Forum - [Les Cercles Maudits] chapitre II: La Légion d'Ivoire

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Noir-feu | 31/03/11 14:46

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Nous nous sommes mis en route dès la nuit tombée, silencieux et ordonnés, longue colonne de silhouettes à peine discernables dans l'obscurité profonde qui a recouvert le deuxième cercle. Notre commandant a sa tête des mauvais jours, signe que la mission qui nous a été confiée est risquée, mais après tout, quoi de plus normal? Nous sommes la Légion d'Ivoire, le fer de lance des armées Dragonniques, trois mille six cents combattants endurcis et aguerris, et nous avons tous déjà affronté, et vaincu, la Mort. La peur ne gagne plus nos coeurs, comment le pourrait-elle alors qu'ils ont cessé de battre voilà tant de lunes? Nous sommes des vampires, formés durant trois cent lunes aux plus meurtrières techniques de combat, nous ne craignons aucun adversaire, aucun combat, nous sommes l'invincible Légion d'Ivoire. C'est ce que nous ont répété nos officiers, dix fois par nuit, durant près de dix mille d'entre elles. Et nous sommes tous convaincus qu'il ne peut en être autrement.

Peu avant l'aube, nous avons atteint les premiers contreforts d'une chaîne montagneuse, où nous avons fait une brève halte. Quelques-uns de nos éclaireurs nous ont rejoint, ils ont discuté brièvement avec notre commandant, puis nous nous sommes remis en route avec une certaine inquiétude, le jour n'allait pas tarder à se lever. Nous ne connaissons pas la peur, qu'ils disent. Peut-être, en attendant aucun de nous n'a envie d'être dehors quand l'astre maudit se lèvera, et si les informations des guides sont fausses, la fleur des armées du Dragon ne sera plus qu'un amas de cendres vite balayée par les vents qui sifflent rageusement dans les défilés. Le temps passe, nous forçons l'allure, pressés maintenant de trouver un abri, même si cet abri signifie, nous nous en doutons, plonger dans un infernal traquenard. Enfin, gueule béante du monde d'en-dessous, l'entrée d'une vaste caverne se dessine. Un long hurlement retentit dans les montagnes, se répercutant de vallée en vallée, rendant impossible toute localisation. Nous n'avons pas le temps de nous mettre en chasse, quoi qu'il en soit, d'ici quelques minutes le soleil va se lever. Nous savons maintenant, mais nous nous y attendions, que nous avons été repérés. Le commandant distribue rapidement quelques consignes, nous nous reformons en phalanges compactes dans un ordre irréprochable, par rangs de douze, sans le moindre bruit, sans la moindre hésitation. Chacun connait sa place, nous avons répété ces manoeuvres tant de fois que nous pourrions les exécuter les yeux fermés. La première phalange franchit l'entrée de la cavité, immédiatement suivie de la seconde puis de la troisième. Impatientes mais gardant malgré tout une immobilité rigoureuse, les vingt-sept autres unités attendent le signal indiquant que le chemin est dégagé. S'il ne l'est pas, nous mourrons une deuxième fois avant même d'avoir porté un coup et ce qui rôde dans ces entrailles ne nous inquiétera plus. Le signal retentit enfin, nous nous engageons à tour de rôle dans l'immense caverne, les plus jeunes poussent un soupir de soulagement en gagnant l'abri de l'épaisse voûte, les plus anciens se détendent imperceptiblement.

La salle souterraine est gigantesque, nos regards nyctalopes peinent à en discerner les extrémités. Un peu partout, des reliefs macabres sont répandus, ossements blanchis et crânes indubitablement humains, certains portent d'inquiétantes marques de morsures, d'autres ont été fendus pour en extirper la moelle. Pas un de nous ne frémit, certains sourient même, la mort est notre patrie, les ténèbres et le mal nous entourent comme des capes soyeuses, le sang est notre festin. Nous avons hâte maintenant de nous mesurer à un ennemi tangible après ces longues lunes d'immobilité dans les tréfonds du Krak de l'Aîné. Trois tunnels se dessinent au fond de la salle, le commandant répartit les troupes pour les explorer de concert, trois unités resteront dans la salle pour couvrir nos arrières, je n'aimerai pas être à leur place, il est probable qu'ils n'auront qu'à patienter le temps que nous fassions le ménage de l'antre du Chaos. Mon unité se voit affectée à l'exploration de l'un des conduits, nous nous mettons en branle, échangeant des regards satisfaits: nous pourrons nous nourrir, cette nuit.

