Forum - Histoire de la demeure franche, recrutons des domestiques : Le portier. (Partie 2)
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Celimbrimbor | 25/07/11 10:45
Nous avions laissé le bienheureux Jackob à l'heure où il se départait de sa fortune pour aller courir le monde, les aventures et les femmes aussi, un peu. Je m'aperçois en commençant cette partie que je n'ai pas vraiment donné le caractère de ce coureur de jupons un peu bougre sur les bords, mais que la contradiction n'échauffait guère - comprendra qui voudra - et qui, quand il le pouvait, additionnait ses plaisirs comme on enfile des perles. Mais il vaut mieux que je laisse là description si leste, de peur que les mânes de ces lieux ne s'en offensent.
Ceci dit, qu'il suffise de dire que le jeune Hüberwold était autant pétri de contradictions qu'il avait reçu d'intelligence et qu'il voulait que la nature ne fût pour rien dans son succès. Son âme, forte haute à en oublier qu'elle foulait la terre, - c'est une métaphore, bien entendu - souhaitait ardemment se faire toute seule, sans aide. Il avait ambition de devenir et non pas naître. Ainsi en toute chose prit-il le contrepoint de ce que le destin semblait lui indiquer. Il était beau garçon, long cheveux fins et blonds, il se les teint en toute couleur jusqu'à les abimer pour de bon, s'arrêtant en son vieil âge sur un noir sale qui lui faisait un air revêche. Surtout la coupe lui importait sur tout le reste. Écolier, il avait lancé bien des modes élégantes. Libre, il s'assura toujours d'avoir la coiffe la plus hideuse possible. Ses parents lui avaient fait al figure jolie, il se laissa pousser une méchante barbe et une moustache toutes deux clairsemées en tas de poils, qui la rendirent mauvaise.
Pas encore satisfait, trouvant trop d'équilibre encore à sa face, il se la meurtrit en se crevant un oeil par des moyens que nous tairons pour ne pas donner d'idée aux moins malins de nos lecteurs qui, suffisamment naïfs et aux autorités suffisamment sottes, auraient l'envie saugrenue de l'imiter et de nous tenir rigueur de ce que le procédé provoque de douleur. Ajoutons cependant que si parmi le lectorat bienveillant qui parcourt ces lignes - nous voulons croire qu'il en est, ainsi qu'un autre, nous voulant du mal, mais celui-ci, aussi mesquin que niais et étroit d'esprit, ne mérite que nos clins d'oeil complices et amusés - il se trouvait quiconque qui se penserait assez bon visage pour se crever un oeil afin de s'enlaidir, nous voudrions bien mesurer son orgueil, afin de trouver un mètre étalon pour le nôtre.
Le résultat qui se peignit après un tel traitement - souvenez-vous toujours que les médiocres auteurs seulement ne font pas de parenthèses et ne sautent pas du coq à l'âne ; nous, qui sommes meilleurs que ces plumitifs malhabile aux rengaines distrayantes et pauvres, savons qu'il faut au contraire multiplier les digressions, sans toutefois les clore toutes et ainsi le critique verra parfois dans cette débauche de feu une structuration de talent, et le lecteur imbécile se verra frustré dans sa lecture et passera son chemin, tandis que celui de qualité sourira d'autant d'habileté et d'intérêts tout assemblé sous ses yeux. C'est là un tour fort secret et fort facile que, n'étant pas chiche et sachant que les pauvres en talents ne peuvent tétonner directement les muses pour produire quelque chef d'oeuvre, je vous confie. Allez donc à présent butiner les champs et pâturages de l'espace littéraire, à l'ombre douce de la montage de mon patronage tutélaire - n'aurait pas été reconnu par sa famille, ou seulement avec peine ; et ce n'est pas qu'un truc de bas étage pour vous dire combien il était changé, je ne mange pas de ce pain-là.
Quoiqu'il en soit, notre héros, Jackob - car malgré nos petites incartades pour enrichir ceux qui voudraient, avivés par le déploiement de tant d'art, se lancer dans la profession d'écrivain, je ne suis pas le héros de cette histoire - ne s'estima pas satisfait encore de son visage, malgré la méchante pièce de cuir tenue par une ficelle de jute qui dissimulait sa blessure. Il faisait cependant confiance à l'avenir et aux empêchements dans lesquels il irait se jeter pour corriger les derniers vestiges de sa beauté impeccable : quelques bagarres lui tordraient le nez tandis qu'un coup ou deux lui ferait immanquablement sauter des dents.
