Forum - [Certadhil 3 - Sepulchri Monumentum]

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Gzor | 09/08/11 12:47

Certadhil, lune 1033. Un soir.

Une effervescence palpable régnait dans l'amphithéâtre du temple gzorien. Il était noir de monde ; une bonne partie des scribes, reconnaissables à leur bure violette, ainsi que des ingénieurs nains, architectes et hauts fonctionnaires étaient rassemblées dans cette salle en gradins, aux sièges dirigés vers une estrade centrale légèrement surélevée, où, en lieu et place de l'habituel table et autres tableaux noirs, un objet de taille imposante était recouvert d'une étoffe criarde laissant à peine deviner quelques arêtes.
Alors qu'au-dehors, les torches étaient allumées par les veilleurs, et que les soldats redoublaient de vigilance à la tombée d'une nuit propice à la venue d'une masse bestiale et rampante, la salle s'emplissait des bruits des conversations. Peu à peu, chacun prit sa place.
Gzor, arrivé dans les derniers à cause d'un travail tardif sur un dossier concernant le plan de réorganisation des communications entre la cité et les mines du sud-est, était assis sur un trône placé à mi-hauteur des gradins, en face de l'estrade éclairée par la faible lueur des lampes à huile. Dans ses environs immédiats, une cour temporaire avait pris place : à sa droite, Maendelh, son chef-scribe, avait la tête baissée sur un parchemin posé sur ses genoux, et qu'il parcourait d'une plume agile avec une facilité surprenante. Autour se trouvaient d'autres éléments de la hiérarchie du royaume, dont Gzor n'avait pas forcément les noms, dont il aurait sans doute été inutile de se rappeler, en tête.
Quelques coups d'avertissement marquant le début de la réunion résonnèrent dans la salle ; l'auditoire se tut dans un decrescendo rapide, attendant avec une certaine impatience ce qui allait suivre, qui, disait-on, allait les changer des décomptes macabres et des questions d'approvisionnement et de constructions d'infrastructures militaires que le Conseil Gzorien d'Urbanisme et d'Architecture avait habituellement à traiter en ce lieu. Seul Maendelh savait exactement ce qui allait se présenter ; il avait d'ailleurs rangé son fatras d'affaire, observant avec la plus grande attention l'estrade vide.

La porte de la salle s'ouvrit avec violence. Dans un grincement de gonds, quatre personnage entrèrent, semblant venir d'avoir ralenti le pas de manière brusque ; on aurait presque entendu leurs chaussures déraper sur le sol de pierre. Se stoppant sur le pas de l'entrée, ils regardèrent un instant, étonnés, l'assemblée qui les attendait.
Ils avaient bizarrement l'air de ne pas être à leur place ; de fait, on les eût dit perdus, égarés, et personne n'aurait su dire ce que ces humains faisaient ici. Ils semblaient avoir fait un effort pour avoir une mise à peu près correcte, mais le long voyage en bateau n'avait pas aidé, et leurs sobres tenues sombres semblaient être étrangement crasseuses à la faible lueur diffusées par les éclairages des murs.
D'un geste, Gzor les invita à prendre place sur l'estrade. Ils gagnèrent la structure centrale de la pièce en quelques secondes, alors que l'assistance suivait silencieusement leurs gestes.
L'un d'eux, ayant un air étrange de premier de la classe dû à ses binocles et sa raie marquée dans une chevelure brune, fit :
«- Tout d'abord, seigneur, encore merci de nous avoir prêté une oreille attentive. Nous espérons nous montrer le plus persuasif possible, et... »
Un hochement de tête rapide l'invita à passer au vif du sujet. Il posa une pile de livres et parchemins sur une petite table, prit une inspiration, et commença.

«- En tant qu'architectes indépendants, nous avons coutume de travailler de notre propre chef sur des sujets nous semblant pertinents, selon le moment. »
Il déglutit, sentant les regards inquisitoriaux fixés sur lui ; une cinquantaine de paires d'yeux, dont celle d'un seigneur illustre, le scrutaient.
«- C'est ainsi que nous avons eu l'idée du projet que voici. Soyez persuadés que si nous avons pensé à vous le proposer, c'est parce que vous êtes relativement proches d'un lieu adapté, et que la sécurité désormais légendaire dont jouis cette cité nous invite à penser qu'il sera entre de bonnes mains. »
Le changeforme pensa un instant que le service propagande avait fait un travail exceptionnel.
D'un signe de main, l'architecte invita ses collègues à retirer le drap rouge couvrant l'objet situé derrière lui. Alors que le tissu tombait à terre, l'assistance découvrit avec étonnement une maquette de la plus grande qualité, faite de bois ; grande comme deux fois les intervenants, elle montrait un souci du détail tout à fait suffisant pour cette étape.
«- Il ne s'agit de rien de moins qu'un monument aux morts. »
Un léger bruissement emplit la salle, alors que Gzor, intéressé comme jamais, fixait avec intensité la représentation miniature.
«- Il ne s'agit ici que d'une représentation à l'échelle du soixante-dixième ; au final, le tout devrait faire dans les cent cinquante ou deux cent toises de hauteur. »
Quelques expressions d'étonnement se firent entendre.
«- Le monument est prévu pour être creusé dans la roche d'une montagne, avec l'aide du savoir-faire nain en la matière. »
La maquette laissait deviner une organisation en escaliers, menant vers un parvis de grande taille, surplombé par une gigantesque façade, visiblement gravée. Plusieurs ébauches de gigantesques statues étaient présentes, ainsi que des portes béantes donnant vers un intérieur creusé dans la roche.
Gzor contemplait la ligne de l'édifice, et essaya de s'imaginer la scène ; au coeur des monts Tla'dsul, au détour d'une écharpe de brume, une montagne sculptée de la sorte donnerait une saisissante impression d'irréalité. Un tel mémorial rehausserait le prestige du royaume dans des proportions importantes, ce qui n'était pas pour lui déplaire.
«- Vers quoi mènent les ouvertures sur la façade ?
- Nous n'avons pas encore tout à fait défini la disposition intérieure, mais nous imaginons y mettre des salles des Noms, ainsi que des chapelles, et, très profondément, des catacombes.
- Quel en serait le coût et le temps de réalisation ? » demanda le changeforme
L'architecte sembla gêné.
«- Nos estimations nous suggèrent que le projet coûtera entre deux cent et trois cent lingots d'or. », répondit-il.
Gzor examina mentalement la somme. Il pourrait sans doute débloquer ces fonds avant la fin de la guerre, qui était partie pour durer encore un bout de temps.
«- Et pour le temps de réalisation ?
- Si vous disposez d'ouvriers en nombre suffisant, elle ne devrait pas excéder six à huit lunes. »
Se mordant la lèvre intérieure, signe d'une grande perplexité, le changeforme retourna ce chiffre dans sa tête.
«- Vous n'ignorez pas, répondit-il en entrecroisant les doigts, regardant tour à tour les humains sur l'estrade, que la zone des Tla'dsul, la seule où votre proposition pourrait être concrétisée, est actuellement entre les mains de l'Ennemi.»
Les architectes se regardèrent, visiblement désemparés.
«- De plus, la guerre bat son plein, et votre monument, bien qu'étant une proposition intéressante, ne saurait venir détourner le royaume de son objectif principal : la victoire.
- Quand viendra-t-elle ? »
Un rire lugubre, sortant de la gorge du seigneur, emplit la salle, résonnant sur les murs de pierre nue.
«- Vous vous doutez bien que je l'ignore. »
Les exposants ne répliquèrent rien.
«- Est-ce tout ?, demanda Gzor en guise de relance.
- Écoutez, pour des raisons évidentes de confidentialité, nous ne pouvons rien dire de plus. »

Cela devait être le signal qu'ils n'avaient plus rien à dire.
- Bien, merci pour cet... exposé, conclut le changeforme. Nous allons examiner cette proposition.
- Nous vous remercions, Sire, et...
- Nous demanderons à l'un d'entre vous de rester dans la cité le temps qu'il conviendra au royaume. Lequel parmi vous a eu l'idée de ce projet ? »
L'humain ayant mené le court exposé leva timidement la main, sans doute intimidé par son interlocuteur, qui le fixa avec son habituelle froideur.
«- Soit. Vous resterez donc sur Certadhil, nous avons cruellement besoin d'architectes, et croyez-moi qu'en parallèle de votre projet, vous aurez de quoi vous occuper.
- Euh... fit l'intéréssé, visiblement peu convaincu.
- Voulez-vous que ce projet aboutisse, oui ou non ?
- Oui, bien sûr, mais...
- Nous ne pourrons rien faire sans participation active de votre part. Et soyez encore assuré que nous ne vous flouerons pas, vous compterez parmi les fonctionnaires du royaume, ce qui nous empêchera de vous envoyer au combat.
- Oui, mais...
- J'ajoute que vous serez payés. Bien payés. Et d'autant si ce projet aboutit.
- Mais, je n'ai pris aucune disposition, et...
- Nous laissons le rapatriement de votre matériel à la charge de votre cabinet ; cela dit, vous disposez déjà d'un logement dans le quartier des scribes. »
S'affaissant, visiblement à court d'arguments, il pensa seulement au gratin aux courgettes de sa femme qu'il ne reverrait sans doute pas avant un bon moment. Après tout, ce ne serait peut-être pas une si mauvaise expérience.
«- Bien, seigneur.», se dit-il, l'air dépité.

