Forum - L'innommable a un nom: Haine.

Le Sans-nom | 19/12/10 03:25

La salle est de taille moyenne, l'un des pans de murs végétaux avait dû accueillir autrefois une cheminée, éteinte depuis bien longtemps, seule demeure un peu de cendre, l'air est glacial dans la pièce. L'atmosphère est monacale, pour tout mobilier on trouve une longue table de bois sombre ainsi qu'un fauteuil rustique, la seule décoration est une grande tenture blanche marquée d'un triangle écarlate qui pend au mur opposé à celui qui avait contenu la cheminée. Sur la table, quelques missives, des parchemins neufs, un encrier très conventionnel, un pot de terre cuite contenant quelques plumes simples, le tout est rangé avec une méticulosité presque maniaque. Une main chatoyante trace avec élégance quelques symboles sur un parchemin vierge, puis range la plume, agitant légèrement la missive pour en faire sécher l'encre, aussi écarlate que le symbole dessiné sur la grande tenture. Cette même main frappe légèrement sur la table, sans impatience. En réponse, trois coups feutrés résonnent contre la porte principale, qui s'ouvre presque aussitôt. Dans l'encadrement, apparaît le visage grisâtre et grimaçant d'un diablotin, qui se courbe devant l'être chatoyant assis devant la table avec une remarquable obséquiosité.

-Ô Maître, que dois-je accomplir en Votre Sainte Innominée Grandeur ?

-L'impure créature connue sous le nom de Shadee désire me rencontrer. Assure-toi qu'elle arrive ici en vie, et qu'elle soit convenablement apprêtée. Je la verrai à la haute lune, après la cérémonie.

-Ton Verbe est mon ordre, Ô puissant Maître du Triangle Écarlate. J'obéis.

-Convoque le Grand Inquisiteur. Qu'il vienne me faire son rapport. Maintenant.

-Ton Ve...

-Vas.

Le diablotin vire au blanc spectral, sous le poids de l'attention du Maître, et de toutes ses ailes ramassées, il volète dans les infinis couloirs de l'immense cité, échangeant de temps à autre quelques caquètements virulents avec d'autres de sa race. Il finit par trouver le Grand Inquisiteur sur le chemin de ronde de l'enceinte extérieure, en train de peaufiner la mise en pal de l'espion capturé la nuit précédente. L'inquisiteur sourit hideusement au souvenir de la savante question appliquée avant le lever du jour à l'insensé. Le bourreau avait découpé de fines lanières de peau sur le torse de l'hérétique, sans les détacher entièrement. A la moitié de la poitrine, il avait avoué le nom de sa commanditaire, une certaine Tala. L'information avait fait secouer lentement la tête au Sans-Nom, qui avait ordonné que les hérétiques soient exposés sur les enceintes. Il n'avait pas précisé la manière, ce qui réjouissait tout particulièrement le chef de l'Inquisition, satisfait de pouvoir laisser libre cours à sa fertile imagination sur les méthodes les plus efficaces pour circoncire l'hérétisme. Il avait donc ordonné au bourreau de poursuivre son travail sur le ventre de l'espion, puis par un fin crochet de fer, l'avait fait empaler à mi-hauteur du mur extérieur. Savant, il avait ensuite fait clouer chaque lanière de peau de part et d'autre de sa victime hurlante, puis ses bras écartés. Il s'était rendu dans la plaine en contrebas pour mieux en apprécier l'effet. La vision lui avait fait penser à un aigle écartelé, sanglant, il avait trouvé cela en parfaite harmonie avec la vénéneuse citadelle, s'était plu à imaginer ainsi une multitude de fleurs sanguinolentes décorant l'obscure masse inquiétante. Leurs chants conjugués l'auraient amené au paroxysme de la béatitude, comme toujours, et il recherchait ces instants avec ferveur, les provoquait, parfois. Il était revenu sur le chemin de ronde pour mieux savourer les hurlements purificateurs de l'impie quand le diablotin le trouva.

