Forum - Le sang des anges

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Noir-feu | 16/12/11 11:27

Chapitre I

Autrefois. En d'autres temps. Jadis. Tant de termes pour désigner quelque chose d'achevé, de fini, d'échu. Car c'était bien de cela qu'il s'agissait, au fond, une simple période terminée, comme il y en avait eu tant, comme il y en aurait tant, aussi. Les arbres écloraient de leurs graines, s'élançaient vers les cieux sans la moindre question, hormis peut-être de savoir où trouver le plus de lumière. Et de la lumière il y en avait tant qu'on en voulait. Des ténèbres aussi, d'ailleurs. Puis les arbres cédaient à un vent plus fort, à une tempête, aux haches de bûcherons. Certains devenaient des madriers qui traverseraient les âges, d'autres se consumaient pour réchauffer fugitivement une famille serrée devant la seule source de chaleur de leur chaumine. Et beaucoup pourrissaient simplement sur l'humus fertile des forêts, ils nourrissaient leurs descendants. C'était une forme de cycle, naissances, vies, morts, et rares étaient les êtres ou même les matières qui échappaient à ces lois écrites par on ne savait trop qui, ou quoi. Il y en avait pourtant quelques-uns qui parvenaient à se soustraire à l'emprise létale du temps, fous ou sages qui espéraient, peut-être, trouver le bonheur, la richesse ou la gloire en survivant éternellement. Si la chose pouvait sembler alléchante et pleine de promesses pour qui ne savait de quoi il retournait en vérité, ceux qui l'avaient expérimentée étaient, pour beaucoup, devenus amers et acerbes. Détachés de tout hormis d'eux-mêmes ils parcouraient les lunes, regrettant parfois qu'au terme d'une si mirifique existence le monde entier ne soit convaincu de la nécessité de s'agenouiller humblement avec une mimique extatique devant eux. Et ils jalousaient alors avidement les quelques mortels qui savaient, au cours d'une vie bien trop brève, se distinguer de la masse absurde et sans esprit qui représentait, force était de le constater, la multitude des vivants.

Depuis maintenant plus de six cents lunes, Noir-Feu arpentait le monde de Daifen, et il aimait à se définir comme "ni pire ni meilleur que les autres", amer et acerbe il l'était autant que la plupart, moins que certains et plus que d'autres, mais rien ne justifiait une extraction de la masse somme toute réduite des "immortels". Détaché de tout, il le devenait, chaque lune un peu davantage tandis que ses proches disparaissaient et qu'aucun ne venait les remplacer. Le Dragon ne le souhaitait par ailleurs pas, un ami était une prise pour l'ennemi, un levier pour qui aurait pu souhaiter lui nuire. Cette pensée lui tira un infime sourire, plus personne ou presque ne se souciait de son existence, et cela aussi lui convenait fort bien. En réalité, une unique chose fouaillait encore son âme comme une lame portée au rouge, le simple fait d'y songer valut au verre qu'il tenait en main d'exploser à grand bruit dans le petit salon désert. Secouant la tête avec un certain amusement, le Seigneur des Noirs reposa sur la table basse les quelques débris qui lui avaient entaillé la paume profondément, ne paraissant pas se soucier du sang qui gouttait sur les épais tapis qui recouvraient le sol. Il se dirigea vers un coffre déposé contre un mur, en sortit un verre intact et se resservit une eau de feu en prenant enfin place dans un confortable fauteuil. Fixant le vide, il visualisa le visage de sa femme, maintenant disparue depuis tant de lunes qu'il avait cessé d'en tenir le compte. Les traits aimés prirent une apparence si réelle dans son esprit qu'ils semblèrent véritablement présents devant lui, mélange toujours surprenant de douceur et de dureté extrême. Soigneusement, le Dragon desserra la main qui tenait le verre plein, puis d'une large rasade chassa avec peine ces réminiscences d'un âge bel et bien enfui. Une période terminée, oui, c'était simplement cela, et le Noir en avait vécu plus que son content, des fins. Il aurait menti en disant que cela ne le touchait plus bien sûr, la souffrance et le vide issus de la perte d'un être aimé demeuraient tels que la première fois, mais il était maintenant capable de l'accepter, et de le surmonter. Du moins tentait-il de s'en persuader une fois de plus lorsque quelques coups légers furent frappés contre la porte de la pièce.

