/11/14 17:43
Le Seigneur d'Obsidienne était revenu en son camp après avoir quitté Celimbrimbor. Assis sur une cathèdre d'ébène dans le manoir qui lui servait ici de demeure, il contemplait songeusement une longue lame d'un noir de jais posée sur une table, juste devant lui. Cette épée là n'avait jamais servi. Vierge de sang, vierge de combat, c'était une lame sans histoire, une épée parmi tant d'autres, un outil destiné à répandre la mort, malgré tout. Conçu dans ce but, comme toutes les armes. Peu importait qu'on pare une lame de mille fadaises, que l'on proteste outrageusement qu'elle ne servait qu'à se défendre, à répandre la justice, à protéger veuve et orphelin, la vérité brute, c'est qu'une épée ne servait jamais qu'à une chose: tuer.
Le Noir se massa lentement les tempes du bout des doigts, fermant les yeux un bref instant, les rouvrant presque aussitôt. Il ne dormait plus. Le sommeil le fuyait depuis des années, ou bien était-ce lui qui le fuyait? La mort. Vieille faucheuse acariâtre, qui moissonnait jeunes et vieux, coupables et innocents d'un même geste indifférent. Et lui, le vieux Dragon, l'avait servie à foison. A peine fermait-il les yeux qu'ils étaient là, les trépassés, dansant une infernale sarabande sans fin. Combien en avait-il occis? Des centaines? des milliers? Des dizaines de milliers? Il n'en avait pas la moindre idée. Beaucoup. Beaucoup trop. Il ne se souvenait pas de leurs visages, pour la plupart. Ce qui n'avait pas d'importance, ils n'étaient plus.
Il se leva, empoigna la lourde lame à deux mains, lui fit décrire quelques arabesques dans les airs. Il y avait quelque chose d'envoûtant à manier une arme. Une sorte de volupté malsaine à l'idée que, d'un simple geste, on pouvait mettre un terme à une existence. Oui, seulement, il y avait un prix à payer, pour qui était doté d'une bribe de conscience. Mais peut-être que la brièveté de la plupart des existences ne laissait pas vraiment aux mortels le loisir de s'en préoccuper, de leur conscience. La lame vrombit rageusement, fracassant le silence de son chuintement macabre. Le Dragon n'aimait pas tuer, peut-être en partie parce que c'était devenu trop facile. Il connaissait ses limites, savait qu'il n'avait rien d'un stratège, encore moins d'un fin diplomate adroit à manipuler les vies comme des pions pour les pousser à s'entretuer. Mais rares étaient les êtres vivants capables de rivaliser avec lui arme au poing, un millénaire de pratique quotidienne laissait quelques traces. Du genre sanglant. Il reposa doucement la lame sur la table.
Ses pensées dérivèrent, il se souvint de son ami Agra Forge-Acier, Maître forgeron Nain qui lui avait enseigné son Art. Ensemble, ils avaient forgé une lame que le Dragon avait porté longtemps. Drengi Dûm, la Flamme du Chaos. Et avant elle, Aube, la lame runique issue des plus grands Arts Dragonniques. A moins que cela n'ait été après? Peut-être, le Noir ne s'en souvenait plus. Cela non plus n'avait pas la moindre importance. Du passé. Un foutu passé poussiéreux, ce n'était plus que cela. Le regard de jais se posa à nouveau sur la vierge meurtrière. Fallait-il la déflorer, lui offrir un dépucelage en règle? Une tache écarlate de plus sur un drap blanc, suspendu à la fenêtre pour que nul n'en ignore rien? Le Dragon éclata d'un rire qui aurait aisément pu passer pour dément. L'était-il? Sans doute. Rien de nouveau sous la lune, à bien y songer. Il s'approcha d'une fenêtre et leva les yeux vers la voûte céleste. Elle était pleine, la lune. Pleine et blafarde, comme un vieil os légèrement jauni par le temps. Il se demanda si quelque preux, ou se considérant comme tel, monterait cette nuit à l'assaut de ses murs. Trouverait-il Excalibur, s'il parvenait à franchir les défenses du Noir? Rien n'était moins sûr. Il trouverait une épée, ça oui. Mais de légende, point. Juste une épée sans nom, rien qu'une lame sombre dépouillée de son fourreau de convenances, une vierge qui n'avait nul besoin d'une épaisse couche de fard pour dissimuler son véritable visage. Elle était belle, pourtant, presque tendre d'une certaine manière. Le Dragon sourit doucement, la Déesse avait deux visages, vierge et mère, vie et mort, toujours.