-Le Maître veut votre rapport, ô Grand Inquisiteur.

-Tu me déranges pendant les chants liturgiques d'avant messe, grossier messager. Enfin soit, j'irai. A-t'il parlé de l'impure que mon serviteur amène ici ?

-Oui, ô Grand Inquisiteur. Il a dit qu'elle devait arriver en vie et apprêtée.

-Apprêtée, vraiment ? Par l'Infini, espère-t'il donc qu'elle se convertisse sincèrement ?

-Je ne connais pas les desseins du Maître, ô Grand Inquisiteur.

-Non, évidemment. Tu es loin de la pureté requise pour entrer dans le Saint Clergé. Quand veut-il la voir ?

-Après la cérémonie, ô Grand Inquisiteur.

-Parfait, cela nous laisse un peu de temps pour la préparer convenablement, son corps tout au moins, car son âme est si souillée qu'il faudra employer les grands moyens. Ha, si on me laissait faire, ce plan serait vite un pieux diocèse, je te l'assure !

-Euh, oui, ô Grand Inquisiteur. Le Maître vous attend...

-C'est juste. Ne reste pas là à ne rien faire ! Va dire aux frères templiers de mettre l'impie au cachot quelques heures, avant les ablutions rituelles. Rappelle-leur que la question ne doit pas lui être appliquée pour l'instant.

Le diablotin s'incline bassement, voletant pour accomplir sa nouvelle tâche tout en récriminant sur la condition de serviteur tandis que l'Inquisiteur se rend auprès du Sans-Nom sans plus tarder. Il est inquiet, nerveux, comme toujours lorsqu'il doit aller lui faire son rapport. Malgré son poste important, il sait que le moindre faux pas le conduira aux côtés de l'espion, sur les murs, c'est ce qui est arrivé à son prédécesseur, malgré des appuis importants au concile du Triangle. Il ricane en y repensant, satisfait d'avoir monté de toutes pièces l'histoire de trahison qui lui a valu sa promotion, il entend encore avec délices les suppliques de l'ancien Inquisiteur, visiblement plus doué pour infliger la douleur que pour la supporter. Son faciès redevient grave alors qu'il frappe à la porte du Maître, chaque parole devra être pesée soigneusement, son rapport concis et efficace, il sait que son existence en dépend.

-Ah. Grand Inquisiteur. Alors ?

-Ô Maître, la plupart des pactes ont été respectés. Toutefois, la créature Shadee n'a pas livré l'intégralité de la dîme.

- Quoi d'autre ?

-La Sainte Inquisition pense également que l'impie Tala devrait être punie de son audace, ô Maître, tout comme le Démon Rat. Notre Seigneur, loué soit-il, exige des purifications lentes, mais fermes, vous le savez...

-Ne suis-je pas Son Verbe, Inquisiteur ?

-Évidemment, Ô Maître des cohortes. Oserais-je...

-Les prisonniers te seront remis afin d'être élevés vers l'Infini Seigneur.

-Merci, ô Maître.

-Laisse-moi.

Plus tard, une importante cérémonie se déroule, le comité est restreint, seul le Maître et les Seigneurs des Limbes sont présents, formant un triangle équilatéral devant le Sereg Rinn. L'une des pointes, représentée par le Sans-Nom, fait directement face à la Porte de Sang qui irradie de toutes ses ténèbres pour faire croitre les cités des Elus. De longues heures durant le Maître psalmodie d'étranges versets liturgiques, dans une langue inconnue des êtres de ce plan, tantôt suppliant, tantôt paraissant ordonner, et le Cercle de Sang redouble d'obscurité alors qu'une voix s'en élève brièvement, semblant provenir de partout et de nulle part. Ses mots ne sont en rien compréhensibles, mais ils tracent pourtant la voie de ses fidèles, les visages sont extatiques de cette réponse sommaire. Plus tard encore, le maître songe à ce qu'il a entendu, assis dans son bureau alors que retentit la voix d'un inquisiteur :

-Elle est là, Seigneur.