Un sourire furtif passa sur le visage du changeforme, effet de bord de la grisante impression de toute-puissance qu'il ressentait envers le petit être qui lui faisait face.
«- Vous pouvez disposer, des gardes vous escorteront vers vos destinations respectives. », conclut le changeforme, congédiant d'un signe de main les cinq humains, qui se dirigèrent, l'air fatigué, vers la porte de la salle.

Gzor se tourna vers Maendelh, qui, lentement, se leva. Descendant les marches menant vers l'estrade que l'on débarrassait de l'encombrante maquette, il prit la parole, la voix légèrement éraillée.
«- Bien, je n'ai pas eu le temps de l'exposer au début, mais voici donc l'ordre du jour... Proposition de monument aux morts, c'est fait... maintenant, je laisse la parole à maître Lazgher pour la question des constructions militaires et utilitaires de la lune suivant le plan défini par l'Autorité...»
C'est ainsi qu'alors qu'un long et pour le moins inintéressant discours d'urbanisme, dont les tenants et aboutissants étaient dérisoirement d'ordre purement prosaïques, commençait, le changeforme s'éclipsa. Les personnes l'ayant remarqué n'en firent aucun cas, habitués aux capacités de téléportation de leur maître.
Il y a certaines choses qui n'étonnent plus lorsqu'on est sous les ordres de Gzor. Par exemple, débuter un projet pharaonique mobilisant un royaume entier simplement parce qu'on en a envie.

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Gzor | 09/08/11 12:47

Certadhil, lune 1040

Sur le sol détrempé, marqué par de profondes crevasses, un groupe d'humains montés sur de fiers destriers avançait. Trois d'entre eux, en tête, vêtus de toges grises, scrutaient avec un certain agacement la chaîne de montagnes située juste devant eux.
«- On est bientôt arrivés ? grogna l'un d'entre eux, visiblement las, à l'attention de son voisin de droite.
- Baah... commença l'autre, en sortant un parchemin de sa besace, normalement, c'est cette montagne, là, fit-il en pointant le papier. C'est à encore une petite heure...
- Par le Grand Établi d'Oboulos, j'en ai déjà marre ! poursuivit le troisième, visiblement de fort méchante humeur. Rassurez-moi, on a perdu aucun canasson ? »
Se retournant, l'homme à la carte constata que tous les chevaux portant leur matériel de travail étaient présents. Au niveau de la croupe des animaux, sur le côté, visiblement attentifs bien que lassés par cette escapade des plus longues et ennuyantes, trois nains armés de haches rouillées et dévorés par de foisonnantes barbes chevauchaient des bestiaux adaptés à leur taille : des poneys.
Après avoir haussé un sourcil devant ce spectacle, somme toute inhabituel, l'humain regarda de nouveau droit devant lui.
Tout en avançant en faisant éviter au cheval les trous et crevasses parsemant le terrain, il repensa à leur travail. Ils devaient repérer un lieu de construction pour un projet gzorien, un monument aux morts de la Croisade ; cette dernière venait juste de s'achever, dans un ultime combat.
Les scribes, sous la pression d'un changeforme visiblement intéressé par la proposition qu'un obscur cabinet d'architecture lui avait fait, avaient depuis longtemps repéré un pic des Tla'dsul faisant partie de ces montagne ceinturant directement la plaine où se dressaient les vestiges de la citadelle chaotique. Mais il était à l'époque trop dangereux d'y envoyer des prospecteurs pour vérifier le terrain.

Hélas pour nos trois voyageurs, ce temps n'était plus ; quelques jours auparavant, la défaite de la Meute avait rendu cette étape franchissable. Cela dit, une lune de vigilance avait été décrétée par Gzor, qui redoutait un habile stratagème de Fenrir. Les montagnes n'étaient donc pas totalement sûres, ce qui justifiait cette escorte.
L'humain, repensant à l'allure patibulaire que les chasseurs de géants avaient en chevauchant, frissonna à l'idée qu'ils aient à les protéger d'entités dont on disait qu'elles étaient invincibles.
Il se tourna vers son compagnon de gauche. Doté d'impressionnantes cernes, chevauchant malgré tout avec une certaine dignité, il s'agissait de l'architecte en charge du projet. En parallèle de cela, il faisait partie du Conseil d'Urbanisme, et avait à son actif quelques réalisations dans la cité gzorienne, la plupart d'ordre militaire.
Soupirant un instant devant cet homme à qui il devait tout ses malheurs, et notamment ce voyage particulièrement pénible, il jeta un coup d'oeil à son voisin de droite.
Celui-ci était l'assistant que l'architecte s'était trouvé ; il ne savait absolument rien sur lui, sinon qu'il était prompt à râler ; quelques rumeurs le prétendaient adroit avec les instruments de mesure bizarre qu'on utilisait dans cette profession. Il présentait pour l'instant l'image d'un jeune homme à binocles, gringalet, à la chevelure courte d'une indéfinissable couleur brune garnie d'épis fantaisistes et à la peau d'un blanc pâlot. Ses veines étaient bien visibles sur ses mains nerveuses que supportaient des bras d'une minceur peu ordinaire.
L'humain, vêtu de la toge violette indiquant sa fonction, repensa un instant à ce qu'il faisait là : en tant que scribe travaillant, entre autres, à la cartographie de Certadhil, il avait participé à la désignation de l'emplacement de la construction, et il devait accompagner cette expédition. Cela dit, mis à part guider le cortège, il ne s'était trouvé aucune utilité, malgré plusieurs heures de réflexions permises par la longueur du périple.

Ses yeux parcoururent la plaine. Depuis le début du voyage, ils croisaient, de temps à autre, des cadavres en décomposition, parfois à moitié dévorés. De fait, leur nombre semblait en constante augmentation, et depuis une petite demi-heure, le sol en était littéralement jonché. Passé l'horreur du début, ils avaient à grand-peine fait abstraction du macabre spectacle, seul vestige témoignant de la férocité et du lourd tribut de la bataille ayant enflammé la région il y a quelques jours. Bien évidemment, ils n'ignoraient pas que des squelettes dormaient sous la terre que les chevaux piétinait, restes épars, eux, de combats antérieurs ; de même, ils croisaient constamment des macchabées complètement nettoyés, n'ayant plus pour eux que des os blanchâtres.
Mais après autant de temps passé sur Certadhil, on s'habituait plus ou moins à ces choses.
À leur gauche, en partie masquées par de fugitives écharpes de brume, se tenaient les ruines de la citadelle de Drazankhar, inquiétantes dans leur apparente torpeur.

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«- C'est cette pente ?
- D'après la carte, ça devrait être la bonne, oui. »
Au terme d'une heure supplémentaire passée à chevaucher vers le nord, au milieu des cadavres et des restes macabres, le petit groupe était arrivé à destination, et contemplait le versant de la montagne sur lequel les scribes avaient jeté leur dévolu.
Il s'agissait de la base d'une haute montagne, géographiquement adjacente à la plaine où les combats contre le Chaos s'étaient concentrés. La vue du sommet du pic était en partie masquée par des nuages bas formant une couverture grise. Malgré cela, le regard permettait d'admirer une bonne partie du versant, qui était, dans son ensemble, rocailleux, malgré quelques colonies de mousses et lichens à certains endroits propices.
Les cavaliers posèrent pied à terre. L'architecte souriait.
«- Tollap, installe le matériel, ordonna-t-il à son assistant, qui s'exécuta, déballant les sacs accrochés au flanc des destriers.
- Qu'est-ce que vous en pensez ?, demanda le scribe en appuyant en grimaçant sur le bas de son dos pour faire disparaître une douleur due à la chevauchée.
- À première vue, cela devrait être bon.
- Ah. Et maintenant, qu'allons-nous faire ?
- En gros, vérifier si les dimensions du monument sont compatibles avec celles du versant.
- Et comment vous comptez vous y prendre ?
- Avec quelques instruments adaptés, et un peu de logique.
- Ah, c'est vrai, suis-je bête. », rouspéta le lettré, qui appréciait visiblement peu que son interlocuteur le prenne ainsi de haut.

