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Noir-feu | 09/09/14 04:04

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-Danse!

Le coup résonne dans toutes les fibres du corps de la jeune fille immobile. Un coup sourd, puissant, primal. Son souffle chahute sa chevelure couleur de lune, elle frémit bien malgré elle.

-Danse!

Une avalanche de coups, rudes, précis, qui ébranlent au fond d'elle quelque chose dont elle ignore tout. Leurs vibrations durent, encore et encore, refusant le retour du silence. Sans y penser, elle se met en mouvement, de manière un peu saccadée.

-Danse!

Les tambours s'emballent. Tissent une trame sonore aux accents primitifs qui, indiciblement, éveillent quelque chose d'enfoui, un instinct atavique qui sommeille dans les tréfonds de chaque être vivant. Les gestes de la jeune femme se font plus fluides, imperceptiblement.

Le Seigneur des Dragons Noirs fait face à sa Fille. Regard de jais dans regard d'argent, l'air semble crépiter sous l'intensité avec laquelle ils se dévisagent. Ils se déplacent, instinctivement, se tournent autour aux rythmes changeants des percussions. Ils n'ont plus vraiment conscience des douze êtres trapus qui les entourent et qui, plongés dans une transe mystique, frappent les peaux tendues sans retenue. La jeune femme n'est vêtue que d'un simple pagne, tout comme son père, leurs pieds nus foulent l'herbe épaisse de la clairière, éclairée par les lueurs mouvantes d'un grand feu central. Les ombres vacillent, révélant ou dissimulant dans une épaisse obscurité les arbres multicentenaires d'une forêt que bien peu d'êtres ont seulement entrevue. Des mousses ancestrales ornent comme des barbes troncs et branches, recouvrent partiellement des rochers usés par des âges immémoriaux.

-Écoute le rythme du monde, Orféa. Écoute-le avec tes oreilles, mais aussi avec tout ton corps. Laisse-le s'exprimer librement en toi, entends les sifflements des vents, le rugissement des vagues, le crépitement des flammes, le grondement de la terre! Et danse!

La jeune femme plisse les yeux de concentration, oublieuse maintenant de sa gêne à se retrouver là aussi peu vêtue, oublieuse de sa surprise à la découverte des petits hommes étranges qui semblent tout droit sortis d'un passé oublié, de cette forêt qui évoque des âges où les peuples qu'elle connait n'étaient encore que des possibles indéfinis. Elle s'était imaginé des salles d'armes ténébreuses, inquiétantes et glaciales à l'image peut-être de ce père qu'elle ne connait presque pas. Elle avait supposé qu'elle allait en baver, prendre des coups ravageurs destinés à l'amener si proche de la rupture qu'elle trouverait au fond d'elle la source de sa rage, de sa colère. N'était-ce pas ainsi que son paternel avait formé Eragonnes? Qu'il avait lui-même été formé? N'était-ce pas là l'essence même de cette Voie Noire qu'il évoquait parfois? Elle avait cillé lorsque il l'avait amenée dans cette simple clairière à la nuit tombante, perplexe et déboussolée. Puis les douze petits hommes primitifs étaient arrivés, chacun portant un grand tambour, ils avaient rapidement allumé un feu avant de s'installer en cercle avec leurs instruments. Noir-Feu lui avait alors tendu le pagne indécent d'un geste sans appel.

-Enfile ça.

Machinalement, trop perturbée pour protester elle l'avait pris, observant avec stupéfaction son père qui se dévêtait sans la moindre bribe de pudeur pour en passer un semblable. Puis elle avait rougi fortement en jetant un regard affolé aux petits hommes.

-Que...j'enfile ce...truc? Mais je...je ne peux pas! Pas devant eux...toi...

Noir-Feu avait haussé un sourcil légèrement amusé.

-Tu comptes t'entraîner aux Danses de Guerre en robe de soirée et escarpins à talons, Orféa?

-Je...non...mais donne-moi un pantalon et une chemise! C'est vulgaire à mort ce machin, je ne peux pas me battre aux trois quarts nue!!

-Oh. Pourquoi donc? Tu crois qu'un pantalon et une chemise te protègeront? Te rendront plus forte? Plus efficace?

-Non, mais je...

-Alors enfile ça.

Il avait désigné les joueurs de tambours d'un geste tranquille.

-Tu es la seule à ne pas être en pagne. Détends-toi, oublie les convenances, la gêne, la pudeur, personne ici ne s'en soucie. Nous ne sommes pas en ville, nous sommes au coeur de la Terre de Dana et ses Enfants naissent nus. Profite de ces instants, ici nous sommes libres, déliés du carcan de la société et de la civilisation, plus proches de la nature que nulle part ailleurs. C'est là que les Danses Dragonniques prennent leur source. Tu veux apprendre?