Elle était jeune, humaine, et si ses traits n'avaient pas l'incommensurable beauté de certaines elfes, ou la splendeur glaciale de certaines vampires, elle était néanmoins belle selon les critères de son peuple, sa longue chevelure noire et ses yeux d'un bleu tranchant lui donnaient un charme auquel peu d'hommes restaient insensibles. Silencieusement, elle déposa un plateau avec deux verres et une bouteille sur la table, soupirant avec discrétion en évitant les bris de verre qui jonchaient le sol. Lentement, elle releva les yeux sur le sombre maître des lieux, une lueur inquiète dans ses prunelles d'azur. Noir-Feu lui retourna son sourire en chassant son inquiétude d'un geste de la main, puis l'invita du même geste à s'asseoir en face de lui, sur un fauteuil confortablement pourvu de coussins de soie noire. La jeune femme s'installa, gardant longuement le silence en observant son vis-à-vis austère. Elle le connaissait depuis bien des lunes, maintenant, et si peu d'êtres parvenaient à percer le masque qui recouvrait la plupart du temps les expressions du Noir, elle pensait parvenir à déchiffrer certaines choses, bien qu'elle n'eut jamais osé véritablement confronter ses suppositions en l'interrogeant. Elle avait bien tenté timidement de le pousser à lui parler un peu, mais toutes ses tentatives s'étaient heurtées à un mur inflexible et parfois glacial quand il avait l'esprit ailleurs. Elle ne l'avait pour ainsi dire jamais vu sans une impénétrable armure sardonique, et même les rares fois où il semblait s'ouvrir quelque peu elle y avait décelé d'autres voiles, d'autres camouflages qui dissimulaient soigneusement les véritables pensées du Dragon. Ce soir, prenant son courage à deux mains, elle avait décidé que c'en était assez. Cloîtré depuis maintenant des mois, il semblait que le Noir ne dusse plus quitter son Krak, il avait déserté les champs de bataille et ses terres, même la taverne ne le voyait plus franchir sa porte accueillante et le Krak désert depuis l'envoi des armées sur le deuxième cercle lui semblait devenir chaque jour un peu plus lugubre. Heureusement, il y avait eu la visite de ce Nain, un certain Roxar, qui était venu s'entraîner dans les salles d'armes de la citadelle, mais cela ne compensait que bien peu la solitude pesante qui entourait Elynn. Elle pensait que sa jeunesse s'était enfuie chez le marchand d'esclaves qui l'avait enlevée, son innocence brisée d'avoir vu le Dragon semer un impensable carnage dans son bouge. Elle avait pensé que sa dernière heure était arrivée, quand elle avait croisé pour la première fois le regard alors sanguinaire du Dragon. Pourtant, il l'avait traitée avec une étonnante douceur et, au gré des mois, avait pris une sorte de place plus ou moins paternelle, lui dispensant des leçons ardues touchant à des domaines très variés et veillant à sa parfaite éducation. Parfaite selon ses critères, évidemment, et la nuance soutira un joyeux éclat de rire à la jeune femme. Surpris par ce subit éclat, le Dragon la scruta avec une attention légèrement amusée, attendant avec patience qu'elle s'exprime. Car il se doutait bien qu'elle avait quelque chose derrière la tête, jamais elle n'avait pris l'initiative de prendre un verre pour elle en apportant une bouteille à celui qui restait, malgré l'affection qu'il ressentait peut-être à son égard, son Seigneur.

-Noir-Feu...je...

Souriant avec une tendresse un peu bourrue, le Dragon laissa quelques secondes passer avant de désigner la bouteille et les verres.

-Tu devrais peut-être commencer par ça.

-Oh...pardon, je...oui...oui.

