Forum - Chronique de Brevedhil
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Kephas De Tyr | 13/07/14 09:31
Les archives du Temple gardent parfois quelques parchemins relatant l'histoire de certains continents. Celui-ci relate les rapports entre Véran de Béthet, émissaire du Temple pour le compte du sieur de Tyr, et Ombre-lune, le prince dragon de Sombreval.
On lui avait raconté maintes histoires, et Kephas savait que la plupart n'était que des contes pour effrayer les enfants. Il y avait certes, parfois, une larme de vérité, qui s'écoulait lentement du breuvage indigeste de ces boniments et autres foutaises, mais généralement, les patrouilles de templiers perçaient rapidement le mystère à jour. Mais aujourd'hui, de pauvres ères, venu d'un village isolé, lui avaient parlé d'une créature mythique. Céleste ou démoniaque ? c'était la question qu'il pouvait, légitimement, se poser. Il réfléchissait à la possibilité qu'un être légendaire fusse sur ces terres. Ragot colporté par un alcoolique ? bravade d'enfant trop bavard ? Il pesta. S'il y avait ici un dragon, il ne tarderait pas à en avoir de nouveaux échos. Et s'il s'avérait dangereux pour les hommes, il faudrait se mettre en chasse.
Aux frontières ouest du massif montagneux central, quelques Elfes peu nombreux avaient établi un camp discret. Pourquoi à cet endroit plutôt qu'un autre, cela restait un mystère pour les villageois environnants car ils éprouvaient une sorte de crainte superstitieuse envers ce lieu, le porche d'une immense grotte béant pareille à une porte infernale menant droit au coeur des ténèbres. Nul hormis quelques jeunes téméraires n'avait osé s'y risquer, et encore s'étaient-ils à peine engagés sous la montagne, vite effrayés par le silence et l'obscurité omniprésente. A l'entrée de cette grotte, donc, quelques palissades avaient été érigées, quelques huttes simples, aussi, et si la présence des Elfes avait inquiété les habitants du cru, ils avaient vite surmonté leurs peurs en réalisant que nulle intention belliqueuse ne semblait les animer. Au contraire, ils avaient payé en bon or quelques provisions, et offert un bouclier de belle facture au chef du village le plus proche. Au hasard d'une conversation, l'un des Elfes avait évoqué son Seigneur en citant son nom, il n'en avait pas fallu davantage pour que les rumeurs enflent et se répandent alentours: l'Aîné des Dragons Noirs avait élu domicile dans la caverne redoutée.
Beaucoup d'avis contradictoires quant à cette présence se manifestèrent, certains en faisant un démon sanguinaire, d'autres au contraire un être plutôt solitaire et distant, qui ne prenait la Vie que lorsque il ne pouvait faire autrement. Néanmoins, à ce jour, nul ne pouvait se vanter de l'avoir seulement aperçu sur Brevedhil, ce qui en soulageait certains et en désolait d'autres, peu nombreux en vérité car de manière générale, le sombre chevaucheur d'orages n'était guère apprécié.
Dans la pénombre épaisse qui régnait en maîtresse absolue au coeur du roc, repoussée seulement par quelques maigres torches plantées entre des cailloux, se trouvait une vaste salle naturelle dans laquelle bruissait, presque imperceptible, le chuchotement d'un ruisseau qui alimentait le petit lac bordant l'un de ses côtés. Sur la rive de ce lac, un être se trouvait debout, contemplant l'onde d'un regard absent et éteint. Il n'était vêtu que d'un seul pagne, le reste de son corps était nu et sa peau presque aussi sombre que celle d'un Elfe Noir renvoyait étrangement l'éclat des torches. De haute taille, cet être semblait taillé dans le roc, une musculature noueuse et angulaire révélait sans discrétion le guerrier, bien qu'étrangement nulle cicatrice ne marque son corps. Le visage était fin, pas tout à fait autant que celui d'un Elfe mais plus que celui d'un humain, les oreilles n'avaient pas la pointe caractéristique des Elfes mais n'étaient pas tout à fait assez rondes pour un homme. Les traits durs de l'être étaient figé en un masque neutre et impénétrable, encadrés par une longue et libre chevelure d'un blanc argenté, et bien rares étaient ceux qui auraient pu percer ses sentiments. Dehors, les Elfes poursuivaient leur ouvrage sans qu'il s'en soucie, et sans qu'eux marquent quelque étonnement face à son comportement. Ainsi se passaient les jours à l'ouest des montagnes, et rien ne semblait devoir changer, à moins qu'un événement extérieur ne vienne troubler le calme du petit camp.
