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Noir-feu | 10/02/11 11:37
Elle gisait là, comme si elle jouait-sa vie d'un bond s'en était allée-avec l'intention de revenir-mais pas avant longtemps.
Emily Dickinson
Nuit sévère sur ce désert éclatant, laisse ta lune se lever pendant que je ferme les yeux.
William Blake
L'aube se levait, contrepoint orangé aux flots de lave qui séparaient le Krak de l'Aîné des Noirs des pics déchiquetés qui constituaient son plus formidable rempart. Un calme trompeur régnait dans la forteresse, enchâssée dans un cocon de silence qui aurait pu sembler lugubre à l'improbable visiteur. Dans les souterrains, une armée de vampires plongeait lentement dans un sommeil protecteur, chacun refermant soigneusement le couvercle de son cercueil malgré l'épaisseur considérable de rocher qui les entourait.
Plus haut, beaucoup plus haut, dans une tour dressée comme une injure à la face des dieux, une autre vampire dormait, une reine de ce peuple. Elle dormait depuis tant de lunes que la croire éteinte était une idée qui prenait lentement forme de certitude dans l'esprit de la jeune humaine qui veillait sur elle. Malgré tout, poussée par un sens du devoir acéré, elle arrangea les fins draps qui recouvraient sa silhouette gracieuse, passa avec délicatesse un linge humide sur son visage figé, comme chaque jour depuis près d'un an. Non que la moindre poussière soit en mesure de se déposer sur ce visage glacé, non que la moindre trace de saleté, ou d'odeur, ait prise sur la reine, car le Dragon avait tissé autour d'elle un cercle de runes, et en vérité, rien ne pouvait l'atteindre, hormis sa jeune apprentie Elynn et lui-même. Pourtant, jour après jour, le rituel qui consistait à lui nettoyer le visage se poursuivait, la plupart du temps effectué par l'humaine, parfois par le Dragon quand il trouvait la force de venir contempler sa compagne. Elynn savait qu'il valait mieux s'éloigner de lui après ces instants car, parfois, une rage aussi dévastatrice qu'un raz de marée le saisissait, et si elle ne pouvait être perçue que dans son regard, dénuée de la moindre manifestation physique, la jeune femme en tremblait d'effroi, craignant le jour où elle s'exprimerait librement. Elle avait vu de quoi le Seigneur de Num était capable, lorsqu'il l'avait tirée du marchand d'esclaves qui la tenait en son pouvoir et, comme à chaque fois qu'elle y repensait, elle frissonna, glacée jusqu'à sa frêle ossature. Les gardes aguerris du marchand avaient été aussi impuissants que des nouveau-nés devant la colère d'un père, quelques battements de coeur avaient suffi au Dragon pour les exterminer, et si elle supposait qu'il ne s'en prendrait jamais à elle, un immémorial instinct lui hurlait qu'une telle certitude était absurde, aussi préférait-elle ne pas tenter le sort. D'autres fois, c'était une triste lassitude qui gagnait Noir-Feu, si entière, si indubitablement issue d'un être à l'ancienneté inconcevable pour Elynn qu'elle en avait les larmes aux yeux, trop douloureusement consciente qu'elle n'y pouvait rien pour soutenir la vision de ces traits durs et froids, inhumains au possible. En vérité, il valait bien mieux se tenir à l'écart quand le Noir entrait dans la chambre de Xüne, et la jeune femme s'arrangeait toujours pour être prévenue de sa venue et se trouver ailleurs.
Ce matin-là pourtant, elle fut surprise dans son travail par la porte qui s'ouvrit, dévoilant la haute silhouette de Noir-Feu. Gênée, elle le salua d'une courbette, ne sachant trop comment s'éclipser car l'unique échappatoire était bloquée, et à moins de bousculer le Dragon, ce qui aurait été, elle le savait, une erreur grossière, elle était coincée. Elle se figea quand son regard se détacha d'elle pour se poser sur la forme endormie, souhaitant à cet instant être transformée en fourmi pour se cacher, s'enfuir, se fondre dans quelque chose de si petit qu'il échapperait à la glaciale attention du Noir. Quelques interminables secondes s'écoulèrent puis, enfin, Noir-Feu s'arracha à sa morbide contemplation, adressant un signe de tête à Elynn en guise de salut. Il murmura, à peine assez fort pour qu'elle l'entende, s'écartant d'un pas de la porte :
-Merci, Elynn. Laisse-nous.
Une onde de soulagement parcourut la jeune femme, qui rougit de honte d'éprouver telle sensation mais gagna tout de même la sortie libérée à petits pas pressés. Elle referma la porte derrière elle, et dévala les escaliers de la tour aussi vite qu'elle l'osait, ne s'arrêtant qu'une fois parvenue dans sa chambre, tremblant de tous ses membres. Dans la pièce obscure où reposait Xüne, le Dragon s'approcha du corps figé, détaillant longuement chaque trait de ce visage tant aimé. Comme chaque fois, il s'inclina, bien qu'elle ne puisse le voir, avant de prendre doucement sa main si froide pour y déposer un baiser, sentant son âme se déchirer un peu plus devant l'immobilité de celle qui avait capturé la dernière parcelle de lumière en lui. Il avait cru entendre sa voix, quelques jours auparavant, sous la forme d'une pensée qui l'avait poussé à revenir dans le monde des vivants, à abandonner la voie qu'il s'était tracée pour en finir enfin, quitter cette existence désormais dépourvu de sens, vide de présence, vide d'espoir, vide d'elle. Ses mâchoires se crispèrent fugitivement, alors que l'absolue inanité de sa vie le frappait de plein fouet, il réprima une brutale envie de défoncer la première chose qui lui tomberait sous la main, se força à rester immobile, tout son être renâclant sous l'effort immense que cela lui demandait. Longtemps, il resta ainsi, figé, plongé dans ses pensées, tournant et retournant chacune en tout sens. Puis, au bout de quelques heures, il soupira profondément, se dirigea vers la porte, fit tourner la clé dans la serrure et lentement, s'allongea aux côtés de sa femme. Ses yeux se fermèrent, son ample respiration se ralentit tandis que son esprit quittait son corps, dérivant vers un ailleurs que lui-même ne connaissait pas.
Shadee | 11/02/11 12:37
J'arrive à reconnaître le certain talent qui vous pousse toujours à aborder les mêmes chemins de traverse... Je vous dis donc à bientôt avec un nouveau choix qui vous conduira encore sur le même chemin.