Forum - [DOTA43]Partie I.2 Le corbeau et le crevard.
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Sanaga | 06/05/10 17:48
« Non, vraiment je ne vois pas.
-Croaaaaa ! Croaaaaaa !
Songeur parmi les songeurs, le commandeur Hubart passa une main sous le bec du noir volatile, lequel s'évertuait à s'agiter comme un damné dans son clapier. Au travers de la vitre de son bureau il passait en revue, sans grande volonté, l'écart fortifié en contrebas dans l'infime expectance d'y voir passer l'apparition en toge décrite plus tôt par sa visiteuse.
-Je n'ai rien vu de tel. Aucun individu correspondant à votre signalement.
Et 'Croaaaaa !', le corbeau de lui faire échos de son timbre le plus insupportablement criard. L'oeil rond vissé sur l'interlocutrice de son maître, il semait dans la volière et ses alentours une dégringolade de plumes tandis que claquaient ses ailes contre les barreaux. Agacé plus qu'interloqué, Hubart délaissa la furie en cage qui menaçait de le pincer, pour en revenir à l'étrange visiteuse. « Et vous avez cherché tout alentour, avez-vous dit ?
-Oui, je...
-Sur les plates en argent d'feu mon grand oncle, mon lord commandeur, la coupa son colonel, assoiffé qu'il était de déclamer sa version des faits. J'l'ai trouvée semant le chaos dans l'abbaye d'à côté.
-Veuillez m'excusez du dérangement, s'épancha la jeune femme pour la seconde fois. Voilà plus de deux lunes que je le recherche, ici ou non loin. S'il n'était pas au monastère, quelques uns de vos gens l'auront forcément ap...
-Sur ma foi, pareil qu'une fouine, qu'on aurait dit. C't'un moine qui s'en est venu me chercher, se félicita encore l'assidu colonel. J'l'ai trouvée dans le couloir du dormitorium. L'avait passé au peigne fin toutes les piaules. S'y restait une saloperie d'toile d'araignée dans une d'leurs cellules, j'peux jurer qu'elle l'aura démantelée, pour voir si s'y cachait pas son bonhomme, rien que.
Hubart flatta d'un mince sourire l'implacable éloquence de son subordonné : un individu robuste quoique courtaud, fils de censier dont les traits proclamaient l'extrace. L'humour rédhibitoire et pesant était son lot. Un bon officier, néanmoins sujet à la suspicion, que seule l'ébriété rendait aimable. Encore fallait-il en mettre quelques bonnes couches. L'on disait avec certaine humeur, dans la commanderie, qu'il était diablement plus aisé de tirer des litres d'or du pis d'une vache que d'obtenir un semblant de magnanimité de la part du colonel. Du reste, icelui accomplissait ses tâches comme attendu et le commandeur n'avait pas à s'en plaindre outre mesure, d'autant que -et il comptait les jours- il voyait arriver sa propre retraite de lune en lune.
À son côté, discrète bien qu'opiniâtre, la dame qui occupait pour l'heure le bureau restait patiemment plantée en attendant qu'on eut fini de parler à sa place, même si pour l'heure, son récit semblait clos. Sur sa tête, où sa chevelure se disputait farouchement une place à l'air libre, on distinguait des vestiges de boucles tirebouchonnées. Elles avaient non pas la nuance orange ou incarnat commune aux rouquins, mais un ton de cuivre bruni que les torches faisaient brasiller. Et pareil à la limaille, sa voix, bien que faible par nature, avait le soyeux de l'acier et le rauque de la pierre. Ses atours, alliés de sobres braies noires et d'une chemise de jabot blanche, quoi que de for bel arroi, n'en restaient pas moins dénués de toutes fantaisies contraignantes. Sans doute trentenaire, elle n'avait cependant l'air ni d'une dame, ni d'une enfant commune. Sa physionomie lui conférait d'avantage l'air d'une femme-enfant, malgré l'air grave qui s'en détachait pour l'heure.
'Croaaaaa !' La détaillant là dans le bureau, Hubart se sentait envahi par une impression de déjà vu. Etaient-ce de semblables circonstances qui se rappelaient à lui, ou bien la vision d'une gourme identique ? Il n'aurait su dire ce qui le troublait. Toujours est-il que de bonne grâce, ou ne voulant s'encombrer plus longtemps d'une pareille affaire, le commandeur avait fait mander pour elle un registre. Sans doute trouverait-elle là le nom de l'homme qu'elle recherchait.
