Forum - La chronique des âmes
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Shadee | 27/10/13 21:11
Il est de ces froids qui vous touchent jusqu'à l'âme. Il est de ces nuits qui vous aveuglent l'esprit. Il est de ces chemins qui égarent plus que vos pas. Il est là, il fait face à la fille des éléments. Un phare dans sa nuit, une flamme dans son antre glacé. Il se tient près d'elle, il la fixe avec une nouvelle lucidité. Il voit tout, le chemin, il sent la vie, enfin.
***
L'objet trouve sa place dans une bourse grossière qui se balance au rythme du galop contre la hanche de la cavalière. Elle ralentit le rythme pour passer au pas, et mettre pied à terre en même temps que les trois silhouettes révélées par le clair de lune. Un éclat dans la nuit : celui de lames sorties des fourreaux. Elles sont de facture étrange et ne révèlent rien par leur ligne sur une appartenance aux peuplades de Daifen. Les mouvements sont fluides, mais disgracieux.
- N'approchez pas, nous savons qui vous êtes! Lance une voix pressante sortie d'une capuche élimée.
- Je n'en doute pas. Pourtant, il va falloir que je m'approche, vous le savez aussi, répond la femme qui dévoile son visage.
- Jetez-le, nous le lui donnerons !
- Non point, mes braves, ironise-t-elle. Je dois venir avec vous.
Les regards se cherchent sous l'ombre des capuchons. Le trio se recule juste assez pour pouvoir réfléchir et débattre en chuchotements. Les armes toujours pointées vers Shadee qui attend avec une once de patience.
- Alors ?
Les êtres tressaillent à l'unisson. Le plus carré des trois prend la tête pour partager leur décision.
- Vous marchez à cinq pas devant nous, et, gare à vous, si vous faites quoi que ce soit.
Shadee incline la tête, d'une pensée elle libère sa monture qui s'enfuit au triple galop le long de la plaine désolée.
- Voyez, je suis toute à vous.
Des bruits de gorges répondent dans un signe d'approbation et une autre voix provenant des ombres d'un des manteaux noirs lance la marche :
- Devant nous !
- M'y voici.
Plus vite qu'il n'en faut pour leur perception, Shadee marche déjà vers la masse noire qui pique les cieux de sa silhouette tranchante. Une cohorte d'idiomes des temps anciens proteste à ses arrières sans qu'elle en relève l'injure tant cela lui importe peu. Ils ne sont que des outils à son projet. Sa main se porte vers la bourse pendue à sa hanche, elle la serre fort avec un sourire offert à la nuit. Le destin changera, elle brisera tout ce qui doit être. Alors qu'elle berce cette promesse en son for intérieur, des petites flammes vertes commencent à danser entre les rocailles, le chemin caillouteux crisse sous les bottes tel un rire grinçant.
Alors que le vide flirte avec les ténèbres, on lui exhorte de se diriger à sa dextre. Les trois créatures la talonnent, trop impatientes au chemin qui se dévoile :
- Allez ! Que faites-vous ? lance avec un peu d'appréhension un des gnomes.
Le vent fouette son visage, il remonte, glisse le long du précipice au bord duquel elle se tient. Elle jette un regard par-dessus son épaule : la cavité est là, à vingt pas derrière, sa gueule béante prête à avaler le moindre visiteur, Shadee se tourne ensuite vers les singuliers guides dont elle semble être devenue la prisonnière :
- Cela fait bien longtemps que j'étais venue ici... Je vous remercie pour votre courtoisie, messieurs. Allons donc à sa rencontre. Il est tout près, je le sais.
Avec un sourire étrange, la fille des éléments tourne brusquement des talons et fait un pas dans le vide. Le trio hurle. Shadee disparaît.
Un moment de silence, un instant de frissons, les yeux tâtonnent l'obscurité. Une masse roule dans les ombres, elle éructe les mots à la manière d'une mauvaise toux :
- Vous voici, l'Intouchable.
- Vous ici, l'Imperturbable.
- Vous vous jetez à moi à la manière d'une sacrifiée.
- Votre sacrifice sera sans doute plus grand que le mien.
- Dois-je vous baiser les pieds, Impératrice ?
- Dois-je m'incliner devant votre grandeur ?
Avant même d'attendre la réponse, Shadee s'incline respectueusement devant le géant de pierre. Il se penche à son tour, elle sent son haleine de roche, de terre. Elle attend, il la sent, il l'observe selon sa notion du temps, il se relève si brutalement qu'elle craint pour sa vie, elle évite de peu les éboulements de pierres.
- Pourquoi avoir voulu me tuer ? Questionne-t-elle.
- Pour me venger de ce que vous étiez avant d'être et de ce que vous allez devenir.
- Et pourtant, je suis la clé.
- Vous briser m'aurait aussi tué. N'est-ce pas une sorte de libération ?
- N'est-ce pas une sorte de fuite ?
- Où irais-je ? Voyez mon royaume !
- Et voyez le mien !
Elle désigne son corps de chair ce qui provoque le rire en avalanche du seigneur des montagnes.
- Du temps des Titans, vous étiez autre, déesse des éléments. À trop vouloir, on perd de sa grandeur.
