Forum - Et si on relisait les classiques ?
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Carlyle | 02/09/10 19:00
Certaines histoires sont toujours contées de la même façon. En fait, la plupart des contes ne connaissent que rarement une relecture qui les rendent plus proche de la réalité. Ils perdraient alors sinon tout leur intérêt, du moins une grande partie de leur piquant. Qui voudrait entendre les aventures de Jonas l'elfe et de Gary l'orc farceur, si à la fin Jonas ne farcissait pas l'orc pour l'offrir à son amant ? Qui serait intéressé par le récit de Blanches Mains et les douze gnomes s'il savait que les gnomes l'usèrent jusqu'aux genoux avant de la jeter dans une mare de goudron ? Personne. Pourtant, il y a des légendes qui mériteraient qu'on les rende bien plus proche de ce qui fut. Il n'est rien de plus douloureux, pour un témoin de ce temps-là, que d'entendre narré son épopée mais, au lieu de se voir attribuer le rôle qu'il joua, d'en prendre un tout autre. Lorsque l'échange est secondaire, le coup est déjà fort mais, imaginez un peu, lorsque le conteur inverse tout de go les partis opposés, faisant du bien le mal et du mal le bien ? Vous penserez que cela n'arrive pas souvent. Écoutez plutôt :
« Il était une fois un pauvre jeune homme qui aimait aider les gens. Il avait le coeur sur la main et adorait venir porter assistance aux habitants de son village. Ce jeune homme aimait le bruit du ciel bleu le matin et les couleurs que le soleil donnait aux nuages quand il jouait dedans. Il aimait les étoiles, la nuit, et les ténèbres rassurantes qui s'établissaient sur le pays et le protégeaient des mauvaises gens. Car Jason n'était malheureusement pas aimé des villageois qui vivait en contrebas du cimetière où il résidait. Un peu rebouteux, un peu herboriste et un peu sorcier, Jason s'était installé là parce qu'il n'y avait plus de maison disponible dans le village et que, quand il avait voulu louer une chambre dans une auberge ou construire la sienne près de la grand' rue, le maître du lieu, aidé de quelques sicaires peu amènes, lui avait clairement fait comprendre que ce n'était pas une bonne idée, que les gens n'apprécieraient pas qu'un sorcier déviant au teint si pâle s'installât si proche d'eux. Jason en fut quitte pour un genou brisé et réussi à se traîner jusqu'au cimetière où le vieux fossoyeur, aveugle et dément, mais si bon, si tendre, le soigna et lui permis de vivre dans une cahute près de la sienne. Quand il mourut, Jason échangea de place et personne ne s'en rendit vraiment compte.
Malgré toute la haine qu'ils pouvaient lui porter pour son apparence difforme et ses membres frêles, les villageois n'avaient de cesse de faire appel à lui pour les soigner. Après tout, il savait les herbes qui guérissent, il réussissait à remettre des membres en place et, pour tout exotique que fussent ses remèdes, ils fonctionnaient toujours ou presque. C'était, d'ailleurs, le « ou presque » qui posait un problème. Ceux qui n'étaient pas soignés ou sauvés par ses décoctions avaient tendance à ne pas s'en remettre. Parfois, expliquait-il, le remède est pire que le mal. Les parents endeuillés ou furieux voire les deux en même temps le vouaient aux gémonies et lui jetaient des pierres. Combien de fois dut-il reconstruire sa cabane dans le cimetière que la foule en colère avait pillé, massacré, en le laissant toujours en vie, agonisant et blessé ? Il ne comptait plus.
Mais avec le temps, il apprit. À pratiquer ses rituels de soin par les soirs sans lunes. À se dissimuler. Et finalement, bon an, mal an, Jason et le village cohabitait plus ou moins.
Jusqu'au jour où un paladin, un chevalier de pacotille, un matamore à la recherche d'un exploit dont il pourrait se parer les soirs dans les corps de garde, après avoir montré combien la sienne était plus grosse, débarqua dans le village. Il n'était pas dans un bon état : sa main droite pendait lamentablement à son côté, son dos laissait voir, par endroit, des vertèbres à nues et sa jambe droite était complètement brisée. Un homme du village vint prévenir Jason en jetant un caillou contre sa porte.