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«- Oui... voilà... une deux toises plus loin, maintenant... »
Devant la montagne, l'architecte, à l'aide d'un étrange instrument gradué d'angles, notait ses résultats sur un parchemin à portée. Devant lui, son disciple s'éloignait régulièrement à une distance précise, marquée par un ruban au sol. Le scribe, quant à lui, s'ennuyait ferme.
«- Voilà... c'est bon, tu peux remballer ! » fis l'humain après avoir inscrit une dernière mesure sur le papier.
L'autre s'exécuta, alors que son supérieur semblait en pleine réflexion ; sa plume parcourait rapidement le papier, et au bout d'une dizaine de minutes, il releva la tête du parchemin.
«- C'est parfait, commenta-t-il avec un sourire. La largeur à la base corresponds, de même que celle au sommet théorique de l'édifice. Le monument s'intégrera harmonieusem... »
Une violente détonation les fit sursauter, alors qu'ils se jetaient à terre, par instinct. Se relevant, ils cherchèrent des yeux les gardes nains, et purent constater qu'un d'entre eux gisait dans la boue, visiblement tombé du poney. La mince escorte se rassembla à grand-peine, sous l'oeil inquisiteur des trois humains.
Le lettré pointa du doigt le versant de la montagne, d'où s'élevait un petit nuage de fumée. L'architecte, s'emparant d'une longue-vue, l'orienta vers le panache. Une exclamation de surprise sortit de sa bouche.
«- Qu'est-ce que c'est que ce bordel... » murmura-t-il entre ses dents.
Le scribe pouvait vaguement voir des silhouettes s'agiter autour de l'origine de la déflagration.
«- Que se passe-t-il ?
- C'est l'expédition géologique.
- Comment ça, l'expédition géologique ?
- Ce sont eux. »

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Devant l'architecte énervé, le nain à lunettes de protection avait l'air bien embêté.
«- Écoutez, voilà déjà deux jours que nous sommes sur cette fichue montagne, sans compter le voyage, dont vous devriez vous douter qu'il a été pénible, et...
- Que faites-vous là ? Les prospections devaient venir après que nous ayons confirmé que le site était propice !
- Eh bien... nous étions également surpris lorsqu'on nous a demandé de remonter des mines du sud-est, il y a une semaine. Et ce, sur ordre direct du seigneur Gzor. », ajouta l'ingénieur avec une certaine fierté.
L'humain se tourna vers son assistant, qui fronçait les sourcils depuis le début de l'affaire. Le scribe, quant à lui, se massait un bras endolori par une chute de son cheval, qui avait trébuché sur la pente rocheuse menant au camp des nains.
«- Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, continua ce dernier, mais vos forages risquent d'abîmer le site.
- Vous savez, nous avons une feuille de route, et nous prenons des précautions... Oh, Mältor, plus doucement avec l'engin ! »
Surpris, le nain casqué se retourna. Il portait entre ses mains un engin sphérique de taille relativement grande.
«- Dites donc, où avez-vous eu ce matériel ?, demanda le scribe, visiblement intéressé.
- C'est de l'explosif courant, fonctionnant à la poudre. Il me semble que le royaume en possède tout un stock... cela dit, cela ne vaudra jamais les engins de la M&W Corp.
- Vous savez, nous ne disposons pas encore d'accès à l'Huile d'Obsidienne, et nos réserves doivent être économisées...
- Ouais, ouais, sans doute. », répliqua le nain, convaincu, en son for intérieur, qu'il y avait suffisamment d'Huile, mais que le tout était gardé pour d'autres usages.
L'architecte, après avoir pensivement regardé les nains plonger l'explosif attaché à une corde dans un profond et étroit puits creusé dans la roche, retourna à sa querelle.
«- Mais utiliser ainsi des explosifs, c'est ruiner le tout ! Je suis désolé, mais vous risquez d'abîmer les points stratégiques, et...
- De toute façon, ceci est le tout dernier forage. On devrait arriver à une profondeur de trente toises, ce qui permettra de connaître la roche qui compose la montagne, en profondeur.
- Vous n'avez pas peur qu'un unique conduit ne soit pas représentatif de la totalité du versant ? », demanda l'assistant, l'air inquiet.
Le nain haussa les épaules.
«- Nous n'avons pu faire mieux, justement pour éviter de rentrer trop en contradiction avec les plans de construction, mais ce que vous dites est, théoriquement, une possibilité. Je vous jure que je suis prêt à me priver de bière pendant une lune s'il s'avère que c'est le cas. », répondit-il, la mine rieuse, en réaction à ses interlocuteurs, qui semblaient être soudainement devenus soucieux.
Le scribe, quant à lui, était turlupiné par autre chose.
«- Avez-vous fait des prélèvements de surface ?
- Bien sûr, on connaît notre métier, répondit le mineur. Une vingtaine de points ont été forés à une, deux et trois toises.
- Et ?
- Les résultat ont globalement été les mêmes : grès sur la première toise et demi, et le reste de la distance est formé par du granit, de couleur blanche. »
L'air soudainement content, il se frotta les mains.
«- Non seulement c'est une combinaison rare et harmonieuse, mais il me semble que cela est en adéquation avec votre projet, non ? »
L'architecte ouvrit la bouche, et, après une seconde de mutisme, enchaîna.
«- En effet. Cela dit, j'avais considéré, dans les calculs du temps de creusage, qu'il s'agirait de calcaire... »
Le mineur fit une grimace de dégoût.
«- Mouais, si vous voulez l'avis d'un expert, c'est pas la meilleure roche qui soit.
- Et ce que vous venez d'énoncer rallonge considérablement la durée prévue...
- Je ne vous le fait pas dire, répliqua le nain avec une mine dépitée. Il va falloir environ doubler la durée que vous aviez annoncée...»
Un frisson parcourut l'échine de l'humain, qui ne s'imaginait pas du tout annoncer une erreur d'une telle envergure au changeforme, qui était réputé pour être d'une sévérité extrême.
«- Zut, fit-il en se mordant la lèvre. Et... vous pensez que Gzor réagira com...
- BAISSEZ-VOUS ! » hurla le mineur.
En un instant, les interlocuteurs s'étaient jetés à terre, alors qu'un bruit sourd se faisait entendre et que la terre tremblait. Le tout ne dura pas plus de trois ou quatre secondes.
Se redressant avec difficulté, le groupe put comprendre qu'il s'agissait de la dernière explosion du forage. Déjà, un nain géologue, solidement accroché à une corde, descendait dans les entrailles de la terre, et allait apporter son expertise sur les roches du sous-sol.

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«- Les résultats viennent de tomber ! »
Aussitôt après avoir entendu le chef mineur proclamer la nouvelle, les trois humains furent debout. Depuis près de trois heures, plusieurs nains avaient successivement examiné les roches tapissant le puits, et rapporté des échantillons, qui devraient être analysés plus en profondeur. Mais l'expertise globale était terminée.
Les acolytes se rassemblèrent autour du nain, qui, le sourire aux lèvres, leur annonça fièrement ce que ses hommes avaient déduit.
«- C'est assez compliqué, mais je vais essayer de faire court... Visiblement, ce massif montagneux n'a pas subi de transformations géologiques majeures, et est à peu près intact. D'ailleurs, la logique voudrait que l'on trouve davantage de basalte, mais...
- Oui, bon, l'interrompit le scribe. Qu'ont-ils observé ?
- Eh bien... apparemment, la montagne est constituée de strates de granit, alternant deux nuances de blanc.
- Quelle taille, pour chaque strate ?
- Environ cinq toise, à partir de la cinquième toise.
- Et c'est ?
- C'est un bon présage, compléta l'architecte avec un sourire. En nous débrouillant pour rendre la ligne générale de l'édifice parallèle aux limites stratifiques, cela devrait aller.
- Par contre, nous risquons d'avoir des problèmes avec ce qui n'est pas censé être agencé parallèlement, fit remarquer son assistant.
- Les nuances ne sont pas des plus visibles, vous savez, les rassura l'ingénieur. Cela ne devrait pas vraiment influer... et puis, avons-nous encore vraiment le choix ? »
Cette question rhétorique plongea les différentes parties dans une courte réflexion. Non, en effet, cet endroit avait trop pour plaire, et ce simple problème de couleur ne serait peut-être pas infranchissable.

Après être resté dans le camp une nuit, le convoi quitta les mineurs, qui devaient encore procéder à des expertises complémentaires. Ils chevauchèrent une bonne partie de la journée vers le sud, et arrivèrent en milieu d'après-midi dans la citadelle gzorienne, apportant au temple le fruit de leurs recherches.

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Edité par Findel (MJ) le 23/08/11 à 00:36

Lancwen de Sigil | 09/08/11 19:03

ah la compétence naine, un délice!
(très plaisant à lire,la suite!)

Roxar | 09/08/11 19:22

Comment ça des nains sur des poneys ... 8) clichés encore

(quelques passages peu clairs mais l'ensemble est sympa :D la suite !)

Roxar, humble guerrier nain

Edité par Roxar le 09/08/11 à 19:23

Kärel | 09/08/11 19:30

Je propose donc de lancer les paris sur le nombre d'ouvriers sous-payés (voire pas payés du tout) qui mourront à la tâche dans la plus grande indifférence générale :o

[Je rejoins Lancwen, en ajoutant que les descriptions sont toujours aussi efficaces ;) ]

Edité par Kärel le 09/08/11 à 19:30

Gzor | 15/08/11 13:12

Certadhil, lune 1041

C'était la nuit. La lune était clairement visible au-dehors, éclairant les rues désertes de la cité gzorienne. De temps à autres, la porte de la cité s'ouvrait, laissant passer une caravane marchande quelconque. La plupart des colporteurs avaient les poches remplies d'or, car ce continent manquait de tout, et il n'était pas chose difficile de revendre des denrées de base un prix élevé, que ce soit au royaume ou aux habitants. La citadelle s'était fait une petite réputation, car elle possédait de nombreux marchés, animés en continu par une activité commerciale foisonnante ; de fait, et même s'ils ne restaient jamais, une grande partie de la population de la cité était constituée de négociants divers, qui étaient évidemment copieusement taxés.
Loin de cette grouille pécuniaire, dans un atelier quelconque situé quelque part dans la seconde enceinte, six nains s'affairaient à la faible lueur des bougies. Des tables alignées contre les murs supportaient le poids de plusieurs ouvrages remplis de schémas semblant être d'ordre mécanique, ainsi qu'un nombre conséquent de feuilles volantes et d'outils et instruments divers. Une porte ouverte donnait sur la forge accolée à l'édifice, et sur la remise à matériaux.