- Pour sûr, c'est mon chemin ; et le vôtre, je l'exige maintenant.
- Vous exigez, mais vous savez ce que vous devez me donner. Vous êtes la clé.
Le feu s'invite soudain dans l'entretien, il révèle un peu du gouffre, mais surtout le kriss dérobé au deva qui veille sur les enfants de Shadee. Elle tend l'arme à bout de bras, un sourire infernal ourle ses lèvres habituées à la douceur, elle fait claquer son ordre impérieusement dans les tréfonds de la montagne.
- Guidez-moi jusqu'à l'Immuable et prenez de ma vie pour ce temps.
La lame s'enfonce en plein coeur. Le titan exulte.
Edité par Shadee le 27/10/13 à 21:17
Guerrier Du Tnaën | 27/10/13 22:37
*Quelque part, un Guerrier frémit malgré sa possession et, surmontant brièvement le pouvoir de Serpent, se tourne vers un ailleurs qu'il ne perçoit pas vraiment, le coeur étreint d'une effroyable angoisse. Puis Serpent, riant machiavéliquement, reprend le contrôle du Guerrier qui hurle de rage silencieusement et lui fait reprendre sa marche inéluctable.*
(Excellent...mais...et la suite?)
Tornade | 27/10/13 22:51
(très bien écrit ... mais il ne faut pas nous laisser dans le suspens trop longtemps ... vite la suite
)
Shadee | 28/10/13 18:40
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~°~ La plume plus forte que l'épée ~°~
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Bart Abba | 28/10/13 19:14
Plus habitué, de la part de Shadee, à lire des viols de konvenances ou à friser les skandales, ke l'ork se montre kelke peu perturbé kand la khronike de la fille des éléments lui effleure la kuriosité...
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Bart Of Ze Horde
Nul n'est censé ignorer la Horde.
Shadee | 07/11/13 21:17
Le titan saisit le corps au creux de sa main, celui-ci a la taille d'une petite poupée qu'il pourrait facilement briser. À cette pensée, la folie s'immisce dans son esprit. Il hurle dans les entrailles de la Terre, combattant oublié d'un temps révolu. Cette clé, il pourrait la jeter dans la faille du Grand Fleuve de lave, il pourrait entraîner tout le monde dans la noirceur qu'on lui a imposé. Il lutte contre ses démons quand la soif de vie le rattrape, une goutte de sang s'impose, elle roule dans les sillons de sa paume. Une vague de chaleur réchauffe son corps enlevé au soleil. Sa tête frissonne comme si le vent caressait la cime de son crâne. Il est le Seigneur des Montagnes, il se souvient que rien n'est figé au grand drame de son apparence. Il est le danger paisible, il est la beauté monumentale. Il est la force tranquille, la patience : l'Imperturbable. Que gronde les orages, que s'abattent la colère des autres dieux, toujours, il est le fier qui les défiera depuis ses sommets. Qu'on l'abatte ici, il sera ailleurs, il naîtra autre part quand le temps sera venu, quand le temps sera venu...
Maintenant, comme brûlé au vif, surpris, le titan repose le corps ressemblant à une sculpture mortuaire. Aurait-il pris trop de vie, pour ce temps ? Des silhouettes naissent lentement du sol, elles avancent cahin-caha de toute part du gouffre, d'abord prudemment, puis curieuses ou terrifiées. Des ombres lèchent le corps de Shadee devenue de pierre. Des larmes de sang sourd de sa poitrine de roche percée par le kriss, son poing est resté figé sur l'arme qui scintille étrangement. Le titan observe de toute sa hauteur le cortège qui se forme, les golems s'emparent du corps de la fille des éléments et l'entraînent vers les tunnels enténébrés.
-Ouvre-toi, je le somme !
La voix du géant résonne et de son écho les parois s'ébranlent sur une nouvelle aube. Une lueur orangée caresse la faille quelque part dans les profondeurs d'une terre. Les lieues se succèdent et ne se ressemblent guère. Le chemin est une fresque monstrueuse et merveilleuse. Des créatures se succèdent, elles se révèrent ou sont écrasées impitoyablement sous le pied majestueux du titan qui retrouve sa force d'antan. Et au fil de sa marche, les gouttes de sang de Shadee forment un lien qui rougeoie un instant dans l'éther puis s'estompe, c'est une corde de sûreté pour ne pas oublier d'où elle part, et trouver le chemin d'où elle est venue, il y a fort longtemps.
La renaissance arrive... Le Vent cingle violemment le visage du Seigneur des Montagnes. Il brandit les poings vers les cieux habillés de leur plus bel azur. Son cri de victoire éveille les créatures restées encore endormies. Apaisé, gorgé de puissance, le Seigneur des Montagnes contemple la mer de nuages qui s'étend à l'infini à ses pieds. Comme une danse savamment répétée, les golems posent le corps de Shadee sur un méplat de la cime, des mains de pierre s'y forment et accrochent ses jambes à la manière d'un garde fou. Les rafales tentent de chahuter sa chevelure qui reste irrémédiablement figée. Son corps se fissure en de multiples écailles, les cicatrices irradient d'une lueur bleutée. Une voix éclate dans le tonnerre :
- Titan ! Qu'avez-vous fait ?