Pour continuer de faire mentir sa pente naturelle, notre héros s'attacha à modifier son caractère. Il n'ignorait pas que ce changement serait toujours superficiel et que sa nature profonde, à moins d'un traumatisme exceptionnel, ne bougerait plus. Jackob était un fougueux amoureux du bien. L'injustice l'exaspérait, au moins autant que la bêtise. La stupidité crasse des gens, qui provoquaient des accidents tout aussi crasses et idiots, le rendait malade. Aussi, pour ne plus souffrir de la masse, il se fit méchant homme en ne mesurant plus. Sa conduite, qu'il avait réglé en toute chose, ne le fut plus alors. Il avait décidé une autre voie à suivre. Jackob eût pu être prince, noble ou dirigeant, mais il aurait, chaque seconde, senti l'épaisseur du monde et subi son oppression. D'autre part, son pays et ses alentours manquaient de méchant mais disposaient d'une palanqué d'anodins gros bras aux tendances loyales et bienveillantes. Il savait cela et avait pris la décision que nous évoquâmes plus haut et qui, j'en suis sûr, ne manqua pas de vous surprendre.
Pensez-vous : un héros méchant !
Ne vous privez pas de nous imiter en tout mais, je vous en abjure, rendez grâce à qui vous a inspiré. Quant à moi, tout ce que je produis ici proviens de la couche de la muse et surement pas des clichés ou des caprices de mon imagination, comme les langues mauvaises le pourraient laisser entendre. Force m'est de reconnaître néanmoins que, si vous voici éclairez sur le personnage à propos duquel ce chapitre s'appesantit, nous n'avons encore quitté les prémisses d'une introduction.
En effet, une bonne histoire - et vous ne doutez pas que celle-ci en soit, j'imagine - ne saurait se contenter seulement d'un personnage, pour tout haut en couleur qu'il fût. Car si ces caractères puissants sont bien entendu indispensables en tant que moteur indéniable du récit, ils ne suffisent pas. Même quand la tâche avouée est de déconstruire l'histoire, de constituer ces anti-romans qu'on tient pour illisibles - je voudrais préciser ici que, pour ma part, je les trouve un délice car, s'ils sont parfois un peu abscons et tortueux, ils restent un véritable plaisir de lecture, et pas seulement parce que je suis un fervent pratiquant de l'onanisme intellectuel - il est impossible d'avancer sur une page blanche. Il faut un espace, fusse-t-il un espace vide, où les choses puissent s'agiter. Aussi cela ne surprendra personne que nous poursuivions cette introduction - qui vient en deuxième temps, contre toute logique classique - sur une description - mais pas trop longue - du pays où les subséquentes aventures vont se dérouler.
Le royaume où naquit le mouton noir de la famille Hüberwold - d'ailleurs, il est ainsi présenté dans les archives de famille que j'ai pu consulter quand je préparais tout ce bazar, je n'eus de cesse de me demander s'il méritait vraiment ce surnom car, s'il a vraiment fui et si son nom fut synonyme d'opprobre dans toute la contrée, il n'en reste pas moins que ses prévisions de même que son seul héritier et la mère de celui-ci, qui assura la régence jusqu'à l'âge de raison de Neine, propulsèrent les Hüberwold en position de force, tant et si bien qu'à la fin de cette génération, la famille faisait et défaisait les empires par son seul pouvoir monétaire. Mais ceci est une autre histoire, sans doute plus grande, qu'il faut confier aux historiens et non aux distributeurs de galéjades dans mon genre - était une monarchie constitutionnelle à deux chambres dont le souverain s'était mis en tête de priver le parlement de son pouvoir et de remettre au goût du jour l'idée que le monarque régnait par la volonté divine et que celui qui n'était pas d'accord avait le droit de se taire ou de pourrir dans quelque geôle anonyme. Cette situation où la guerre civile couvait était propice à l'éclosion de ces niais héros dont nous parlions plus tôt.