Au milieu de la pièce, une étrange machine siégeait, posée à côté d'un rocher blanchâtre. On aurait dit un des légendaires craches-feu de la Mining & Weapon Corporation ; cela dit, et bien qu'un réservoir dorsal joue le rôle de l'alimentation en carburant, l'engin ne possédait pas de bouche, mais avait l'aspect général d'une courte poutre aiguisée sur sa partie terminale. Une barre de bois traversait diamétralement l'objet en son extrémité plate, visiblement prévue lui permettre d'être tenu. Le tout dégageait une impression étrange, et semblait constitué, vu de l'extérieur, de plaques de métal assemblées en plusieurs cylindres agencés de manière curieuse. La pointe, elle, était dotée en son bout d'une spirale, normalement prévue pour une vis de grande taille.
À cet instant précis, un ingénieur doté de lunettes s'affairait sur ledit embout, et y fixait une pointe faite d'une roche translucide. Ses cinq collègues, eux, achevaient de noter quelques observations, et l'un d'eux tripatouillait une des plaques de métal de l'engin du bout d'un tournevis.
«- C'est bon ! » annonça finalement le nain.
Les autres, se détournant un instant de leurs tâches diverses, le regardèrent avec méfiance.
«- Je vais quand même vérifier, grogna le barbu au tournevis. Je n'ai strictement aucune envie que la catastrophe de la dernière fois se reproduise. »
Ils repensèrent en grimaçant à cette bévue de la part du monteur d'embout, qui avait, lors d'un précédent essai, mal fixé la pointe de diamant, ce qui avait passablement endommagé l'engin et le matériau foré et foreur. On ne lui faisait depuis qu'à moitié confiance pour cette tâche.
«- Ouais, il y a rien, c'est bien fait, fit finalement l'aspirant inquisiteur après une rapide inspection. Je crois qu'on peut commencer.
- Vous êtes sûr que tout va bien ? demanda, inquiet, un troisième ingénieur.
- Oui, oui, tout va bien.
- Et la machine en elle-même ? Parce que je vous ferai remarquer qu'il est assez douloureux de se prendre une giclée d'Huile en fusion sur le torse, et même avec une protection de cuir et bronze... »
Un des nains se pinça l'arête du nez, visiblement désespéré par la couardise de son compère. Il ressortait cet accident à chaque fois, malgré le fait qu'en une douzaine d'essais, seule cette bévue, provoquée par une anomalie dans les entrailles de l'engin, avait été d'une gravité réellement préoccupante. Le reste des expériences s'étaient déroulé comme prévu.
Devant les regards lourds de ses collègues, l'inquiet préféra se taire, et concentra son attention sur le revêtement d'un étrange équipement posé sur une table ; à première vue, il semblait, entre autres, composé d'un habit de cuir à la taille naine, renforcé à certains endroit stratégiques par des plaques visibles à travers le tissu, et vraisemblablement cousues entre la doublure et le tissu extérieur. Le tout était fermé par un étrange dispositif de crochets et d'anneaux de métal et de peau tannée, et complété par un casque de mineur enfilé par-dessus une cagoule marron largement blindée de protections métalliques, et assortie d'étranges renflements au niveau des oreilles. Le tout formait une protection intégrale.
Alors que leur camarade, aidé par un collègue, enfilait cette étrange tenue en se plaignant à propos de l'éprouvante chaleur ressentie une fois qu'on était à l'intérieur, un nain pris un carnet couvert d'inscriptions et de tableaux, et commença un court exposé.
«- Bien, résumons les résultats que nous avons obtenu : le pointe en diamant chauffe trop en présence de granit, au même titre que celle en fer, en bronze, en acier, en étain ; celles en or et en quartz produisent trop d'étincelles au contact de la roche ; celles en cuivre, en laiton, en argent et en plomb s'usent trop rapidement...
- J'espère que celle-ci sera la bonne, parce que j'en ai réellement ras mon casque, bougonna un barbu s'affairant sur un étrange instrument longiligne.
- Normalement, cet essai sera le dernier, répliqua un autre en blouse blanche, dont le vêtement détonnait parmi les tenues de ses collègues. Ce topaze taillé devrait être un bon compromis.
- Tu dis toujours ça. »
Un regard fusillant de la part d'un nain qui surveillait les manoeuvres, donnait quelques conseils et qui, à ce moment précis, vérifiait négligemment quelques points de l'engin, mis fin à la querelle avant qu'elle n'éclate. Une part de lui-même se dit cependant que son acolyte n'avait pas tort.
«- C'est bon ?, demanda-t-il à son collaborateur en tenue renforcée.
- Ouais, mais je peux te dire que c'est pas confortable, et...
- Bien, nous pouvons donc commencer, le coupa-t-il. Tout le monde est prêt ? »
Quelques expressions affirmatives lui répondirent, agrémentées d'un ou deux grognements de la part des moins motivés.

«- Bon, bah moi j'y vais. »
L'opérateur en combinaison, en produisant un bruit équivalent à celui d'un troupeau d'éléphants lâché dans un magasin de casseroles, s'approcha de la masse rocheuse, qui possédait la forme irrégulière d'un sol ayant déjà été attaqué par un nombre relativement élevé de coups de pioches localisés. À certains endroits, des dépôts noirâtres étaient visibles, signes d'un échauffement lors du creusage.
Les cinq autres collèrent sur leurs yeux des lunettes de protection venant s'ajouter à des vêtements déjà passablement épais, censés prévenir des éventuels étincelles et autres éclats incandescents arrivant à franchir la distance de sécurité, ainsi qu'à des caches-oreilles.
Avec des précautions infinies, il saisit le réservoir dorsal, rempli environ jusqu'à sa moitié d'Huile, et le plaça sur son dos. Après avoir ajusté les sangles diverses retenant le récipient, il saisit l'engin, qui lui arrivait à hauteur de poitrine. Ses mains lourdement gantées agrippèrent le double manche avec une certaine assurance, alors qu'il mettait la machine en position verticale.
«- Attention à ne pas mettre le marteau trop à l'horizontale. », commenta un observateur.
Ledit marteau, pointu comme le serait une pioche de mine, brillait faiblement à la lueur diffuse des bougies.
Le nain, après avoir eu besoin de l'aide d'un acolyte pour raccorder le réservoir au moteur situé à l'intérieur du marteau à répétition, passa furtivement la main sur la clé du moteur. Puis, d'un geste assuré, il ôta la sécurité, et mit la machine en route.

Un horrible bruit de suscion se fit entendre, immédiatement suivi par un intense bourdonnement, dû à la rotation des éléments mettant en route le marteau. Celui-ci s'abaissait et s'élevait déjà à un rythme effréné, alors que le testeur le rapprochait du sol.
Et ce fut le contact.
Les innombrables coups portés contre la pierre produisirent quelques étincelles, alors que les vibrations remontaient dans les membres du nain. Les observateurs furent immédiatement submergés par le bruit de l'engin, amplifié par la puissance des chocs répétés. Le quartier tout entier devait déjà être au courant que la machine avait été mise en route.
Au bout de quinze minutes assez pénibles de forage, le nain stoppa la rotation du moteur, désenclenchant la clé. L'air soulagé, ses cinq collègues ôtèrent leurs nombreuses protections, alors que leur camarade se faisait aider pour retirer son harnachement.
«- Je rêve, ou ça a marché ?, ironisa un râleur.
- Je crois bien..., répondit un autre.
- Le nombre d'étincelles est réduit, et le matériau n'a pas l'air endommagé..., constata, indifférent à ces considérations, l'ingénieur en blouse.
- Alors, c'est bon ? »
L'autre se releva avec un sourire.
«- J'ai bien l'impression... la chaleur n'est pas trop importante, même s'il faut prendre en compte le fait que, sur le terrain, la durée sera quadruplée, mais malgré tout, cela devrait aller...»
Un silence gênant suivit ces paroles.
«- Ça veut dire qu'on a réussi ? questionna un nain près du tableau noir.
- Normalement, oui. Ce modèle devrait être le bon. »
Contrairement à ce qu'on aurait pu s'imaginer, aucune effusion de joie n'accueillit la nouvelle ; il s'agissait sans doute d'un effet de la fatigue accumulée.
«- Au fait, ils auront besoin de combien de ces trucs ? questionna le barbu qui venait d'enlever son équipement.
- Une cinquantaine, répondit un autre. »
Une série d'oeillades surprises suivit.
«- Bon bah... au boulot. » commenta sobrement un ingénieur en relevant ses manches et en se dirigeant à grands pas vers la remise à matériaux.