Les joues roses d'une gêne qu'elle éprouvait rarement, elle s'empressa de faire le service, rougissant franchement quand le Dragon lui prit le verre des mains en la remerciant d'un signe de tête. Silencieusement, ils burent quelques gorgées avant qu'Ellyn ose reprendre:

-Je n'ai pas...je veux dire, je n'ai rien à dire, Seigneur, mais...

-Et bien. Parle donc, je ne vais pas te mordre, jeune femme.

-Elle...elle a disparu depuis longtemps...

-A l'aune de ta vision du temps, oui. A la mienne, quelques lunes, que je n'ai pas comptées.

-Vous les comptiez, au début...

-En effet. Stupide habitude de jeunesse.

-Mais...

-Tu n'es pas venue pour me parler d'elle, n'est-ce pas?

-Non...enfin si, c'est...c'est lié...je...

Le Dragon se pencha lentement vers la jeune humaine, son regard de feu sombre perçant sans mal les pauvres masques que tentait désespérément de revêtir Elynn. Il n'en montra rien, attendant une fois encore qu'elle exprime ce qui semblait la travailler profondément.

-Tu...?

-Vous...vous allez rester seul longtemps? Je veux dire...enfermé ici...sans visites...sans personne...

-Je ne sais pas. Je ne regarde plus le futur. Pourquoi?

-Et bien je...je ne veux pas vous blesser, mais...il n'y a personne de mon âge, personne de mon peuple...et maintenant...plus même de visites...je me sens seule...

-Ah. Et que souhaiterais-tu, donc? Que nous engagions du monde? Le parcourir en quête d'aventure et de rencontres, ce monde?

-J'aimerai...j'aimerai que vous m'embrassiez...murmura la jeune femme en rougissant de plus belle.

-Elynn...je suis marié, assez vieux pour être ton ancêtre lointain, et quand les enfants des enfants de tes enfants seront vieux à leur tour, je n'aurai pas changé d'un cheveu. Oublie cette folie. Je pense que tu as besoin de rencontrer des jeunes gens plus à même de t'apporter ce qui te manque. J'ai été aveugle de ne pas le voir plus tôt. Prépare tes affaires, demain tu quitteras ces brumes qui t'ont retenues trop longtemps.

-Vous savez, pourtant...murmura inaudiblement l'humaine, vous savez depuis...longtemps, n'est-ce pas?

-Oui... Mais c'est une erreur, une folie que j'aurais dû prévoir et prévenir. J'ai stupidement pensé que cela te passerait. Maintenant, nous allons trinquer comme une fille et son père, puis tu iras préparer ton sac et te changer les idées en visitant un peu le monde.

-Je...je ne peux pas partir...je ne veux pas! Je veux être avec vous, je veux que vous me serriez contre vous et que vous m'embrassiez! Elle a disparu depuis plusieurs années, et je vois bien qu'une présence vous manque! Je suis là, moi!

-Elynn. Tu feras ce que je te dis. Elle, c'est la Reine de Num, ma femme. Rien ni personne ne changera ça, à part éventuellement elle, et tu le sais! Assez maintenant, reprends-toi et vas préparer tes affaires, ma fille. Dans deux jours tu penseras à autre chose, et cela vaudra mieux pour toi comme pour moi.

Elynn quitta la pièce en courant, s'efforçant de retenir les larmes qui jaillissaient de ses yeux pour ne pas offrir ce pauvre spectacle au Dragon, il lui avait tant seriné que la maîtrise de ses sentiments était essentiel qu'elle ne pouvait se résoudre à le décevoir, quand bien même elle savait qu'il répétait ce laïus autant pour lui-même que pour elle. Les sentiments, c'était peut-être la seule chose que le Dragon n'était jamais parvenu à dompter entièrement, et cette lacune, cette lame vicieuse et habile, perçait maintenant douloureusement de sa pointe maudite le coeur et l'âme du Noir alors qu'il soupirait en regardant celle qu'il considérait comme sa propre fille s'enfuir dans les couloirs glacés du sombre Krak. Il pouvait décimer une armée sans aide, anéantir une cité en quelques secondes, mais il était incapable de protéger ceux qu'il aimait, condamné selon les apparences à leur infliger souffrances et tristesse alors même qu'il souhaitait leur bonheur. Lentement, il ouvrit une main devant lui, paume vers le haut, la fixant d'un regard redevenu glacial. Trois petites sphères de brume noire sortirent comme à regret de cette paume, se déployant dans les airs pour former d'inquiétants motifs runiques partiellement reliés par des sortes de tentacules mouvantes d'obscurité. Le Dragon les contempla un moment en silence, puis, les mâchoires serrées, murmura alors que la brume s'estompait déjà:

-Maudites...

Noir-feu | 16/12/11 11:29

Chapitre II

Danser. Répéter encore et encore, jusqu'à en perdre toute pensée consciente, chaque coup, chaque parade, chaque esquive connue. Ne plus réfléchir. Devenir, ou presque, une pure force élémentaire, faire abstraction du Tout pour n'être plus que soi-même, pour se retrouver enfin devant le miroir maudit qui révèle tous les défauts de la cuirasse, le reflet qui broie, qui brise rêves et illusions pour ne laisser qu'un infini vide. Le Néant. Danser, jusqu'à ne plus être qu'une arme, d'une implacable détermination vouée à un but, un seul. Devenir la flèche. Tirée par inconscience, par intuition, par hasard, parce que tout concourrait à ce qu'elle le soit. Fendre les Vents, bons ou mauvais, ne voir que le dessein, le coeur de la cible, survoler la Terre, d'une arabesque rectiligne qui s'achève là où tout commence et tout se termine, répandant le Feu dans les veines, l'Eau de douleur qui roule sur la joue à la douceur de soie comme sur la plus rugueuse, malgré le courage, malgré les chaînes.

Danser, encore, encore, encore, encore...

Ne plus penser.

Être.

Sourire d'absolue sérénité dans le lac du silence. Le Temps se déroule comme une bannière fatiguée, lent, selon un rythme primal oublié des êtres, la plupart, et qui pourtant le sentent, malgré eux, parce qu'il ne peut en être autrement. Devant le Dragon à forme humaine solidement campé sur ses deux jambes, une Rune de Feu se trace dans les airs. Simple courbe flamboyante au début , elle se pare durant de longues heures de ramifications de plus en plus nombreuses et complexes, si éclatantes qu'un oeil humain en serait quitte pour quelques heures de cécité à vouloir les contempler. Enfin, la Rune se stabilise, aussi lumineuse qu'un soleil, irradiant d'une puissance considérable contenue par les entrelacs de feu qui semblent vibrer comme des cordes trop tendues, et le Dragon sourit enfin, quelques gouttes de sueur perlant sur son front sous le discret mais colossal effort de volonté qu'il vient de fournir. D'une pensée il stabilise la Rune, puis se munit de quelques affaires posées sur une table voisine, le visage quelque peu soucieux alors qu'il fait à nouveau face au pouvoir rassemblé et contenu par sa Danse. Espoir...espoir que tout se passe comme prévu, durant d'interminables lunes de préparation à cet instant, mais le Dragon sait combien l'espoir est versatile, instable et trompeur.

Calme. Silence. Équilibre. S'enraciner dans le passé, dans le présent, le futur n'existe pas. La volonté de Noir-Feu se déploie lentement vers la rune, semble en palper quelques torons comme pour en éprouver la solidité, une hésitation, infime, la rune vacille. Une peur abyssale tord les entrailles du Dragon, aussitôt reléguée au rang d'information anodine, les Trois Noires jaillissent de son esprit pour l'ancrer dans le passé, de plus en plus loin, jusqu'à cet instant de l'Aube, pour l'ancrer dans le futur, reflet de son but, de son désir qui le consume depuis trop longtemps pour ne pas avoir acquis une importance capitale au gré des ans. Un effort de concentration à la limite de la rupture, enfin la Porte s'ouvre, disque de feu éclatant et insondable tissé d'entrelacs d'un noir profond, prête à emporter son créateur en un monde lointain et depuis si longtemps déserté qu'il pourrait aussi bien ne plus exister. Mais il est trop tard pour reculer, bien trop tard. Un pas, puis un autre, et Noir-Feu disparaît dans le maelström flamboyant.

