Forum - [Le collectionneur] Introduction - Bis.
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Anastase De Mu | 03/08/14 14:44
La brise nocturne était parfumée, de ces effluves que l'on ne rencontrait que dans les grandes villes, où les étals des maraîchers proposaient pêle-mêle fruits trop murs, légumes de saisons et fleurs fraiches, et dans ces jardins soigneusement entretenus, où l'herbe fraiche disputait aux senteurs de bosquets exotiques. Elle était fraiche, aussi, et l'épiderme de l'elfe nu se dressait à chacune des caresses sensuelles d'Éole. Il frissonna, soupira, emplit ses poumons de cet air revigorant et enivrant. Malgré son dépouillement total, il n'éprouvait aucune gêne : seules les étoiles pourraient le juger, et de là où elles étaient, il lui semblait improbable qu'elle trouve à dire quoi que ce soit ; et quand bien même, il n'était pas peu fier de son attirail. Il se gratta paresseusement une fesse ferme et rebondie ; un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres. Il s'étira et fit craquer les vertèbres assoupies de sa nuque.
Il aimait venir en catimini dans le jardin, lorsque tous ses convives s'étaient enfin assoupis, après d'haletants jeux d'adultes, comme les humains aimaient à dire. Il profitait alors de la solitude et du silence ; mais il le savait, il n'était jamais réellement seul. Ses sens naturels s'étaient ramollis avec la fréquentation régulière d'une foule inconstante d'énergumènes en tout genre. Leurs défauts, leurs impuretés, leurs cris stridents et discordants l'avaient, de prime abord, effrayé, bouleversé, à manquer de rendre son déjeuner. Mais peu à peu, il s'était endurci, avait obstrué, plus inconsciemment que volontairement, ses canaux de perception.
Ho, il voyait toujours bien la nuit, mais son oeil se fatiguait vite, et son esprit ne prêtait plus autant d'attention aux petits détails de la nature ; son ouïe aurait était excellente, s'il avait été humain, mais il aurait été bien en peine de reconnaître les différents piaillements de volatiles, lui qui avait su, dans sa jeunesse, distinguer chez le rossignol la crainte de l'amertume; son odorat distinguait mieux les odeurs que la plupart de sa suite, mais était encrassé par des années à renifler des parfums de cour écoeurant au possible.
Pourtant, dans ces moments là, il se laissait aller, réapprenait à sentir le monde, à l'appréhender, à le contempler. Il le découvrait d'instinct, le survolait de son esprit et de ses sens de nouveau-né ; il s'émerveillait de la course effrénée d'une souris, puis s'attardait sur les colonies de besogneuses fourmis, avant de s'émouvoir du cri strident d'un coyote en mal de sommeil. Il savait que s'il travaillait dur, il pourrait redevenir l'elfe qu'il avait été ; mais il n'en avait plus la patience. Il se contentait donc de ces instants où il pouvait se délecter de la découverte de mille choses, et son esprit se perdait dans l'examen approfondi de ces insignifiantes vies. Et il les trouvait belles.
Il était devenu l'un des leurs. Un de ces courtisans qui pensaient que tout se décidait la cour royale, là où son infini majesté posait son impérial arrière-train. En un sens, ils n'avaient pas tord. L'Immortel, puisqu'on avait donné cet « affectueux » surnom à son grand-père, et à ses descendants ensuite, tenait d'une poigne de fer les cités de l'Empire. Son arrière, arrière grand père, Kaleb l'audacieux, avait été intronisé « Grand protecteur de la patrie» ; premier de sa lignée à accéder au pouvoir princier, il fut celui qui transforma une cité prospère, Tolia, mais sans réelle prétention, en centre névralgique d'un empire s'étendant, du Golfe des tourments, au Nord, jusqu'aux limites des bois de Mû, tout au Sud. Tout ceux qui s'étaient opposés étaient tombés. Morts, capturés, enfermés dans les geôles de la Capitale, ce qui, finalement revenait, peu ou prou, au même.