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Gzor | 15/08/11 13:16

Dans un port quelconque d'un dhil nain, lune 1041

Le temps était à l'orage. On pouvait clairement entendre les cris des mouettes voletant au-dessus des créatures destinées à rester sur le plancher des vaches.
Le port, d'ordinaire calme, était le lieu d'une agitation inhabituelle. Deux massifs vaisseaux noirs étaient à quai, et avaient déployé de gigantesques passerelles donnant sur les entrailles des navires. Ils battaient un pavillon qu'on s'habituait à voir dans la région, un de ceux signifiant clairement par leur lugubrité, collant parfaitement à l'allure du bâtiment, que le voyage ne déboucherait sur rien de joyeux.
Sur les ponts, on criait des ordres, et une certaine tension régnait. Les capitaines et leurs navires étaient des habitués de cette liaison, qu'ils assuraient depuis maintenant trois longues années, mais ils avaient fait l'erreur de croire que la fin des combats sur Certadhil ferait que leur maître mettrait enfin la flotte à quai, dans la flambant neuve cité de Keanor.
Il n'en était rien. Depuis une quinzaine de jours, les navettes se faisaient à un rythme aussi soutenu que dans les heures les plus noires de la guerre. Les navires commençaient à en souffrir, et on s'inquiétait pour l'intégrité de la coque et pour bien d'autres détails navals.

Depuis le pont, un nain contemplait l'agitation ambiante. Sa barbe, relativement courte pour ceux de son espèce, de couleur rousse, était agrémentée d'une abondante tignasse, pour l'instant cachée sous un casque cabossé. Ses vêtements, constitués de pièces de tissu crasseuses disposées de façon plus ou moins harmonieuses, étaient légers, et sa chemise était ouverte sur un torse pileux.
Il respirait l'air pur de la mer, tout en contemplant, avec une méfiance toute entière due à une peur ancestrale, l'océan, dont les vagues léchaient une coque couverte d'algues vertes.
Il repensa à ce qu'il faisait là.

C'était il y a environ une semaine. Alors qu'il dégustait tranquillement une bière dans sa taverne favorite, après une dure journée de labeur, passée à creuser une galerie, un nain à l'air grave que personne n'avait jamais vu ici était entré. Après avoir examiné la salle d'un coup d'oeil circulaire, il s'était avancé au milieu de la pièce, sous les yeux médusés des personnes présentes. Il avait alors déployé un parchemin, et avait fait la lecture d'un avis de recrutement. Cela concernait Certadhil.
Même dans cet endroit paumé, on avait entendu parler de la guerre qui y faisait rage, et les passions s'enflammaient à ce propos. Comme le voulait le cycle naturel de la vie des nains, beaucoup, respectant la coutume ancestrale de partir à l'aventure en donnant de la pioche ou de la hache pour un employeur seigneurial quelconque, et ce, jusqu'à la mort, s'étaient, au fil du temps, embarqués pour les royaumes recherchant des sujets possédant leurs compétences.
Ils n'étaient jamais revenus, alors que, de par Daifen, les rumeurs sur ce qui se passait là-bas auguraient un destin funeste.
Mais ce que l'étranger avait annoncé était bien différent. Selon ses dires, la guerre était terminé, mais celui qui l'envoyait, le seigneur Gzor, qui s'était fait une certaine réputation à travers ce monde, engageait quiconque savait manier la pioche. Comme le voulait la sempiternelle loi de l'offre et de la demande, la paie était assez bonne.
Cela suffit à motiver les quatre cinquième de la taverne ; si un proverbe dit que la meilleure manière de convaincre un nain est de lui payer deux tournées, il est encore plus vrai qu'un peu d'or agité sous son nez marche.
Alors le pauvre fonctionnaire était assailli de questions diverses, il conclut en disant que les trirèmes quitteraient un port sur la côte d'un continent peu éloigné une semaine plus tard. Puis, après avoir placardé bien en évidence un édit gzorien détaillant les conditions, il ressortit aussi brusquement qu'il était entré.

Deux jours plus tard, la ligne liant sa terre d'origine au port du départ fut submergée. La nouvelle s'était répandue, et bon nombre de barbus, qui n'avaient jusqu'ici pas eu leur chance de partir vers l'horizon, car ne possédant pas de potentiel guerrier, se ruèrent sur les navires. Ils allaient faire ce qu'ils savaient faire le mieux, creuser et miner, sortir de leur lieu de naissance, où ils n'avaient pas leur place, afin de se forger une nouvelle destinée !
Beaucoup pensaient pouvoir revenir au bout de peu de temps. Ces gens-là, visiblement peu informés, ne savaient pas qu'une fois arrivés, ils n'auraient plus aucune opportunité de revenir. Ainsi allait la vie, et tel était le cruel et vicieux système que les conquérants ne disposant pas de leurs propres recrues appliquaient.
Environ cinq cents futurs mineurs partirent ce jour-là, pour quatre jours éreintants d'une traversée passée dans un inconfort total. Le débarquement fut pour eux l'occasion de souffler une nuit, avant de se regrouper sur le port, au petit matin.

Les trirèmes avaient percé la brume ambiante peu de temps après le rassemblement. Elles avaient accosté dans un inquiétant silence, subjuguant les nouvelles recrues. Les navires avaient ensuite déployés leurs passerelles, se reliant ainsi au quai. Des hommes en armes en étaient sortis, ainsi qu'un gradé, un scribe avec le matériel correspondant, et plusieurs autres personnes portant de lourdes caisses.
Le nain dirigeant l'escouade s'était présenté comme étant chargé de les conduire sur Certadhil et dans le royaume gzorien. Il avait un faciès peu commode, et leur ordonna de former une file devant la table où le scribe avait déployé son matériel. Les nouvelles recrues s'étaient exécutées avec quelques grinchements.
Auparavant, il leur fit la lecture des clauses du contrat les liant désormais à vie à l'empire gzorien : ils serviraient ou mourraient, et recevraient en contrepartie les "privilèges inhérents à leurs fonction", appellation vague regroupant la protection militaire et le droit de circuler et de loger.
Chacun était passé à tour de rôle devant la table, et avait été réparti dans les navires. Lorsque notre bleusaille avait atteint son tour, on lui avait donné une bourse contenant quelques pièces d'argent, on lui avait ôté son équipement minable, hormis ses vêtements, qu'il avait été prié de rapporter une fois qu'il se serait changé sur le navire, et on lui avait donné son matériel de mineur : un casque, une pioche, un habit et un sac à dos d'entrée de gamme contenant quelques autres affaires. On avait auparavant pris soin de lui faire signer le contrat ; il le faisait en connaissance de causes, bien que quelque peu rebuté par certaines clauses ; cela dit, il n'était plus temps de rebrousser chemin.

«- Eh, la recrue ! C'est pas le moment de rêvasser ! Allez m'enfiler ça tout de suite ! »
Le courtaud sortit brusquement de sa rêverie. Devant lui, un colosse, qui devait être un nain en charge de la logistique, lui rappelait qu'il devait délaisser ses anciens attributs pour revêtir sa nouvelle fonction.
En traînant les pieds, il se dirigea vers les parties communes. Le voyage devait durer une douzaine d'heures ; il avait envie de se reposer un tantinet de ces péripéties, et devait donc se dépêcher de mener à bien cette première mission vestimentaire.

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Edité par Gzor le 21/08/11 à 12:47

Gzor | 24/08/11 12:09

Dans la noirceur ténébreuse et glauque d'un obscur boyau gzorien des mines du sud-est du royaume, lune 1041

Le fouet claqua dans l'air, suivi d'un râle de souffrance.
Le nain s'effondra, s'écorchant cruellement le menton sur une roche pointue. Il expira avec un bruit rauque, et gémit d'une manière pitoyable. Il jeta un coup d'oeil à son bourreau, qui se tenait debout, derrière lui. Un sourire narquois aux lèvres, ce dernier jouait distraitement avec les flagelles de cuir. Sa face toute entière respirait le vice.
«- Lève-toi, espèce de larve, ou tu vas y regoûter ! »
Haletant comme l'aurait fait un chien en sueur, les yeux brillant d'une lueur mêlant peur et démence, il se releva avec peine, agrippa avec des mains tremblantes sa pioche, qui était tombée dans sa chute. Fébrilement, il recommença à marteler de manière irrégulière la paroi devant lui, alors qu'avec un rire gras, l'humain passait au prisonnier suivant.
Après s'être assuré que son geôlier était assez éloigné, le nain prostré sur le sol irrégulier sortit fébrilement de son habit, maculé de taches de sang, de sueur, de boue et d'autres sécrétions inavouables, ce qui ressemblait à un morceau de pain moisi et rassi. Il n'eut pas temps de contempler l'aliment, qu'il avait trouvé traînant par terre, et l'engouffra dans sa bouche avec une avidité peu commune. La misérable denrée faillit lui déchausser deux molaires, mais se décida finalement à prendre le chemin stomacal.
Il tourna la tête. À deux mètres, son voisin le regardait avec un mélange singulier de méfiance, d'imploration et de jalousie. Le nain s'arrêta un instant sur son apparence, qui ne devait, somme toute, pas être très éloignée de la sienne.
L'autre était... une épave. L'habituelle bonhomie si caractéristique du peuple nain était chez lui terriblement absente ; la peau de son ventre semblait littéralement tendue sur ses côtes et sur son abdomen. Il était d'une maigreur abominable ; ses bras avaient l'épaisseur d'un bâton, et ses jambes devaient approximativement être dans le même état. Son corps était repoussant de saleté, couvert d'ecchymoses et de blessures, et dégageait une odeur mêlant urine, excréments et vomi. Son épiderme, éclairée par la faible lueur des lampes à huile, était pâle, et son visage était émacié, hagard et fatigué. Sa barbe et sa chevelure tombaient en ruine. Ses mains, qui ressemblaient à de monstrueuses araignées pentapode par la maigreur de leurs doigts, tremblaient de fatigue.
Mais il ne pouvait pas s'arrêter. S'il le faisait, c'était le fouet, et Dieu savait si les gardiens avaient la punition facile.

