Forum - [Rhumdhil] Requiescat In Pace.
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Sanaga | 04/02/11 15:02
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[Sale temps pour les claques-pain.]
Au travers même de l'épaisseur de lin qui lui couvrait le dos, le soleil tombant se montrait capable d'être mordant, hargneux comme l'eut été ce guerrier féroce, à l'armure forgée de signes tribaux, qui s'était apprêté à user de ses dernières volontés, farouches et déterminées, pour tremper sa hache extrémiste au creux de son cou. Et il y serait parvenu, n'eut été l'intervention d'un des derniers archers du camp Sanagien. C'est avec cette même ardeur miraculée qu'il brillait au faîte des nuages, faisant abondamment saigner ces derniers en amarantes ruisselantes. « Sal'té d'vie. J'pas trimé toute ma jeunesse pour vivr' c'jour. Pas cui-là. 'en voulais pas. » Ainsi était le soleil de Rumdhil. Lui et son habitude flambée de dévoiler sa superbe dès qu'il en avait l'occasion, planté au dessus des têtes comme le décors médiocre d'une scène de théâtre tragique. « Y doit bien s'rire d' nos tronches, lui, c'pas un cailloux qui l'touchera. » Il se gonflait d'orgueil dans l'atmosphère du vesper, et s'imposait à la vue des pauvres ères terrestres, comme un tableau increvable, vieux de milliards d'années, que n'avaient crevassé ni les années, ni les récits qu'il avait inspiré, ni l'air putride qui affleurait sous sa chaleur. Son image se gondolait dans la canicule astrale, la faisant danser au dessus des décombres. Ils auraient été plus d'un, en Rumdhil, à vouloir lui écorcher sa jolie petite gueule, à cette putain de girandole, tout juste bonne à enfanter l'évolution crasse, pour ensuite la corroder en rayonnant joyeusement. Une exposition qu'Arthur serait condamné à revoir chaque soir de sa vie, comme un rappel amer de cette soirée funeste ou sa terre promise avait vu gicler sur elle le sang de ses ouailles. Sale temps pour les chiens.
-Ouvrez-la à présent.
Arthur se détourna sous le filet de voix éraillé de la vieille pythie. Pour avoir regardé trop longtemps l'ingrate sphère céleste, ses yeux improvisaient une aura incolore autour corps allongé au fond de sa tombe. « L'aura jamais autant rayonné, songeait-il pauvrement. 'lui dois bien ça. » Les morts jonchaient la terre par petites centaines. Et pourtant, la vieille avait insisté pour qu'on évite au possible les fosses communes. Chaque corps semblait pour elle aussi précieux qu'un artéfact aux pouvoirs insoupçonnés. De fait, avec le travail de fossoyeur que cela engendrait, Arthur n'avait pu, pour son corps à elle, creuser qu'un trou bien peu profond, qu'une infime couche de terre suffirait bien à recouvrir. Du reste, la vieille affirmait pouvoir arroser le corps d'un liquide nidoreux qui suffirait à tenir au loin les bêtes carnivores et les rapaces.
Comme le village ne possédait qu'un croque-mort, les corps se voyaient expédiés sous terre dans un sermon précipité par la lourdeur de la tâche à effectuer encore, vite avant que l'odeur ne devienne par trop insupportable. Mais pour elle, au moins pour elle, Arthur avait tenu -de bonté de coeur peu usuelle chez lui- à procéder à une oraison décente. Et la vieille Gretaine prétendait pouvoir assumer ce rôle. L'ayant vue à l'oeuvre, il ne pouvait qu'en convenir. Elle montrait une certaine adresse en la célébration des âmes, et Arthur ne doutait pas que les corps broyés sous la masse ennemie, les corps faillis sur les piques improvisés, les corps ennemis qui, soulevés, étaient retombés sur les corps amis, indissociables comme de vieux amants réconciliés après un temps de guerre, les corps aux plaies brûlées par ce même soleil couchant, les corps qu'avaient dénaturé l'angle improbable de leurs os résiduels verraient leurs âmes apaisées à jamais.
-Ouvrez-la.
Arthur hésitait encore, l'épais épieu à la main, à procéder à la suite du rituel. Mais la vieille se montrait d'une patience si remarquable qu'il avait fini par lire de la bonté entre les lignes incroyablement creusées de son visage mimétique. Et si c'était le prix pour délivrer son âme, sa foy, il le ferait. Agenouillé à la tête de la fosse, il se pencha sur le visage pâle, posant un paluche incertaine sur la joue fraiche. Qu'elle soit raide comme une trique, il s'y était attendu, ça oui. Mais il eut peur de dénaturer son visage, le défaire de ses traits comme la face ruinée qu'il avait vue rentrer au campement, l'autre jour, pilonné de crevasses béantes, comme par un instrument du diable; elles avaient drainé sur la peau autrefois fine, des sangs bouillants qu'avait séché l'air du soir, comme de vieux volcans tremblants et pleurants. Qu'il l'abîme maintenant n'aurait plus d'importance, Arthur savait que ce visage allait perdre ses chairs. La mort avait une sale gueule.
