Forum - La chronique des âmes
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Ombre-lune | 25/01/14 13:22
Une lente valse tourbillonnante dans les brumes des limbes, quelques trames qui vibrent, prêtes à se rompre comme des cordes d'arc trop tendues, les doigts de la Faucheuse égrènent quelques notes d'argent sur la harpe du destin, elles modèlent ce que je suis, ce que je fus et ce que je serai. Serai-je, d'ailleurs? Un temps, peut-être, sans doute.
J'arrive enfin...quelque part. Dans un lieu que je ne connais pas, auquel je n'ai nul lien, du moins pas sous cette forme. Je rassemble mes esprits, réalise que je suis sous ma forme primitive, la seule véritable au fond, celle que j'ai le plus souvent reniée aussi. J'examine ce qui m'entoure, un endroit purement élémentaire, de roc et de vents, je suis entouré d'un cercle de colonnes qui se perdent dans les cieux assombris, et qui entourent une sorte de table, d'autel, plutôt. Sur cet autel, un corps que je reconnais trop vite, le manche d'une dague honnie dépassant de sa poitrine qui ne se soulève plus. Je gronde instinctivement, une envie furieuse de déchaîner la colère qui me submerge m'envahit, je respire amplement, canalisant mes émotions pour ne garder que l'information brute, puis je scrute les alentours et je le vois. Le Seigneur des vents, qui tournoie lentement autour du cercle rocheux en m'observant de manière peu amène. Je n'ai cure de ses états d'âme à vrai dire, j'ai assez à faire des miens et ma patience avec ces manipulateurs est épuisée. Je lui désigne le corps d'une patte aux griffes d'obsidienne et aussi neutre que possible lui demande:
-Tu n'as rien fait pour l'empêcher?
-Je n'ai rien pu faire. Elle ne le voulait pas.
-Où est-elle? Son âme, je veux dire?
-Dans un monde auquel tu n'as pas accès. Le monde des Dieux, du moins c'est ainsi que la plupart des vivants le nomment.
-Je ne crois pas aux Dieux. Je les ai vu apparaître. Et disparaître pour certains.
-Il n'empêche que tu ne peux te rendre là-bas. Peut-être justement pour cela, d'ailleurs, je ne sais pas, je ne suis pas l'un d'eux.
-Je n'aime pas leurs jeux. Et je suis infiniment las de leurs exigences, de leurs prix et autres fadaises. Des vôtres, aussi. C'est assez, maintenant, écarte-toi et laisse-moi seul avec...elle.
-Je ne suis pas ton ennemi, tu sais...
-Pas plus qu'un ami. Alors vas-t'en. Je n'ai pas envie de te contraindre mais je le puis si besoin. Laisse-moi.
-Soit, Seigneur d'Obsidienne. N'oublie pas ton Nom, tout de même...
-Aucun risque. Même s'il ne signifie plus rien d'autre que des fins et des haines. Et ne me parle pas de prix, ils ont tous été payés dix fois.
-Ainsi toutes les trames se rassemblent...
-Elles ont toujours été unies, que certains ne puissent l'accepter n'y change rien. Mais trêve de voiles et de discours, j'ai une Danse à mener, et un million d'illusions à briser.
-Je n'aime pas ça.
-Je ne te demande pas d'aimer quoi que ce soit, je t'ai demandé de me laisser seul, Seigneur des Vents.
Dans un soupir venteux, l'entité s'estompe comme à regret, m'offrant enfin la solitude dont j'ai besoin. Je m'approche du corps, le fixe un moment en silence, cherchant une manière d'agir alors même que plus rien ne semble possible. Je ne peux pas ou, plus exactement, je ne veux pas entrer dans le jeu de ces divinités, mais ai-je encore le choix?
Je soupire imperceptiblement, puis je me plonge en moi-même, jusqu'au lac du Silence, jusqu'au coeur des voiles que j'ai tissé autour de moi pour préserver ce qui devait l'être. Je contemple intérieurement l'entrelacs de runes qui me protègent, qui me façonnent depuis plusieurs générations aux regards des êtres, et je frémis à l'idée de ce que je m'apprête à faire. Puis je souris malgré moi, et je brise le sceau runique d'une pensée. Qu'importe les conséquences, dans l'état actuel je n'ai plus de futur, juste un passé si ancien que ses bases en sont devenues floues même à mes perceptions. Et puis, je ne suis plus "immortel" maintenant, c'est bien ce que voulait la vieille faucheuse, pas vrai?
Une brusque obscurité s'abat sur le lieu antédiluvien, comme si la lumière se refusait à être spectatrice de ces instants qui n'auraient jamais dû advenir. Le silence se fait. Lourd, épais, absolu. Puis une main de lave perce l'obscurité et saisit le manche de la dague, la retirant du corps allongé sur l'autel. Une gorge non humaine entonne une lente et incompréhensible litanie, rauque, grésillante, emplie d'une sourde puissance. Un rire lugubre résonne dans les ténèbres, la dague ploie, fond, goutte peu à peu en produisant des sifflements colériques lorsque le métal en fusion entre en contact avec ce qui compose l'entité qui a remplacé le Dragon. La main rejette négligemment la masse méconnaissable de l'arme, puis dessine quelques symboles sur la pierre de l'autel, qui se marquent en traits de feu profonds dans le roc. L'obscurité semble s'écarter devant l'autel pour former une sorte de porte d'un vert émeraude éclatant, que l'être franchit sans hésiter.