La cité d'Asdod était ouverte sur la mer et disposait d'un port commercial de grande envergure. Des siècles de navigation lui avaient permis d'acquérir une puissance maritime non négligeable, qu'elle utilisait pour contrôler le détroit des fumées, et en tirer de substantiels revenus. Un rempart ocre brun ceinturait la ville; il avait plus une valeur dissuasive que défensive, et les milice bourgeoise qui en assurait la surveillance n'avait pas grande expérience du combat. C'est donc tout naturellement que le Conseil local avait accueilli favorablement l'établissement d'une nouvelle commanderie intramuros. Adossée à la muraille, le nouveau Temple pouvait contrôler l'arrivée d'indésirables dans les grandes plaines de l'Ouest. Ces terres arables offraient une ligne d'horizon si lointaine, que la vue d'un homme ne pouvait en atteindre la fin. Il avait fallu faire tracer une nouvelle voie d'accès pour faciliter la circulation entre le port et la citadelle; si les petits gens avaient grogné, les retombées commerciales qui s'en étaient suivies avaient fini de les convaincre des bienfaits de la religion.
Kephas avait depuis longtemps obtenu le grade de Commandeur-Châtelain. Il n'aspirait pourtant pas à obtenir plus de responsabilités, lui qui avait été simple scribe-secrétaire, mais les événements l'y avaient contraint. Qu'en aurait dit sa famille ? Ils éprouvaient sans doute de la fierté. De l'orgueil, plus sûrement. D'autant que son rang lui permettait d'enrichir les siens de manière non négligeable. Il regarda la mer par l'ouverture d'une meurtrière. Si belle, si douce, et pourtant, si dangereuse. Comme chacune des terres qu'il avait foulées, et qu'il foulerait encore. Des rumeurs et des rapports lui rappelaient chaque jour et chaque nuit qu'il y avait ici bien plus que des nobliaux en manque de terres; il n'en dormait presque plus, d'ailleurs. La plus préoccupante était celle du Dragon. On lui avait rapporté que son nom courrait les rues d'un patelin aux confins de la plaine, sur les contre-monts des montagnes. La rumeur avait enflé en se rapprochant d'Asdod, et voila que sur les marchés, on trouvait des énergumènes qui juraient avoir vu volé un Ancien. Il avait fallu faire équiper le haut beffroi de la ville d'une arbalète naine pour rassurer la populace. Mais les prédicateurs d'apocalypse continuaient d'arpenter les pavés.
Le templier se mit à rêvasser, laissant glisser paresseusement sa plume sur le parchemin qu'il était en train de rédiger. Un Dragon... A quoi pouvait penser une telle créature de légende ? Jamais, d'Histoire du Temple, il n'en avait été croisé. A chaque fois qu'ils avaient été mentionnés, il s'agissait finalement d'un serpent des mers un peu long, d'un basilic vindicatif, ou d'un lézard un peu trop gros. L'imaginaire était une arme puissante, prompt à désarmer la plus efficace des armées. Il pesta. Asdod était plusieurs fois centenaires; c'est bien ce qui avait attiré le Temple ici. Si son économie était florissante, elle représentait une cible facile pour les créatures qui refusaient à l'homme le droit d'exister. Pourtant, elle avait réussi miraculeusement à traverser les âges: en témoignaient les nombreuses bibliothèques qui parsemaient la cité. Le savoir était la réelle richesse; mais les commerçants locaux n'en avaient cure. Ils avaient d'ailleurs facilement laissé le contrôle des archives aux templiers. Les moines s'efforçaient depuis de mettre de l'ordre dans un tel fatras accumulé sur des décennies, mais cela prendrait du temps. Ils y trouveraient peut-être plus d'informations sur le Dragon, et sur ce qui l'avait attiré ici.
