Forum - { Les Cercles} Le Grand Oeil
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Brume Hociehän | 29/04/11 22:24
Lune 613, quelque part sur les Terres du Cercle
Les rafales de vent apportaient le son lointain d'un océan brisé contre les remparts. Les assauts répétés dans l'espoir de faire tomber l'insolence des bâtisseurs résonnaient inlassablement dans la pierre suintante d'humidité. Au coeur de la forteresse, dans ses froides fondations, des lampadaires léchaient les ombres avec une gourmandise dégoulinante de cire. Leurs bras déployés et couverts de cet étrange atour leur donnaient l'apparence de témoins silencieux qui de leur présence fantomatique souillaient les murs de suie. Dans la clarté feutrée par le secret se tenaient cinq silhouettes courbées par les ans. Des rides profondes creusaient leur visage amolli, elles s'étiraient en autant de chemins que les siècles vécus autour de leurs yeux blanchis. Ils étaient aveugles à tout, sauf à une chose qu'ils voyaient plus que n'importe qui. Leur physionomie décharnée par la vieillesse pouvait laisser penser que la mort n'était qu'à un cheveu de les happer. Le croire était une grosse erreur, car sous ce corps, une éternelle source coulait dans leur veine. Ce qui rongeait leurs chairs, c'était le pouvoir qui les épuisait. Ils devaient s'en libérer dès que le don se manifestait pour ne pas subir la douleur de son flux. Tous ont voulu le retenir, tous ont été privés du sens de la vue dans d'affreux tourments.
Le jeune prophète frémit toujours en détaillant le visage de ses aînés. A les voir dévastés par le Don, il craignait d'être comme eux. Avant qu'il ne soit enfermé dans la citadelle, il menait une existence normale, il chassait, faisait la cour aux damoiselles, dépensait son argent aux jeux... Il avait une vie légère de temps en temps perturbée par des maux de tête et des visions troublantes. Un jour, un homme au regard voilé par la cécité était venu le chercher. La réalité prit alors un tournant sans nul retour vers ce qu'il avait connu. Avec cette rencontre, il est devenu un prisonnier pour sa propre sécurité. La colère et le désarroi essuyés, l'immense fierté le nourrissait d'orgueil. Il avait conscience d'être particulier et s'il était privé de sa liberté, c'était pour le salut du monde. Comme on le lui avait répété maintes fois : les prophètes sont dangereux, les prophètes peuvent engendrer la folie, les prophètes sont brûlés.
Puisqu'il était là pour retranscrire les paroles prononcées, c'est qu'un jour il occuperait peut-être un de ces sièges. Toutefois, il s'était fait la promesse de ne jamais perdre l'éclat de ses prunelles grises. Jamais il ne sombrera dans le piège pernicieux des visions. Il trouvera un moyen pour se différencier de ces faux vieillards, lui qui a le sang des elfes comme atout. Surtout, il sortira de la Citadelle pour aller à la rencontre des autres. La magie qui a touché son âme était une bénédiction et celle-ci devait servir au lieu d'être écrite dans des grimoires. D'ailleurs ces livres étaient jalousement gardés par La Caste qu'il ne connaissait pas lui-même. Il savait que ces personnes hantaient l'immense bibliothèque composée par des générations d'êtres comme lui. La Caste décortiquait et étudiait les multiples trames qui pouvaient se compléter, bifurquer ou bien s'opposer pour le pire des cas.
Ce moment, il le détestait plus que tout. Pourtant, il saisit sa plume sans protester, car l'oeuvre qu'il accomplit était bien plus importante que ses révulsions. Et puis, c'était une autre preuve de son fabuleux destin... Sous ses doigts, la couverture de l'ouvrage en vair était douce, elle masquait parfaitement l'horreur qui lui intima soudain un mouvement de recul. Il en frissonna violemment. La main à présent tremblante se rapprocha du fermoir alors que les cinq visages des Grands Prophètes se tournèrent lentement vers lui. L'Oeil le fixa, le captura dans le vortex de sa redoutable observation. Une force invisible sembla contrarier son geste tandis que le jeune homme tenta de soulever le rabat en or. Une sueur froide coula le long de son dos quand les voix monocordes des vieillards se manifestèrent en choeur. Dans un ultime effort, il arracha son regard à l'Oeil apparu sur la couverture. Le grimoire s'ouvrit brutalement à une page vierge, la main tenant la plume s'y plaqua pour écrire les images du futur.
- Un mal insondable sera annoncé par le Prophète Ecorché. Le chiffre de la Bête trompera les esprits. Trois cercles, trois illusions traceront le chemin de la troisième croisade. Elus des ombres se presseront dans leur sombre foi à la quête du pouvoir. Ils serviront La Maudite. Erreur. Douleur. Terreur.