'Crooaaaaaa !' Comme s'ébranlait le noir corbeau derrière lui, le vieil officier se félicita intérieurement de l'avoir plus tôt mis en cage. Se détournant pour mignarder le gosier du messager, le vieil officier grimaça. Sous le flambant neuf de son corselet de plates, ses articulations grinçaient et roulaient les unes contre les autres dans une douleur accrue, charriée par le poids des années. 'Croaaaaaa ?!' poursuivait à tue-tête le noir dans une complainte lancinante, jactant et souffletant les barreaux de battements frénétiques. Hubart envisagea d'ouvrir la fenêtre lors que lui traversait l'idée que quelque chose devait l'effrayer, à la fin. « Là, calme ! » Sitôt le loquet de sa cage ouverte, le volatil décampa d'emblée par la fenêtre, laissant la pièce recouvrer son silence.
« Excusez du vacarme. Il n'est pas ainsi, d'habitude. C'est un bon messager. Quelque chose l'aura effrayé sans doute.
-Ce n'est rien.
-Ne voulez-vous vraiment pas vous asseoir ?
-Non, vraiment, insista l'enquêteuse, que l'évasion du corbeau semblait rasséréner quelque peu.
-Pour sûr, c'pas de s'asseoir qui va l'faire magner son train plus vite, au registraire », crâna le colonel, encore en reste de paroles vaines. La femme demeurait immobile.
« Pardonnez mon impudence, commandeur, mais l'affaire est assez pressée.
-Pressé, je le suis aussi, souffla Hubart. Un continent, même pacifié depuis des centaines de lunes, n'en reste pas moins un continent vulnérable. Non pas qu'on ait grand-chose à faire, mais des rumeurs de grande bête ailée commencent à courir les champs.
-Ah ?
-Un vieux fou ! crut bon de renchérir le loquace colonel. Un berger, sur les côtes, venu ramper jusqu'ici pour crier au monstre.
-Oh ? Aberrant... Que lui est-il arrivé ?
-Ca on n'en sait rien. Mais l'en fallait pas plus pour alarmer la populace.
-Oh.
-C'est qu'il commençait surtout à foutre les j'tons aux gars d'la commanderie, avec ses affabulations.
-Nous l'avons envoyé aux bons soins du bourreau local, coupa court Hubart.
-D'un trait, qu'il lui a coupé la tête.
-Oh. Ah, s'ébroua la jeune femme, contristée visiblement. Malheureux destin que le sien.
-Oui, une chose navrante que ce fou, même pour un fou. Il n'y a pas de dragons dans les parages, je puis vous l'assurer.
Sur quoi survint le porteur du registre tant convoité. Remis entre les mains de la dame, chaque page en fut méticuleusement décortiquée, à la recherche du fameux scribe. Sous ses devers de dame impatiente, elle avait le geste avare et précis. Pas une feuille n'échappa à son attention, et ce quoique les plus anciennes lignes remontaient à deux ou trois ans déjà. Cependant, elle n'y sembla pas trouver de réponse à ses questions. Soucieuse, elle remit l'ouvrage au commandeur. Hubart, par précaution, feuilleta à son tour les quelques pages du registre.
- Tous les voyageurs passant par ce casal d'Hetrandhil ne sont pas recensés. Etes-vous bien certaine que votre homme se cache par ici ? Il aurait pu séjourner dans un autre hameau.
-Il ne se cache pas. Il attend. Il avait ordre de s'en venir ici, et de m'attendre, surtout, sans bouger, répéta la femme.
-Hum ? Comment avez-vous dit qu'il s'appelait, votre scribe ?
-Arné.
-Arné, Arné, épela Hubart, passant en revue les pages du registre pour la quantième fois. Rien qui s'y rapporte ici.
Ni son nom, ni la description détaillée qu'elle en avait fait ne lui rappelait rien. Un scribe en toge poussant devant lui une charrette chargée d'un coffre, voilà qui pourtant n'aurait dû échapper à personne.
-Il n'empêche que j'trouve ça bizarre, moi, une bonne femme qui met à mal le dortoir de l'abbaye du coin à la recherche d'un scribe, soit disant, qu'on trouve nulle part, objecta le colonel dans un reniflement.
-Il existe pourtant, croyez m'en, lui répondit-elle d'un hochement de tête aimable. Si la dame était exaspérée, elle avait la bonne grâce de n'en rien manifester.
-Qu'un scribe comme çui-là existe ou pas, j'vois pas c'que vous lui voudriez de spécial. AH ! Par contre, dans les abbayes, on r'trouve parfois quelques vieilles reliques de valeur, si vous voulez mon avis. Et pas d'la camelote.
-J'ai marché sur les terres d'Hetrandhil bien avant que vous ne fussiez ne serait-ce que spadassin, cisela sa vis-à-vis, une once d'énervement lui échauffant la voix. Si j'avais dû tirer un quelconque profit de ces terres, sans doute l'aurais-je fait bien avant. »
Pour toute réponse, le colonel se racla longuement la gorge, et finit par expectorer des glaires bien grasses dont il honora la jonchée, éclaboussant par la même occasion le cuir des bottes de son interlocutrice. Hubart referma bruyamment le registre, observant la jeune femme. L'air tout autour était dépoli comme sous l'effet d'une chaleur intense, tandis qu'elle dardait sur le colonel un regard aussi gris et froid que l'acier. Il s'éclaircit la gorge, indiquant posément la porte. « Navré, madame, de n'avoir pu vous aider.