- Vous sentir me révulse, mais je suis là, Immuable ! Elle l'a voulu, répond-il dans un bruit d'avalanche. Un tourbillon menace le géant de pierre qui s'en gausse:
- Que voulez-vous faire ? Jamais vous ne pourrez m'abattre ! Jamais ! Vous ne pourrez la contraindre, elle est l'Intouchable. Elle vous a fait naître et vous l'avait mise au monde sur son ordre.
La poitrine de Shadee se soulève d'un souffle, un sourire de pierre relève doucement ses lèvres. Ses paupières se dessillent, ses pupilles sont habitées d'un feu ardent. Le Seigneur du Vent n'y prend pas garde et ajoute :
- Elle deviendra incontrôlable, vous le savez ! Oui, c'est elle qui l'a demandée, mais elle l'a aussi oublié avec son incarnation. C'est elle qui a souhaité sa propre chute, mais son âme veut retrouver son essence. Folie ! Vous étiez un des gardiens et vous venez de la trahir !
- Vous ne savez pas tout, Immuable ! J'attendais dans les tréfonds ténébreux, son appel. Je lui ai souhaité mille morts, je l'ai maudite et je l'ai adorée. Elle est la clé de ma liberté.
- Frères des Monts, venez à moi ! soupire un murmure.
Le temps d'un souffle, un calme irréel s'empare du monde. Peu à peu, le fracas prend ses droits et le Seigneur des Vents devenu muet tant de stupeur que de peur glisse ses plaintes aux pieds de la fille des éléments : « Non, non, Shadee... Shadee... non... » L'Immuable fait brusquement volte-face, ses bras d'air se chargent d'intensité pour tenter de freiner en vain la marche inéluctable des géants sortant de la mer de nuages. Ils forment un rempart singulier autour de Shadee qui s'est éteinte, simple sculpture centrée par de terrifiants piliers anthropomorphes.
- Tu ne peux pas, Shadee ! Intouchable, souvenez-vous ! éclate le Tonnerre.
Moqueur, le Titan rit aux éclats, il s'éloigne de son pas de géant vers d'autres horizons, il va renouer avec son royaume qu'il a tant pleuré dans ce gouffre de solitude, sa prison. Certes, on le vénérait, les gnomes lui avaient offert de temps à autre des sacrifices croyant que cela pouvait apaiser ces colères et le malheur qu'il infligeait par vengeance. Pauvres petites choses idiotes ! Il attendait, fidèle serviteur, il avait souffert pour elle parce qu'elle avait voulu connaître ce que cela faisait d'être de chair et de sang. En secret, elle l'avait élu pour la trahir un jour.
- Intouchable, souvenez-vous ! Hurle de nouveau le Seigneur des Airs.
Cet ordre provoque à Shadee une décharge de douleur sans que son corps réagisse. Son esprit fouaille le cocon de pierre, il tâtonne, perdu... se souvenir de quoi ? Oui, quelque chose... un interdit... un choix... l'oubli... une mort... Au prix d'un nouvel effort, Shadee utilise sa voix de toujours modulée par l'éther.
- Je me souviens...
- Comment, avez-vous...
- Une perle, coupe-t-elle.
- Une perle ?
- Celle de l'oubli. C'était notre jeu, souvenez-vous, Immuable.
- Notre jeu... oui... notre jeu, reprend le Seigneur des Airs avec une pointe de nostalgie.
- Immuable, mon gardien ?
- Oui, Intouchable ?
- Je veux en changer les règles.
Edité par Shadee le 07/11/13 à 21:18
Diablamat | 08/11/13 01:24
Je venu, j'ai lu et je n'ai pas déçu
Merci.
Edité par Diablamat le 08/11/13 à 01:24
Rat De Labo | 08/11/13 07:09
Le Rat, démon clanique et seigneur du cauchemar.
"N'est pas mort ce qui à jamais dort, Et au cours des siècles peut mourir même la Mort"
Diablamat | 08/11/13 09:38
pfff... je la refais en bouchant les trous :
Je suis venu, j'ai lu et je n'ai pas été déçu
Merci.
Edité par Diablamat le 08/11/13 à 09:38
Shadee | 09/11/13 02:02
* fait une jolie révérence pour saluer les lecteurs * Merci à vous
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~°~ La plume plus forte que l'épée ~°~
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Shadee | 13/12/13 22:40
La mer de nuages prend des airs de tempêtes, d'immaculée, elle charrie les gris et les noirs. Au centre de cette palette, un cercle de clair-obscure perce ses profondeurs, le tourbillon prend naissance et rapidement les éclairs tissent leurs toiles fracassantes.
- C'est interdit dans votre condition et par vos conditions, gémit le vent.
- Croyez-vous que je ne le sache pas, Immuable ?
- Vous savez ce que vous encourrez, vous avez bougé un pion à la manière d'un garde fou.
Un rire sardonique s'élève du corps de pierre :
- Une erreur stratégique... réparée.
- Impossible ! Nous l'avons gravé dans le firmament.