Terre d'Elladyl, Royaumes du nord, lune 1100 du calendrier Daifennien.

Le voyageur, chaudement vêtu d'une cape grise doublée de fourrure de loup dont la capuche rabattue dissimule le visage, s'immobilise au sommet d'une butte aride, examinant longuement la petite cité ceinte de murailles qui s'étend dans les plaines balayées par les vents glaciaux d'un hiver rigoureux. De minces panaches de fumée s'élèvent obliquement au-dessus de la plupart des maisons, les portes de la ville sont ouvertes, sur le chemin de terre qui y mène, quelques carrioles lourdement chargées brinquebalent en grinçant, des hommes et des femmes portant de lourds fardeaux, souvent constitués des maigres branchages qui leur assureront un semblant de chaleur dans la froidure hivernale, titubent sur la mauvaise route. Deux gardes grelottants assurent une vague surveillance des entrées et sorties, plus occupés à battre du pied pour se réchauffer qu'à examiner les passants, ce qui convient fort bien à l'observateur immobile dans le blizzard. Sous le capuchon, une ombre de sourire relève des lèvres fines et dures, il ne sera pas difficile d'entrer. D'un pas rapide, il gagne la piste, se joignant à la cohorte disparate qui se presse maintenant vers l'abri relatif des murs, passe devant les gardes qui lui jettent à peine un regard, arrive enfin sur une petite place où quelques rares étals sont en train d'être pliés, la nuit ne tardera plus, maintenant. Il avise un marchand d'aspect bonhomme, s'en approche, le salue d'un geste de la main.

-Dis l'ami, je viens de loin, peux-tu me conseiller une auberge tranquille?

-Ha ça mon brave, ce n'est pas ce qui manque! Mais la bière de l'Auberge du sanglier est la meilleure de la ville, et les chambres sont propres. Tu la trouveras dans la ruelle qui jouxte le château, près du temple.

L'étranger jette un bref regard en direction de l'édifice qualifié de château, plutôt une ancienne ferme fortifiée pour ce qu'il peut en voir, et glisse une pièce d'argent dans la main du marchand.

-ça fera l'affaire, merci. Encore une question, qui est le seigneur qui dirige cette ville?

-Une Dame. C'est une Dame, du nom d'Iryëll.

-Oh. Je vois. Et bien, bonne soirée, que tes affaires soient bonnes.

-Ha ça, pas de risques en cette saison, mais merci quand même.

L'homme vêtu de gris incline la tête en guise de remerciement, puis se dirige d'un bon pas vers l'auberge indiquée, semblant pressé de s'attabler devant un bon repas chaud et quelques bières, ainsi qu'il est de coutume pour les voyageurs qui osent braver l'hiver, mais alors qu'il parvient aux abords de la demeure seigneuriale, c'est vers sa porte qu'il se dirige, sortant les deux soldats de faction de leur torpeur. Aussitôt, ils croisent leurs courtes lances pour interdire le passage, tandis que le plus âgé hèle l'importun:

-Holà étranger, on ne passe pas.

-Je souhaite rencontrer votre Dame. Rapidement.

-Commence par nous montrer ta bobine, étranger, on n'aime pas trop les cachotteries dans l'coin. Pis tu nous expliqueras en long en large et en travers pourquoi notre Dame devrait te recevoir à c't'heure là, et t'as intérêt à être convaincant si tu veux que j'me bouge.

Sans hâte, le voyageur repousse sa capuche, révélant de longs cheveux d'un blanc argenté qui entourent un visage aux traits durs et féroces, mais ce sont ses yeux qui font frémir les gardes. Ils se regardent brièvement, cherchant dans la présence de l'autre une assurance qu'ils ne trouvent pas. Se raclant la gorge, le plus ancien fait malgré tout un pas en avant pour mieux examiner l'homme, qui déclare d'une voix calme:

-Votre Dame me recevra, parce que je le veux. Dites-lui que son père est là.