Creuser, encore et encore, jours et nuits, sans autre perspective, être sans cesse attaché, lié par de lourdes chaînes à ses voisins, entravé par les mains et les pieds, dans de sombres galeries aux murs recouverts de sueur condensée. Être réduit à l'état d'objet casseur de pierres dix-huit heures par jour, le reste étant dédié à un sommeil troublé dans des cantonnements rocheux puants et inconfortables.
Jetant à la ronde quelques regards craintifs, il recommença à piocher. Un surveillant s'approchait, et il avait intérêt à avoir l'air combatif.
Il se remémora, comme chaque jour, sa vie. Enfin, sa vie d'avant. C'était le seul moyen qu'il connaissait pour contrer la fatigue et le lent glissement de son âme vers un état bestial, où l'angoisse animale de la survie accaparait l'attention de chaque instant.
Il se remémora son enfance insouciante. Il était né sur dans le royaume nain de Pigeonsdhil , il y avait de cela quatre cent lunes environ. Quant il eut cinq ans, son père était mort au combat, au service de son maître, Baramir d'Eckmöl. C'était dans le plus grand respect de la tradition familiale, celle des chasseurs de géants pratiquant les arts de combat nains les plus affinés, qu'il s'était engagé au service du chimérien. Arrivé au terme de son instruction, il avait survécu aux trois dernières de ses guerres, et avait appris à être d'une loyauté absolue envers son seigneur. Promu au poste de sergent, il l'avait suivi sans hésiter sur le théâtre de la Troisième Croisade Certadhilienne. Une larme aurait bien coulé dans le coin de son oeil à l'évocation de ces jours heureux, passés dans la camaraderie avec ses hommes, mais ses yeux étaient secs depuis bien longtemps. Seule une mélancolie teintée d'amertume et de morosité étreignait son coeur, alors qu'il repensait à sa chute.

Le retournement de son seigneur, la cohabitation avec le Chaos, il n'avait évidemment pas apprécié. Comme les milliers d'autres frères de race engagés dans le conflit, il avait éprouvé une gêne évidente, et l'atmosphère était devenue lourde, trop lourde. Par loyauté envers Baramir, il avait supporté, supporté les assauts contre leurs anciens alliés, supporté les répercussions sur son honneur chez ses proches, supporté enfin d'être envoyé dans le coeur des monts Tla'dsul alors que son maître fuyait vers le Premier Cercle pour l'envahir.
Une fois dans le campement des loups-garous, l'armée avait été accueillie par un petit détachement de bakus à l'air malsain. Cinq lunes durant, ils s'étaient établi, mais ne bénéficiaient plus de leur sécurité passée. Devenus la risée des troupes du Chaos, qui parfois s'en servaient de défouloir, appliquant à ses pauvres confrères la bestialité meurtrière régnant à l'intérieur de la zone transformée en gigantesque tanière, ils n'aspiraient, en leur for intérieur, qu'à une fuite salvatrice. Mais là encore, leur loyauté pour leur ancien maître avait été plus forte que tout.
Et puis, les daifenniens avaient attaqué.

Il se souvenait clairement des cris, de la fureur, du sang. Cela avait été un massacre sans nom, une tuerie abominable.
Et eux, pauvres petits nains, avaient été envoyés à l'assaut de leurs anciens frères.
Ils se battirent, plus par l'énergie du désespoir et par peur du châtiment réservé à ceux qu'on ferait prisonnier. Ils savaient qu'ils avaient le choix entre combattre et éventuellement survivre et refuser de tuer et être la cible de la fureur du redouté Fenrir. Des victimes, ils en firent, mais bientôt, abandonnés par les loups, ils s'étaient retrouvés seuls, et encerclés par des bataillons nains.
Déboussolés, désorientés et ne savant plus à quel saint se vouer, ils avaient déposé les armes, et s'étaient constitués captifs. Ils pensaient qu'ils avaient affaire au dominarien, Vici.
Hélas pour eux, c'était les légions de Gzor.

Deux mille. Deux mille prisonniers furent faits ce jour-là.
Ferrés des même fers qui avaient servi à asservir la cité de Keanor, ils avaient parcouru en de longues colonnes la distance séparant le champ de bataille de leur mystérieux lieu d'arrivée. Certains pensaient encore qu'il ne s'agissait que d'une ruse destinée à les éloigner de leurs anciens maîtres, mais qu'on allait bientôt les relâcher.
L'avenir leur donna cruellement tort.
Au terme d'une journée complète de périple, ils étaient arrivé en vue des mines du sud-est du royaume du changeforme. Ces dernières avaient attaqué quelques lunes auparavant, par deux fois, la moitié des travailleurs avaient été tués, certains lors d'un assaut du traître d'Eckmöl, et cette main-d'oeuvre gratuite et hautement rentable était la bienvenue, pour le labeur et la vengeance.
Tout d'abord, ils creusèrent eux-même leurs lieux de détention. Plusieurs camps, savamment disséminés dans le complexe enchevêtrement de galeries, avaient été aménagés par leurs mains. Le personnel pénitentiaire - car cet endroit servait également de lieu de travaux forcés aux reconnus coupables de crimes graves - avait été démultiplié. Ils se rendirent alors compte de ce que serait leur avenir. L'horreur s'installa, insidieusement, et bien qu'au début ils supportassent stoïquement cet état de fait, ils avaient déchanté. La faim, l'épuisement, la maladie commençaient à pointer. Le changeforme avait été extrêmement clair : ils devaient être maintenus opérationnels.
Opérationnels, pensa le nain avec un rictus intérieur nerveux. Tels des automates, ou tels les engrenages d'un complexe système : la machine de guerre gzorienne.
Il croyait savoir que cela faisait trois lunes qu'il croupissait ainsi sous terre. Une pathétique tentative de révolte, quelque part dans la mine, avait déjà été matée, et ses acteurs avaient été persuadés qu'il ne vaudrait mieux pas recommencer.
Il était devenu une épave. Les insultes et coups des geôliers étaient quotidiens, la faim lui labourait l'estomac, et le sommeil venait chaque soir en réponse à son épuisement.
Il ne demandait désormais aux dieux qu'une unique faveur, répétée chaque fois que, meurtri par les blessures et le travail ardu, il s'étendait sur sa couche de pierre, qui avait des allures de caveau : que la mort vienne le prendre pendant son assoupissement.
C'était la seule issue encore possible.

Le cor résonna dans les galeries, le tirant de ses pensées désespérées. Par réflexe, il se leva, imitant ses compagnons d'infortune. Il était étrange qu'il sonne à cette heure, car il ne devait pas encore être le soir.
La colonne s'ébranla. Après une demi-heure de marche dans les galeries, où ils furent rejoints, à leur grande surprise, par de nombreuses files semblables, ils débouchèrent à l'air libre.
Le soleil, même voilé par les nuages, leur agressa cruellement la rétine. Ils avancèrent malgré tout, et après un temps d'adaptation, ils se rendirent compte qu'il ne s'agissait pas de quelques centaines de personnes, mais bien de l'intégralité de la mine, soit environ sept mille nains, qui étaient rassemblés. Leurs vieux frères d'armes étaient également alignés, alors qu'à côté, les mineurs réguliers étaient agencés en blocs qui n'étaient pas sans rappeler un groupe d'infanterie en position de marche.
Curieusement, des troupes en armes étaient présentes.
Ils patientèrent ainsi une heure, et furent autorisés à s'asseoir. Le contact de l'humus stérile de la Maudite leur rappela d'anciennes sensations, qu'ils pensaient ne plus jamais ressentir.
Le cor sonna une seconde fois, relayé par d'autres sons de trompette. Ils furent sommés de se mettre debout, puis, alors que des tambours commençaient à battre un rythme de marche, ils s'ébranlèrent, escortés par un nombre important de chasseurs de géants.
En direction du Nord-Ouest...