- Les étoiles en tomberont de stupeur, n'est-il pas ?
A ces mots, une gigantesque boule de feu s'écrase au centre de la tempête et un chaos de tous les diables retentit parmi les monts.
- Avez-vous perdu l'esprit ?
- Oui, je l'avoue... vous n'avez jamais manqué d'humour, Immuable le Facétieux, susurre-t-elle.
- Vous ne pouvez retourner en arrière !
- En effet, mais je peux retourner à la Source, et maintenant j'emprunte La Route que file, semblable à la force du torrent, où se glissent très habiles, les longs rires du vent...
Aux paroles sacrées, le seigneur des Airs maudit l'instant. Il tournoie autours des géants de pierre protégeant Shadee. Il devient subitement glacé quand il voit les larmes qui coulent le long de ses joues de pierre, les fins sillons salés grossissent à ses pieds tenus par des mains sorties de la roche, une cascade se forme et glisse tonitruante vers l'infinie chute de la falaise. Il doit le dire telle est la règle de son jeu :
- ... et feu de son écho que crépitent les âmes et la mort du destin se révèle semblable à la flamme.
Du kriss planté dans la poitrine de la fille des éléments, une flamme surgit à la manière d'une petite étoile, des rinceaux glacés soulignent sa silhouette de roche telle une robe de givre et encerclent comme un écrin le rubis flamboyant. Malgré la douleur, Shadee sourit intérieurement, elle s'arrache à ce corps trop étroit et le tourbillon l'emporte, loin... Toute étourdie de sa force, elle s'électrise des éclairs qui la malmènent pour revivre autrement. Un dernier souffle aux allures de typhon, la pluie s'abat en formant le rideau d'un autre monde. Elle l'écarte et le franchit soudain ...
Ailleurs, les ors supplantent l'éclat du soleil. La brillance éclatante dessinent la silhouette des cyclopes. Les grands bâtisseurs s'inclinent devant L'Intouchable aux gestes fluides et gigantesques. Une voix retentit à ses côtés, elle sourit. Cela faisait si longtemps...
- Comment avez-vous fait, Intouchable ? On ne vous attendait pas avant que la partie s'achève.
- C'est une longue histoire pour un mortel, mon ami, mais ici elle est si courte que vous ne me croiriez pas.
Il existait un obstacle qu'elle devait franchir. Alors elle était allée au Sanctuaire des Dragons, là où se trouvait le lac de l'Esprit. Tant de souvenirs en ce lieu et tant d'amour perdu depuis ; Shadee combattait ses émotions pour accomplir ce qu'elle pensait être juste. L'esprit dragonnique gardait quelque chose qui lui appartenait. L'endroit avait cette atmosphère de magie ancestrale, et d'un geste insolent, elle avait bougé les ondes, puis son ton non moins provocant avait invité l'hôte à se révéler.
- Ô Grandeurs parmi les Splendeurs, donnez-vous la peine de m'aveugler par votre Magnificence.
Rien ne s'était passé durant trois jours, mais elle avait le temps puisque ce fut le don qu'elle avait reçu ici-même. Elle avait donc attendu. Ce fut au troisième crépuscule qu'un geyser d'eau esquissa la silhouette scintillante du dragon qui l'apostropha :
- Pourquoi ?
- Vous le savez. Les trames n'ont pas de secret pour vous et pour moi ce n'est que fadaises qui vous égarent. A tout vouloir voir et contrôler, on ne vit plus. A présent, rendez-le moi.
- Mmmh... pourtant, Shadee vous voulez le récupérer pour contrôler un aspect du destin.
- Peut-être, mais cela ne vous regarde pas.
- Bien sûr que si, qu'aurais-je à gagner en vous laissant partir ?
- A ne plus suivre mes faits et gestes. Je n'aime pas savoir qu'un dragon me surveille.
- Prétentieuse que vous êtes ! Mes regards se portent partout, tant de fils, tant de conséquences, tant d'enjeux. Vous n'êtes qu'un papillon capricieux sur la toile de l'univers, Shadee.
La fille des éléments serra les mâchoires, et d'un mouvement de main agacé, elle se trancha la paume et s'apprêta à faire une promesse de sang. Les gouttes rubis s'étiolèrent dans l'eau cristalline, le dragon siffla sa colère :
- Vous ne pouvez guère me l'imposer !
Un sourire narquois ourla les lèvres de la fille des éléments.
- Oh très chère Magnificence, je ne suis guère sortie de ma chrysalide, je fais vibrer votre toile seulement parce que je me débats pour trouver ma Source et déployer mes ailes. Vous saviez qui j'étais, vous saviez tout ! Et malgré cela, vous avez attendu le moment.
- Oui, je n'attends plus rien de vous, Shadee, et mon fils non plus. Il vous a aimé juste le temps de me donner deux nouvelles trames pour le destin des dragons : si jeunes, si malléables, si...
- Je vous fais la promesse que l'oubli leur sera salvateur, coupa soudain Shadee en serrant si fort sa paume tranchée qu'un mince filet de sang en coula pour se fondre dans le lac.