Des heures que nous avançons sans avoir rencontré la moindre présence. Les signes d'occupations sont nombreux, pourtant, traces de pas, de pattes, plutôt, reliefs de festins semblables à ceux trouvés dans la première salle, la garnison de Deuxièmecercledhil a payé un lourd tribut ces dernières années. Nous croisons plusieurs couloirs latéraux, qui sont méthodiquement explorés, en vain, tous se terminent sur des culs de sacs après quelques centaines de mètres. Nous nous sommes profondément enfoncé sous les montagnes, la galerie ne cesse de descendre en pente douce, et nous nous demandons si ces souterrains mènent vraiment quelque part, tout est calme, trop calme.

Edité par Noir-feu le 31/03/11 à 14:50

Roxar | 31/03/11 16:59

Je me demande quel camp est le plus terrifiant :o

(Très bien écrit :))

Roxar, humble guerrier nain

Noir-feu | 03/04/11 00:29

Je me nomme Sylaïs. Dans une vie passée, de plus en plus lointaine, j'étais un elfe, un seigneur parmi les miens. Aujourd'hui, je suis un être de l'ombre, considéré par beaucoup comme un maudit. Je me nourris de sang, je crains le soleil, et mon coeur a cessé de battre il y a longtemps. Je me souviens de ma mort, bien que je ne sache plus vraiment si ce fut un instant de douleur insoutenable ou de pure jouissance. Cela vous choque, peut-être, je me souviens que cette sensation me dérangeait, autrefois. Toute mon éducation me hurlait qu'il était malséant d'accueillir la mort comme on accueille l'extase d'une nuit d'amour. Je me souviens des canines qui frôlent ma jugulaire, je me revois me tendre comme un arc, effrayé et impatient à la fois, plein d'espoir, de désir. Quelques instants auparavant, presque au terme d'une longue bataille qui avait duré tout le jour, une lance m'a perforé le flanc, la faute à cette maudite fatigue qui a ralenti ma parade d'un battement de cils. Je suis tombé, sur un de mes frères, ou était-ce le corps d'un ennemi? Je ne sais plus. Vite, trop vite, mon sang s'enfuyait de mes veines, les battements de mon coeur se ralentissaient, un voile est passé devant mes yeux, je me suis senti partir, lentement, car la vie de mon peuple est tenace. Soudain, il était là. Je revois son regard qui examine méthodiquement mon corps, qui revient accrocher le mien. Je crois qu'un léger rire m'a échappé à cet instant, je pensais qu'il allait me dire d'un ton compatissant que tout allait bien aller. Je me souviens de ses mots comme si c'était hier:

-Tes blessures sont mortelles. Veux-tu vivre? Veux-tu me servir?

Ai-je réfléchi sur le moment? Je ne crois pas. Ma vie s'enfuyait de mon corps comme un torrent pressé, j'étais jeune, plein de rêves, je voulais vivre. J'ai acquiescé frénétiquement, mon regard suppliant et troublé braqué dans le brasier de celui de cet être qui deviendrait mon Seigneur. Il a pris ma main dans les siennes, en un geste fraternel qui me surprend encore aujourd'hui. Sa voix était grave, sérieuse, quand il m'a précisé:

-Tu seras un Vampire. Un mort-vivant. Mais tu ressentiras, tu vivras, et tu me serviras jusqu'à ta deuxième mort. Le veux-tu?