C'était ainsi que, généralement, les villageois indiquaient à leur rebouteux que quelque objet requérait son attention. Jason descendit donc, se cachant dans les ombres, dans les lézardes du sol, pour aller jusqu'à la maison où le pauvre homme était tenu alité. Malgré la répulsion instinctive qu'il éprouvait envers ce pantin de tous les extrémismes, cet imbécile obscurantiste, il le soigna du mieux qu'il pu et seuls les esprits chagrin viendront prétendre qu'il fit exprès de décharner la main blessée jusqu'à n'en laisser que les os apparents et mobiles, comme pour frapper d'infamie le pauvre homme qui venait d'exterminer une colonie d'orc sous prétexte qu'il vénérait un mauvais dieu. À la vérité, sauver le bras fut à ce prix mais, vous savez, les imbéciles ont toujours besoin d'une cible sur laquelle diriger leur colère.
L'histoire aurait pu, aurait dû s'arrêter là et Jason continuer de vivre paisiblement. Mais le chevalier ne l'entendait pas de cette oreille. En rentrant dans le réservoir d'invertis dégénérés qu'il nommait chapitre, il parla de la malédiction de sa main et du puissant nécromant. Il parla des maléfices qu'il faisait peser sur le village. Une petite armée se mit donc en route et se débarrassa de lui.
Précisons : cru se débarrasser de lui. Jason s'en tira et préféra changer de nom. Il alla s'installer sur une terre paisible, oubliée de tous, une certaine Certadhil où il coulait des jours paisibles, tentant, encore et toujours, de repousser les frontières de la vie, pour rendre les gens heureux. Grâce à lui, les gens de l'île pouvaient réellement discuter avec leurs compagnons disparus. Les morts ne l'étaient plus. Une nouvelle vie commençait pour eux et pour l'égayer, Jason créa de nouveaux animaux de compagnie, comme les harpies ou les goules, par exemple. Il était heureux, et ne demandait rien à personne.
Cependant, les seigneurs de Daifen ne se satisfaisaient pas de cet état de fait. Les morts vivants étaient une menace -qui, à la vérité, était aussi menaçant que les délire psychotiques de TOT- qu'il fallait éliminer. Ils se levèrent donc en masse, les preux, les valeureux, les pathétiques, Faerandel, Celimbrimbor, Talwyn ou encore Uruk, Takkmur, Lancwen et tant d'autres. Ces fascistes fermés à tout changement mirent le pied sur Certadhil et y guerroyèrent pendant près de cent lunes. Ils tentèrent tout, s'écharpèrent même entre eux -c'est vous dire si leur idéal commun était un commun idéal- et firent tout pour abattre Drazankhar, le sorcier du bien. Ils usèrent de toutes les fourberies, de toutes les trahisons, prétendant le servir pour se retourner contre lui. Ils furent sadiques, mesquins, pire que des hyènes et, lorsque tout fut fini, s'acharnèrent sur sa dépouille encore fumante comme un chevalier pédophile sur le cadavre d'un petit garçon.
Pire que cela, ils furent vainqueurs. Et le nom de Drazankhar, le sorcier du bien, fut sali pour toujours et à jamais. Ils écrivirent l'histoire, leur histoire, mentant, trompant, dupant le monde entier pour que leur hégémonie ne soit jamais remise en question. Instaurant une dictature qui perdure encore aujourd'hui, sur le mythe que le premier des morts-vivants, de ces morts-vivants que vous côtoyez tous les jours, avec qui vous vibrez dans la victoire et craignez dans les temps difficiles, ces morts-vivants qui font de si précieux alliés, était un méchant, le pire être que Daifen ait jamais porté. Alors qu'en fait, les méchants, dans cette histoire, ce sont bien eux, ces menteurs, réactionnaires et fascistes. »
Vous voyez ? Racontée comme elles se sont réellement passées, les choses changent du tout au tout.