Dans un rugissement flamboyant et rageur le dragon cracha la figurine en bois que Larme de Fée avait sculpté dans un temps qui lui paraissait si loin et si heureux. Elle roula aux pieds de Shadee qui s'en saisit aussitôt.
- Une promesse pour une autre, Intouchable, ajouta le dragon.
En réponse et au prix d'un effort, la fille des éléments évita de s'attarder à la contempler. Au creux de son autre main, alors qu'elle planta son regard devenu de jais dans celui de feu du dragon, elle réduisit la sculpture en un petit tas de cendres. Elle était libre.
- Vos promesses sont pareilles au feu, elles brillent un instant et nous offrent un goût de cendres. Gardez-les.
Tels furent ses derniers mots prononcés dans le Sanctuaire qu'elle quitta sans l'ombre d'un doute.
Edité par Shadee le 13/12/13 à 22:59
Shadee | 14/12/13 18:06
La salle est immense et les diamants gros comme des poings ressemblent à mille étoiles, leurs facettes jouent avec les couleurs de l'arc-en-ciel. Shadee s'avance au centre du dôme, ses pieds nus foulent le sol en sable d'émeraudes. Une lumière flotte sans source extérieure, cela a toujours été ainsi, et quand L'Intouchable regarde vers les cieux, l'obscurité devient reine au centre de cet univers. Une douce mélodie de harpe égrène le temps éternel et décompte les moments des mortels près d'un immense sablier de cristal et d'or, il semble figé dans sa course. Plus loin dans une alcôve à perte de vue, des milliers de petites bougies s'allument ou s'éteignent selon le jeu de la Vie et de la Mort. Tantôt gigantesque ou minuscule, une silhouette de femme, la veilleuse des âmes mortelles, hante ces flots de lumière.
Ses souvenirs sont confus de part le voyage, mais les détails lui reviennent peu à peu à chaque inspiration, elle est de nouveau là où tout a commencé et où tout commence toujours.
Elle a d'ailleurs oublié à quoi ressemblait ses traits premiers bien qu'elle puisse prendre bien des formes à présent. Nul miroir ne lui apportera une réponse à cette curiosité. Elle est tout ce qu'elle a été et tout ce qu'elle doit encore devenir, entière et complexe tant la simplicité de la Vie et de la Mort heurte ses sens. C'est d'ailleurs pour cela que les dieux aiment jouer avec les destins, ils se distraient avec l'innocence. Elle en avait eu assez de jouer avec les autres, elle a voulu savoir...
Sa main se pose avec assurance sur une des sphères en diamant. Elle en est certaine, c'est celle-ci qui a scellé son choix. C'est ici que tout est écrit. C'est ici qu'a été gravé ce que les créatures nomment « Prophétie ». La sienne - celle qui a signé sa chute et son incarnation sur Myrilla. La sphère flotte dans les airs et rejoint le centre du dôme. Des rayons lumineux percent soudain la matière, lui donnant un éclat proche du soleil. La déesse des éléments plonge son regard d'ambre dans cette lumière aveuglante qui irise sa beauté surnaturelle. Elle revoit son maître de chair, le mage loufoque, dieu également incarné qui la faisait tourner en bourrique bien des fois en profitant de son Oubli. Elle est la spectatrice de son premier amour, de son premier mort. Elle se surprend à sourire aux moments heureux qui défilent devant ses yeux et à serrer les poings quand l'échec lui a fait connaître ce qu'ils appellent tristesse. Elle se détache de son observation quand elle entend la chute du bracelet qui ceignait son poignet sans pouvoir jamais l'enlever dans son autre vie. La pierre brune se désagrège en fumée, la brume noire compose les sept entités démoniaques qu'elle avait réussies à vaincre sur Sevendhil.
- Enfin ! Il était temps, persifle la Colère
- Ca n'a duré que le temps d'une sieste, s'étire La Paresse, nous étions bien à ne rien faire. Voilà qu'elle nous libère...
- Pour notre plus grand plaisir, miaule la Luxure.
- Intouchable, avez-vous déjà perdu ? Se moque l'Orgueil.
- Tsss...Tsss c'est vraiment dommage, feint la Gourmandise, mais nous allons pouvoir faire bombance pour fêter notre libération.
- Il suffit ! Taisez-vous, Sujets des Grands, ordonne-t-elle.
Des hoquets outrés lui répondent en choeur. Le sable d'émeraudes s'écarte du milieu de la salle et révèle le sol de cristal qu'il protégeait. Derrière l'écran translucide, elle voit les êtres chers à son âme qui évoluent à l'instant présent. Après avoir écarté le voile, L'Orgueil l'observe et ourle un sourire diablement doucereux, ses mots sont de miel et glissent sur les sens comme un ru de lait.
- Vous vous êtes attachée à eux, n'est-ce pas ? Ils sont si faibles, et bizarrement si forts parfois, ils vous ont fait vivre autrement et vous avez aimé. Je le sens... ils vous manquent déjà, mais nous ne sommes pas de leur monde. Oubliez-les!
- Oui, oui, c'est ça, elle s'est attachée ! Ha ha ha ! Nous allons pouvoir le dire aux Maîtres... Ils n'ont pas aimé perdre, ricane l'Avarice en se frottant ses mains décharnées, nous aurons notre revanche.