Aurais-je dû réfléchir? Aurais-je dû refuser? Trois cents lunes plus tard, je n'ai pas de réponse à cette question. Sur le moment, la réponse m'a paru évidente. Mon coeur ne battrait plus, mais j'existerai. Peut-être était-ce la peur de la fin, peut-être étais-je trop jeune pour l'accepter comme une chose naturelle, pour comprendre que cela faisait partie du cycle naturel. J'ai hoché la tête en murmurant un "oui" plein d'espoir. Le sombre Seigneur s'est relevé, il a adressé un signe de tête à une jeune femme qui se tenait non loin, attentive et silencieuse. Elle s'est approchée, elle a caressé mon visage, s'est penchée sur moi. Elle paraissait humaine, mais quelque chose en elle dépassait de très loin la beauté médiocre de cette race, une flamme sombre brillait dans ses yeux en amande. Ses mains ont frôlé mon corps d'une caresse, ses lèvres se sont jointes aux miennes. Ce fut un instant très bref, mais encore maintenant j'en garde un souvenir brûlant. Elle a ensuite frôlé ma gorge de sa bouche, j'ai senti ses canines effleurer ma peau, et je rougis de l'avouer, j'ai souhaité de tout mon être qu'elle me morde. Et ses dents ont pénétré ma chair. Je n'avais jamais imaginé que cela puisse être l'extase de ma vie. Je n'avais, je n'ai jamais rien ressenti de tel. Je ne ressentirai plus jamais rien de comparable, je le sais. Je suis mort dans une explosion de jouissance phénoménale, et cela seul valait que je me damne. Je suis heureux que ce soit elle qui m'ait mordu, je crois que si cela avait été un homme, cela m'aurait dérangé longtemps. Le retour, l'éveil en tant que Vampire est plus douloureux, je crois que j'ai hurlé longuement, pris de soubresauts violents et incontrôlables. Et puis cela s'est atténué peu à peu, je suis parvenu à ouvrir les yeux. Il faisait nuit, je le voyais bien aux bougies qui brûlaient, mais je voyais comme en plein jour. J'étais allongé à même le sol, recouvert d'épais tapis, j'ai vite réalisé que nous étions nombreux, peut-être une trentaine, rassemblés dans une salle austère dépourvue de tout ornement, à l'exception d'un fauteuil de bois noir à haut dossier. Je me suis relevé péniblement, et je l'ai vu enfin, celui qui m'avait offert une deuxième vie.

Il n'était pas vraiment impressionnant, physiquement. D'aspect humain, je l'ai d'abord pris pour un homme âgé, sûrement à cause de ses cheveux d'une blancheur immaculée. Je me souviens avoir éprouvé une sourde déception, je crois que j'avais espéré un être d'exception, respirant la noblesse et la grandeur, resplendissant de puissance et de sagesse, un être que je pourrais servir avec amour, avec ferveur. Je me suis levé, comme beaucoup d'autres autour de moi. Il y a eu un lourd silence, nous nous sommes regardés, jaugés, mesurés. Quelques sourires sont apparus, certains un peu désabusés. Comme moi ils avaient déjà catalogué celui qui prétendait être notre maître pour les âges à venir, et il était clair que cela ne répondait pas à nos espoirs. Il est resté assis, indifférent, la tête penchée vers le sol, les yeux fermés, jusqu'à ce que le dernier de nous soit debout. Le silence est devenu plus dense, pesant. Nous attendions, sans trop savoir quoi, et nos esprits se sont emballés en mille suppositions, mille idées de ce que nous allions faire, ou dire. J'ai ouvert la bouche, comme une bonne dizaine d'entre nous, pour protester contre ce silence qui nous oppressait. Et puis l'homme a relevé la tête, il a ouvert les yeux, qui se sont braqués sur nous. J'ai su à cet instant qu'il n'avait rien d'humain. Ses prunelles étaient d'un feu insoutenable, ses pupilles verticales irradiant d'une volonté si inflexible qu'elle a scellé nos bouches comme une chape de plomb. Il s'est levé, et nous avons réalisé qu'il était immense. J'avais déjà vu des êtres de plus haute taille, mais je suis persuadé qu'ils auraient eu l'air de nains à ses côtés. Je ne peux pas vous expliquer cette sensation, elle n'a rien de rationnel, nous avons senti son aura, nous avons pressenti ce qu'il était, au-delà des apparences trompeuses engendrées par cette forme qu'il consentait à prendre pour nous recevoir. Nous avons vu le Dragon dans l'homme, et nous avons frémi. Comme un seul nous avons mis un genou à terre. Je ne pense pas m'avancer en disant que nous avons tous senti une exultation farouche gagner nos esprits, teintée d'une peur atavique, qui ne nous a jamais quitté depuis lors. J'ai su à cet instant que je donnerais ma vie avec joie pour lui, j'ai su que j'étais enchaîné à sa volonté hors du commun par des liens invisibles plus solides que les meilleures chaînes. Et nous l'avons servi durant trois cent lunes, de plus en plus emplis de loyauté alors que nous réalisions que tout ce que nous donnions nous était rendu avec les intérêts. Trois cent lunes d'une deuxième vie aussi rigoureuse qu'il était permis de l'imaginer, mais nous avions tout, et j'ai aujourd'hui le sentiment que cette non-vie fut incroyablement plus riche que la première.

Je me nomme Sylaïs, j'appartiens à la sixième phalange de la Légion d'Ivoire, je m'enfonce dans les profondeurs de Deuxièmecercledhil avec trois mille cinq cent quatre-vingts dix-neuf frères et tout est calme. Trop calme.

