Forum - Par le fer et le sang.
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Brox | 05/09/10 22:00
Le tonnerre roulait ses mécaniques dans le ciel sombre, grondant ou laissant surgir un éclair par moment. Les nuages se contentaient quand à eux de pleurer une pluie battante et froide, plongeant la cité dans une torpeur humide. Quelques fenêtres dépourvues de volets brillaient encore en cette heure tardive. La taverne affichait ce genre de fenêtres.
S'approchant des verres opaques on aurait pu distinguer les silhouettes de seigneurs festoyants, trinquants et riants. On les aurait surtout entendus à vrai dire.
Deux silhouettes sortirent parmi les rires. Se soutenant mutuellement l'une et l'autre, elles étaient toutes deux massives, mais l'une bien plus grande que l'autre. Le nain et l'orc, fortement alcoolisés, titubèrent quelques pas sous la pluie, jusqu'à ce que l'orc stoppe la marche et s'appliqua à articuler :
" Halte... ami nain! Je crois que je...hips!... que j'dois aller faire pleurer l'colo...hips... l'colosse...
- Ben... Ben... Ben vas-y... La pisse d'âne que sert le tavernier va te... Zut comment déjà ? Ah Bon on s'en fout. Grouilles-toi Brox à dents ! J'prends l'eau !
- Bah fais pas ton nain ! Prends de l'avan hips!... de l'avance ! J'te rejoins chez toi au pire... Seigneur Bedaine ! Hurk hurk hurk !
- Ah ah ah ! Tu fais peur quand t'es bourré l'orc ! Bon ben je... je... 'fin tu vois quoi. Te perds pas en route.
Préférant la bière à la pluie, le nain s'empressa de trouver l'abri relatif et surtout le soutient d'un mur qu'il entreprit de suivre jusqu'à sa demeure. Titubant, l'orc s'enfonça dans la petite ruelle longeant la taverne. L'ombre y régnait et les détritus divers jonchaient le sol. Il s'appuya lourdement contre le mur dégoulinant de pluie et lui fit face, reprenant son souffle autant que son équilibre et ses esprits. Il n'avait pas tant bu depuis des lustres, mais il avait quelqu'un à oublier et y mettait tout son coeur, ainsi que son foie.
Survint la morsure de la lame, froide et trempe, déchirant la chair de sa gorge. Et presque aussitôt la chaleur de son sang coulant sur son torse. La sensation le fit se raidir une fraction de seconde, puis, portant d'instinct sa main à sa blessure, il tendit l'autre dans l'obscurité meurtrière. Sa main se referma sur un bras qu'il tira à lui. Le propriétaire du bras, vêtu de noir, jetait à Brox un regard de surprise et de terreur mêlées. L'orc n'y prêta guère d'importance, serrant le poing il broya le bras de l'assassin et entendit, malgré la pluie battante,la dague assassine chuter au sol. Il le saisit ensuite d'un geste vif par la gorge, le leva et commença à serrer. Dans sa fureur il voulut lui demander "Pourquoi ? Qui t'envoie ?" mais aucun son ne put sortir de sa bouche, ses cordes vocales ayant sans doute été victimes de la lame. Il prit alors conscience que son sang suintait à présent entre les doigts de la main qu'il avait porté à sa blessure. Il serra encore davantage la main qui retenait son bourreau, refusant d'être le seul à mourir, et le regarda chercher désespérément l'air. Dans l'ombre il s'aperçut alors que la langue de l'assassin avait été tranchée, comme il est de coutume dans certaines guildes de la profession. Ainsi l'homme ne révèlerait jamais le nom de son commanditaire. De dépit, l'orc fit jouer ses doigts imposants sur la nuque de son agresseur et la brisa dans un claquement sec, laissant ensuite le corps inanimé chuter sur les pavés mouillés de la ruelle. Prenant conscience de sa situation comme on prend un coup de massue, Brox s'appuya lourdement sur le mur et se fixa pour but d'atteindre la porte de la taverne. Là, ils seraient nombreux capables de lui porter secours.