- Dites leur ce que vous voulez, je les affronterai de nouveau avec joie ou je serai à leurs côtés. Tout dépend des nouvelles règles, répond sans l'ombre d'une émotion L'Intouchable.
Ses pas glissent au-dessus du monde, elle se penche un peu quand une scène la surprend. Sentant le regard trop insistant de l'Orgueil, elle se redresse en l'invitant à venir à ses côtés. Son index se pose sur la bouche du démon comme pour le faire taire, mais elle dessine le contour de son visage avec un air pensif.
- Mon ami, mon très cher... Vous êtes mon favori et vous m'avez fait faire n'importe quoi. Avouez...
- Jamais je n'aurais osé vous manipuler. Disons que je vous ai conseillé quelque fois en vous laissant toujours le choix. C'est la loi primordiale que le libre arbitre quand nous jouons.
Le rire de l'Intouchable ressemble au ruissellement d'une rivière sauvage
- Bien sûr... Et pour vous répondre : non, ces êtres m'indiffèrent. Je suis revenue, car je me suis souvenue.
Les sept démons semblent satisfaits de sa réponse, néanmoins l'Envie s'avancent vers elle.
- Comment ?
- C'est à cause d'une Perle de l'oubli. J'ai voulu en priver mon épou..hum...la créature qui s'était unie à moi, et le charme s'est retourné contre ma personne. Je l'ai perdu.
- Je ne comprends pas...
- oui, Envie ! Celui de l'autre monde, ici nul ne la mérite, ne sais-tu pas ce qu'elle leur fait ? Ce n'est pas important les moyens qu'elle a utilisés, s'agace la colère, l'essentiel, c'est que nous sommes revenus. Allons rejoindre les Maîtres dans les Enfers pour leur apprendre l'heureuse nouvelle.
- Pourquoi crois-tu qu'elle devait tuer ses propres enfants si elle n'est pas capable du pire ? Ajoute La Paresse d'un ton ennuyé... Colère a raison, allons rejoindre nos pénates infernales.
- Venez avec nous, Intouchable, l'invite la Luxure d'un geste lascif.
- Plus tard, sans doute, répond-elle l'esprit ailleurs, j'ai quelque chose à faire avant.
Les airs suspicieux, les sourires torves, et les regards endiablés signent sa réponse. Elle ne sait pas s'ils approuvent cette petite tricherie, mais ce ne sera guère ces derniers qui la dénonceront à Chronos, le maître du jeu. En revanche, ils peuvent jouer de malignité pour l'atteindre s'ils se doutent qu'elle change les règles pour protéger les êtres de son autre vie. Avec une pointe de tristesse, elle recouvre le sol cristallin du sable d'émeraudes. Ses enfants, les myrilliens, son époux disparaissent, ils continuent à vivre sans se douter une seconde que l'Intouchable veille sur eux.
Edité par Shadee le 14/12/13 à 18:40
Shadee | 22/12/13 16:19
Alors qu'elle s'apprête à saisir le globe pour en retirer la tablette gravée de La Prophétie, l'Orgueil l'interpelle sur le pas de la grande porte du dôme. Il rejette les épaules en arrière et l'or de ses cheveux se mêle à la richesse du lieu et de sa vêture. Sa beauté infernale prend toute son orgueilleuse puissance quand il la questionne avec une fausse innocence :
- Intouchable, il semblerait que quelque chose de l'autre monde soit ici, avec vous. C'est interdit, vous le savez.
- Réellement surprise, la déesse des éléments interrompt son geste et l'observe soudainement de toute sa hauteur vertigineuse :
- Je n'ai guère besoin qu'un serviteur me rappelle les lois sacrées, répond-elle d'un ton glacial.
Un rire mate. Les comparses infernaux sur les arrières du zélé attendent la suite avec une gourmandise proche de celle de la bien nommée.
- Oh... il semblerait que ce soit lié à une promesse éternelle, il grimace un brin moqueur, et, à de l'amour...
- Vous fabulez.
- Étonnant... vos sens sont sans doute encore atrophiés.
- Fouillez votre poche, vous verrez que je vous rends un fier service tel le bon serviteur que je suis, ajoute-il en s'inclinant.
- Je n'ai nul besoin de le faire, si mes sens sont encore endormis, les vôtres sont sans nul doute perturbés. A plus tard, Orgueil.
Elle lui tourne le dos en ne prenant plus garde de sa présence. Ses doigts brûlent de savoir s'il avait raison. Est-ce encore un tour pernicieux de ce démon mineur pour la faire douter, la faire regretter ? La voix envoûtante d'Orgueil retentit sur ses arrières :
- Je ne vous veux que du bien, Intouchable. Qu'allez-vous faire maintenant qu'il est ici, dans notre monde ?
Cette révélation la foudroie comme l'intrusion qu'elle ressent maintenant dans ses plus infimes énergies ; un mortel s'est invité dans le monde sacré.
- Il semblerait que cette petite chose se soit autant attachée à vous que vous à elle, poursuit-il, je me réjouis de savoir ce que vous allez lui faire subir, vous ne pouvez guère laisser passer cela.
