Forum - Le secret
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Swana Chansirene | 18/05/12 21:42
Ce jour-là, il y avait un soleil aveuglant qui faisait scintiller le butin de mille flammes, et le vent charriait les embruns. Ce jour-là, une pogne avait voulu me planter une de ses lames courbes que nous gens des mers chérissons. Ce jour-là, le sang a coulé et j'avais les poumons en feu grignotés par le sel et la fuite. Le rire me secouait plus que l'angoisse m'étreignait alors que je remontais la grève. « Chansirène, c'est toujours un plaisir de faire affaire avec toi ! » avait-il dit. C'est vrai, plaisir et travail sont liés. J'aime jouer avec l'harmonie des convoitises, mais je déteste que l'on me double et plus qu'on me rouble depuis que l'on m'a crevée le coeur. Peu importe l'or perdu pour cette rencontre, sa vie est maintenant mienne, mais c'est un secret que les flots garderont pour moi. Oui, mon secret.
A présent, il fallait que je file, la providence m'a offert une petite maison de pêcheur sans âme qui vive à quelques pas. Je n'ai pas découvert de festin, mais assez de frusques pour me fondre dans le paysage. Les poches vident, le ventre creux, et le coeur remplit d'une fierté toute malsaine, j'avançais vers le premier port. Il me fallait dégotter de nouvelles affaires et tricher aux jeux pour que la mélodie des pièces retrouve le confort d'une bourse. Le soleil était rasant, et la mer avide d'avaler ses rayons ne tarda pas à n'en faire qu'un souvenir. Parfait ! La nuit était tombée quand ma première victime fut allégée de sa fortune pour composer la mienne. Grâce à elle, j'ai pu pousser la porte d'un estaminet. Les rires étaient gras, l'odeur de graillon planait avec le tabac qui formait une brume douillette comme je les aime. Je glissai entre le bruit des chopes, les petits cris faussement outrés des catins, et les regards curieux qui me déshabillaient tandis que mes yeux noirs les plantaient. Je sais, il convient de faire profil bas pour éviter les ennuis. Mais que voulez-vous ? Ils me suivent comme une ombre alors autant y faire face et les apprivoiser.
Je m'installai à une table, peu après un gaillard taillé dans un roc s'assit à califourchon en face de moi. Il était difficile de passer outre tant il me gâchait la vue. C'est un semblant de sourire qui flotta sur mes lèvres quand la fumée de son brûle-gueule titilla mon manque cruel de calme en caressant mon visage.
- T'es la Chansirène, toi ! dit-il d'un coup avant de cracher avec mépris au sol.
- Et puis quoi, si c'est le cas ?
- T'es qu'une misérable enflure !
Cette fois, mes lèvres s'étirèrent sincèrement et dans un geste de générosité mal placée, ma main fit signe d'apporter deux chopes pour accompagner ma pitance. Je gardai le silence alors qu'il poursuivit :
- Tu crois qu'on t'oublie comme ça ?
- Sans doute pas ! m'esclaffais-je.
Il émit un sourd grognement en se grattant la barbe alors que ses yeux me détaillèrent avec vivacité.
- J'ai eu des emmerdes à cause de toi. Tu sais combien ton petit tour m'a coûté ?
Je haussais les épaules, il prit ça pour une réponse sur mon ignorance alors qu'en réalité, j'en avais absolument rien à faire. Il me dévoila sa dextre aux doigts tordus. Je grimaçai :
- Ton soigneur n'en avait pas pour t'avoir rafistolé comme ça. Et c'est pour ça que tu viens pleurer dans mes jupes?
- Ta gueule ! Te fous pas de moi ! Tu as une dette !
- Elle est bien bonne !
Je m'apprêtai à me lever quand il m'attrapa vivement le poignet pour me contraindre.
- Non, cette fois, tu m'écoutes !
- Lâche-moi, tout de suite, où tu devines ce qu'il va t'arriver.
Je le sentis frémir, et l'excitation se nicha dans mes reins quand il s'exécuta. Je redevins presque douce pour lui prêter une oreille attentive. Il se gonfla la poitrine de tabac pour retrouver son aplomb, puis dévoila son sourire noirci.
- Sur Jardhil, il y a un paquet de culs dorés. Ce serait une sacrée aubaine pour toi de t'occuper de leurs bourses.
- Ptet bien, répondis-je dans un rire - Et pourquoi me donner cette piste ?
- Parce que les putains des mers se dirigent là-bas, les flibustines. Tu aurais beau jeu de les rejoindre, plus d'or, moins de risques, et des alliés.
- Tseuh ! Je ne partage pas, mon gars ! Et je ne vois pas en quoi cela a rapport avec ma soi-disant dette. Et je ne suis pas une fille de joie. Tu m'as déjà vu en apporter ?
- A ta façon... Ta dette, c'est de me garder avec toi. Aucun navire ne veut de moi, j'suis pas un gradé moi, j'ai pas le droit d'avoir une main inutile ! Tu m'as mis dans la misère avec ton entourloupe. Engage-moi sur ton navire et j'oublie tout !
- Certainement pas ! J'ai ce qu'il faut.
- Cela m'étonnerait...
Et c'est là qu'il sortit un rouleau crasseux qui lui offrit ma réelle attention. Je le détestais, je l'aurais volontiers étouffé avec sa langue pour qu'il la boucle :
- Il te serait facile de me faire ton truc pour l'avoir ! Seulement, tu perdrais le filon, ma belle. Oui, moi, je suis un loup de mer, pas la boniche d'un aristo ! Je peux en avoir plein d'autres des comme ça. Tu me prends et on taille les flots, et j'oublie tout.
Je m'adossais en le tranchant de mon attention acérée. Le silence s'installa entre nous avant de céder à mes paroles.
- Non, tu n'oublies pas, au contraire, souviens-t-en chaque jour qui accueille ta misérable carcasse - j'esquissai un sourire en coin puis je pris un ton enjoué - Flibustine? Jardhil ? C'est ça ? Bon... puisqu'il le faut ! Tu as une place dans le navire. Dis-moi, où elles nichent ces donzelles ? Ah... et j'allais oublier, maintenant, c'est mon capitaine plus ma belle pour toi.