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Carlyle | 12/08/10 01:08
Il était une fois une famille qui s'était fait avoir par le grand propriétaire terrien du cru en lui achetant pas loin de trente hectares de terres complètement incultivables et ravagées, chaque année, par diverses plaies allant de l'éboulis de pierres au torrent de boue. Le souci était que ladite famille, pour pouvoir répondre au prix exorbitant qu'en réclamait le triste sire, avait dû accepter de payer à celui-ci, chaque semestre, cent pièces d'or ou une partie des récoltes. Marché de dupés, évidemment, la récolte n'avait jamais permis d'amasser la somme requise et la première génération de ces pauvres hères s'était finalement résolue à mourir lentement de faim en espérant un miracle.
Qui était arrivé en la personne d'un providentiel personnage dans un costume immaculé liseré d'argent pâle à peine perceptible. Il s'était présenté comme un voyageur de passage, un peu épuisé par les kilomètres qu'il avait parcouru dans les contreforts montagneux. On lui avait parlé d'eux et de leur sort misérable dans quelques chaumières plus bas et, à présent qu'il contemplait le champ de pierre, les trois têtes de bétails faméliques ainsi que les carcasses dévorées par les loups et les charognards, il ne pouvait que noircir un peu plus le tableau qui lui avait été brossé. La masure délabrée qui servait de résidence à la pauvre famille, au toit percé et aux murs à peine debout, avait piètre allure. Les carreaux des fenêtres étaient pour la plupart bourrés d'un peu de paille pour éviter que trop de vent ne s'y engouffre en hiver ou que trop de fraîcheur ne s'en échappe en été. Il secoua la tête tristement devant la misère qui s'offrait à ses yeux. Ils ne passeraient pas un mois de plus. Le plus petit des enfants, âgé d'à peine trois ans, était plus maigre qu'un poulet mal-nourri et n'avait plus la force de vagir pour demander une nourriture que, du reste, il n'obtiendrait jamais.
Malgré tout, la nuit tombait et la pauvreté n'avait pas ôté aux cultivateurs malheureux leur sens de l'hospitalité et ils proposèrent d'accueillir le voyageur esseulé dans leur humble demeure. En s'inclinant gracieusement, il accepta l'invitation et les suivi sur le pas de la porte, se baissant pour éviter le linteau, un sourire fugace venant flotter sur ses lèvres. Le dénuement de ces êtres et la caricature de pression sociale qui les obligeait, dans leur indigence absurde et imbécile, à héberger chez eux une bouche supplémentaire, qui priverait le cadet de son dernier espoir et le père d'un apport énergétique qui lui serait cruellement manquant le lendemain lors des travaux des champs.
Néanmoins, pour tout vide et fugitif que fut le repas, il se passa au mieux, les deux adultes parlant sans relâche, tour à tour quand ils ne se coupaient pas la parole, tout pressés qu'ils étaient de chercher à en placer une. Le visiteur devait être le premier individu exogène à qui ils pouvaient dire un mot depuis des mois. Ils lui racontèrent comment ils avaient été floués et la réputation de l'usurier qui leur avait vendu les terres. Ils lui expliquèrent la mort de leur tout premier enfant, quelques années auparavant et celle, lente, qui attendait leur cadet. Ils lui dirent qu'ils ne nourrissaient plus aucun espoir pour l'avenir et cherchaient simplement à placer leur puinée quelque part, dans une famille plus bas. Ils voulaient juste attendre quelle soit nubile pour se laisser mourir. Il formait un parfait exemple d'abnégation raciale et d'intégration des normes sociales, ne put s'empêcher de penser leur hôte. Alors il mit en branle un petit schème qui participait d'un plan plus vaste, une sorte d'assurance pour l'avenir, un pion utile semé dès à présent.
Lui qui n'avait que peu touché au repas se mit à leur parler d'une possibilité de sortir la tête de l'eau et d'éviter que le destin ne les écrase lamentablement sous sa roue. L'étranger leur raconta qu'ils pouvaient réussir à triompher de la vilenie de l'usurier et peut-être même lui rendre la monnaie de sa pièce. Il leur annonça qu'avec un peu de chance il pouvait intervenir auprès de personnes qui les aideraient à subvenir à leur besoin. Qu'ils réussiraient à survivre sans souci et sans attirer l'attention, vivant dans l'aisance mais jamais trop ostentatoirement. Que l'avenir pour eux et leur descendance, car ils auraient une descendance, leur affirma-t-il les yeux gris, serait aussi limpide et tranquille qu'une claire rivière sillonnant dans les vallées. Il leur demande simplement une chose en échange, un simple assentiment, un pacte en somme, par lequel ils stipulaient que, le temps venu, les membres de leur famille, quelque soit la génération à laquelle ils appartiendraient, accepteraient de rendre un seul et unique service au porteur du pacte, quel qu'il fut.