Un monde étrange, cristallin, qui semble d'une infinie pureté seulement souillée par la présence du nouvel arrivant. Non loin de lui, une sorte de forêt se devine, floue. L'être de lave occulte s'y dirige, sentant que c'est là qu'il doit aller. Il ne sait pas ce qui arrivera, il a juste souhaité aller là ou quelque chose serait possible, aussi il avise un rocher à l'orée du bois et s'y assied, attendant l'instant propice qu'il a pressenti.
Kephas De Tyr | 29/01/14 10:45
Shadee | 23/02/14 18:50
L'obscurité la plus totale se déploie sous ses pas, nul mur, nulle frontière, juste l'immensité ténébreuse et ce bruit lancinant qui tourne inexorablement : la roue de la fatalité, quelque part. Le chemin se dessine seulement par la volonté de la déesse des éléments, aveugle comme le seigneur des lieux né de la nuit et du chaos. Au creux de son poing, elle tient la tablette de sa prophétie. Alors qu'elle avance d'un pas mesuré, les sens aux aguets, elle se demande si elle arrivera à tenir la promesse de sang faite à l'esprit des dragons. L'oubli leur sera salvateur, lui avait-elle dit en se tranchant la paume. La seule façon d'y arriver est de détruire ce que le dieu des dieux a scellé sous l'oeil implacable du Maître du Temps.
Elle aperçoit au loin, dans une bulle de clarté et leurs habits d'étoiles, les trois fileuses qui mesurent la vie des mortels à la lueur d'une petite chandelle, elles tissent inlassablement les morceaux d'existence. Savent-elles que Shadee a corrompu la Veilleuse de leurs précieux ouvrages ? Comme une réponse, les trois regards se tournent lentement vers elle. Elles ne sont pas dupes. Bien que cette sensation n'appartient qu'aux mortels, la déesse croit ressentir des frissons d'angoisse la parcourir. Elle presse le pas dans les ténèbres. Dans ce lieu, où le temps se disloque, son rendez-vous peut être manqué, et jamais plus, elle ne pourra récupérer la ceinture faite des trois fils de vie des êtres qui lui sont les plus chers dans le bas monde. Et plus encore, la Veilleuse pourrait être anéantie pour avoir obéi à sa volonté. Et que ferait-elle s'il était là ? Il sait tout. Toutes les divinités lui sont soumises, et aucune n'a le pouvoir de le faire fléchir. Comme un père despote, lors de la Nuit des Temps, il avait attribué à chacun une tâche tout en gardant le règne sur les enfers, les cieux, les océans et la terre. Le Dieu des dieux, Le Destin, avait eu un plan pour chacun, et son esprit tortueux avait fini par l'aveugler. Il voyait l'immense fresque de toutes les destinées. Il connaissait tous les jeux des divinités et s'en régalait avec eux. La déesse des éléments se souvient qu'il avait esquissé l'ombre d'un sourire lors de sa partie. Puis, son sort était tombé dans l'urne qui renferme tous les destins des mortels, elle allait naître bâtarde. Sans doute, savait-il qu'elle allait se rebeller avant la fin de la partie ?
Alors que les questions la taraudent, le feu brûle devant elle, elle remarque à sa droite, un petit autel, un ciseau d'or et un maillet de platine. Elle tend son bras au-dessus des flammes sacrées qui crépitent. Le moment est venu de détruire le sort qui lui était réservé et dont les siens devaient en pâtir. Ils l'oublieraient comme on oublie un rêve, il se réveillerait avec l'illusion d'une autre vie, un autre jeu qu'elle devra composer. Ses enfants penseraient qu'elle serait un esprit protecteur issu des contes, et son époux croirait qu'il a légitimé sa progéniture issue d'une maîtresse de campagne militaire, morte en couche. Et que faire pour le destin des jumeaux ? La mort et la vie, la destruction et la fertilité, comment pouvait-elle changer cette fatalité qui les déchirerait. Le doute la surprend soudain, il déferle telle une vague gelée sur les berges de sa raison. Agit-elle en fonction de la volonté du Destin ? Le feu danse toujours sous ses yeux brumeux de confusion. Doit-elle vraiment lâcher la tablette prophétique ? Malgré les flammes, aucune chaleur ne se diffuse. Ici, il est de ces froids qui vous touchent jusqu'à l'âme. Il est de ces nuits qui vous aveuglent l'esprit. Il est de ces chemins qui égarent plus que vos pas. Il est là, il fait face à la fille des éléments. Un phare dans sa nuit, une flamme dans son antre glacé. Il se tient près d'elle, il la fixe avec une nouvelle lucidité. Il voit tout, le chemin, il sent la vie, enfin... Le Dieu des dieux trône devant la déesse des éléments, sur son fauteuil de diamant, ses pieds reposent sur un immense globe et sa tête est couronnée d'étoiles. Le Destin tient le sceptre et la fameuse urne dans son autre main. Son attention est pénétrante et pourtant ses yeux sont aveugles.