-Son père?! Et tu...vous pensez que j'vais gober ça?

-C'est toi qui vois, sourit le visiteur d'un air peu commode, comme s'il espérait un refus.

-Sinon? Tente de se rebeller le garde, atteint dans la fierté de sa fonction.

-Ma fille perdra un ou deux gardes valeureux, et tu ne connaitras jamais la douceur d'une retraite bien méritée.

-On est deux, bien armés et entraînés, pis y'en a une dizaine comme nous juste derrière cette porte.

-Ce n'est pas suffisant pour m'arrêter. Sois malin, et va transmettre ma demande, je n'ai pas envie de répandre ton sang ce soir.

Le garde examine le prétentieux, fronçant les sourcils de contrariété, hésitant à lui faire ravaler prestement sa morgue, mais il est expérimenté, et ce qu'il lit sur le visage de l'homme le terrifie, bien qu'il ne parvienne à en déterminer la raison. Il songe à sa simple mais confortable chaumière, à sa femme qui doit lui avoir concocté un de ces petits ragoûts dont elle a le secret, pense aussi qu'il ne lui reste que quelques mois de services, et que l'argent qu'il a mis de côté lui permettra de couler une vieillesse paisible. Soupirant, il cède enfin, acquiesçant d'un hochement de tête.

-Mouais. J'vais aller voir si elle peut vous r'cevoir. Des fois qu'ce soit vrai qu'vous êtes son père...c'est quoi vo'te nom?

-Noir-Feu.

-Bon, vous bougez pas d'ici, j'reviens.

Inclinant le visage en signe d'acceptation, le voyageur suit du regard le garde qui disparaît dans la bâtisse, puis soupire discrètement, se résignant à patienter. Quelques minutes plus tard, le garde revient, la mine sombre, poussant plus largement le battant pour laisser passer l'étranger.

-M'est avis qu'si vous êtes vraiment c'que vous dites, z'allez passer un sale moment. L'avait pas l'air enchantée, no'te Dame.

Noir-Feu hausse les épaules tandis qu'un vague sourire relève ses lèvres, puis de son pas assuré emboite le pas au garde qui le dirige jusqu'à une petite pièce dont les murs gelés sont recouverts de chaudes tentures, l'atmosphère peinant à se tiédir malgré la flambée vivace qui éclaire parcimonieusement le lieu. Quelques meubles sont disposés contre les bords, coffres simples mais de bonne facture, deux sièges de bois et de cuir entourant une table basse, armoire habilement décorée par un sculpteur de talent. L'endroit est simple, mais relativement accueillant, ce qui soutire un nouveau sourire au visiteur, qui songe qu'il aurait aussi bien pu se faire recevoir par une volée de flèches. Le garde se racle la gorge pour attirer l'attention du visiteur, lui désignant du menton la porte qu'ils viennent de franchir.

-Sa Seigneurie Dame Iryëll.

Noir-feu | 16/12/11 11:30

Chapitre III

Le coeur du Dragon manque un battement alors qu'il découvre celle qu'il est venu voir. La vision de la femme le ramène sans douceur dans un passé lointain, tant elle ressemble à sa mère, l'Elfe nommée Elliona, magie de ce peuple qui se dévoile sous les traits en apparence presque juvéniles d'Iryëll alors qu'elle a près de 600 lunes. Elle fixe le visiteur d'un regard froid, presque méprisant, lui indiquant l'un des fauteuils avec une politesse que Noir-Feu sent forcée. L'homme s'incline, puis prend place alors que le garde se retire en refermant sans bruit la porte. Longuement, le père et la fille s'observent, puis Iryëll se décide à prendre place à son tour.

-Que veux-tu?

-Te voir, une dernière fois. Et te remettre ce qui t'appartient avant de rejoindre l'Oeil Vert.