Prescience. Un hurlement. Des rangées de piques qui s'abaissent en une fraction de seconde, trop rapidement pour que l'oeil puisse le suivre. Nous sommes des Vampires, notre force est immense, nos réflexes inhumains, notre entraînement inimaginable. Et pourtant nous sommes trop lents.

Gerbes de sang, membres arrachés qui volent dans les airs, corps qui tombent, les trois premières lignes de ma phalange sont enfoncées avant que nous comprenions ce qui nous arrive. Ils sont sur nous et nous succombons par dizaines en un battement de coeur. J'ai le temps d'avoir une pensée ironique à cette image: comme si je me souvenais de ce qu'était un battement de coeur! Instinctivement, je relève ma pique, juste à temps pour empaler une créature velue aux mâchoires dégoulinant du sang de mes frères, je titube sous le choc malgré ma force, songe futilement qu'un humain en aurait eu le corps brisé. D'autres lames plongent dans le corps massif du loup-garou, les réflexes issus d'interminables entrainements reprennent le dessus, nous lâchons nos armes inutilisables dans un corps à corps, dégainons nos épées et nous ruons à l'attaque en hurlant notre rage. La mêlée devient confuse, il nous est impossible d'estimer le nombre de nos assaillants mais nous sentons qu'ils grouillent de partout, et nous tranchons tout ce qui passe à notre portée, mus par un instinct de survie désespéré. Un ordre claque dans le chaos, nous y répondons sans réfléchir, et nous reculons de quelques pas alors que la phalange qui nous suit avance rapidement, précédée par un véritable mur d'acier formé de quatre rangs superposés de piques. Notre parfaite coordination nous sauve, nous nous glissons dans les interstices du mur de lames, prévus à cet effet, juste avant qu'ils ne se referment pour former un rempart infranchissable. Les loups-garous se ruent à l'attaque, dénués de sens stratégique, masses de rage pure ignorant la peur et la logique, et là encore, les rudes leçons répétées à en avoir la nausée portent leurs fruits. Le mur ploie, les piques se brisent, leurs porteurs se reculent alors que les rangs suivants avancent, restructurant au fur et à mesure le rempart d'acier malmené. Nous reculons tous pas à pas, cédant lentement du terrain pour garder la place de manoeuvrer. Et l'ennemi paie un tribut effroyable, couvrant le sol de cadavres hirsutes par dizaines, nous frémissons de voir les suivants écraser sans pitié leurs semblables blessés pour se ruer sur nous, nous réalisons lentement que nous n'allons pas tarder à être submergés par leur rage insensée si l'assaut se poursuit.

Quelques ordres claquent à nouveau, nous reculons pour laisser des espaces suffisants entre les phalanges, celles qui ont subi des pertes se reculent, reformant aussitôt les rangs avec une efficacité qui nous donne du baume à l'âme. Quelques minutes qui nous paraissent une éternité, le combat fait rage devant nous, étrange sensation que d'être immobile alors que le chaos se déchaîne à quelques mètres de nous. Une phalange recule, épuisée et ébranlée par la fureur du combat, une autre avance d'un pas, prend la relève, recule à son tour, remplacée par la suivante. Hébétés par le carnage malgré notre entraînement, il nous faut quelques instants pour réaliser que le silence règne dans le couloir ensanglanté. Nous échangeons des regards vides, incapables de prononcer la moindre parole. Notre commandant hurle des consignes, nous sortant de notre torpeur par un excès d'autoritarisme salutaire. Très vite nous nous réorganisons, certains recensent nos pertes, près de quatre cents des nôtres, d'autres comptent les ennemis abattus, cent cinquante trois loups-garous, nous reformons en hâte des unités de cent vingt combattants pendant que certains dégagent le passage. Moins de cinq minutes plus tard, nous avançons à nouveau, avec prudence, en formation défensive. Nous sommes la Légion d'Ivoire, et nous sommes invincibles.

Edité par Noir-feu le 03/04/11 à 01:09

Kärel | 06/04/11 13:37

Et bien, mieux vaut vous avoir avec que contre nous...

[HRP : Splendide, la dernière phrase confère à l'ensemble du texte une classe phénoménale ;) ]

Kärel, Bretteur sans chemin.

Shadee | 09/04/11 11:45

(Superbe!:))

Noir-feu | 14/05/11 18:00

Nous y sommes. Enfin.