-Qu'elle entre. Amenez un deuxième fauteuil, de l'eau propre et un verre.

-J'obéis Maître.

Un Diablotin officie avec diligence, observant du coin de son oeil jaunasse la scène, ne s'interrompant que pour traîner à grand bruit un fauteuil ancien mais encore confortable depuis la pièce voisine. Il récrimine en sourdine lorsque le Sans-nom le chasse d'un signe, mais s'exécute néanmoins avec promptitude. Dans le bureau, l'Innominé Maître des Saintes Armées scrute la créature qui lui est amenée, vêtue d'une simple robe de bure.

-Enlevez-lui son masque.

L'inquisiteur qui a amené la femme s'empresse, et dégage les yeux de la jeune femme, puis s'incline devant le Sans-nom avant de se retirer, accompagné des deux Seigneurs des limbes qui ont surveillé l'hérétique. Le Maître dévisage à travers les fentes étroites de son heaume le visage de la créature, longuement. D'un geste de la main, il lui indique le fauteuil amené à son intention, ainsi que l'eau, gardant le silence jusqu'à ce qu'elle ait pris place. Puis, sa voix s'élève, doucement modulée, calme:

-Vous avez pris beaucoup de risques pour me rencontrer. Que me voulez-vous?

Edité par Le Sans-nom le 19/12/10 à 03:47

Althâr Anthâar | 20/12/10 02:10

Pauvre minette... J'arrive, je vais vous consoler comme il se doit

Shadee | 21/12/10 19:03

Un frisson parcourut Shadee, ce n'était pas vraiment le froid qui lui provoquait cette réaction, mais plutôt la présence qui dardait son attention obscure sur sa personne. Une magie occulte hantait les ombres de son heaume, elle le ressentait dans ses chairs. Assise dans le fauteuil, elle regarda sur ses arrières pour découvrir qu'ils étaient bel et bien seuls pour cette entrevue. La robe de bure lui démangeait la peau. Elle fit abstraction de cette désagréable sensation pour se concentrer sur le moment qui marquerait un tournant dans sa vie d'une façon ou d'une autre.

Le verre d'eau avait de quoi la tenter tant sa gorge était en feu à cause de la soif. Néanmoins, par fierté, elle n'y toucha pas. Après quelques secondes de silence qui lui servirent à se recentrer, elle lui répondit au Sans-Nom :

« Je viens à vous afin de vous faire partager mon intérêt. Je désire recevoir votre enseignement afin de connaître une autre facette de la vie. » Elle s'arrêta un instant en s'enfonçant dans son fauteuil, puis réunit ses mains devant elle, son regard dériva sur l'immense tenture blanche qui portait la marque du triangle écarlate. « je sais que votre vision est particulière et je souhaiterai en connaître toute l'immensité. »

Le Sans-Nom n'esquissa aucun mouvement, puis se pencha quelque peu en diffusant sa voix si caressante :

- Créature, comment vous croire? Mes subordonnés m'ont appris que vous n'avez pas versé la totalité de la dîme.

- Je l'ai fait. Votre inquisiteur a partagé un contrat oral que j'ai très bien écouté. Chaque lune, je prends soin de respecter votre volonté.

- Vraiment ? Que pouvez-vous savoir de ma volonté puisque celle-ci me vient du Très Infini Seigneur ?