Ils étaient désespérés, nous ne leur jetterons pas la pierre. Rejeter la responsabilité d'une étrange association sur les épaules de générations futures qui, selon les vraisemblances de l'instant, n'existeront jamais, ne leur parut pas un geste si sot que cela, oppressés qu'ils étaient par la faim. Ils acceptèrent, évidemment, sans trop y croire. Personne ne pouvait réaliser de miracles pareils sans être un dieu, ce que le curieux voyageur ne semblait pas être. Ils signèrent, sans se préoccuper des conséquences, conservant un exemplaire du document mystérieusement produit par l'étranger par devers eux, tandis qu'il en gardait un autre.
Il ne passa même pas la nuit sur place, préférant, dit-il, observer les étoiles depuis les cols plutôt qu'à travers un plafond à demi détruit. Il lui assura de ne pas s'inquiéter pour l'avenir et leur répéta que tout irait bien. Puis il s'enfonça dans les ténèbres pour ne plus jamais reparaître. Quant aux fermiers, et bien... C'est une autre histoire.
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Eva peste en essuyant la sueur qui lui coule du front. Elle n'aime pas quand il lui ordonne expressément de se promener à pieds alors qu'il est tant d'autres moyens de transport bien plus pratique. Mais il avait bien dit, pas de vague, pas de fortes impressions. Une arrivée, quelques mots et un départ. Elle peste de nouveau et s'arrête de courir. Elle est arrivée de toute façon. La chaumière est bien là, à l'endroit précis où elle se dressait auparavant, comme prévu. La jeune fille esquisse un sourire. Il la surprendrait toujours. Elle dépasse la petite clôture délimitant les terres verdoyantes pleines d'herbes et de bêtes grasses, jette un coup d'oeil rapide aux champs plus loin aux pousses pleines de promesses et arrive jusqu'à la maison sans prétention, mais avec le luxe discret des demeures qui n'ont rien à prouver et que l'opulence agace. Elle frappe à la porte, sachant qu'ils l'ont déjà remarqué depuis la fenêtre aux carreaux peints de couleurs variées, même du bleu. Un grincement se fait entendre et un visage frais et rebondis, féminin, se présente au sien.
« Bonjour, madame.
-Mademoiselle... Que pouvons-nous faire pour vous ?
-Puis-je entrer ? Nous en discuterons mieux et plus rapidement à l'intérieur. »
Eva n'attend pas de réponse et s'engouffre d'un pas leste dans la chaumière qui n'en avait plus que le nom. Un tour de regard rapide lui montre le jeune garçon qu'elle est venue chercher. Il ira parfaitement comme recrue. La dame entre deux âges se place derrière elle, un peu inquiète.
« Cherchez-vous quelque chose ? Pouvons-nous vous aider ?
-Oui. Eva produit un morceau de parchemin en bel état. Je cherche le double de ceci. »
Toute couleur déserte le visage de son hôtesse, qui renvoie l'enfant dans sa chambre, à l'étage. Elle se laisse tomber dans un fauteuil près de la cheminée, sans plus bouger. Le silence s'installe un long moment, puis finalement elle réussit à trouver le courage de le rompre.
« Alors la légende est vraie ?
-Oui. Eva se délecte mais n'en montre rien.
-Quel est le service ? Il aurait apprécié son pragmatisme.
-L'adolescent qui était ici un instant plus tôt est votre enfant, n'est-ce pas ?
-Oui.
-Il devra, dans la prochaine année, aller se faire recruter comme légionnaire dans l'armée de Rome qu'est en train de monter le seigneur Celimbrimbor. Eva sort une pierre de sa poche. Voici la seule possession qu'il sera autorisé à conserver. Le reste ne vous intéresse pas.
-Mais...
-Vous avez un an pour lui faire vos adieux et vous assurez qu'il ne meure pas d'ici là. La prospérité de votre ferme est à ce prix.
-Et que lui arrivera-t-il ? Partira-t-il à la guerre ?
-Cela ne vous concerne déjà plus et mieux vaut que vous l'ignoriez. Comment s'appelle-t-il ?
-Arctynoös, comme son grand père.
-C'est un joli nom pour un joli jeune homme. Il grimpera vite dans la hiérarchie des légionnaires. Eva sourit. Vous avez compris ?
-Oui.
-Bien. N'oubliez pas. Si l'an achevé il n'est pas parti, votre ferme en subirait les conséquences.
-Très bien. »
Sans jamais avoir cessé d'observer la vieille femme accusant d'un seul coup un âge qui n'est pas encore le sien, Eva repasse la porte en souriant délicieusement. Mission accomplie, il ne restait plus qu'au temps à faire son oeuvre.
Edité par Celimbrimbor le 12/08/10 à 01:57