Chaque pas se faisant plus laborieux, l'orc sentait ses forces le quitter peu à peu. A peine avait-il progressé de quelques mètres qu'il chuta sur les genoux, ses jambes flageolantes refusant de le porter davantage. Petit à petit il se coucha sur les pavés, sous la pluie, en position foetale. Ne pas se laisser aller, reprendre des forces pour continuer jusqu'à la taverne. Mais son sang se répandait sur le sol, formant sous lui un chaud matelas pourpre, provoquant un certain confort, lui faisant oublier la douleur de la blessure. Déjà il ne sentait plus ses jambes ni ses bras. Déjà les idées se faisaient confuses dans son esprit. Mais il luttait, refusant de se laisser gagner par la résignation. Il ne pouvait pas mourir là, ivre, dans cette ruelle puant la pisse, égorgé. Une mort si bête, à peine digne d'un mauvais tricheur, ou d'un traître. Il s'y refusait. Mais cette chaleur dans laquelle il baignait était si réconfortante. La stase dans laquelle il sombrait peu à peu était si apaisante... Mais non. Il devait lutter... Survivre... Résister. Ne pas sombrer... Ne pas sombrer...dans ce...néant... Ce né...ant...
Et soudain le choc. Une douleur extraordinaire s'éveillant subitement au creux de sa poitrine, comme si un fer chauffé au rouge y avait été plongé. Le genre de douleur qui réveillerait un mort. Et voilà justement ce qui arrive. Le corps de l'orc se raidit sous la sensation, est pris de spasmes. Les yeux grands ouverts, les pupilles dilatées, il semble vouloir hurler au monde sa douleur, mais aucun son ne sort de sa bouche, tout juste un souffle. Ses poumons le brûlent, son estomac semble se digérer lui-même, et ses membres le démangent, comme si des milliers de fourmis de promenaient dans ses veines qu'il croyait pourtant vides. Mais la formidable machinerie de son anatomie ne lui répond pas encore, hormis la douleur et les démangeaisons il ne sent ni ses bras ni ses jambes. le voilà maintenant qui se roule au sol, semblant se débattre pour échapper à ce corps aux membres morts, à cette douleur qui le déchire. Il ne réfléchit pas, ne pense pas, seul l'instinct le guide, une sorte de conscience de l'être, incapable d'un quelconque raisonnement, tout juste bonne à ressentir et paniquer.
Peu à peu il parvient à reprendre le contrôle de ses membres, maladroits, endoloris, que son sang commence tout juste à irriguer correctement. Alors il porte les mains à sa tête et la cogne, comme pour en extraire la douleur, le bourdonnement qui vient de s'y déclarer. De plus en plus fort il rend fou, prend toute la place de la conscience, l'empêchant de s'installer. Pourtant peu à peu des pièces du puzzle qu'est le souvenir reprennent une place, mais pas la leur. Tout se mélange, les sons, les images, les sensations, les odeurs. Tous les souvenirs qui affluent ensemble, d'un coup, comme un raz-de-marée. Noyant l'instinct qui commençait tout juste à prendre ses marques dans cette caboche sous pression. Le maëlstrom sensoriel se met alors en branle, sa tête tourne, et ce qu'elle contient encore davantage. Des forces incompréhensibles semblent en action, plaçant des souvenirs, des idées, en repoussant certaines et en faisant disparaître d'autres. Tout reprend sa place. Qui il est, son peuple, ses amis, Maowen, Daifen, la guerre, la colère, le désespoir. Tout l'édifice de son être renait de ses fondations, brique après brique. Lorsqu'il réouvre les yeux, Brox sait à nouveau qui il est. Incapable de se relever, il s'assied au sol, dos contre le mur et observe le corps de son assassin. Par réflexe il porte sa main à sa gorge et avec effroi y sent une cicatrice encore fraîche, encore douloureuse. Il s'est senti mort, s'est senti partir, glisser dans le néant. Pourquoi venait-il de se relever ? Une faim atroce le tenaille, il songe un instant à entamer la dépouille encore chaude, à grands coups de dents, mais rejette bien vite cette idée. Céder à cette tentation serait pour lui un effroyable retour en arrière. Depuis des générations les orcs noirs, son peuple, tâche de se montrer évoluée, à l'opposé de certaines peuplades orcs réputées pour leur barbarie. Même dans son état, il refusait de montrer tant de bassesse. Pourtant il avait faim, d'une manière qu'il n'avait jamais connue. Chancelant, il se leva et inspecta le corps de l'assassin qu'on lui avait envoyé, à la recherche de vivres, mais hormis une bourse et ses quelques pièces, celui-ci n'avait rien. Il faudrait donc trouver de la nourriture ailleurs... Mais qui ouvrirait sa porte à un orc couvert de sang ? Surtout à une heure pareille. Le tavernier bien sûr. Dépouillant le cadavre de sa longue écharpe noire pour cacher sa nouvelle cicatrice et ramassant la dague assassine, Brox pris la direction de l'entrée de la taverne.