Malgré elle, son regard coula vers le verre d'eau qui devint de plus en plus tentant. Ses mains se resserrèrent pour ne pas faiblir. Quand elle se rendit compte de son geste, elle se protégea, comme elle faisait si bien, dans le cocon serein de son être. La voix de Shadee ne trahissait pas son anxiété lorsqu'elle lui répondit avec calme :

« - Je n'ai absolument pas l'orgueil, du haut de ma petitesse, de connaître vos desseins. Je me contente de ce qui m'a été offert pour accomplir vos ordres. » Elle respira profondément pour y puiser du courage « J'ai remarqué que vous avez brisé notre pacte. Cela fait trois lunes que nul soutien de votre glorieuse engeance ne vient plus défendre mon royaume d'éventuelles attaques. Avez-vous conscience que je suis en danger ? C'est pourquoi, à partir de ce jour, je ne vous donnerai aucune armée. »

Un long rire hanta le bureau, il n'était ni menaçant ni moqueur, uniquement enchanteur. Il avait dans ses mélodies une délicieuse douceur trompeuse.

- Shadee, créature des éléments. Vous êtes audacieuse. Effectivement vous êtes en danger, à présent. Prenez cette eau qui vous fait tant envie, souffrir en vain ne sert aucune cause.

Sous les ombres attentives du Sans-Nom, Shadee chercha à deviner ce qui se cachait sous ce heaume. Elle hésita, puis finalement se pencha afin de boire une gorgée d'eau qui lui parut exquise. Elle s'éclaircit la gorge en reposant le verre sur la table. « Comme vous le savez, sans doute, j'ai un désir qui prime : celui de la connaissance. Aussi, je me permets d'abuser de votre immense bonté, si vous me l'octroyez, en vous demandant de bien vouloir me céder un seigneur des limbes. Ceci afin que je puisse apprécier l'infime pouvoir qui hante chacun de vos serviteurs. Finalement, ce n'est pas grand-chose face à votre immensité. Ce n'est qu'une miette de savoir »

Son coeur battait à tout rompre, elle avait l'impression qu'il allait même sortir de sa poitrine pour bondir sur table, alors le sans-nom le broierait sans nulle pitié dans sa paume. Les yeux de la demi-elfe, investi par la vie, fixèrent sans ciller le sombre seigneur. Elle se prépara à affronter son courroux. Étrangement, rien ne se passa comme elle l'avait pensé.

- Est-ce tout ? demanda-t-il posément.

- Oui... Si vous acceptez ma doléance, je me convertirai suivant vos rites, j'utiliserai mes talents pour vous servir en retour si je puis boire au puits de votre sagesse.

- Est-ce vraiment tout ?

Shadee se figea un instant. Il avait lu au-delà de ce qu'elle voulait montrer. Ce malaise s'intensifia lorsqu'elle tenta de résister. Pour éloigner ce sentiment d'être mise à nu, elle répondit à brûle-pourpoint:

- Avez-vous une emprise sur le dragon Noir-feu ?

- En quoi cela vous intéresse-t-il ?

- À vrai dire, je n'en ai cure de son sort. Je souhaiterais simplement savoir si vous pouvez défier le roi de Num. Si votre puissance parvient à faire de lui un outil à votre grandeur. S'il vous plaît, permettez-moi d'en avoir la connaissance.

- Assez.

Le Sans-Nom se leva de sa chaise, l'ombre de sa silhouette grandissait démesurément. A son ordre, le diablotin et les deux seigneurs des limbes franchirent la porte du bureau. Shadee se retourna soudain et dévisagea le Sans-Nom. Autour d'elle, la magie des éléments crépitait dans l'éther pour prévenir la moindre menace.

« Conduisez-la où vous savez. Je l'ai assez entendue, elle aura les réponses quand le moment sera venu. » Il dépassa Shadee sans une marque d'attention bien que les dernières paroles lui fussent destinées « Le temps n'est plus à vous, je dois rendre hommage à l'Infini Seigneur. Ayez l'obligeance, de ne pas faire d'actes inconsidérés avec vos tours de passe-passe élémentaires, vous êtes mon hôte en ce lieu, ne soyez pas discourtoise. »

Les mots de Shadee restèrent dans sa gorge, elle se concentra à l'extrême pour ne pas déployer la fureur des éléments qui charriait toute la haine qui coula soudain dans ses veines. Le masque se plaqua contre son visage et des mains glacées s'emparèrent d'elle pour l'entrainer dans les tréfonds de la cité venimeuse.