Le peuple, elfique, de Mû, avait courbé l'échine. Dans un premier temps. Face à l'armada humaine et aux bataillons qui venaient prendre position, sur leurs terres ancestrales, le peuple de la forêt avait préféré se soumettre. Il y avait, il fallait le dire, tout un parti pro-impérial qui avait oeuvré pour se rapprochement. Que cela fut-ce essentiellement des barons du Sud, menacés par l'expansion des fils du ciel, n'était pas une coïncidence. Il y eut quelques années de relative sécurité, et de prospérité. L'empire ouvrait enfin ses marchés aux longues oreilles, et à la crainte viscérale de l'inconnu s'était peu à peu substituée une curiosité polie. Bien sur, il ne fallait pas, pour un elfe, s'aventurer dans les confins du nord-Est, sous peine de se retrouver malmené, voir purement et simplement éviscéré par ces péquenauds racistes ; mais la Capitale accueillait son quartier Elfique, où les plus aventureux des longues-vies tentaient de réussir.
Puis, il y avait eu la guerre. Les fils du ciel avaient revendiqué les bois de Mû, unilatéralement. La région fut rapidement transformée en champs de bataille, ou les corbeaux disputaient les cadavres aux rats et aux coyotes. Un statut quo finit par s'imposer de lui même, le temps que chacun panse ses plaies. Puis, il y eut la deuxième guerre frontalière, qui termina de la même manière. Et enfin, la troisième, la plus éreintante pour l'empire, qui se battait à cette époque sur le front du Nord Est. Avec son cortège de malheurs, la mort avait alors avancé sournoisement. Les hommes étaient tombés, de part et d'autres. Les elfes, déjà fortement mobilisés pour défendre leurs propres terres, payèrent là encore un lourd tribu. C'était du temps du second fils de Kaleb, celui qui ne vécu pas longtemps, emporté qu'il fut par la Grande Peste, comme son grand frère. Certains disaient que l'empire s'écroulerait. Qu'il ne survivrait pas à cette mort, après avoir tenu face aux famines, aux épidémies, et aux guerres désastreuses. Il y eut un vent de révolte ; chacun pensait pouvoir alors prendre son indépendance. Les cités, les unes après les autres, hissèrent le pavillon de la rébellion. Le fléau avait frappé sans distinction de frontières, ce qui ménagea un trêve avec les fils du Ciel. Alors, les Sires de Mû tentèrent, eux aussi, de retrouver leur liberté passée.
Les conséquences furent désastreuses. Le quartier elfique de Tolia fut brûlé, ses habitants, massacrés. Les anciennes haines refirent surface. On se poignardait pour un regard de biais, et les manoeuvres les plus viles avaient cours au plus haut sommet de l'état. L'enfant sur le trône était entouré d'une pléthore de médecins, de gardes, de mages et autres talismans vivants ; chaque jour, une tentative d'assassinat était déjouée. il acquit alors son nom : Melkor l'intouchable, celui qui ne pouvait être atteint par les lames ou la maladie. Mais il rumina une terrible rancoeur contre ceux qui remettait son autorité en doute. Implacable, sans pitié, il reprit chacune des cités rebelles, s'appuyant essentiellement sur des mercenaires étrangers, et passa la majorité des dirigeants par le fer. Il avait 12 ans.
Lorsqu'il arriva aux portes de Mû, la population avait fui depuis bien des lunes. Il fit tout de même ravager méticuleusement la cité forestière, et ordonna qu'on boute le feu aux bois à proximité. La désolation devait s'étendre, et rappeler à tous, même aux frontières les plus éloignées, qu'il était le maître. L'ensemble de la forêt ne brûla pas, heureusement. Mais les lieux de l'ancienne Mû furent calcinés, et désertés. Le temps passa, l'intouchable devint l'immortel, après sa victoire finale sur les conjurés. L'Empire, en définitive, survécut. Le pouvoir central fut même renforcé, et l'époque du fléau traumatisa à jamais l'inconscient collectif. A Mû, la nature reprit ses droits sans que quiconque ne veille s'y installer de nouveau. Elle appartenait au passé. La région fut reconstruite, mais perdit son autonomie. Elle fut intégrée dans une marche indépendante, elle-même confiée au « bon gouvernement » du fils aîné de Melkor, Kaleb le Second.