Gzor.
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Edité par Gzor le 24/08/11 à 12:32

Gzor | 24/08/11 12:54

Keanor, port de Certadhil, lune 1041

L'ancre plongea dans l'eau sale, alors que le navire se stoppait à hauteur du débarcadère. Déjà, les matelots balançaient par-dessus bord les cordages servant à arrimer le lourd vaisseau au ponton. À quelques encablures, le deuxième bateau faisait de même.
Sur le pont, les mineurs étaient rassemblés, en formation nette, près à débarquer, avec un raideur militaire toute gzorienne. Le gradé nain veillait à la cohésion du rang.
Chacun savait qu'ici commençait leur nouvelle vie. Depuis leur emplacement surélevé, ils avaient admiré l'arrivée en vue des côtes certadhilienne, formées de falaises abruptes contre lesquelles s'écrasaient de puissantes vagues, avec une certaine appréhension. Le continent n'avait pas l'air des plus accueillants.
Enfin, après une heure passée à longer le rivage et après avoir été rejoint par deux convois de respectivement trois et cinq trirèmes de transport de troupes gzoriennes, le port de Keanor, situé dans une petite crique interrompant l'ensemble rocheux, s'était dévoilé. La ville avait pansé les plaies de sa guerre civile ; elle était animée, et de taille tout à fait respectable. Quant au port, qui formait en fait l'intégralité du front de mer, ils avaient été surpris d'y trouver une trentaine de navires semblables au leur, desquels descendaient des frères de race, habillé du même uniforme. Le trafic maritime semblait intense, et des voiles clairsemaient l'étendue bleue jusqu'à l'horizon. Un ballet étrange se déroulait, au gré des allers et venues des bateaux.
La cité semblait être sous bonne garde. Le port avait récemment été agrandi, et sa capacité à accueillir marchandises et troupes débarquées avait été démultipliée par la démolition des maisons du front de mer, ce qui avait dégagé un large espace pavé qui pouvait facilement accueillir quelques milliers d'hommes.

Mais revenons à nos nouvelles recrues. Une fois le navire immobilisé, un ponton fut déployé. Avec discipline, les passagers débarquèrent, formant deux files égales, et se répandirent rapidement sur le quai attribué au transport de troupes. Une certaine indiscipline se répandit alors dans les rangs, épuisés par la longueur du voyage, passé debout dans des soutes aménagées pour accueillir des êtres humains. Ils posèrent leurs paquetages à terre, imitant d'autres groupes qui patientaient déjà sur le pavé. Certains s'assirent ou s'allongèrent, malgré quelques difficultés dues à leur accoutrement, alors que d'autres se dirigeaient vers la plus proche taverne.
Le nain que nous suivons depuis le début de son périple s'ennuyait ferme, et se décida à tromper l'ennui en observant l'agitation ambiante. Des spadassins armés, l'air sérieux et concernés malgré leur profonde hâte de terminer leur ronde, surveillaient les manoeuvres, contrôlaient certains citoyens, régulaient l'accès au port, et dissuadaient d'éventuels bandits d'accomplir leurs méfaits.
Les rares badauds passant par là regardaient les troupes débarquées avec une certaine crainte. Le souvenir de la brutale occupation de l'armée gzorienne, vingt lunes auparavant, était encore présent, et malgré le fait que les troupes du changeforme bénéficiaient d'un accès privilégié au port, on craignait toujours ce qu'on appelait la menace gzorienne. Il était, de plus, très inhabituel qu'un tel trafic maritime soit le fait d'un seul seigneur ; cela faisait en effet quatre jours que les débarquements de mineurs se déroulaient, à un rythme soutenu.
Certains craignaient qu'il ne s'agisse que d'un débarquement déguisé, qui aurait pour but de reprendre la contrôle de la cité par la terreur et les armes. Cette théorie ne tenait par debout une seule seconde, mais cela avait le mérite de détourner la population de ses problèmes quotidiens au profit de tergiversions de taverne sur le sujet ; ces dernières n'aboutissaient généralement à rien, ou alors, à d'autres hypothèses encore plus tordues.

Au bout d'une petite demi-heure, les trirèmes levèrent l'ancre. Un léger pincement au coeur, le mineur regarda les voiles s'éloigner vers l'horizon ; il n'avait désormais plus aucune possibilité de retour.
Deux heures s'écoulèrent encore, durant lesquelles trois navires supplémentaires vinrent déchargèrent leurs flots de nains sur les quais. Au terme de cette attente, le courtaud fut tiré de sa sieste par les accents militaires d'un clairon transperçant le vacarme régnant sur le port ; c'était le signal du rassemblement.
Avec une certaine rapidité malgré quelques ronchonnements, les recrues s'alignèrent en rangs serrés. Notre nain se retrouva en première ligne, en proie à un stress partagé par l'ensemble de la cohorte.
Un humain à cheval, suivi de scribes eux aussi montés et de nombreux nains en habit minier élaboré, commença à longer le front lui faisant face. Son regard inquisitorial examina les recrues silencieuses, s'arrêtant parfois sur l'une d'entre elles. Puis, il déroula un rouleau de parchemin, et commença à parler d'une voix forte.
«- Soldats ! Il est temps pour vous de prêter serment ! »
Bien qu'aucun murmure n'accueille cette nouvelle, les bleusailles ne purent s'empêcher de se demander ce que c'était que cette histoire.
«- Levez la main droite, doigt ouverts, paume présentée. Mettez votre main gauche sur votre coeur. »
Disciplinés, les nains s'exécutèrent.
Un léger sourire aux lèvres, le général, commença la lecture du parchemin, entrecoupant sa diction pour que les soldats puissent répéter le serment.
«- Je jure solennellement, sur mon honneur, de servir mon seigneur, maître de mon destin et de mon existence, Gzor. Je m'engage sur ma vie à exécuter les ordres de ceux qui auront été désigné comme dépositaires de son autorité. Je fais le serment indissoluble de le servir jusqu'à ma mort, sans condition aucune. J'engage ma vie, mon existence, mes possessions et mon honneur à son service. Je jure sur mon honneur et ma vie de ne rien faire qui puisse entrer en contradiction avec les ordres de Gzor, et de ne rien tenter contre Gzor, mon maître, et contre ses possessions, ainsi qu'envers mes frères d'armes et tout bien ou personne placés dans les territoires de l'Empire. J'accepte les lois gzoriennes. Je reconnais le pouvoir absolu et éternel de Gzor sur ses possessions et ses sujets. Je m'engage à ne rien faire qui puisse contrevenir aux intérêts de l'Empire et de Gzor. Que la vie me soit ôtée, mes droits, retirés et mon honneur, annihilé, si je brise ce serment d'une quelconque manière. »
Ainsi parla l'humain. La cohorte répéta docilement, et notre mineur, malgré le fait qu'il ne soit par très rassuré par certaines clauses, s'exécuta sans mot dire.

Une fois cela fait, le général replia le parchemin, le rangea dans un sac sur le flanc de sa monture, mais releva la tête pour lancer une dernière parole.
«- Vous allez désormais recevoir vos affectations. Voici vos contremaîtres, dit-il en désignant les nains derrière lui. Vous serez au nombre de vingt sous les ordres d'un d'entre eux. Bonne chance. »
Puis, il recula légèrement, laissant avancer les mineurs promus, dont certains, pensifs, se lissaient la barbe. Ils étaient eux-même sous les ordres des chefs de sections minières, et c'était grâce à leur expérience qu'ils avaient été élevés en grade. Ils avaient avec eux les noms, parfois alambiqués, de leurs futurs subordonnés ; ils avaient été consignés durant la traversée, divisés en groupes de vingt suivant l'ordre où on les avait inscrit - cette tâche avait occupé, entre autres, l'heure de flottement entre les dernières arrivées et le rassemblement.
Le premier sortit un parchemin, et énonça les nom de ceux qu'il avait désormais sous son commandement. Les vingt appelés sortirent des rangs, se rassemblèrent en une formation rectangulaire, et empruntèrent la rue principale de Keanor, se dirigeant vers la sortie de la ville, alors que le second contremaître s'attaquait à la même tâche.
Au bout d'une quarantaine de minutes vint le tour de notre nain. Celui-ci, après avoir salué son supérieur et rejoint les rangs de sa nouvelle unité, marcha avec eux jusqu'à atteindre l'extérieur de la cité.
Une heure plus tard, une fois tous les contingents formés et réunis, commença une longue marche, de trois jours environ, vers le Nord-Ouest.
Droit sur les monts Tla'dsul.

Le général, juché sur son destrier, avait suivi les manoeuvres de réunification des régiments épars, et avait contemplé, depuis l'orée de la ville, le début de leur périple. Une fois que les cohortes nouvellement formées eurent passées l'horizon, il se retourna, et, trottant à travers la cité, arriva finalement au quartier général des forces gzoriennes à Keanor, bâtiment aimablement mis à disposition par Haavan, membre de l'état-major kärelien, qui, de fait, gouvernait la cité, son maître étant occupé à un endroit inconnu ; l'armée du Deuxiemecercle était sous le commandement de Harken, intendant principal, et son seigneur n'y était pas.
Le gradé abandonna sa monture à un valet, pénétra dans le hall de marbre plongé dans une semi-obscurité, et, montant au premier étage, entra dans la pièce de coordination des arrivées sur le continent et le théâtre des opérations. Il ne fut pas le moins du monde surpris de voir un Ktulu, créature tentaculaire appartenant à son maître, juché sur une table, l'air grave et sérieux, un parchemin à la patte. Repoussant sa révulsion, le général détacha le message, et, alors que le céphalopode s'envolait, lut la courte missive.

« Prochaines vagues d'arrivée : ce soir, du coucher du soleil à l'aube (deux mille hommes) demain, entre l'aube et le crépuscule (environ deux mille cinq cent hommes), après-demain, dans l'après-midi (mille cinq cent hommes) et dans trois jours, durant la nuit (quatre mille hommes).
Gzor. »

Poussant un long soupir d'amertume, il reposa le parchemin sur la table recouverte d'une carte du port. Tout cela augurait de pénibles réunions et nuits blanches, sans compter l'accueil des recrues, qui était une tâche particulièrement ingrate. À cette pensée, il n'eut qu'une seule parole, ou plutôt, un seul grommellement.
«- Et putain de métier... »
Puis, traînant les pieds et baillant à s'en décrocher la mâchoire, il s'en retourna vers une autre salle.