Shadee | 05/01/11 10:16

Les paroles du seigneur de limbes, aux sonorités spectrales, flottèrent dans l'air comme dans l'esprit de Shadee. Elle observa longuement les portes une à une. Elle se mordilla la lèvre inférieure, un tic qui apparaissait souvent lors de ses réflexions. Son regard habité par les éléments se posa sur son interlocuteur puis glissa de nouveau vers les trois choix qui lui étaient présentés. Sans l'ombre d'une hésitation, elle avança sans se soucier de ce qu'elle avait le droit de faire ou non, la curiosité était plus forte que les convenances. Ses doigts effleurèrent les sorties, chaque perception était différente et étrangement grisante malgré le danger. Elle se retourna soudain vers le seigneur lorsqu'elle s'arrêta devant la porte désignée comme celle de la vie :

- Si je choisis celle-ci, viendrez-vous avez moi à Talwinn ? De même, est-ce que le Sans-nom apportera sa clémence aux combattants ? Un grand seigneur tel que lui peut se sacrifier pour apporter sa béatitude au peuple. Pour cela, il peut offrir ses serviteurs chez eux afin de démontrer que sa générosité est grande, que la vie et la mort ne font qu'un et que vouloir les dissocier est insensé. Je voudrais aussi que vous me précisiez : celle-ci me rapproche du Sans-nom et non pas de Gretaine, c'est bien cela ? En aucun cas, je ne désire me lier avec elle. À part, la visite de son loup-garou, elle n'est digne d'aucun intérêt. Je ne porte pas dans mon estime les personnes silencieuses refermées sur elle-même : vous et le Rat avez pris le temps de me répondre, de venir au rendez-vous que j'ai fixé aux géants de pierre. Elle suit le Sans-Nom comme un bon chien, voilà tout ce qu'elle représente à mes yeux, piètre lien de sang d'Olt. Si je dois me rabaisser à être comme elle, alors non, ce n'est pas la vie, c'est être un pantin inintéressant. Je préfère être franche avec vous, comme vous dites le temps des mensonges est révolu.

Shadee | 05/01/11 16:38

( texte composé avec la participation du Sans-Nom)

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Ce dernier discours ressembla à l'alizé. Aucun souffle nouveau ne serait possible: rien que l'aridité, la sécheresse, la fin de la vie pour la suprématie de la mort. C'est alors que toute la démence suppura de ce discours et fit naître un sourire d'une rare sérénité qui glaçait la colère de Shadee, l'endormait un instant.

Jamais elle ne suivrait une voie qui la force à ployer l'échine. Jamais elle ne sera loyale envers une entité qu'elle hait. Encore une fois, les véritables réponses qu'elle attendait étaient noyées dans la volonté du Sans-Nom. Peut-être qu'il ne pouvait simplement pas y répondre et cette réplique était une échappatoire pour de beaux sermons. D'ailleurs où était-il pour ce moment crucial susceptible de lui offrir une fidèle qui répandrait sa bonne parole ? À cette pensée, une lueur de folie traversa ses prunelles : comment avait-elle pu croire en la sincérité de ce seigneur ?

Trois choix, trois chemins.

Dans l'esprit de Shadee, ils prenaient une tout autre signification, les définitions de l'entité des limbes étaient empreintes de fausseté. Pourtant, le temps des mensonges devait être révolu selon lui... Après un discours sur la loyauté de Gretaine qui l'écoeura au lieu de la subjuguer, la fille des éléments détailla la porte désignant celle des limbes, l'unique monde du serviteur du Sans-Nom, la seule dont il connaissait vraiment la réalité. Elle la délaissa pour river son regard vers celle décrite comme étant la vie. Mais si Shadee la franchissait, elle offrirait son âme en pâture aux enfers, au Sans-Nom, elle serait un pantin sans libre arbitre bien que l'illusion entretiendrait cette possibilité d'action indépendante. Puis, le troisième accès presque irréel tant il semblait transparent ouvrait un passage vers la mort, Shadee au contraire y contempla l'espoir, la vie, la liberté.