-Navrée de vous avoir dérangé pour si peu. »
Sur quoi elle s'inclina, raide, avant de regagner la porte. Hubart allait s'enquérir de l'état de la volière quand l'interpella à nouveau la mince voix.
-Il y avait une petite cabane là dehors, avant. Qu'en est-il advenu ?
Et son colonel de le devancer, avant même qu'Hubart n'eut le loisir de s'étonner de pareille question :
-Ce cabanon tout bancal ? Rasé de deux ou trois coups de hache. Pas même bon à nicher un chien galeux.
Handicapé par ses os chiffonnés, le commandeur Hubart n'eut qu'un compte rendu auditif du tête-à-queue avant d'en constater le tort. Ex abrupto, la réplique de la dame s'était faite d'un soufflet cuisant. Le colonel se tâtait la pommette, sur laquelle s'inscrivait dorénavant un lot de phalanges opiniâtres, et sa gueule de la fermer. La déconvenue semblait avoir délité son air crâne, comme l'aurait fait un coup de marteau sur une planche pourrie.
-Mes excuses. Et mes adieux, salua - cette fois pour de bon- la dame avant que n'aille plus loin le conflit.
-Cralch' ! Catin du dimanche. Bourgeoise vérolée, furibarda le subordonné.
-Fiche-moi le camp, jappa Hubart que l'exaspération commençait à rendre irritable.
-Pareil qu'on devrait y mettre les fers, à c'te racaille, babillait toujours le colonel. J'en ai mâté des pires, pas plus...
-Suffit, nigaud ! Esbigne-toi vite trouver d'autres occupations, avant que me prenne la fantaisie de faire fendre aussi ta vilaine trogne, qu'on sache s'il y a autre chose là dedans que de la chiasse. »
Au calme enfin, les pas d'Hubart l'avaient hasardeusement conduit jusque sous les combles d grenier. Il savait la commanderie avoir été autrefois une simple chaumine, avant de se voir agrandir quelques ailes supplémentaires en une plus vaste caserne. Et puis, persistait toujours cette curieuse impression de déjà vu. Sous une poutrelle rongée par une génération de mites, un barda camouflé sous un linceul blanc attira son attention. Il ne découvrit sous ses dessous que quelques caisses de vieux objets anodins, billes de fonte et miroirs lézardés, encres crayeux et papiers en friches. Logée entre ses semblables, une toile de peinture attira son attention, tandis qu'Hubart prenait soin, entre ses gantelets, de l'y déranger.
Il dut souffler quelque peu sur la toile, y délogeant une couche de poussière pour découvrir la peinture fatiguée. Stupéfait d'abord, le vieil officier eut un léger rire, succin. Elementaire. Le portrait qu'il tenait là était celui de son visage. Le même, exactement. Peut-être un peu plus jeune, mais les traits, le visage rond, badin, tout pareil. La détresse en moins, peut-être. À n'en pas douter, il s'agissait bien de la femme au scribe. Un détail cependant attira son attention, lors qu'il repassa un revers de maille sur l'épaisse couche de poussière. Un deuxième visage y était dépeint, qui lui faisait compagnie. Un visage que, cette fois, il ne connaissait que trop bien. Pas de doute, il s'agissait tantôt de l'ancien gouverneur consort. Et c'est au verso du tableau qu'il découvrit le nom qu'il n'avait pensé à demander plus tôt, celui de Sanaga. Mais déjà des voix retentissaient au dehors, qui l'appelait. Tout à ses songeries de retraite, le commandeur Hubart regagna le plain-pied, tandis que le portrait retrouvait son linceul.
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De Legier Vovlloir Longve Repentance.
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Paserbe | 06/05/10 18:19
A plusieurs reprise, j'ai sorti le dico. Merci Sanaga ! 
Cordialement,
Paserbe, Enfant de Dana.
Elfe de Lune.
Barde.
Celimbrimbor | 07/05/10 00:59
Sont-ce ces secrets qui me sont interdits ?
Pas mal, d'autre part.
Participez au projet d'anniversaire des 10 ans de Daifen : [Lien HTTP] !!
La Demeure Franche : [Lien HTTP]
Larme De Fée | 11/05/10 11:56
*Malgré le risque de trahison, je choisis d'aimer. Malgré les échecs et le désespoir, je choisis de garder courage.*
(David Farland, Les Seigneurs des Runes)