En entrant, il constata avec satisfaction qu'elle était vide, la douce lueur des braises dans l'âtre projetant d'étranges ombres dans les recoins de la pièce. Il prit donc la direction des cuisines et y retrouva le tavernier, réputé insomniaque. Voyant l'orc entrer en trombe celui-ci se leva de son tabouret dans un saut:
" Sire ! S'il vous plait ! C'est la cuisine ici !
- Justement, j'ai faim.
La voix de l'orc, plus grave et gutturale qu'à l'habitude surpris autant son propriétaire que l'interlocuteur, qui ne tarda pas à se reprendre.
- Bien, je vais vous servir, mais retournez en salle je vous prie.
- Non non, pas question. Je mangerai ici, à ta table. Sers moi vite... S'il te plait...
- Bien, bien... Qu'est-ce que je vous sert ?
- Peu importe, je dois manger, là, maintenant! Tiens, ce pâté là, apportes-le.
Le tavernier connaissait l'orc pour le voir souvent dans son établissement, il le voyait comme un bon client, du genre qui vient souvent, boit pour trois et paie ses ardoises sans qu'on le relance trop. Il le servit donc sans trop discuter et le regarda un moment se goinfrer, manger vite et en quantité, comme s'il ne s'était pas nourrit depuis des lunes. Il constata l'état de ses affaire, tâchées, ensanglantées, et cette écharpe noire à son cou, qu'il ne lui avait encore jamais vue. Il se risqua à le questionner.
- Vous êtes dans un sale état... Vous avez été pris à parti ?
L'orc pris le temps d'avaler sa bouchée avant de répondre.
- En quelque sorte oui. Tu aurais des frusques ? Comme tu le vois, je dois me changer.
- Euh... Si, sûrement, je vais voir ça.
- Trouves moi un pantalon et un manteau, à ma taille si possible.
Le tavernier sortit en direction de ses appartements. Brox se sentit rassasié et vit qu'il avait mangé en grande quantité, il se sentait pourtant bien, et non pas lourd comme après un repas aussi copieux. Il se repassa les dernières heures dans sa tête et se sentit complètement perdu. Il avait été égorgé pour une raison qu'il ne connaissait pas, son assassin ne l'avait pas raté, il s'était sentit mourir. Il a été mort. Pourquoi, comment était-il revenu à lui ? Comment sa plaie s'était-elle si vite refermée ? Etait-il désormais de ces goules, zombies et autres vampires ? A priori non, tous ses sens étaient encore en activité, contrairement aux non-morts. Devait-il prendre cette réanimation comme une chance ou comme une punition ? Etait-ce un sursis ou était-il devenu immortel ? Mais la principale question restait le pourquoi. Se rappela alors à lui l'effroyable nuit qu'il tentait d'oublier dans l'alcool plus tôt dans la soirée, celle durant laquelle il avait ramené Maowen, son aimée, à la vie. Les shamans orcs évitent l es pouvoirs de nécromancie car ils relèvent d'une école de magie qu'ils ne jugent contre-nature. Les choses naissent et meurent, pourquoi les ramener à un simulacre de vie ? Ils rejettent la nécromancie, mais certains n'hésitent pourtant pas à y avoir recours en situation extrême. Brox était de ceux-là. Il avait ramené sa belle à la vie, et celle-ci l'avait rejeté, révélant une facette d'elle qu'il ne lui connaissait pas. La déception avait été grande, tout comme la nuit et les incantations avaient été effrayantes. Dès les premiers rituels il s'était retrouvé confronté à une magie malsaine, sournoise, et terriblement puissante. Des entités impalpables s'étaient glissées autour de lui durant toute la durée du sortilège. Il avait nié leur présence, mais ne pouvait nier ce qu'elles susurraient à ses oreilles, des appels, des promesses dans autant de langues inconnues qu'il avait pourtant comprises. Mais il avait pourtant rejeté leurs propositions, il s'était fait sourd à leurs suppliques. Et si c'était là le pourquoi !? Et si, pour avoir refusé de se soustraire à ces forces, celles-ci avaient fait de lui leur pantin ? Et si elles étaient capables de le ramener à la vie, n'étaient-elles pas capable de l'éliminer pour de bon ? Un torrent de questions et de doutes se formait dans son esprit lorsque le taverne revint et le sortit de ses pensées.