Le fonctionnement des chambres revêt une petite importance qui justifie que nous nous y attardions un moment. Plutôt qu'une séparation entre nobles installés et roturiers élus, c'était le cens qui formait la division. De cette façon, la populace n'avait pas voix au chapitre, ce qui, dans un premier temps, rassura la monarchie. Le problème qui s'était posé plus tard était la richesse grandissante des bourgeois du royaume, d'autant plus que les places des deux chambres étaient limités. De sorte que, au final, les deux chambres n'en formaient globalement qu'une, avec, dans ce que nous appellerons une antichambre, massés, plein de gens avec les dents longues. Autant dire que les velléités absolutistes du roi n'avaient pas été très bien reçus. Les deux chambres avaient désavoué le monarque qui, en retour, les avait dissoutes mais, attendu qu'elles payaient les soldats, cela ne les avait pas empêché de siéger.
Et pour ne pas compliquer les choses, les pays environnants lorgnaient sur les terres limitrophes d'un oeil gourmand. C'est à peu près à ce moment-là que Jackob se fit la malle bien inélégamment, pour s'aller loger dans les auberges les moins bien famées des bois et des montagnes et s'encanailler un peu. Il faut savoir que ce royaume de conte de fée occupait une place un peu bizarre et centrale, possédant un littoral assez grand en anse, adossé sur une chaîne de montagnes suffisamment éloignés l'un de l'une pour que les champs et les forêts se développent entre les deux. Les richesses tirées de cette diversité étaient bien entendu nombreuses et attiraient la jalousie. Pourtant, grâce à un équilibre des forces relativement stable, la situation n'avait jamais dégénérée et tout le monde y trouvait plus ou moins, à force de gymnastique intellectuelle habile, son compte.
Jusqu'aux évènements d'alors.
Mais contentons-nous pour l'instant d'une prolepse aguicheuse pour revenir au protagoniste principal - je me demande si ceci n'est pas un truisme bien immonde, tenez - de cette histoire qui, alors que je vous parle, doit s'ennuyer ferme dans quelque endroit en attendant que nos lumières reviennent vers lui, ce qu'elles feront instamment, sitôt que j'aurais précisé un peu plus la situation temporelle de ce souk agréable, afin que vous et moi n'y soyons pas trop perdu.
Jackob, quand nous le retrouvons, s'est déjà crevé l'oeil et a déjà travaillé à enlaidir son apparence. Il s'est dont écoulé à peu près huit mois depuis son départ de chez lui, qu'il a mis à profit d'abord à se rendre hideux, ensuite à s'éloigner, puis à se séparer de son organe visuel considéré surnuméraire et enfin à récupérer de l'opération de fortune et à explorer les alentours tout en se faisant des contacts et une réputation de brutal. Et croyez-moi, il avait fait ce qu'il fallait - outre se défigurer par les moyens qu'on ne sait pas - pour la mériter, notamment tenter de culbuter joyeusement sur un coin de table une serveuse qui aurait dansé une sacrée bourrée si le tenancier de la maison n'y avait pas mis bon ordre en agitant à qui mieux-mieux sa lourde trique, estimant, tatillon protocolaire, que le client n'avait pas payé pour ce service et que la cour n'avait pas été faite dans les formes.
De ce dernier point, nous ne jugerons pas car, après tout, il n'a rien d'intéressant.
Essayons plutôt de revenir sur ce qui ne cesse de m'échapper depuis le moment que j'ai pris la plume pour débiter tant de lanternes, c'est-à-dire le coeur de notre histoire que je désespère vraiment de terminer un jour, tant tout semble complètement hors de contrôle, à tel point que, pour la santé de tous, et surtout la mienne, qui commence à vaciller, il est préférable d'en rester là.
La Demeure Franche : [Lien HTTP]
Gzor | 25/07/11 12:16
Euh... eh bien, oui, oui, tout à fait
(Les digressions - gressions - venant casser le rythme constituent une trouvaille géniale. Toujours énormément de plaisir à lire, j'attends la suite en trépignant d'impatience )
Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !
Edité par Gzor le 27/07/11 à 11:27