Kephas se rappela une veille histoire que sa nourrice lui contait, enfant. Ces créatures étaient savantes, roublardes, et aimaient par dessus tout l'or. Il frissonna. Combien de banquiers d'Asdod avaient entassé dans leurs caves le produit des mines et carrières locales ? Il espérait se tromper. Il lui faudrait certainement dépêcher une patrouille dans les environs des montagnes. Il s'arrêta net. Pourquoi ne l'avait-il pas encore fait ? Il se maudit. La fatigue lui faisait oublier les plus élémentaires réflexes, dont celui de vérifier toute information, plutôt que de fantasmer dessus.
Les jours, puis les semaines, avaient passé sans que rien de notable ne perturbe le petit campement Elfe. Chacun semblait savoir ce qu'il avait à faire, et aucun ordre ne venait diriger les travaux qui pourtant avançaient sans heurt. Il arriva pourtant un matin où une petite troupe d'éclaireurs inconnus fut aperçue à proximité, annonçant que le calme ne durerait sans doute plus bien longtemps.
Malgré l'absence apparente de hiérarchie, il en était une qui d'un commun et silencieux accord dirigeait la petite compagnie, elle se nommait Läewllyn et sa sculpturale beauté était à même de troubler les plus endurcis. Ceux qui la connaissaient évitaient pourtant soigneusement toute pavane, car Läewllyn était aussi dure et inflexible que son Seigneur, Danseuse de Guerre bien avant d'être femme elle ne semblait devoir avoir aucun genre d'attrait pour la bagatelle. Dès qu'elle fut informée de la présence d'explorateurs, elle se rendit dans l'antre du Noir, et gagna rapidement la salle du lac. Elle murmura juste assez fort pour être entendue, comme répugnant à troubler le silence de la nef:
-Le temps est venu, Ombre-Lune...
L'être immobile depuis tant de jours cilla imperceptiblement, puis tourna le visage pour poser un regard éteint sur l'Elfe. La texture du silence changea subtilement, une lointaine lueur s'alluma dans les prunelles et l'être tendit lentement un main qui vint se poser sur la joue de la guerrière. Sa voix brisa le silence, rauque et atone, comme si elle n'avait plus servi depuis trop longtemps.
-Le temps est échu, Läewllyn, abandonne ton fol espoir il ne fera que t'enchaîner...
-Pourtant, Seigneur...
-Pourtant j'ai échoué dans la seule Danse qui importait. La Flamme s'est éteinte, et avec elle ma Vie s'enfuit. Oh, bien sûr, il faudra du temps. Après tout, n'ai-je pas été un Immortel? Une Puissance de ce monde? Oui, il faudra du temps pour que la dernière goutte de mon existence s'écoule, mais déjà mes rêves se troublent, Läewllyn. Tu sais ce que tu dois faire, alors fais-le et laisse-moi à mes souvenirs...ce monde n'est plus le mien. Avertis-moi si un émissaire quelconque se présente en personne et réponds comme de coutume aux missives, mais ne prends aucune initiative militaire.
L'Elfe s'inclina et s'en fut, elle ferait de son mieux, comme toujours.
La magistrale porte d'Asdod était dominée par un minaret élevé, où quelques guetteurs annonçaient par un vacarme de trompettes, tout au long de la journée, l'arrivée d'étrangers. Mais aujourd'hui, la sarrasine finement ouvragée s'était soulevée pour permettre le départ d'une compagnie locale. Loin d'avoir été acclamée sur son passage, elle avait suscitée tout au mieux de l'indifférence, mais dans la majorité des cas, une crainte à peine voilée. Véran de Béthet, timide jeune homme à la peau caramélisée, avait en effet reçu l'audacieuse mission de trouver le repère, s'il existait, du Dragon. On lui avait assigné, pour sa mission, un frère-templier qui officiait comme linguiste, prompt à déchiffrer les langages les plus alambiqués, et un frère-sergent dévoué, chargé de sa sécurité. Mais la petite bande avait rapidement vu se greffer quelques aventuriers de tout poil, et autres marchands audacieux: Kolvac l'autoproclamé tueur de dragon, qui contait à qui voulait l'entendre qu'il occirait à mains-nues ce gros lézard; les frères jumeaux Douïn et Valouïn, des demi-nains aussi pingres que cupides; et Estienne d'Astrefol, un nobliaux local piqué de naturologie, aussi bavard et distrait qu'un enfançon découvrant le monde. Il était impossible pour le templier de refuser leur présence : le Temple ne réglementait pas les mouvements des hommes libres. Il avait donc accepté du bout des lèvres leur "aide désintéressée".