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Edité par Gzor le 24/08/11 à 20:50

Gzor | 03/09/11 15:24

Dans une plaine peu éloignée du centre de Certadhil, lune 1042

Le paysage était morne, le soleil, voilé par une épaisse couche de nuages ; la chaleur torride faisait ruisseler de sueur les marcheur forcés. L'après-midi tombait.
Les mineurs marchaient depuis maintenant trois jours. Ils formaient une gigantesque colonne qui, effectuant un seul et unique mouvement, se dirigeait vers le nord, plus exactement en direction de la partie septentrionale des monts Tla'dsul.
Si un observateur avait été situé à quelques centaines de toises en hauteur de la scène, la comparaison avec une nuée d'insectes rampants lui aurait immédiatement frappé l'esprit. De fait, le rang ne semblait être qu'une foultitude d'être semblables, vingt-cinq mille âmes possédant chacun, et à quelques exceptions près, le même équipement, le même type physique, petit, pileux et trapu, la même direction, le même but, le même destin. Cette masse grouillante semblait, de fait, n'être qu'un ballet de pantins fragiles et dérisoires, animées par un marionnettiste tout-puissant qui regarderait avec un étonnement doublé d'une hilarité cynique leurs insignifiantes péripéties en ce monde.
Même si l'aliénation de leur personnalité n'en était pas à ce stade, les nains étaient à peu près tous unis par un même sentiment, lourd et étouffant : la fatigue. La chaîne de montagne qui se dessinait devant eux n'était clairement pas une bonne nouvelle, et le martèlement de leurs pieds sur le sol, audible à une bonne distance, était d'une irrégularité qui laissait présager de leur abattement physique actuel.

Finalement, deux heures plus tard, leur marche se stoppa.
Ils étaient arrivé devant une montagne d'une taille imposante, et dont la roche du versant leur faisant face était mise à nu.
Devant eux se dressait un gigantesque camp de toile, éloigné, pour des raisons encore à découvrir, de quelques centaines de toises de la façade minérale. Une palissade de bois l'entourait, et il semblait être sous garde armée, comme le montraient les nains postés sur le mur et sur les côtés des portes.
Au pas de marche, les divisions minières, désormais à peu près reformées, franchirent l'entrée sud.
Devant eux se dressaient, à perte de vue, des tentes. Blanches, elles semblaient être d'une certaine robustesse, malgré tout relativisée par leur environnement et leur nature profonde - une tente ne résistera jamais à une chute d'arbre ; un bon vieux mur de pierre, si -, et étaient d'une taille apte à accueillir une vingtaine de personnes.
D'après une pancarte contenant un plan détaillé de la cité de tissu, chaque groupe sous les ordres d'un contremaître disposait d'une tente, et les groupe d'une même section étaient regroupés ; ces sections de dix contremaîtries étaient elles-même regroupées en ensembles encore plus grands et inclus les uns dans les autres selon un ordre précis et codifié, et nommés, du plus insignifiant au plus important, divisions (quatorze sections) et pôles (trois divisions). Ces derniers étaient au nombre de deux. Enfin, un couple de divisions orpheline était indépendant, car formée de professions non-minières, en grande partie des tailleurs de pierre. Enfin, les métiers jugés nobles et les têtes pensantes étaient regroupés dans un quartier réservé.
C'étaient donc environ vingt trois mille civils qui étaient rassemblés dans le gigantesque campement. La logistique, chose indispensable en tous lieux et en tout époque, monopolisait, outres des moyens importants, deux mille personnes.
Enfin, loin des regards, les prisonniers d'Eckmöl avaient été emmenés à l'écart ; leur nombre venait tout de même ajouter deux mille ouvriers à l'équation.
Il y avait donc, au pied de ce pic des monts Tla'dsul, si banal en apparence, vingt-sept mille personnes.

Fourbus, les mineurs prirent chacun possession de leurs quartiers. Le soir tombait, et, quand que les trompettes sonnèrent l'heure du coucher, chacun s'endormit du sommeil du juste.
Demain serait un bien autre jour...

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Edité par Gzor le 03/09/11 à 18:26

Gzor | 10/09/11 23:18

Certadhil, lune 1048

La sueur perlait sur son front à grosse goutte, son souffle était haletant, et le moindre effort lui demandait une énergie phénoménale. Il se sentait incroyablement lourd, et il n'aspirait qu'au repos.
Son ouïe était saturée par le son des pioches attaquant avec force la roche du versant. Sa vue était brouillée, ses yeux plissés. Un affreux mal de tête lui dévorait le crâne depuis une bonne heure. Ses mains tremblaient dès qu'il lâchait sa pioche un instant, et ses jambes n'allaient pas tarder à déclarer forfait.
Une trompette sonna la fin de journée tant attendue. Soulagé, le nain ramassa ses affaires et, après avoir rejoint son rang, commença le retour vers le camp.
Le trajet était tortueux, passant par des routes hâtivement tracées à flanc de montagne. Après une heure de marche, lui et son groupe franchirent la porte du nord de la Cité de Toile.
Un bruit de moteur se fit soudain entendre, alors que l'observateur levant les yeux pouvait apercevoir une forme oblongue transperçant les nuages et s'avançant le versant rocheux plongé dans la semi-obscurité du crépuscule.

«- Eh bien dites donc... c'est une véritable fourmilière ! »
Ces quelques mots d'introduction avaient été prononcés par Maendelh qui, sur le pont du dirigeable, regardait en contrebas. Gzor, quant à lui, faisait de même ; il gardait le silence, scrutant à l'aide d'une longue-vue l'agitation industrieuse en contrebas.
«- C'est le moment de la relève de nuit ? demanda Hadras, qui n'avait rien de mieux à faire que d'être ici, et qui scrutait les rangs se croisant, les départs et arrivées des deux divisions horaires.
- Certainement, répondit son maître. Cela semble marcher, comme système.
- J'en suis extrêmement fier ! », ajouta un scribe, tentant de se faire mousser en parlant de son travail d'organisateur des rondes de travail.
Un regard menaçant et froid du changeforme le fit taire, et lui donna accessoirement envie de disparaître quelques kilomètres sous la croûte terrestre.

Gzor redirigea son attention sur la montagne, sur laquelle l'activité de forage n'avait pas faibli. Depuis six lune que durait le chantier, le pic avait été modifié en profondeur. La ligné générale - une pente douce, qui serait plus tard transformée en un gigantesque escalier - menait, malgré deux courtes interruptions, et après être arrivée à environ quarante toises du bas des futures marches, vers un gigantesque plateau artificiel, d'environ cent vingt toises de côté. Il était approximativement carré, et trois massifs blocs de granit avaient été laissés en place, disposés de façon précise, dans un but qui pourrait sembler mystérieux à l'étranger de passage.
Enfin, au bout de cette esplanade, une paroi verticale de cent trente toises de haut environ surplombait le tout, possédant, en son sommet, un colossal bloc de marbre, tel un gigantesque promontoire dominant de son ombre le reste de l'étrange creusement.
Sur cette construction cyclopéenne se pressaient des milliers de minuscules silhouettes, qui, frappant la roche de leurs instruments, façonnaient un peu plus à chaque instant le versant défiguré. À l'aide d'une longue-vue, l'on aurait pu constater la présence d'une écrasante majorité de mineurs en uniforme gzorien. Armés de leurs seules pioches, ils frappaient avec abnégation et stoïcisme leur adversaire minéral. Enfin, de temps à autre, le regard accrochait d'étranges courtauds, dotés d'engins qui semblaient leur permettre d'abattre autant de travail que dix foreurs.
«- Impressionnant, ces matreaux-piqueurs que nos chers ingénieurs ont confectionné, murmura Maendelh.
- Il y a intérêt, grogna le changeforme. Avec ce que ça nous a coûté... »

«- Il me semble que nous pouvons passer à la phase suivante... », commenta sobrement l'architecte en charge du projet, sortant d'un mutisme persistant dû à une anxiété certaine générée par l'appréhension de la vision du chantier.
Le changeforme hocha lentement la tête. Il savait ce que cela signifiait.
«- Nous allons donc prendre les dispositions nécessaires. Réaffecter les mineurs au creusage des galeries, commencer le ramassage des corps, et faire entrer en scène les tailleurs de pierre. Ainsi que communiquer nos exigences aux fondeurs et chercheurs de métaux. », compléta-t-il.

L'engin survolait désormais la montagne, et faisait un boucan du diable. Secouant la tête d'abattement et de consternation mêlées, le nain s'en alla retrouver à pas traînants sa couche pouilleuse. Il se jeta sur le matelas rachitique sans même prendre la peine de faire une toilette primaire ou de se déchausser, et s'endormit instantanément.
Son calvaire allait durer encore un temps...

Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !

Diablamat | 11/09/11 02:02


Lancwen de Sigil => tu voulais une suite, t'as été servi !

En fait l'empire Gzorien est essentiellement peuplé de scribes !

Sir Diablamat

"Par le silence vous saurez me défier mais par les mots vous saurez me toucher..."

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