Il inséra ses doigts terreux entre ses lèvres, puis força la barrière de ses dents, là, doucement, comme un premier baiser. « 'damm, y r'monte à loin, çui-là. » Et retenant le haut du crâne il tira la mâchoire vers le bas d'un coup sec, détournant ses yeux résolument fermés, pour lui ouvrir la bouche. Le craquement sec qui vibra entre ses mains déclenchèrent la dégringolade, depuis son front, de quelques sueurs affolées; comme lors de ses jeunes jours où, voyant s'amorcer la chute d'un précieux vase de Chynedhil, il se bouchait hermétiquement les oreilles, croyant solidement que si le son était atténué, le vase ne pourrait pas casser, jamais. Risquant un oeil sur la mâchoire du cadavre, Arthur se rassura: l'ouverture, sans être démise, accueillait juste la place qu'il lui fallait pour la tâche qui allait suivre. Et tandis que Gretaine poursuivait son sermon sur la purification des corps et l'échappée des âmes, Arthur introduisit dans la bouche de la défunte l'embout affuté du petit épieu, qu'il déposa sur son palais supérieur, suivant une ligne imaginaire qui le reliait au nez, plus haut. Il dut forcer plus encore pour percer les muqueuses, casser les os et atteindre l'arrête du nez.
Malgré sa force pataude, Arthur tint si bien à préserver la tête morte de toute brusquerie qu'il manqua basculer à son tour dans la tombe. Dans un brusque retour en arrière, le cramponnement de ses mains fit jaillir la pointe de l'épieu au travers du nez cadavéreux. Il n'eut plus, non sans dégoût pour cette figure qu'il avait connue plus désapprobatrice, qu'à enfoncer légèrement plus le petit épieux pour pouvoir reposer l'autre bout, plus large et arrondi, sur la langue noircie. Arthur contempla avec dépit son oeuvre. La figure à présent ressemblait à une pathétique parodie de goule, la bouche aussi béante que celle des guerriers condamnés qui, vivants, gueulaient à corps perdu avant de s'élancer sur les rangs nains, ou ceux qui, morts, adressaient encore un simulacre de douleur au soleil rouge en l'implorant de cesser là leurs souffrances. Gretaine s'avança, une écuelle posée sur ses mains froissées. Et Arthur de s'écarter pour qu'elle puisse, à son tour, sortir de ses fripes une bourse miteuse contenant de petites boules pâteuses qu'elle avait appelé 'graines de résurrection'. Elle piqua l'une d'elles sur la pointe du petit épieux, avant de se relever en craquant de tous ses membres.
-Si sa gorge bée suffisamment, l'âme, lorsque le temps sera venu, pourra recouvrir sa liberté, et la paix qu'elle mérite. Et une fois que la terre l'aura recouverte, elle vivra à nouveau, nourrie par le vivifiant terreau. Elle revivra, s'élèvera, et alors, plus rien ne sera en mesure de la tourmenter. La terre retourne à la terre, acheva-t-elle d'une voix tressaillante en glissant un regard à Arthur, lequel détourna vivement les yeux, qui se posèrent par hasard sur la bourse de laquelle Gretaine avait sorti sa graine. Il crut en apercevoir de différentes sortes comme avant qu'elle n'en tire les cordons, comme une collectionneuse maniaque.
-Bien...bien...qu'elle 'vive' en paix, alors, et puis qu'rien la tourmente pus, bégaya-t-il nerveusement.
-Vous vous y connaissez, en levain, n'est-ce pas?
Sentant bien l'inutilité de hocher la tête à une question qui n'attendait de lui aucune réponse, Arthur s'écarta encore de la tombe. Dans l'écuelle précieusement gardée, Gretaine laissait reposer un liquide miroitant qu'elle avait invoqué comme étant de l'ectoplasme, une aura immatérielle qui voilait les corps dont l'âme n'avait pas encore atteint leur état de sérénité: les errants. Sans se préoccuper de l'oraison de laquelle il ne connaissait rien, Arthur se contenta de la regarder en égrener quelques huiles sur le corps de la défunte, avant d'y jeter lui même quelques grains terre. Le temps viendrait de l'ensevelir, après lui avoir adressé une dernière prière.
-Vous me pardonnerez, grinça la vieille en transvasant le contenu de son écuelle dans une vieille gourde. J'ai encore quelque blessée à veiller.
Arthur hocha la tête, sa folie ne l'avait toujours pas quittée, qui lui imposait de retrouver cette âme Élue qu'elle sentait toujours présente dans le village en ruines. Mais en l'absence de médicastre, elle dispensait elle-même les soins. Et ils étaient peu, ceux qui prétendaient pouvoir s'en passer. L'ancien cuistot se contenta de joindre les mains en fixant le visage de sa défunte bonne femme, dont la bouche béante et son étrange pieux libérateur étaient éclairés par les derniers rayons rougeâtres. Arthur Lavendan maudit le couchant de lui imposer cette dernière vision nauséeuse. Il le pria d'aller se faire le témoin d'autres foutues scènes, et de le laisser, d'un pouce terreux, écraser une larme perlant le long de sa joue rugueuse.
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De Legier Vovlloir Longve Repentance.
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Edité par Sanaga le 04/02/11 à 15:46
Celimbrimbor | 04/02/11 15:57
Voici un évènement regrettable et, au contraire de ce cuisinier maudit, j'enrage de ne pouvoir écraser mes larmes.
La Demeure Franche : [Lien HTTP]
Noir-feu | 04/02/11 19:21