L'être à la beauté glaciale attendit que la demi-elfe opte pour le chemin de son avenir proche. Il resta stoïque et impassible quand tout à coup le rire submergea Shadee. Cette émotion propre à la vie s'infiltrait dans son corps lorsqu'elle comprit clairement que ce Sans-nom n'était rien. D'ailleurs, il n'avait même pas d'identité pour être nommé. Il n'était rien et ne voulait rien être d'autre.

Enfer, vie, mort.

Finalement, un mince sourire se dessina sur son visage, la haine se transforma en pure joie. Toute angoisse avait libéré Shadee. Oh oui, elle était une impie détestable. Quelques pas silencieux la portèrent face au seigneur des limbes. L'insolence du calme se figea sur ses traits lorsqu'elle s'adressa au gradé :

- Avant de partir, j'aimerais vous dire que vous n'êtes rien, vous n'avez aucun fidèle hormis votre engeance sortie de votre empire de ténèbres. Je sais ce que vous pensez, mais j'en suis fière. Oui, je suis fière d'être infiniment ridicule face à la grandeur de votre folie, de votre aveuglement. Vous ne gagnerez aucune force sans nous, sans ce que nous représentons. Tuez, exterminez, et ce sera votre fin. Vous régnerez sans aucune nouveauté, sans rien qui peut vous glorifier, car vos paroles ne sont que poison et jamais elles ne trouveront d'écho vivifiant. Alors je choisis la mort, pour moi, elle est si douce qu'elle ressemble à une seconde naissance. Et je vous regarderai de mon trépas sans pouvoir m'empêcher de rire. J'aimerais vous dire ce qui me provoque tant de joie, mais vous ne le comprendriez pas et de plus, je doute que cela vous intéresse. Je suis prête.

Le Seigneur des Limbes eut un sourire tranchant, si froid qu'il aurait pu se figer dans l'éternité. De cette expression malsaine qui gagnait aisément ses yeux ombrageux, le serviteur emprisonna le menton de Shadee entre son index et son pouce. Lorsqu'il s'adressa à elle, une buée sortit de ses fines lèvres, une vapeur noire qui entoura Shadee pour la rendre aveugle.

- Jeune femme inconsciente, la générosité de mon maître est bien trop grande. Avance vers ta destinée et que notre courroux soit à la hauteur de ton insolence, de ce courage qui ne t'a porté qu'à ton anéantissement.

Shadee voulut répliquer lorsque le seigneur la libéra sèchement, mais elle avait respiré cette buée ténébreuse et aucun mot de sa part ne pouvait à présent souiller la salle circulaire. Elle avait eu son temps pour être écoutée. Les spectres se pressèrent à la pousser vers la porte de son choix. Soudain, elle sentit un froid la pénétrer jusqu'aux os. Cela lui sembla affreusement long et pourtant il ne s'était passé qu'un battement de coeur.

Dehors, la nuit était claire. C'était une nuit à la lune pleine. Une nuit où le carnage serait souverain de l'île maudite. Shadee pouvait bénéficier sporadiquement de cette lueur toute relative. Des silhouettes inquiétantes surgissaient au fil de son observation. Des arbres tordus aux lianes dégoulinantes gardaient dans leurs ombres quelques créatures lacustres. L'air humide d'un marais lui fit plisser le nez, l'odeur acide et celle de gaz plus lourds de décomposition ne lui laissèrent aucun doute sur son environnement. Derrière elle, tout avait disparu. Les bruits qu'elles percevaient, les clapotis poisseux d'une eau stagnante étaient absolument différents de ceux de la forteresse du Sans-Nom. Ses jambes nues s'enfoncèrent dans la vase qui émit ses gargouillis avides. Le froid s'empara de Shadee uniquement couverte de sa robe en bure déjà souillée par la fange. Au bout de quelques tentatives infructueuses, elle attrapa enfin une liane pour lutter contre la succion. À force d'effort, elle arriva à s'extirper du sol meuble. Elle devait absolument sortir de ce nouvel enfer et rejoindre son château à Talwinn. Elle a pris la porte de la mort, ce n'était qu'une question de temps, au fond d'elle, elle savait que son tombeau ne serait pas ce marais.

