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Celimbrimbor | 31/12/10 18:56
Le pays avait beau être de détresse et de misère, sa terre souillée par des engeances que le monde n'avait pas été fait pour porter, les cieux pesaient sur lui comme partout ailleurs, le soleil y brillait et les étoiles scintillaient doucement dans un bruissement à peine couvert par les musiques des sphères. La terre vibrait doucement à un rythme d'elle seule connu, ou presque, transmettant ses basses sourdes au paysage désolé sur lequel il avançait tête nue, les pieds dans l'herbe éparse, les cheveux un peu agité par une bise discrète qui le rafraîchissait. Au-dessus, très au-dessus de lui, gisait un territoire dont il possédait, dans son bureau, une carte imprécise, faite de terrae incognitae sans fin, avec, ça et là, dispersées dans logique, quelques taches de connaissances. Il savait bien que la carte n'était pas le territoire et que jamais nul homme n'irait là-haut, encore moins lui, pour explorer cet inconnu mais, le cou tordu pour admirer les étoiles, il ne pouvait s'empêcher de souhaiter y mettre le pied, qu'importe ce que fût ce « y », l'important était d'y être, d'y advenir un instant pour découvrir, pour connaître et, peut-être, en revenir et raconter des histoires aux hommes du corps de garde, aux scribes des bibliothèques ou aux enfants qui bondiraient sur ses genoux, eux capables, contrairement aux autres, de reconnaître les vérités qui sortiraient de sa bouche comme telles, tandis que les gens le traiteraient de menteur.
Un soupire s'échappe de ses lèvres comme par mégarde, un simple souffle qui se transforme en brume légère dès qu'il entre en contact avec l'air trop froid du dehors et qui vient flotter un instant devant lui, dispersée bien vite par sa marche indécise et sans but. Dans sa main, la dernière missive de son employeur, lui réitérant sa liberté absolue, lui assurant que ses parents vont aussi bien qu'ils peuvent aller et qu'il n'a qu'à faire ce qui lui chante. Le général ne comprend pas. Ce qui n'est pas nouveau, évidemment. Le général n'est pas réputé pour sa capacité suraigüe à comprendre les choses ou sa perception toujours redoutable du monde qui l'entoure.
Au loin, il distinguait, imperceptible ou presque, les reflets chamarrés de la frontière entre les terres communes et le territoire de la forteresse. Que de choses avaient changé en peu de temps dans la nuit parfumé. Plein étaient arrivés, le coeur et l'esprit empli de rêves de grandeur, voulant sans doute paraître important pour une donzelle quelconque ou, simplement, jouant le jeu intemporel du mieux monté pour se faire valoir, tout simplement. D'autres, moins nombreux, s'étaient nichés sur d'anciennes ruines, de mauvais souvenirs ressuscités. Pourtant, le ciel n'avait pas changé, comme moqueur au-dessus des mortels, indifférent. Qu'en avait-il à faire, lui, de ce qui se passait sous ses yeux ? Après tout, les géants se préoccupaient-ils des guerres des fourmis ? Non, non, sans doute. Il regardait encore vers l'immensité froide qui ne lui renvoyait aucun regard. Aucun ? Il lui semblait, pourtant, alors qu'il plongeait ses yeux dans les profondes ténèbres piquetées de lumignons sans force que, s'il allait suffisamment loin, s'il se concentrait suffisamment sur un point, sur un seul, qu'importe lequel, alors parfois, un regard, semblable au sien, lui répondait, perçait l'opacité vide pour venir le trouver, lui, et lui délivrer un message sans mot, sans couleur ou odeur, un message qu'il n'arrivait jamais à déchiffrer et que le temps ne lui laissait jamais entendre complètement. Ses pieds se décollèrent du sol en un petit bon presque inconscient, ses bras se tendirent, ses mains s'ouvrirent.
Sa vie, il l'a dédié à la cité. Résultat que son employeur n'avait pas prévu. Peu importe son ancienne existence. Il n'est pas sa famille. Il n'est pas son passé. Il n'est pas ses amis. Il est son devoir. Et son devoir est envers la cité. Lui, le dernier général stationné sur ce continent maudit. Voilà ce qui avait fait sa renommé dans l'armée, voilà ce qui l'avait conduit jusqu'à ce rang. Il ne réfléchissait pas vite et souvent s'emportait, mais sa fidélité est sans faille et il mourrait que de trahir les intérêts de la cité. Ainsi est la réputation du général et ses hommes l'ont suivi dans tant de bataille pour en sortir vainqueurs que leur confiance est absolue. Maître stratège quand le temps l'ordonne, paisible gardien de la cité quand la paix règne. Cependant, aujourd'hui, tout cela n'a plus vraiment de sens.
Ses doigts effleurèrent la voute. Une seconde s'écoula, peut-être un peu plus, peut-être beaucoup moins, et puis ses pieds retombèrent sur la terre humide. L'harmonie était perdue et irrécouvrable. Il resta immobile dans l'air nocturne puis remit les mains dans ses poches. Il était allé trop loin.
Ils étaient allés trop loin et lui n'aime pas revenir sur ses mots. Qu'ils continuent de se faire mousser si tel est leur plaisir, la cité n'a aucun intérêt ici. Il penche la tête sur le côté. Ce n'est pas sa guerre.