Elle offre le silence en réponse et saisit le globe pour le remettre à sa place, au creux de sa paume, elle cache un minuscule rectangle chatoyant volé à la sphère de diamant. Elle entend les pas de la légion se retirer vers les enfers, elle glisse la tablette dans sa poche et sent contre ses doigts la présence d'une petite lettre. Orgueil avait raison. Avec force de volonté, elle se retient de ne pas la dévoiler à son monde en prenant connaissance du message. Sa curiosité la torture, mais d'une pensée, elle la fait disparaître pour le bien celui qui l'a écrite. Au loin, le regard perçant de la Veilleuse l'aide à ce recentrer. Elle ne fait que quelques pas pour aller à sa rencontre et pourtant tout change autour d'elle.
L'Intouchable est au milieu d'un Océan de lumières, des milliers de bougies scintillent, plus ou moins hautes, plus ou moins fortes. Quand une s'éteint, une autre apparaît avec la magie de ce lieu. Les cieux sont composés de fils arachnéens qui reflètent l'éclat des flammes.
- Lumineuses salutations, noble Veilleuse, votre monde d'ombres est toujours aussi éclatant.
Une vieille femme apparaît devant elle, elle est incroyablement belle et l'instant d'après terrifiante, deux visages en un qui changent comme la marée d'âmes qu'elle a à surveiller. Ses cheveux ont la couleur du sang et ses yeux ont l'éclat de deux soleils.
Elle se révère devant l'Intouchable en guise et de salut :
« - Je vous observe depuis votre chute et vous voici revenue avant le terme. Regardez, votre bougie brûle encore et votre fil de vie est toujours aussi fort. Expliquez-moi votre tour, je vous prie ? Elle désigne les deux preuves de sa paire de ciseaux.
- Oh... vous savez très bien que je suis immortelle, Veilleuse, ce n'était qu'un jeu avec les forces premières. J'irai les voir pour débattre de la partie, cela ne vous regarde pas. Disons que je suis ici pour lancer l'hiver lors d'un temps, il sera rude.
- Vous savez très bien qu'on ne joue pas avec la vie. Vous usez mon travail, vous effilochez les fils avec vos caprices, vous, Forces Premières ! Moi aussi, j'aurais pu en être une, vous ne respectez rien, vous ne me respectez pas ! » Elle s'emporte brutalement avec une colère hideuse. Elle glisse sur un flot de lumières, entraînant l'Intouchable dans son sillon. « Et ma soeur est méprisée par les croyances, elle est crainte alors qu'elle ne rêve que d'être aimée. Et ceux qui l'honorent ne sont que des âmes putrides qui rêvent de se consumer trop vite ! Regardez ça, ce ne sont que des flammèches ridicules ! D'ailleurs... » elle jette un regard suspect par dessus son épaule de soie mordorée, « elle m'a dit qu'elle venait de laisser passer un être qui vous est cher, ha ha ha, petite taquine qu'elle est. » elle désigne une bougie d'un noir de jais monté d'une flamme d'un rouge insolent « Elle est à lui.. Quel éclat, quelle force ! Dois-je couper sa mèche de suite, Intouchable ? Ou voulez-vous l'effilocher de mille et un tourments, vous êtes douée pour lancer des calamités paraît.il» minaude-t'elle en s'emparant d'un fil. D'un geste impérieux, l'Intouchable l'arrête, elle s'avance doucereuse vers la veilleuse qui attend avec impatience son ordre. Elle chuchote à son oreille à la manière d'une confidente.
- J'ai beaucoup mieux... Je veux que vous me confiez trois bougies. » elle se recule en observant l'expression figée de terreur de la Veilleuse qui déglutit avant de lui répondre :
- Trois ?
- Oui, et je veux que vous torsadiez les trois fils de vie pour m'en faire une ceinture, pourvue d'une boucle du signe de l'infini.
La Veilleuse ressemble à sa soeur, La Mort, tant l'horreur décompose son visage. L'Intouchable poursuit :
- Vous n'allez tout de même pas aller contre la volonté d'une Force Première ?
- je...non... Ô Intouchable. Personne n'a demandé ce que vous venez de faire, personne n'a sortie les fils et les bougies de vie de l'Océan des âmes.
- Comment puis-je le punir à ma guise si c'est vous qui devenez son bourreau ? Alors personne ne saura que vous avez accédé à ma requête.
- ...
- Vous feriez mieux de me rassurer sur ce fait, vous n'êtes pas irremplaçable.
Cette dernière se précipite pour tirer trois fils.
- Doucement, Veilleuse, à trop se presser vous pourriez les casser, et ce serait fort dommage. Et puis, je ne veux pas n'importe lesquels.
Interloquée, la Veilleuse la questionne d'un regard anxieux. L'intouchable continue de son timbre de voix implacable aux tonalités de lame de fond qui dévastent tout obstacle sur son passage :
- Je veux celui d'Ombre-Lune, et ceux d'Haelyon et d'Orfea. Apportez-moi la ceinture après une clepsydre à l'Orée des bois du Siffleur, ainsi que les bougies. Débrouillez-vous pour que personne ne vous voit.