L'Intouchable recule d'un pas de surprise:
- Destin...
- Intouchable, touchez-vous du doigt ce que l'on nomme le libre arbitre ?
La déesse des éléments se révère humblement, laissant retomber son bras le long du corps, sans abandonner son projet. Quand elle se redresse, ses traits deviennent cristallins, sa voix coule à la manière d'une rivière sauvage, elle fixe ouvertement le dieu implacable de ses prunelles abyssales.
- Vous savez comme moi que ce n'est qu'une illusion que nous avons créée, leur laisser penser qu'ils sont libres, alors que vous avez tout écrit, toutes les possibilités.
Un long rire s'étend dans l'immensité, le Destin se gausse :
Ne pensez-vous pas que c'est aussi un présent que je vous fais, déesse ?
- Je pense que vous saviez.
- Non, Intouchable, murmure-t-il pensif.
Profitant de ce moment d'égarement, audacieuse, elle précipite sa tablette de destin dans les flammes. Un bruit sifflant en réchappe, et comme mille lucioles affolées des étincelles s'élèvent du feu. La paire d'yeux aveugles et terrifiants du Dieu des dieux se plantent dans ceux de Shadee, puits de mystère à son jugement. D'une voix brisée d'angoisse, il la questionne :
- Pourquoi, Intouchable ?
- Je vous apprends, comme vous l'avez écrit et comme je l'ai fait. Souvenez-vous de ce chemin, Ô Destin. C'est grisant, n'est-il pas ?
Ondoyante, elle avance vers lui avec une vague de sourires tantôt malicieux tantôt trompeurs, ou même séduisants de secrets. Elle lui tend la main pour l'inviter vers ses flots tumultueux. Intouchable, son nom prend son sens, ici et maintenant. Le Destin descend de son trône, prêt à suivre la mesure des tourbillonnantes valses qu'elle veut mener. Il lui répond, avec la joie pure qu'aurait un enfant à la découverte d'une surprise inespérée : "oui, ça l'est".
***
À l'orée du Bois se tient La Veilleuse, quelque chose titille la vieille gardienne: un changement dont on ne saisit pas encore l'importance et un détail ne devrait pas être ici. Ses pas glissent le long de l'orée, elle ressemble à un spectre, à une ombre furtive. Nulle âme qui lui est inconnue ne hantent les alentours. Une, au contraire, étrangement familière et qui ne devrait pas être là. Elle a son fil dans une petite sacoche, lié à ceux de ses enfants. Prudente, elle se camoufle parmi les troncs séculaires et avance avec le silence. L'être de lave attend quelque chose, il est assis sur un rocher, il semble aussi dur que ce roc.
Hésitante, elle avance finalement vers lui, « salutations, Ombre-Lune. Ma soeur m'a beaucoup parlé de vous, et vous voir me ravit comme m'intrigue. J'avais cru comprendre qu'elle vous avait laissé passer, je n'y croyais pas vraiment pour tout vous dire. Mais, vous voici dans un monde qui vous est interdit. » Elle ricane comme si c'était elle qui avait franchi l'interdit. « Ah... Venez donc plus à couvert, je dois vous raconter quelque chose. À force d'attendre ici, les chenapans vont finir par vous lancer des étoiles. » Ses cheveux de sang tournoient alors qu'elle tourne vivement les talons, sans prendre garde si le dragon la suit. Quand elle se retourne avec une vivacité impossible au vu de son grand âge, elle pointe son index vers Ombre-Lune sans lui laisser le temps de dire un mot. « Fuyez, maintenant ! Vous n'avez pas idée de quoi, elle est capable. Je sais pourquoi vous êtes ici. Je suis une vieille femme et les questions de vie, je les connais mieux que quiconque, elle jette un regard furtif aux alentours avant de poursuivre plus bas, elle ne doit pas vous voir ici. Elle m'a demandé vos fils de vie, vous comprenez ?» Elle tire de son manteau mordoré une petite lanterne qui révèle trois chandelles, « et vos flammes, également. Je risque la... restez ici Ombre-lune, je vous aiderai à repartir! » Soudain, terrifiée, elle se précipite vers l'orée.
L'Intouchable rayonne sous le clair de lune, elle avance vers la Veilleuse, aérienne, un air sublime de satisfaction effleure ses traits évanescents. Une brise délicate emporte ses mots caressants :
- Je n'en attendais pas moins de vous, chère amie. Donnez-les-moi.
Edité par Shadee le 23/02/14 à 18:50
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