-Je ne veux rien de toi. Tu m'as vue, maintenant, peut-on mettre fin à cette comédie?

-Je ne t'ennuierai pas longtemps, sois tranquille, murmure le Dragon qui ne parvient à détacher son regard de la jeune femme.

-Arrête de me fixer ainsi! Et vas-t'en! Tout de suite! S'exclame Iryëll d'une voix vibrante de colère.

-Je m'en irai lorsque je le déciderai, en aucun cas avant que tu ne m'aies écouté quelques instants.

-Bien. Je t'écoute, mais fais vite.

Acquiesçant d'un hochement de tête, Noir-Feu dépose sur la table basse un petit sac de soie noire de la taille d'une bourse, le pousse vers sa fille sans la quitter des yeux.

-Ton héritage. Il faut que tu saches que tu as un demi-frère, qui vit sur le monde de Daifen.

-Un demi-frère? Et qu'est-ce que ça peut me faire? Je ne peux pas retourner sur Daifen de toute façon, tu t'en es assuré!

-Il le fallait. Mais une Porte existe à nouveau, tu la trouveras sans mal si tu la cherches. Quand à ton demi-frère, il se nomme Larme, il est âgé d'un peu plus de 300 lunes et il vient de se marier avec une demi-elfe du nom de Shadee. Je pense qu'il aimerait te connaître.

-C'est tout?

-Presque. Tu trouveras aussi sur Daifen deux Soeurs Dragonniques, Sanaga et Lyra.

-Ah! Alors tu as encore répandu ta malédiction. La mort de ma mère ne t'a pas suffit?!?

-Tu sais très bien que je ne l'ai jamais souhaitée.

-Et pourtant elle est morte. Parce que tu l'as lâchement abandonnée après avoir fait d'elle une fichue Dragonne! Comme tu m'as oubliée durant des années, comme tu as oublié Ambre durant ce même temps! D'ailleurs, où est-elle?

-Elle est morte...murmure tristement le Dragon d'une voix légèrement fêlée.

-Quoi? Comment?!

-Un carreau d'arbalète, dans une ruelle. Je suis arrivé quelques instants trop tard.

Iryëll se lève vivement, dardant un regard meurtrier sur son père, les yeux brillants de larmes qui jaillissent et roulent sur ses joues.

-Fous le camp! Dégage et ne reviens jamais! Je te hais! Je te maudis! Et reprends ton aumône, je n'en veux pas! Hurle la jeune femme.

-Calme-toi. Ta mère voulait que cela te revienne. Je n'ai pas pu te le donner avant.

-Ma mère...vas-t'en avant que je ne décide de te faire pendre, salaud!

-Je croyais t'avoir appris à ne jamais proférer de menace que tu ne puisses mettre à exécution, Iryëll, murmure sombrement le Dragon en se relevant.

-La seule chose que tu m'aies appris, c'est la haine! Vas-t'en! Immédiatement!!!

La femme se lève à son tour, désignant la porte d'un geste sans appel, le visage figé en une expression de haine si tenace que le Dragon en frémit malgré lui, l'âme et le coeur saisis d'un froid qui ne doit rien à l'hiver.

-Soit. Je t'ai aimée, profondément, sincèrement, tout comme ta Mère. Adieu, Iryëll.