- C'est impossible !
- Rien ne l'est, Veilleuse, utilisez un charme.
- Ils étaient trop liés à votre destin pour que je puisse vous les donner. C'est vous même qui l'avez fait, dans vos règles.
- Les règles ne sont-elles pas écrites pour être franchies ? Dépêchez-vous, le temps m'est compté. Et prenez garde à vous si vous me décevez.
La veilleuse s'incline pour accepter les conditions de l'Intouchable qui sourit avec la douceur infinie qu'aurait un lever de soleil hivernal.
Edité par Shadee le 22/12/13 à 20:50
Ombre-lune | 25/01/14 13:22
Il est de ces nuits où les ténèbres occultent tout.
Il est de ces nuits où le froid saisit les âmes et les glace jusqu'à les faire éclater comme de vieux troncs usés.
Il est de ces nuits où plus rien ne compte, hormis les rêves brisés.
***
Quelques cendres. Elles coulent, misérables, entre mes doigts légèrement écartés. Elles s'envolent, se dispersent dans le flou de mon regard. Quelques perles. Elles glissent, lentement, finissent par chuter, interminablement. Elles s'écrasent sur la pierre, se dispersent dans le flou de mon âme.
Je dépose avec douceur un orbe de cristal au creux d'un rocher, guettant dans sa transparence une flamme qui ne brûle plus. Reste-t'il seulement une braise, demeure-t'il une infime étincelle dans ses profondeurs? Je ne sais. Nulle réponse ne franchit ses courbes de verre. Je demeure longtemps immobile, vieille pierre érodée par les âges de trop nombreuses existences, à le contempler sans bruit. Hormis le fracas insoutenable de quelques perles qui se fracassent sur le roc.
Une main infiniment légère se pose sur mon épaule, je la saisis délicatement, la repousse de même en me relevant. Nos regards se croisent, il s'apprête à parler. Je pose un doigt sur ses lèvres, lisant l'étonnement dans ses yeux. Puis il accepte et incline imperceptiblement le visage avant de se reculer de quelques pas. C'est la première fois qu'il prend forme humaine, je le sais. Il lève une main diaphane, désigne le lac d'un geste empli de gravité. Je lui souris, sans joie, sans tristesse non plus. Cela l'étonne, mais il ne dit rien. Je m'approche de l'eau, y puise de mes mains jointes, puis en bois une unique gorgée. Elle a un goût de sang. Je me redresse lentement, fixant un instant l'esprit avant de murmurer:
-Prends soin d'eux. Je reviendrai.
-Je sais. La Flamme est éternelle. Je veillerai sur eux.
-Merci.
Je me détourne, gagne d'un pas machinal l'escalier tortueux qui seul permet l'accès à ce lieu sacré, le dévale rapidement pour rejoindre l'entrée de la nef qui abrite le monolithe d'obsidienne dans lequel sont gravées les vies des Dragons Noirs. Je franchis sa porte, la referme en douceur et la scelle d'un enchantement avant de m'allonger sur la pierre glaciale. Je ferme les yeux, puis laisse lentement ma Vie couler dans l'autel. Je sens mon corps devenir lourd, froid, les battements de mon coeur se ralentissent, imperceptiblement. Je songe encore que cela m'aurait effrayé, il n'y a pas si longtemps, mais ce temps est échu, je suis un Vampire et j'ai déjà vécu ce passage. Le temps s'étire, les battements de mon coeur cessent enfin, un silence absolu étend son voile sur les lieux, mon âme se détache de mon corps, comme à regret.
Une foule, une file interminable qui piétine sans hâte, sans émotions, sans vie. Jusqu'à l'Huis Maudit. Entre les deux, la vieille dame à la faux, immuable gardienne du passage, elle juge chaque âme, elle sait tout de leurs vies, et son verdict est sans appel. Le temps ne compte pas, ici, je piétine comme les autres, jusqu'à me retrouver à nouveau devant elle. Ses orbites vides se posent sur moi, elle se penche un peu et grince:
-Te revoilà donc. Un peu moins faraud, ce me semble. Hum. Pas encore tout à fait assez mort à mon goût, cependant. Que veux-tu cette fois?
-Je souhaiterais que tu m'ouvres la porte, tantine, si cela était un effet de ta bonté.
-Laquelle, impudent garnement?
-Celle que tu as ouverte à mon épouse.
-Je m'en doutais. Après tout, pourquoi non? Mais il y a un prix.
-Toujours. Quel est-il?
-Tu franchiras la porte en tant que mortel. Cela me divertira. Acceptes-tu?
-Ai-je le choix?
-Non.
-Alors soit.
Le rire aigrelet de la faucheuse résonne dans le val sans retour, puis elle désigne l'Huis de sa main squelettique.
-Vas, Dragon, ils...ne t'attendent pas! Bon séjour, amuse-moi bien!
-Prends garde de ne pas rire à t'en décrocher la mâchoire, tantine, cela ferait désordre!
-Oh, du désordre tu en auras plus que ton compte, crois-moi! Hé hé hé!!! Vas!
Je me fais happer brutalement par la porte maudite, emporté comme fétu de paille vers...elle?