Mais rassurez-vous. Drazankhar reviendra pour nous sauver de ces sots qui pensent l'avoir abattu. Sept urnes étaient. Elles demeurent quelque part que nul ne sait. Sauf quelques uns...
Dyce Hipple | 03/09/10 08:27
Lancwen de Sigil | 03/09/10 12:21
version intéressante de l'histoire, présenté comme cela, Drazankhar est un martyre et nous avons eu tort de l'éliminer.
Il pourrait y avoir une part de vérité dans votre récit...
Lune-noire | 03/09/10 18:04
J'aime bien.
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On a toujours le choix...
Ap'poh Calypso | 03/09/10 18:20
Qu'importe la vérité ou le mensonge dans l'histoire passée...le vrai fléau est à venir dans un avenir proche.
Vous n'avez encore rien vu. 
Ap'Poh Calypso
"Le début de la fin"
Terfanae De Caledon | 04/09/10 02:21
L'Histoire est écrite par les vainqueurs , sieur Carlyle...
Terfanae de Caledon, Hordelle
Carlyle | 04/09/10 04:15
Et bien, dame, si vous saviez lire, vous auriez vu que c'est écrit dans cette petite histoire, sous une forme un peu différente cependant.
D'autre part, l'histoire n'est pas qu'écrite. Elle est récrite, encore et toujours.
Gzor | 01/11/10 12:02
C'est un point de vue réellement intéressant et passionnant.
Et dire que je viens d'embarquer pour Certadhil
....
Gzor.
Iä, Iä, Cthulhu fhtagn ! Ph'nglui mglw'nfah Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn!
Edité par Gzor le 01/11/10 à 12:02
Sombrebarbe | 01/11/10 16:00
Ayant écouté, d'abord avec attention, puis avec colère, le seigneur Caryle présenter sa version de la genèse de Drazankhar le maudit, Sombrebarbe apostropha l'orateur en ces termes :
-Seigneur Caryle, même si votre histoire est vraie, ou même si l'on admet qu'elle recèle des fragments de vérités, votre plaidoyer est d'un cynisme effarant. Les fous, les tyrans, les criminels...ont tous dans leur histoire un moment dramatique ou leur vie bascule et plonge dans les ténèbres !
Leurs crimes n'en restent pas moins odieux ! Leurs actes n'en bafouent pas moins l'Ordre et le Bien !
Je crois en la rédemption et au repentir, je ne crois pas aux tissus de fariboles destinés à masquer les horreurs commises par les âmes errantes !
Le Mal est à nos portes. Ce n'est pas une question de point de vue ou d'interprétation. Croyez bien que Drazankhar se gaussera de votre pathétique plaidoyer, s'il ressort vainqueur et que ses hordes parviennent à votre porte...
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J'ai retrouvé la Lumière ! Qu'elle Illumine mon chemin et chasse les ténèbres !
Edité par Sombrebarbe le 01/11/10 à 16:02
Phaeril | 01/11/10 17:01
"Mieux vaut commettre une erreur avec toute la force de son être que d'éviter soigneusement les erreurs avec un esprit tremblant."
Terfanae De Caledon | 02/11/10 00:11
Sire Carlyle, je n'ai pas lu et mais écoutez... Mais si vous ne comprenez pas les affirmations, c'est bien grave.
Terfanae de Caledon, Hordelle
Althâr Anthâar | 02/11/10 01:38
Drazankhar a eu son rôle à jouer, et l'aura certainement encore. Qu'il soit le gentil ou le méchant n'est qu'un stérile débat. Comme nous tous, il a participé à un équilibre qui chaque jour, et aujourd'hui plus encore, n'est que très précaire.
Et pour avoir tapé ses ouailles quand Celim était trop saoul pour le faire, je confirme que lui n'avait pas vraiment prévu d'envahir le monde ou de tuer des gens juste pour les ranimer. Qui plus est, il avait une sacrée descente, et sa gueule de dégénéré faisait beaucoup rire ma fille bref, il a tenu son rôle, tenons le nôtre.
Car l'Histoire se fout bien de la connaissance qu'on en a, et n'attend pas notre analyse pour tirer ses conclusions. La catin.