« J'ai à vous parler. »
Un pas. Et puis plein d'autres, qui s'enchaînent dans une sorte de brouillard léger, comme ces instants étranges où les choses se déroulent sans y prendre garde, sans que personne ne sache pourquoi, simplement suivant une logique pure et belle qui veut qu'après telle se produise telle, quand bien même la causalité voudrait l'inverse ou que les esprits chagrins l'en empêcher. Il pousse la porte de la salle.
Comme de juste, il l'attend déjà. Il l'attend toujours. Jamais il ne l'a connu autrement qu'attendant, mais sans expectative, comme s'il attendait non pas une réponse ou une parole, mais simplement la confirmation de quelque chose qu'il connaissait déjà, un mouvement involontaire du visage, un réflexe quelconque. Petit à petit, il l'avait vu se détacher du monde, flotter un peu plus vers ses terres inconnues que lui ne pourrait jamais parcourir. Il attend, comme une pierre peut attendre. Comme l'espace entre les choses pourrait attendre. Il se découpe contre la lumière de l'astre menteur qui entre à grands flots par la fenêtre simple, comme du vif-argent, s'écoulant et remplissant la pièce, bondissant et rebondissant de mur en mur, glissant entre les pièces du jeu d'échec, rampant sur le parquet luisant, remontant contre les colonnes de pierres brutes, tapissant les boiseries des bibliothèque, s'immisçant entre les pages des livres sur les étagères, qui pénètre ses narines et emplit ses poumons, plus pur encore que l'air sur la plaine où il était une éternité, une heure auparavant, qui lui rend, pour une seconde, espoir : quelque chose de bon peut arriver. La contrelune l'empêche de distinguer autre chose que l'ombre de la silhouette mais il sait qu'il sourit, il ne sait comment, mais il sait le fin sourire affiché par les lèvres sèches sur le visage tiré au couteau, ce sourire qui ne signifie rien, mais qui, s'il n'ouvre à aucune joie, ne connaît aucune déception également. La lumière s'atténue sans rien perdre de son intensité et il voit enfin le sourire. La bouche s'anime, dit quelque chose, qui prend son temps, dans l'air liquide, pour arriver jusqu'à lui, bas comme la pluie, doux comme le vent.
« Ce n'est pas votre guerre, ainsi ? Qu'en dira-t-il ?
-Seul compte la cité.
-Il vous a rendu votre liberté ainsi. Bien, vos parents sont en sécurité jusqu'à leur vieux jours.
-Et la cité ne veut pas de cette guerre.
-Que veut la cité ? »
La question. La seule, finalement, qu'il s'est jamais posé, sans trouver de réponse convenable, n'en pouvant qu'approcher, parfois une approximation d'approximation, pour manoeuvrer au mieux et faire la cité meilleure. Que veut la cité ? La paix, sans doute, la paix, depuis qu'elle a perdu sa volonté de puissance et que la soif de conquêtes l'a laissé inanimée, étendue dans sa bile sur le sol de l'histoire. La paix. Voici ce que veut la cité, voici ce qu'elle a toujours voulu. Qu'importe la reconnaissance, qu'importe la gloire. La paix. Seulement la paix.
« Il y aura d'autres moyens de se battre ?
-Ne vous en faites pas général : ils y arriveront très bien. Cela leur donnera de la gloire et l'impression d'être.
-Et la cité ?
-La cité... Sera entre dans les brumes du temps, Général. Nulle part ailleurs. Et vous aussi, tous. Dans l'entre deux, invisibles, inaccessibles mais actifs.
-Piégés ?
-Non, ailleurs. Cela vous convient-il, général ?
-La cité a-t-elle le choix ?
-Je ne crois pas.
-Alors cela lui convient. »
Il a disparu avant que je ne finisse ma phrase. Agaçante habitude que la sienne. Par la fenêtre, le bouclier semble avoir disparu et la cité est de nouveau visible à tous. Pourtant, je ne sais quoi, quelque chose me pousse à lui faire confiance. Dans l'entre deux... Nous apprendrons ce que c'est et à vivre avec. Comme nous avons toujours fait. Comme la cité toujours fera, tant qu'il y aura des hommes pour porter sa flamme en eux. Rome prévaudra.
Et tandis que la forteresse romaine sur Certadhil vacillait dans la réalité pour venir se loger précisément entre deux plans, là où aucune créature ne viendrait la chercher, faisant de ses hommes des participants des deux mais visibles d'aucuns, le dernier général des légions appuya ses coudes sur le rebord de la fenêtre. Arctinöos soupira une dernière fois, volontairement et à son aise. Il leva les yeux au ciel pour se noyer dans l'infini qui s'ouvrait à lui et, alors que l'air d'un seul coup changea, un sourire sincère éclaira ses traits : la paix.
Edité par Celimbrimbor le 31/12/10 à 19:03
Gzor | 02/01/11 17:03
Ainsi s'élevèrent et survivèrent les Romains...
Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn!
Phaeril | 06/01/11 19:41
J'ai eu l'occasion de croiser Sanaga cette lune, ne vouliez vous pas venir la chercher ?
Malheureusement je n'ai pas vraiment eu le temps d'échanger ne serait ce que quelques mots avec elle, mais quelque chose me dit qu'elle nous a aidé à sa façon.
"Mieux vaut commettre une erreur avec toute la force de son être que d'éviter soigneusement les erreurs avec un esprit tremblant."
