Forum - [Ordre du Temple] La Commanderie de Tyr

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Kephas De Tyr | 22/01/14 19:05

Il pleuvait des cordes. Deux mois, six jours, et le flot ininterrompu continuait de s'abattre sur la Commanderie de Tyr. La douve avait débordé au troisième coucher de soleil, et le puits menaçait d'en faire autant. La cour jouxtant les baraquements était devenue une gigantesque souille à sangliers. D'ailleurs, deux écuyers s'y démenaient, trempés jusqu'aux os, pour ramener à l'écurie l'une des montures du Commandeur-châtelain.

Kephas soupira. Derrière lui, un timide feu de cheminée s'évertuait à réchauffer l'atmosphère glacial du donjon de pierre. Sans succès. Il passa une main dans sa barbe, se rappelant ses premiers mois ici. La saison avait été alors plus clémente, ce qui ne lui avait laissé aucun répit au cours de sa formation. Troisième fils du seigneur local, il n'avait eu pour choix que de s'engager dans les ordres, au monastère voisin. Bien que la chasteté le rebutait, mais arrangeait les affaires de ses frères aînés, et qu'il n'avait pas particulièrement de goût pour la chose religieuse, il avait accepté son destin en homme, et avait professé ses voeux le premier jour de sa majorité. Si cette vie d'ascète ne lui convenait nullement, et mettait à mal la fougue de sa jeunesse, il put assurer sa main dans l'art de l'écriture, et aguerrir ses yeux à la lecture. Mais las de prières et de recueillements, il n'hésita pas lorsque se présenta à lui un échappatoire : Nathan de Libna était missionné pour bâtir un Krak à la frontière des terres sauvages, et il recherchait des volontaires. Ces derniers se faisaient rares, tant les rumeurs et les légendes courraient sur les effroyables créatures qui peuplaient cette jungle moite et malsaine. Tout homme, quelque soit sa condition, pouvait obtenir sa libération s'il embrassait la cause du Temple.

Il espérait pouvoir ainsi trouver quelques réconforts dans la camaraderie graveleuse d'une bande d'hommes aguerris, mais déchanta rapidement ; les règles strictes de l'Ordre ne laissait pas beaucoup de places à l'amusement, ni à la grivoiserie. De noble naissance, il fut fait écuyer, une année durant. S'il avait déjà monter de temps à autres les destriers de son père, on lui enseigna les soins quotidiens à prodiguer à ces fières bêtes, et le combat monté, qui lui valut de nombreuses bosses et le sobriquet de la « tortue», car il passait plus de temps à essayer de se relever de ses chutes qu'à enfiler les anneaux au bout de sa lance. Enfin, lorsqu'il n'apprenait pas à encaisser les coups de ses instructeurs, il devait se plonger dans l'étude des textes sacrés, des traités de stratégies, de mathématiques, d'astronomie, de géographie et de médecine jusqu'à l'épuisement. Il était impossible de pouvoir ingurgiter autant de connaissances en si peu de temps, mais c'était ainsi que le Gonfalonier choisissait les futures affectations des nouvelles recrues.

Finalement c'est plus pour ses talents de lecteur et d'écrivain qu'il fut repéré que pour son élégance à l'épée ; on lui administra le titre de clerc-secrétaire et il rejoignit ses nouveaux quartiers dans le donjon du commandeur local, Nathan de Libna. Il partageait sa cellule avec un autre frère chevalier, Jonas de Gath, un vénérable grammairien, qui, disait-on, servait d'interprètes avec certaines des créatures démoniaques de ces maudits bois. L'homme n'était pas mauvais bougre, et était même de bonne compagnie, lorsqu'il bavassait dans une langue compréhensible. Pourtant, si Kephas avait cru que l'étau se desserrerait alors, il s'était trompé : il devait à présent assister à deux messes journalières, se contenter de repas frugaux, participer aux labeurs des humbles, et se rendre quotidiennement à la confesse, durant laquelle le chapelain ne manquait pas de lui infliger des pénitences pour le moindre des écarts. L'Ordre ne formait pas des soldats, mais des Saints ; et cela faisait cinq ans qu'il aspirait à en devenir un, sans toutefois s'y faire.

Une corne retentit dans l'obscurité. La longue complainte annonçait le changement de garde et l'heure des complies pour Kephas. Nul mot ne devait sortir de sa bouche à présent. Il soupira à nouveau. La nuit serait longue : il était sensé veiller jusqu'au petit matin en se perdant en prières silencieuses. Il serait seul, cette fois ; le vieux linguiste avait été envoyé en patrouille au-delà de la frontière des terres des hommes de Tyr. Le ciel se zébra de nouveau, déchirant, l'espace d'un instant, les ténèbres. Le frère chevalier compta pensivement les secondes. Le tonnerre gronda plus rapidement que prévu ; la tempête se rapprochait du Krak. Il ne trouverait ni la paix intérieure, ni le sommeil. Ici, si proche de la frontière, rien n'était naturel.