/l avait fallu du temps. Et de la patience, beaucoup de patience, pour supporter les incessantes et doctes jacasseries du pédant lettré, les fanfaronnades continuelles d'un guerrier qui semblait n'avoir combattu que dans ses rêves les plus fous, et les chuchoteries suspectes des deux frères. Le silence de ses frères de l'ordre n'avait pas aidé : ils ne prenaient que très rarement la parole, et quand c'était le cas, c'était de manière laconique. Véran passait le plus clair de son temps seul, a feuilleter les cartes que le Maitre lui avait confiées, et a compiler les témoignages des péons qu'ils rencontraient au fur et à mesure de leurs pérégrinations. Mais un jour, alors qu'ils s'approchaient de l'épicentre des rumeurs, ils tombèrent sur un campement. Ils furent rapidement stoppés par les sentinelles; leurs traits si caractéristiques ne pouvaient pas suggérer autre chose : Des elfes.
Il était rare pour les chevaliers du Temple d'en rencontrer : habituellement, ces créatures ne se mêlaient pas aux hommes, et préféraient se dissimuler à leur vue. Mais par la grâce du Tout-puissant, ceux là semblaient accepter l'entrevue. Le linguiste apostropha posément les gardes, leur présentant ses hommages, à la manière des hommes; il les invita courtoisement à les rediriger vers qui de droit, afin que la compagnie puisse s'entretenir de sujets importants.
Les gardes Elfes répondirent avec courtoisie aux visiteurs, les priant d'attendre quelques instants afin d'aller quérir un responsable à même de répondre à leurs attentes. Quelques minutes plus tard, les émissaires furent invités à entrer et guidés jusqu'à un Telhin où les attendaient breuvages et nourriture disposés sur une grande table ronde d'ébène entourée de sept fauteuils du même bois. Contre un mur, une étrange bannière était tendue, représentant un simple cercle argenté sur fond noir. Un héraldiste chevronné y aurait sans doute reconnu les couleurs de Sombreval, mais cela même ne révélait rien sur ceux qui la portaient car les buts de cette confrérie étaient largement inconnus. Sur l'un des fauteuils se tenait l'être connu sous le nom d'Ombre-Lune, son regard incandescent scrutant les visiteurs avec une acuité redoutable. Il se leva et s'inclina avec la plus grande politesse, saluant dans leur langue les émissaires. Il les invita à prendre place et à se désaltérer, la poussière des grands chemins ayant ce don regrettable d'assécher gorges et palais.
Il y eut comme un flottement dans le groupe d'émissaires. Ils s'étaient, à force de s'entendre conter d'extravagants récits, presque attendus à se trouver face à un colossal saurien, et voilà que devant eux se tenait cet être vêtu pour l'occasion de soie noire aux discrets liserés d'argent ressemblant indiscutablement davantage à un humain de haute taille, ou peut-être à un Elfe noir, n'étaient ses oreilles trop "humaines". Le "chasseur de dragons" remarqua immédiatement les deux lames d'un noir de jais qui ceignaient les hanches de l'être. Au premier regard, deux armes banales, hormis leur teinte peu courante, mais un examen plus attentif révélait des lames d'une qualité rare, dépourvues de la moindre décoration elles ne visaient qu'à une efficacité maximum, de longs siècles d'expérience de la forge et de la guerre avaient trouvé leur apothéose dans cette épée et cette dague.
Tout en se servant de vin mêlé d'eau ou de fruits, les émissaires remarquèrent aussi que l'être se mouvait avec une assurance et une grâce inquiétantes, bien qu'aucune animosité n'émane de lui. Au contraire, une sorte de bienveillance semblait plutôt dicter sa conduite, et c'est sans impatience qu'il attendit que chacun se fut quelque peu remis des fatigues du voyage avant de demander aimablement:
-Je suppose que vous n'avez pas fait si longue route pour le seul plaisir, messires, si vous me disiez ce qui vous amène en ma modeste retraite?
Ecrit à deux mains (enfin quatre) : Ombre-lune et Kephas.