-Oui! Mais...

-Alors fais-moi confiance. Ta mère adorait se promener simplement vêtue d'un pagne sur Myrilla, avant que son statut de déesse ne lui "refuse" ce bonheur simple, tu sais? Elle appréciait la liberté de mouvement que cela procure, les sensations de l'air sur sa peau nue, le frôlement des herbes et des branchages.

Incrédule, la jeune femme avait dévisagé son père pour déterminer s'il se fichait d'elle, mais la douceur rare et imperceptiblement nostalgique du regard rivé sur elle l'avait convaincue qu'il n'en était rien. Elle avais pris une grande inspiration puis, fébrilement, ses joues se colorant d'un bel écarlate, elle avait vivement retiré ses vêtements et enfilé le pagne si horriblement impudique. Son regard gêné avait subrepticement glissé sur les petits êtres, s'attendant à y voir de la concupiscence ou de la moquerie. Mais elle n'y avait vu que des regards approbateurs et visiblement satisfaits de la voir se conformer ainsi à leurs coutumes. Son père s'était alors avancé vers elle, lui avait posé une main rassurante sur l'épaule en un geste d'une tendresse inconnue. Un sourire serein où perçait un éclat de fierté avait éclairé les traits durs du Noir, le rajeunissant incroyablement.

-Dans tout voyage, le premier pas est toujours le plus important, le plus dur aussi. Il marque le début d'un nouveau chemin, dont on ne sait jamais où il nous mènera. C'est un saut dans l'inconnu, dans la nouveauté. Il en va de même des Danses Dragonniques. Je suis fier de toi, ma fille!

D'une ferme pression, il l'avait alors entraînée au centre de la clairière, adressant un léger signe de tête aux joueurs attentifs. Puis il avait rivé les yeux dans ceux d'Orféa, lui enjoignant de danser. Elle s'apprêtait à exiger des explications lorsque le premier coup de tambour avait retenti.

Elle danse.

Légèrement incrédule, elle perçoit dans les sourdes mélopées ces éléments évoqués, fait quelques pas aux allures de courant d'air, recule comme le ressac, tournoie comme une flamme vive, se fend comme la terre qui se modèle au gré d'un séisme. Au fil des instants qui passent, elle réalise que son père se déplace en parfaite harmonie avec le moindre de ses gestes, pressent au fond d'elle-même un équilibre vertigineux qui se crée au gré de leurs pas.

Elle trébuche.

Une main puissante freine sa chute, la transforme en un mouvement fluide qui lui permet de reprendre le cours de la danse comme si sa maladresse en avait fait partie intégrante.

Ils dansent, encore et encore, de plus en plus vite alors que le rythme devient plus frénétique, plus sauvage, regard d'argent dans regard de jais, qui jamais ne se détachent plus d'une seconde. Ils perdent la notion du temps, ils oublient tout ce qui n'est pas l'instant présent, plongés dans une chorégraphie époustouflante proche de ces transes guerrières utilisées par certains Elfes. Imperceptiblement les tambours ralentissent, les coups se font plus légers, plus doux, puis se taisent, laissant les dernières vibrations résonner jusqu'au silence le plus total. Les danseurs s'immobilisent, face à face.

Le premier rayon du soleil perce la sylve, enflammant de ses ors la chevelure lunaire d'Orféa avec une précision perturbante.

Noir-Feu sourit à sa fille, plus ému qu'elle ne l'a jamais imaginé possible. Il se penche, l'embrasse sur le front en murmurant:

-Je vous aime, Orféa. Toi, Haelyon, Shadee, vous êtes les astres de ma vie. N'oublie jamais ça, si lointain que je te semble être parfois.

Il se recule d'un pas et désigne les petits hommes qui déjà s'étaient allongés sur l'herbe confortable du menton, un sourire malicieux aux lèvres:

-Une bonne journée de sommeil, et on remet ça?

-Peuh! Maman dit que tu ne dors jamais!

Taquin, Noir-feu lui rétorque:

-Un Dragon ne dort jamais que d'un oeil, des fois qu'un audacieux se risquerait à venir dérober son trésor! Allez, reposons-nous un peu, demain nous danserons avec des bâtons, et si tu n'es pas trop fatiguée, je te montrerai comment mettre une raclée à ton frère!

-OOOUUUAAAAAIIIIIIISSSS!!!!:D

Edité par Noir-feu le 09/09/14 à 04:10

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