Infiniment las, Noir-Feu quitte la pièce d'un pas pesant, passant devant le garde qui lui jette un regard inquiet et peu assuré, ne sachant trop s'il doit raccompagner le visiteur ou aller s'enquérir auprès de sa Dame si elle a besoin de quelque chose. Presque comiquement, il se dandine d'un pied à l'autre, hésitant et visiblement mal à l'aise, ce que le Dragon ne remarque même pas tant la souffrance qu'il ressent est profonde. Dans la pièce glaciale, Iryëll se rassied lourdement, enfouissant son visage entre ses mains alors qu'elle éclate en de longs sanglots silencieux. Dans un état second, le Dragon quitte la demeure, puis la ville, sans se retourner. Il parvient à la Porte sans en avoir conscience, la franchit sans marquer le moindre ralentissement, regagnant son Krak qui lui apparaît comme le monument funèbre d'un espoir brisé, un de plus, mais qu'importe. Sans bruit, il gagne le sommet du donjon, s'appuyant des deux mains sur le parapet et contemplant sans le voir le paysage dantesque de lave et de pics déchirés qui entoure sa demeure. Lentement, comme à contrecoeur, le calme reprend place dans l'âme fissurée du Noir, il savait que cette rencontre serait houleuse, mais la haine immense dirigée contre lui l'a surpris, peiné, d'une certaine manière, bien qu'il ne soit pas attendu à un accueil chaleureux. Un ample soupir, puis le Dragon se détourne de la vue et regagne les profondeurs de sa citadelle, d'autres pas l'attendent qui ne seront sans doute pas plus aisés, qui nécessiteront toute son attention pour ne pas aboutir au même résultat que cette triste rencontre.

Gzor | 16/12/11 22:17

[HRP : Purée, c'est pas possible, tu es un virtuose :o ]

*note la présence d'une nouvelle ramification familiale du Dragon, source possible de problème à l'avenir. Note également les rapports houleux, possiblement détournables à quelques fins utiles.*

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Kärel | 16/12/11 23:44

Je crois que j'ai pas tout compris à la transmission du sang dragonnique :#) quelle famille... les coeurs brisés n'y manquent pas apparemment. C'est... touchant.

[Bon, il serait impoli de ne pas commenter un tel RP, même si je n'ai pas grand-chose d'autre à ajouter au fait que le style en fait un récit prenant, et qui se lit bien. Par contre, je connais pas la moitié des personnages évoqués :D ]

Cordialement,

Kärel.
Montre-moi ton multivitaminé, je te dirai qui tu es.

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Edité par Kärel le 16/12/11 à 23:50

Noir-feu | 17/12/11 00:11

C'est simple: il y a d'une part les enfants "naturels", qui héritent à leur naissance du Don Dragonnique (Iryëll, Larme), mais pas de la "mémoire" complète de leurs ancêtres, et les êtres qui ont reçu, pour diverses raisons, le Don, qui fait d'eux des Dragons alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant (Ambre, Lyra, Sanaga, Eigoel). Dans ce dernier cas, le donneur décide de la part de lui-même qu'il offre au destinataire, ce qui peut aller de la simple forme dragonnique à un Don total, qui comprend donc la mémoire du donneur et de ses ancêtres. Pour les enfants naturels, le Don de la mémoire collective se fait en général quand ils arrivent à un âge adulte, mais ce n'est pas une obligation, il peut être fait avant, plus tard, jamais.

(Hrp: Merci pour les commentaires, ça fait toujours plaisir.:) Rien n'oblige à tout lire d'une fois, hein!:p D'autant plus que ce n'est que le premier tiers.:o:D

Pour les personnages:

Elliona est la première épouse de NF, une elfe qui a vécu au environs de la lune 500. Une fille, Iryëll, est née de ce mariage. Sa soeur morte est une enfant adoptée par Elliona et NF qui se nommait Ambre. Elynn une jeune humaine récupérée par NF chez un marchand d'esclaves alors qu'il cherchait Ambre, envoyée en mission peu avant Certadhil 3. Mis à part Elliona, les autres personnages sont des pnjs destinés à alimenter le rp.

La femme évoquée sans que son nom ne soit prononcé comme étant la Reine de Num dans le premier chapitre, est Xüne Syphoon, l'épouse actuelle de NF.;))

Bart Abba | 17/12/11 00:30

Chapeau bas !

BOZH.

Amélie De Bois Doré | 17/12/11 09:10

/Ouaip...la classe...
J'ai pris bcp de plaisir à lire.../

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Amélie de Bois Doré
Incline toi hérétique !

Kärel | 17/12/11 23:35

[Merci pour les infos ! J'attends donc le deuxième tiers, en attendant, je me repose les yeux ;) ]

Cordialement,

Kärel.
Montre-moi ton multivitaminé, je te dirai qui tu es.

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