Anastase secoua la tête, et ouvrit les yeux. Il s'était allongé dans l'herbe, ressentait chaque brin soyeux. Une araignée grimpa sur son pied, et il observa un moment, avant de la chasser délicatement. Lorsqu'il s'abandonnait ainsi, souvent lui revenait les histoires de son père. Il aimait plonger dans l'histoire, dans ces temps oubliés où les guerres changeaient la face du monde, où les hommes n'étaient pas emperruqués et parfumés comme des catins. Son esprit vagabonda de nouveau, se rappelant de l'énigmatique Kaleb. Son paternel l'avait connu à la cour, alors qu'il y était en qualité d'otage. Il lui avait parlé d'un être taciturne, peu bavard, et prompt à la colère. Il fut pourtant un Immortel sage et conciliant, préférant le dialogue à l'affrontement. Il est possible que sa passion frénétique pour les drogues venues d'orient l'ai un peu ramolli ; quoi qu'il en soit, il préserva l'héritage de son prédécesseur, et confia, à son tour, la Marche à son fils aîné, Dorian dit le poudré.
Il était connu pour ses frasques ; sa jeunesse fut parsemée de rumeurs sur son homosexualité, et sur son plaisir du lucre. Pourtant, pour l'avoir intimement approché, Anastase pouvait au moins dire qu'il était avisé. S'il passait, en tout honnêteté, le plus clair de son temps dans son lupanar, à s'adonner à toutes les déviances possibles et imaginables, il lui arrivait de temps à autres d'en imposer à un conseiller un peu trop virulent. Il monta sur le trône en fanfare, après une longue procession qui le mena de la marche jusqu'à la Capitale ; elle dura des semaines, et fut le théâtre féerique de mille folies, de centaines de créatures fabuleuses, ou de monstruosités excitantes. Il aurait pu être un grand seigneur de guerre, mais fut surtout un magistral hédoniste.
« Tu as mal vieilli, l'ami. »
La phrase était sortie comme une supplique lancée au monde entier. Il se rappelait, se souvenait. Lui, celui qui ne vieillissait pas, avait vu avec effroi les affres du temps sur celui qui avait été son maître. Et en beaucoup de chose, son initiateur. Il avait aperçu dans son regard, en retour, cette jalousie sans borne, qui comparait ce corps svelte et imberbe d'adonis, à sa propre défroque qui s'affaissait de jour en jour. Son corps se recroquevillait, et son esprit devenait suspicieux, paranoïaque, cauteleux. De plus en plus d'alchimistes venaient prendre leurs quartiers au palais, proposant ici une cure de jouvence, là un baume rajeunissant, ici un talisman contre le poids des ans... Alors, Anastase avait compris qu'il était temps, pour lui, de quitter la cour, avant d'en être vilainement chassé. Et un jour, il avait pris congés. Il était revenu sur les terres familiales, mais n'était plus autant elfe que les siens. Il n'était pas humain non plus. Il n'était rien, ou il était tout. Il s'était particulièrement enrichi à la cour, les largesses passées de l'immortel ayant été considérable à son égard.
Alors, il retourna là ou tout avait commencé. Et il fit rebâtir la citadelle princière de Mû. Puis, des dépendances. Des baraquements, pour les domestiques, pour la garde. On disait le lieu hanté, mais il y avait bien des années qu'Anastase ne croyait plus aux fantômes et autres spectres. Il avait vu pire, au creux de l'âme des hommes. Et l'or qu'il déversait acheva de convaincre les plus hésitants. Une magnifique propriété sortit alors de terre, là ou avait existé le berceau des elfes des bois de Mû. Les canaux furent drainés, les arbres taillés, les bâtisses branlantes soutenues ; la vie afflua, doucement. Il lui faudrait convaincre son ancien mentor de le laisser vivre en paix ; il faudrait apprendre aux elfes à accepter son monde. Il serait là, lui, à la moitié du pont qui séparait deux traditions, deux modes de vie. Du moins, il l'espérait.
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Anastase de Mù, le marquis.
"Mon cher ami, ce crâne de gobelin siamois est magnifique ! Votre prix sera le mien."