- Dame Shadee, si vous voulez bien me suivre...
Cette voix...

Shadee fit volte-face et découvrit dans une sente dérobée l'inquisiteur chargé de la surveiller. Cependant, sa tâche avec elle n'était plus utile. Malgré tout, il était là, ses mains réunies dans ses larges manches comme aiment le faire les hommes de foi. Shadee remarqua pour la première fois le triangle écarlate, le symbole du Sans-Nom, qui pendait au bout d'une chaîne accrochée à la ceinture de l'inquisiteur. Il émettait une étrange lueur pourpre dans ce paysage fantomatique.

- Que faites-vous ici ?
- Vous avez choisi la mort. Le Grand Inquisiteur m'a envoyé afin que votre choix trouve son aboutissement.
« - Vous allez donc me tuer... » Shadee écarta les langues de lichen pendant qu'elle avançait prudemment vers l'inquisiteur. « Cette odeur méphitique trouve tout son sens... »

L'inquisiteur hocha simplement la tête puis, il fit glisser ses longs doigts vers sa ceinture, une brise chahuta les ombres et dans ce court instant un rayon de lune put éclairé le demi-sourire du meurtrier. Le triangle écarlate gagna en intensité quand l'inquisiteur attrapa la chaînette. Soudain, ses yeux exorbités fixaient Shadee qui continuait de marcher vers lui en repoussant les dernières lianes. Lorsqu'elle fut devant lui, elle l'étudia un moment, elle lut sur ce visage de la pure haine, mais aussi de l'incompréhension. Maintenant que la fille des éléments était libre, il se rendait compte de son erreur de jugement. Il aurait dû être plus vigilant et savoir qu'elle utiliserait ses dons pour ne pas subir le délicieux sort qu'il lui avait réservé. Elle était sortie de l'enceinte du Sans-Nom comme promis, après cela, il avait tous les droits pour s'amuser avec elle, ce qui est d'autant plus délectable puisqu'il servirait en même temps son maître. Mais voilà qu'il était comme englué dans une toile. Ses gestes figés ne pouvaient se libérer de leur mouvement bloqué dans une action anéantie. Il était bel et bien prisonnier par des liens invisibles qui étonnamment s'il essayait de combattre pouvaient être tranchants. D'ailleurs, la main qui insista pour attraper le triangle écarlate rougissait de son sang et perdit dans cette vaine lutte, son pouce.

- Ne bougez pas, monsieur. Les tortures ne sont pas pour me plaire. Alors, soyez agréable, s'il vous plaît.

Le ton plein de déférence de Shadee devint subitement inquiétant. Elle détacha enfin son observation de lui comme la chaîne de la ceinture afin de s'emparer de l'étrange symbole du triangle écarlate.

- Créature des éléments ! Il ne vous revient pas ! cracha-t-il hargneusement.