Il se signa naturellement, autant par superstition que par habitude. Si le Tout-puissant existait réellement, et qu'il appuyaient le bras de ses fils chevaliers, Kephas n'aurait rien à craindre cette nuit. Une de plus. Il sursauta, la foudre venait de frapper un arbre dans la plaine avoisinant la forteresse. Les patrouilleurs qui rentraient de missions avaient pour habitude de lui faire rapport, qu'il consignait dans le grand livre de la Commanderie. Ainsi, bien qu'il n'était pas généralement envoyé en reconnaissance au delà de l'enceinte, il savait ce qu'il y avait là-bas, dehors. Les hommes parlaient de créatures cornues guidant des meutes de tigres ou de pumas, des arbres qui se mouvaient et les assaillaient de toute part, d'invocations et de change-formes sans pitié ; comme si la nature était devenue hostile, comme si, sous l'influence néfaste de démons, elle se rebellait contre l'humain. Les terres agricoles ne s'étendaient plus depuis des années, et les frontalières restaient en friche, les péons locaux n'osant plus les travailler, craignant pour leur vie. Le feu avait un temps contenu cet ennemi invisible, qui étendait ses mains vers la civilisation ; mais la pluie qui tombait régulièrement depuis lui ôtait toute utilité. En ville, on criait au sortilège. La famine menaçait, les épidémies apparaissaient dans les faubourgs les plus démunis, on reprochait au temple de ne plus protéger les fidèles du Père céleste.

Il y avait bien des races dangereuses à travers le monde. Les bateleurs sang-mélés, qui fourmillaient dans les bas-fonds avec leur mine patibulaire et un mauvais tour en tête, toujours prêts à vous perforer le poumon d'une lame assassine ; les demi-hommes, assoiffés d'or et d'alcool, qui venaient vendre le produit de leurs forges montagnardes lors des foires bi-annuelles, prompts à la bagarre et aux insultes ; les orks, cette engeance maudite emplie de colère et de rage, qui parfois, arpentaient de long en large les cages des marchands d'esclaves, couverts de chaînes. On racontait qu'ils pulvérisaient des villages pour s'amuser, et dans leur perversité maladive, manger le coeur des survivants. On lui avait parlé des elfes, ces émanations de la forêt, qui auraient été aussi beaux que narcissiques, aussi adroits que glacialement distants, aussi impérissables que meurtriers. Il n'en avait jamais vu, mais n'espérait pas en rencontrer de si tôt : s'ils avaient eu l'orgueil de vaincre la mort pour se rapprocher de l'état divin, il ne fallait pas s'attendre à beaucoup de compassion de leur part. Il redoutait tout autant d'avoir un jour affaire avec un nécromant, qui ne respectait pas même la paix sacrée que le Tout-puissant accordait à ses enfants, et dont l'esprit corrompu inventait les sévices les plus ignobles pour soumettre les âmes de leurs victimes. Il lui semblait que l'ensemble des créations du Tout-puissant c'était passé le mot pour éradiquer l'Homme de cette planète. Il est vrai que ce dernier s'était bien souvent fourvoyé dans de fausses religions, ou avait tout simplement renié le Père Suprême, pour vénérer à qui mieux l'or des nains, la beauté des elfes, la puissance des mages noirs, la force des orcs, l'astuce des nelrks... Quand ils ne s'entre-tuaient pas pour quelques arpents de terres arables.

Une déflagration fracassante résonna dans la petite alcôve du frère juré. La foudre était certainement tombée sur le Krak. D'un pas hésitant, il s'approcha de la fenêtre à croisée qui donnait sur le cloître. La pluie battante lui fouetta immédiatement le visage, le forçant à reculer ; il revint à la charge, protégé derrière une main gantée. Les écuyers avaient visiblement réussi à maîtriser la bête endiablée, et ne s'étaient pas faits priés pour retourner dans leur salle commune. Les torches, protégées par le péristyle, diffusaient encore un halo blafard mais menaçaient de succomber à l'obscurité pesante. Il plissa les yeux. Et il le vit.

Kephas De Tyr | 22/01/14 19:06

(Pardon pour le pavé.)

Lancwen la Pourpre | 22/01/14 22:26

Très bon, vivement la suite :)

Neige II | 23/01/14 11:38

(Oui très sympa à lire :) la suite vite :) )

Neige II ,Prince De La Couronne Des Spliffs Sacrés De Gitanie

Phaeril | 23/01/14 17:46

Pas mal du tout ce petit pavé ! :)

"Mieux vaut commettre une erreur avec toute la force de son être que d'éviter soigneusement les erreurs avec un esprit tremblant."

Ombre-lune | 24/01/14 03:10

En effet, excellent!

Bart Abba | 24/01/14 08:17

Dommage ke je ne sache pas lire... J'aurais probablement trouvé ce pavé fort plaisant ! ;)

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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.

Kephas De Tyr | 24/01/14 11:54

Merci pour vos commentaires, ca motive ! :)

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