Forum - Lamentations.
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Celimbrimbor | 14/09/10 19:53
C'était une forêt. Avec des arbres. En bois. Qui plongeaient leurs racines jusqu'au plus profond du sol, chatouillant les géants endormis, absorbant l'humus, la rosé, la terre. Elle était très vieille, cette forêt. Autant que le monde qui la portait, ou presque. Longtemps les ramures poilus avaient démangé les mentons des dormeurs. Son humus gras aux odeurs fortes avait vu naître bien des insectes et bien des plantes et s'était nourri du même nombre au moins. Les troncs vénérables se battaient pour prendre le plus de place et l'écorce chenue se frottait à l'écorce chenue dans un combat démesurément lent, inobservable à l'oeil du mortel. Des pans entiers de terrains étaient cédés, d'autres, gagnés, échangés contre un peu plus de soleil, pour un plus grand espace dans la canopée où, là, les branches se faisaient la nique et cherchaient à s'étouffer mutuellement. Des alliances naissaient, vivaient et mourraient selon les occasions, aussi éphémères que celles des humains dans leurs guerres non moins cruciales. Un seul hêtre, plus grand et plus large que tous les arbres du bois, semblait échapper à la dure loi de la nature. Une véritable clairière se dessinait sous ses poutres massives, franche et libre de tout arbre, de toute arbuste. Quelques plantes, hésitantes, poussaient par endroit, sur les franges reculées, comme craintive de ce qui pourrait leur arriver si elles s'approchaient plus. L'herbe, malgré le manque de lumière, complètement occultée par le feuillage dense et touffue de l'arbre millénaire. Son tronc tordu et défait, comme frappé par la foudre en de nombreux endroits mais jamais mort, l'aspect noueux de son écorce témoignait de ce qu'il avait pu vivre au cours des siècles passés. Victoires, défaites, amertumes, pleurs, joies, failles, suprématie. Il pouvait se souvenir de tous les états d'esprit de celui qui l'avait planté là, au tout début, quand il n'y avait pas de forêt, quand il n'y avait de fleurs, quand il n'y avait pas de vie. C'était une sorte de mémoire émotionnelle, comme un réservoir où tout ce qui animait le jardinier venait se déverser, de temps en temps, pour ne pas s'encombrer, pour ne pas défaillir sous le poids des souvenirs d'une vie remplie. La fureur s'y était taillé une part de lion, bien plus que la félicité, trop absent, le bonheur ou toutes ces choses, trop fugaces. Chaque feuille, de chaque branche, de la plus frêle à la plus large, de la plus petite à la plus épaisse, était un souvenir, une personne, un instant, un endroit. Celui qui aurait réussi à arriver jusque dans cette clairière malgré les bois, malgré les défenses, malgré les sortilèges, malgré l'absence de ce territoire du monde, aurait pu, en les touchant, une à une ou n'importe, rien qu'en posant sa main contre le fût, vivre tout ou partie de cette vie. S'y risquer aurait coûter cher, évidemment, plus encore qu'y arriver, mais le jeu en valait peut-être la chandelle. Aux yeux du garde forestier, cela ne le valait pas. Peu de choses coûtaient ce prix. Lui, c'est sa vie qui était dans ce tronc. Il la connaissait par coeur, plus qu'amèrement. Qui aurait voulu venir ici ? Haut, très haut, au-dessus du faîte des arbres, le ciel battait lentement la cadence, bleu, bleu, noir, noir, bleu, selon le passage du soleil, si long que presque éternel.
Sur le tronc, il y avait une main, pas si vieille mais ô combien fatigué. Un bras la prolongeait, suivi d'une épaule, d'un cou et d'un visage. Des larmes, pas si vivaces mais ininterrompues, y coulaient, lentement, comme par habitude. Il fallait bien un endroit pour se laisser aller. Celimbrimbor avait voulu qu'ici le soit. Sorte de dernière forteresse contre les gens, contre lui-même. Il n'y était pas retourné depuis sa rencontre avec la dragonne qui avait ravivé son monde. Sa disparition avait sonné le glas de la joie. Il pleurait. Simplement parce que son corps, prisonnier de vieux réflexes qui n'avaient plus lieu d'être, lui dictait de le faire. Quatre, cinq, douze lunes ? Combien ? Trop, de toutes façons. Elle ne voulait pas qu'il la retrouve. Elle n'appelait pas à l'aide. Elle ne cherchait pas à lui transmettre un message. Il s'était toujours interdit de regarder son existence depuis les plans, et même, l'avait volontairement brouillé contre lui-même, pour ne pas céder à la tentation de voir l'avenir et de s'y constituer prisonnier. Il se haïssait pour cette décision. Il pouvait la sauver. Il devait la sauver. Il voulait la sauver. Mais elle le lui interdisait. Sa paume se ferma en poing contre le tronc de l'arbre et le frappa depuis le peu de distance qui les séparait, ébranlant la vieille chose. Elle le lui interdisait. Qu'importe.
Sa colère et sa frustration se déversait dans l'arbre comme rarement, lui faisant gagner quelques centimètres de taille. Il lancerait des émissaires. Il irait là où elle avait été. Il tenterait ce qu'il y avait à tenter.
Il trouverait Sanaga dût-il y sacrifier l'équilibre.
Rat De Labo | 16/09/10 15:56
"Le rassurant de l'équilibre, c'est que rien ne bouge. Le vrai de l'équilibre, c'est qu'il suffit d'un souffle pour tout faire bouger."
aïe...
Le Rat, démon clanique et seigneur du cauchemar.
"La récompense des grands hommes, c'est que, longtemps après leur mort, on n'est pas bien sûr qu'ils soient morts."