Une larme de sang roula sur le visage de l'elfe crispé dans son devoir. Les râles des Grands Prophètes achevèrent le singulier point final avidement avalé par le grimoire. Ils s'avachirent, épuisés, dans leurs fauteuils. Le livre se referma violemment de lui-même, l'Oeil se darda une dernière fois sur le jeune homme qui en trembla de tout ses membres.
Edité par Brume Hociehän le 29/04/11 à 22:24
Celimbrimbor | 30/04/11 10:56
Et à la fin, est-ce que le dormeur se réveille ?
La Demeure Franche : [Lien HTTP]
Brume Hociehän | 22/05/11 17:30
Une nuit, dans la Citadelle, lune inconnue.
La pernicieuse torture projetait des images d'un temps devant son regard égaré dans les ténèbres. Une sueur froide faisait trembler son corps brûlant d'une fièvre prophétique. Ses doigts serraient une dague comme le mince fil de sa lucidité qu'il ne voulait pas perdre. Son autre main agrippa frénétiquement la table ce qui l'empêcha tout juste de s'effondrer sous le coup de l'insidieuse douleur le rongeant impitoyablement. À la faveur d'une chandelle, le miroir renvoya le reflet du prophète, courbé de souffrance. À tout instant, des flammes auraient pu sortir de ses orbites pour l'aveugler qu'il n'aurait pas été surpris. Telle était la malédiction de son don. Il accrocha son image pour y puiser du courage, mais les ombres ne lui laissèrent aucun répit. Elles déformèrent ses traits en un masque hideux, hurlant toutes les atrocités qui déferlèrent dans ses visions. S'il ne voulait pas sombrer dans la folie, il devait écouter La Voix qui martelait son crâne, ne lui présentant aucun choix.Pourtant, le jeune homme se refusait d'accomplir cet outrage. À cette bribe de rébellion, l'Oeil se darda sur son âme, crochetant sans la moindre difficulté sa résistance.
À cet instant, la porte de la cellule s'ouvrit brutalement. Le Veilleur s'engouffra dans la chambre et son élan salvateur fut accueilli par la mort plantée dans son coeur. Peut-être était-ce finalement la chance de sa vie ? Il n'a jamais souhaité être un prisonnier, il se sacrifiait. Un rire de dément secoua la poitrine en feu du prophète. Une étrange euphorie le gagna, la douleur s'apaisa tandis qu'il fixait son oeuvre pitoyablement couchée sur le sol. Il essuya frénétiquement sa main poisseuse de sang sur sa tunique puis fila à toute allure dans les dédales de la Citadelle.
À présent, La Voix lui semblait douce, réconfortante. Elle savait tout. Elle guidait ses pas dans le labyrinthe en pierre jusqu'à déjouer la surveillance des Veilleurs. Il vit tant d'huis bardés de fer derrière lesquels des gens comme lui étaient retenus pour les préserver du monde. Lui qui se croyait particulier se rendit soudain compte qu'il n'était qu'un pion parmi tant d'autres. Une furieuse envie de hurler força son allure dans les ténèbres. La Voix se fit caressante et pressante, elle couvait son sentiment rageur comme une mère. Pas après pas, elle lui montra La Caste. Il saigna d'effroi. Des larmes s'accrochèrent à ses cils quand son regard s'écorcha sur cinq femmes entourant un homme. Elles étaient toutes terriblement désirables et repoussantes à la fois. Elles étaient entièrement vêtues de rouge pour ne pas être souillées de l'aide offerte par la grâce d'un tison encore brûlant ou d'une lame. À travers cette horreur, il comprit qu'il ne serait jamais aveugle. Ses visions ne le priveraient pas de sa vue la plus grossière, car La Caste n'aura jamais son don pour assouvir une soif de connaissance sur les possibles futurs. Il avait été piégé par une organisation afin de servir la quête d'un pouvoir, cela ne faisait aucun doute. La Voix d'ailleurs lui insufflait une envie de meurtre, mais à temps, elle enveloppa son esprit d'une brume tranquillisante, et il répondit à sa volonté.
Il accomplirait ce qu'il pensait être un outrage afin de ne plus subir, d'être libre. Les veines gonflées d'une haine latente, il abandonna le triste spectacle du torturé qui aurait pu être lui. La Voix le guida, il l'écouta aveuglément jusqu'au coeur de la Citadelle pour s'emparer du Grand Oeil et dévoiler ses sombres prophéties au monde.
Trois arpenteurs accompagnaient Brume qui avait découvert un détail intrigant, il désirait se rendre sur les lieux pour s'en assurer. Ses recherches avaient enfin esquissé une piste intéressante, éloignée des racontars sur l'histoire du Prophète écorché. Tout laissait penser que le Grimoire du Grand Oeil avait été caché sur les terres du deuxième cercle...