- J'ai trouvé de quoi faire l'affaire. Tenez.
Sans mot dire, l'orc se changea, enfilant en vitesse ses nouvelles affaires, mais prit soin de ne pas quitter l'écharpe noire. Il sortit d'une bourse une pièce d'or et une pièce d'argent, les posa sur la table et les fit glisser vers le tavernier, du bout des doigts.
- Pour le repas et les frusques. C'est assez ?
- Largement sire. Je vous re...
Ne le laissant finir sa phrase, l'orc sortit une nouvelle pièce, la jumelle de la pièce d'or précédente.
- Et celle-ci c'est pour oublier que tu m'as vu depuis que je suis sortit avec le sire Behaine. On se comprend ?
- A ce prix, je suis prêt à tout comprendre sire.
- Fort bien. Je te laisse donc. Et n'oublie jamais de tenir ta langue à mon sujet.
Sans s'attarder davantage, Brox quitta la cuisine par une porte de service et s'enfonça dans l'obscurité d'une ruelle.
Le soleil pointait à l'horizon. Assit sur le timon d'une charrette, Brox observait depuis quelques heures, perdu dans ses pensées, le balais des matelots chargeant un navire de commerce prêt à lever l'ancre. Il vit celui qui semblait être le capitaine sortir de sa cabine et surveiller les dernières opérations de chargement. L'air de rien, il quitta son assise et alla à sa rencontre.
" Bonjour. Sacré vaisseau que vous avez là...
Le capitaine jeta un regard suspicieux à cet orc vêtu de frusques venu lui faire la causette, mais répondit de bonne grâce.
- Oui, un sacré vaisseau comme vous dites. On en a vu des continents lui et moi.
- Et vous mettez le cap vers...?
- Azeroth. Un continent qui nous a ouvert ses portes il y a peu.
- C'est joli là-bas ?
- Bah... Disons qu'il y en a pour tous les goûts. C'est grand, très grand. A ce qu'on dit on est loin d'en avoir fait le tour.
- Les étrangers y sont bien vus ?
- Plutôt oui! Il n'y a que de ça, des colons en quête de richesses! Et pour un peu qu'on ai l'estomac bien accroché, il y a possibilité d'y vivre de sacrées aventures et de s'y faire un nom.
- Bien bien bien... Et il reste de la place sur votre bateau là ?
- Tout dépend. Pour quel genre de marchandises ?
- Un orc et sa dizaine de pièces d'or par exemple.
- Bienvenu à bord sire orc.
Edité par Brox le 05/09/10 à 22:02
Lancwen de Sigil | 06/09/10 08:01
excellente histoire bien que je prefere de ne pas voir associé les vampires aux goules ou autres zombies sans cervelle.
Par contre je m'interoge sur Azeroth, dites moi que je me trompe sur l'avenir de Brox...
Brox | 06/09/10 08:16
Il est vrai que le récit n'est pas clair sur ce point.
C'est en fait un flash-back, le récit d'un évènement qui a eu lieu il y a à peu près deux ans, époque à laquelle Brox a quitté Daifen du jour au lendemain.
Mais on en revient toujours à ses premiers amours. 
Lancwen de Sigil | 06/09/10 08:21
Noir-feu | 14/09/10 18:08