Depuis combien de temps nous frayons-nous un passage dans les profondeurs du Cercle maudit, je ne sais pas, je ne sais plus. Longtemps, sans doute plusieurs jours, mais la fatigue recouvre d'un brouillard pesant nos réflexions, alourdit nos membres rompus par les incessants assauts qui surgissent trop souvent, nous avançons machinalement, de plus en plus inquiets alors que notre nombre diminue drastiquement, les questions qui taraudent nos âmes ne trouvent aucun écho, nulle réponse.

Nous y sommes...et maintenant? La salle n'est pas très grande, formant un cercle irrégulier d'une centaine de pieds de diamètre, creusée sans doute en un temps lointain, quelques concrétions à la lente croissance témoignent que bien des années, siècles peut-être, se sont écoulés depuis l'excavation de ce lieu. Étrangement, l'endroit est désert, occupé seulement par l'huis maudit, semblable en tous points à ce qu'on nous a décrit du Sereg Rinn, si ce n'est que la taille de cette porte secondaire n'atteint pas les proportions immenses de la Porte de Sang, et que nulle gravure n'en orne les battants de bois rougeâtre, ouverts. Cinq galeries dévoilent leurs gueules béantes d'obscurité, notre commandant y poste des groupes de combattants, son expression sinistre nous pousse à songer que nous avons peu de chances de voir arriver nos frères, partis explorer d'autres conduits lors de notre entrée dans l'antre damnée, combien sont seulement encore vivants, et quelles chances ont-ils de trouver ce lieu enfoui dans les tréfonds impénétrables de souterrains en apparence infinis? D'un signe de la main, notre chef invite l'un de nous, l'une de nous en y regardant de plus près, à s'avancer vers le cercle miroitant qui permet aux forces du Chaos de rejoindre le deuxième cercle. La femme abaisse la capuche qui recouvre ses traits, et malgré notre épuisement nous éprouvons un léger choc en découvrant son visage, indubitablement humain, dépourvu de cette pâleur caractéristique des buveurs de sang que nous sommes devenus. Je me souviens l'avoir vue déjà, dans le Krak de l'Aîné, en ce qui fut jadis les terres de Dana, je ne crois pas me tromper en murmurant son nom: Elynn, l'apprentie du Noir.

Sans un mot, elle avance jusqu'à trois pas de la porte, sortant de sous sa cape un petit coffret d'ébène renforcé de ferrures délicatement ouvragées, murmure une inaudible et brève litanie qui engendre l'ouverture du couvercle du conteneur. Avec d'infinies précautions, elle en sort trois petites gemmes noires, assez semblables à de l'obsidienne, s'agenouille pour les déposer au sol, formant un triangle équilatéral de trois pas de côté. Elle se relève, s'écarte un peu des pierres, puis murmure quelques paroles étrangement rauques dans la bouche d'une jeune femme. Un silence pesant se fait dans la salle, l'atmosphère semble se rafraîchir lentement alors que les gemmes se mettent à luire doucement, sombres et inquiétantes. De chacune, trois filaments de ténèbres s'élèvent, se rejoignant pour former une sorte d'arche éthérée, qui rapidement s'emplit d'une obscurité que même nos regards nyctalopes ne peuvent percer. Quelques secondes s'écoulent, qui nous semblent des heures, qu'attend-on, par le sang de mes frères?!

Dans la puissante forteresse d'Orféor, le sombre Aîné se fige subitement, un rictus carnassier relevant ses lèvres dures en une parodie de sourire. Son esprit sonde à toute allure les trames alors qu'il se remet en mouvement, se dirigeant à vive allure vers ses appartements. En hâte, il s'empare de l'espadon forgé par ses soins durant d'interminables lunes, le dégage de son fourreau qui retombe, inutile, sur le sol recouvert d'épais tapis aux motifs géométriques. Un brutal éclat de ténèbres envahit la pièce, le Dragon s'engouffre dans l'arche qui vient de se former grâce à l'action de son apprentie, lui permettant de rejoindre en une fraction de seconde la jeune femme et ses soldats.