Il sortit de son manoir, éprouvant soudain le besoin de s'affranchir de ces murs qui limitaient ses pensées, qui perturbaient quelque part ce lien profond avec l'Âme du monde que tout être possédait en lui, même si bien peu aujourd'hui en avaient conscience. Plongé dans ses réflexions, il marcha un peu au hasard, jusqu'à parvenir dans une clairière envahie de ronces. Ici et là dépassaient de la masse végétale quelques pierres, étrangement incongrues en ce lieu. Le Noir les dégagea un peu, révélant quelques éclats disséminés. Les pierres avaient dû constituer un cercle, autrefois, soigneusement positionnées et dressées pour révéler une magie profonde et mystérieuse. Mais elles avaient été abattues, brisées, et la magie du lieu anéantie, ou presque, par la folie des hommes. Chaque pierre qui tombait, chaque prêtresse massacrée, chaque druide exterminé ou pire, converti, avait éloigné un peu plus cette réalité féérique du monde des humains, Avalon s'était enfoncée dans des brumes de plus en plus impénétrables, comme bien d'autres Sidhs d'ailleurs. Les Sidhs, ces mondes dans le monde, avaient peu à peu sombré dans l'oubli, pour la plupart, devenus inaccessibles aux mortels. Pour autant, les légendes avaient survécu, déformées peut-être mais, malgré tous les efforts déployés par les adeptes d'un Dieu unique pour anéantir la magie d'un monde et effacer toute trace d'histoire autre que la leur, invisible et pourtant présente partout, la tradition s'était perpétuée, attendant son heure pour refaire surface.
Le Seigneur d'Obsidienne s'assit sur l'une des pierres renversées, de plus en plus songeur. Ce temps était-il venu? Les réalités s'étaient-elles suffisamment rapprochées pour qu'à nouveau, des portes soient ouvertes, la magie réveillée? Et quelle était sa place, son rôle, dans tout cela? Rien ne lui semblait clair, il lui semblait que la réalité s'effilochait, devenait multiple, verrait-on une douzaine d'Excalibur toutes plus "vraies" les unes que les autres, chacune portée par un être persuadé de détenir LA vérité? Il secoua lentement la tête pour chasser cette vision, c'était un possible, le pire peut-être, celui qui dénaturerait jusqu'à l'essence même de la légende. Que faire alors? S'opposer arme au poing pour éviter cela? Le Dragon soupira doucement, cette bataille avait déjà été menée en d'autres temps, et perdue. Non, ce chemin n'était pas le sien. Alors quoi? Ne rien faire, attendre, encore? Cela non plus ne lui semblait pas juste, il pressentait qu'il avait un rôle à jouer dans ce temps et qu'il devait l'assumer, mais il ne parvenait pas à le définir. Il resta longtemps assis là, plongé dans un flot de questions auxquelles il ne trouvait pas de réponse. A la fin, parce que toutes ces réflexions ne menaient nulle part et qu'il restait tout de même un peu de magie dans ce lieu déchu, il finit par lâcher prise. Il n'en fallait pas davantage pour que s'écartent les brumes, le Dragon sourit doucement, le chemin tant cherché se dévoilait.
Il arracha les ronces qui avaient envahi le lieu, redressa les pierres les moins endommagées pour reformer un cercle complet en les positionnant avec le plus grand soin sur les lignes de forces qu'il sentait dans la terre. Avec les plus gros éclats, il forma un deuxième cercle à l'intérieur du premier, puis, avec les plus petits, il en confectionna un troisième qui prit place au centre exact des deux premiers. Dans ce dernier cercle, il empila quelques branches sèches, qu'il enflamma d'un souffle.
Noir-Feu sourit légèrement en sentant les énergies qui parcouraient l'endroit reprendre une nouvelle vigueur et investir les pierres. Un premier lieu désacralisé reprenait vie, retrouvait son sens et sa fonction et au travers lui, c'était un passage vers le monde de la féérie, vers Avalon, qui se recréait. Il y en aurait d'autres, bien d'autres, si les deux mondes se reliaient à nouveau. Emprunteraient ces chemins ceux qui le pourraient, et ceux là tisseraient peut-être une nouvelle légende. Les autres sombreraient dans les eaux de l'oubli, perdus dans les brumes d'inexistence dont ils s'entouraient eux-mêmes. Cela n'avait pas d'importance, le Feu allumé par le Dragon, éternel Gardien symbolique de la Flamme Sacrée, pouvait maintenant répandre sa lumière et sa chaleur dans les coeurs et les âmes de ceux qui se souvenaient que, par delà les brumes, existe une île.
Edité par Noir-feu le 04/11/14 à 18:01