Shadee se contenta de lui sourire lorsqu'elle passa l'artefact autour de son cou et le masqua sous le tissu de sa robe. Elle reprit sans relever l'intervention de l'inquisiteur. « Je vais m'en aller à présent, n'essayez pas de lutter, vous finirez en charpies. Si vous êtes sage et pour marquer votre courage, je vous laisse la vie sauve, mais... ce n'est qu'une question de temps. » Elle se pencha vers lui de façon complice et lui chuchota à l'oreille comme une confidente. « Vous allez vous offrir en pâture à votre Innommé, oui, vous allez vous sacrifier et me révéler toutes ses forces. »
Lorsqu'elle se recula, l'inquisiteur lui cracha à la figure. Elle essuya la souillure à l'aide de sa manche avec un calme déroutant. « Même si vous luttez pour ne pas le faire, croyez-moi, vous obéirez à mon exigence. » Un sourire mystérieux acheva sa phrase. Les cris haineux et les injures de l'homme pleuvèrent généreusement quand elle le dépassa sans se soucier du futur sort qu'elle lui réservait. Les lianes et l'obscurité régnante de la sente à travers les marais masquèrent rapidement les pas de la fille des éléments qui disparut subitement.

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-Êtes-vous satisfait, ô mon Maître?

-C'était parfait, j'y aurais presque cru moi-même.

Un long rire sinistre se répercuta dans la vaste salle du Sereg Rinn, l'Ombre qui avait joué le rôle de l'inquisiteur s'inclina devant le Sans-nom. Comme elle s'était divertie des dernières paroles de l'impure! Se sacrifier pour lui révéler toutes les forces de l'Innominé, il fallait être d'un infini aveuglement pour supposer telle absurdité.

-Et maintenant, Maître?

-Maintenant, nous allons nous emparer de ce précieux orbe des éléments. Vas, ravage son camp, et trouve-le.

Cela n'avait pris que quelques instants. Ce qui avait été un fier camp primotaure n'était plus que ruines, et l'artefact trônait enfin devant le Sans-nom, posé au centre d'une table, recouverte comme de coutume d'un drap blanc doté du triangulaire symbole. Le Grand Inquisiteur se pencha pour l'observer de plus près, mais la main gantée du Maître le figea dans son geste entamé.

-Non.

-Oseriez-vous contester le droit de la Sainte Inquisition à étudier cet objet?

-Elle avait raison, tu sais.

-Je crains de ne pas comprendre...

-L'Infini Seigneur n'a aucun pouvoir sur ce plan. Il ne peut pas donner la vie, il ne peut engendrer la nouveauté.

-Vous blasphémez!!! Auriez-vous été souillé par les hérétiques?!

-Non. Cette arrogante péronnelle m'a enfin donné le pouvoir nécessaire. Vois-tu, elle est venue ici en quête de connaissance, mais en définitive, aucune réponse ne lui a été donnée. En revanche, elle a commis l'erreur de condenser dans cet objet tout son savoir, toutes ses croyances, m'offrant ainsi l'ultime pouvoir, l'unique chose qui me faisait défaut. N'est-ce pas ironique? Je l'ai cherché sur tant de plans, et voilà qu'une petite impertinente me l'offre sur un plateau.

-Vous voulez dire que...

-Oui. Je peux créer la vie, et donc me rendre maître de ce monde.

-La vie?! Folie!!! Vous serez châtié pour votre arrogance!

-Non, prêtre. C'est ton temps qui s'achève.

Le Grand Inquisiteur tenta de se reculer, mais vif comme un cobra, le Sans-nom lui saisit la gorge, la broyant d'une poigne irrépressible. Lorsqu'il le lâcha, c'est une enveloppe vide qui se répandit mollement au sol, l'inquisition venait d'être privée de sa tête. L'Ombre, toujours présente, s'avança, poussant d'un pied immatériel le cadavre avant de rire discrètement. Puis elle releva son regard de ténèbres pour scruter l'Innominé.

-Maître, vous savez que la créature Shadee reviendra?

-Je l'espère bien. Elle comprendra bientôt que tous ses efforts n'ont mené à rien, et qu'ils n'ont toujours pas de réponses.

-Ne peut-elle les chercher ailleurs, ô Maître?

-Non. Le seul qui pourrait les lui donner ne le fera pas.

-Pourquoi, ô Maître?

-Parce que cela ne lui importe plus.

-Alors...

-Oui ma fidèle Ombre. Elle reviendra.

Edité par Shadee le 05/01/11 à 16:40