Nous éprouvons un mélange de soulagement et d'inquiétude en voyant apparaître notre maître, soulagement car nous savons que sa puissance est considérable, inquiétude parce qu'il ne se donnerait pas la peine de se déplacer pour rien, sa présence est un signe qui ne nous trompe pas: l'enfer va se déchaîner dans les minutes à venir, et après les heures que nous venons de vivre, nous peinons à imaginer pire situation, nous ne voulons pas l'imaginer. J'échange un regard anxieux avec quelques-uns de mes frères d'armes, les plus froids d'entre eux semblent gagnés par la nervosité ambiante, les moins expérimentés vérifient fébrilement leurs armes, les attaches de leurs armures, dardant des regards anxieux vers ce Dragon que nous connaissons à vrai dire bien peu, tant il aime à s'entourer de secrets. Le Noir quitte le triangle des gemmes, adressant un léger signe de tête à son apprentie pour lui demander de les récupérer, puis s'avance lentement vers la porte maudite, les yeux réduits à deux fentes incandescentes. Il examine quelques instants la surface argentée, puis se tourne brièvement vers notre commandant:

-Beau travail, Commandant. Des nouvelles des autres groupes?

-Non, Seigneur, voulez-vous que j'envoie des hommes pour tenter de les trouver?

-Inutile, et trop long. Nous ne pouvons plus attendre, les armées coalisées sont maintenant devant les murs de la Meute, le petit groupe qui doit nous dégager l'espace devant le Sereg Rinn vient de s'infiltrer et j'ignore combien de temps il nous faudra pour faire de la place de l'autre côté. Combien d'hommes vous reste-t'il?

-Trois cents dix sept, Seigneur, nos pertes ont été considérables...

-Bien. Je passe devant, vous me laissez une minute avant de lancer la première unité dans la Porte. Puis une minute encore avant de lancer la deuxième. La troisième restera ici, je veux qu'elle tienne ce lieu, au cas où d'autres parviendraient à nous rejoindre. Mais une heure, et une heure seulement, pas de zèle. Après quoi vous entamerez le retour avec tous ceux qui vous auront éventuellement rejoint, nous nous retrouverons au Krak si l'Oeil Vert le veut. Est-ce clair?

-Très clair, Seigneur.

-Parfait. Elynn, merci. Tu restes là, et tu rentres avec les survivants dès que possible. Prends soin de toi. Si je ne reviens pas, vas trouver Larme, pour autant qu'il s'en sorte, et donne-lui ce que tu sais.

La jeune femme s'apprête à protester, mais un regard sévère du Dragon la réduit au silence, et elle se contente d'acquiescer silencieusement. Sans un mot de plus, les traits figés et aussi glaciaux que le plus rude hiver, le Dragon s'engage dans la matière miroitante, son corps mutant à une vitesse folle pour se recouvrir d'écailles protectrices.

Nous restons seuls dans la caverne, nous, les rares survivants de l'invincible Légion d'Ivoire, et nous pressentons que notre temps s'achève. On ne revient pas des Enfers, quand on est un être des ténèbres.

Une minute. Ce n'est pas grand chose, une minute, et pourtant celle-là nous paraît durer une éternité. Aucun signe ne nous parvient de la porte damnée, pas le moindre mouvement n'agite sa surface moirée. Enfin, le commandant donne ordre à la première phalange de franchir l'huis, je regrette de ne pas en faire partie, tant attendre une minute de la texture de la dernière écoulée me paraît insurmontable. Et pourtant, l'entraînement d'airain que nous avons subi nous permet de demeurer presque immobiles, un observateur extérieur admirerait sans doute notre calme, nous semblons imperturbables. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette pensée, la façade est intacte, mais derrière...

L'ordre, enfin. Nous avançons en formation de combat, les premiers rangs disparaissent dans le lac argenté, et voilà que mon tour arrive, il n'y a plus personne entre le cercle maléfique et moi. Une terreur effroyable me saisit les entrailles, je voudrais être mort autrefois, je voudrais ne jamais avoir croisé la route du Dragon, ne jamais être devenu ce que je suis. Une hésitation, infime. Cette seconde qui précède le pas décisif me semble aussi interminable que les minutes précédentes, j'ai le temps de voir que tous mes frères éprouvent pareille angoisse. Mais nous sommes l'invincible Légion d'Ivoire, et nous avançons vers notre deuxième mort comme un seul.

(La suite ici: [Lien HTTP])

Edité par Noir-feu le 14/05/11 à 19:25

Celimbrimbor | 14/05/11 22:09

Boucle bouclée.
Ce fut laborieux mais finalement, tout est bien qui finit bien, n'est-ce pas ?

La Demeure Franche : [Lien HTTP]

Xüne | 14/05/11 22:23

superbe comme toujours.

Shadee | 16/05/11 17:06

* sourit aux ombres quand elle sent que le mouvement reprend joliment sa marche. *

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